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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°37/38, 16 décembre 2013  >  L’anglais – la joie d’apprendre une langue est volontairement détruite [Imprimer]

L’anglais – la joie d’apprendre une langue est volontairement détruite

Impressions d’un professeur d’anglais du second cycle

par Stefan Bucher

Depuis de nombreuses années, j’enseigne l’anglais dans le secondaire. Jusqu’à présent, j’initiais les élèves à la structure de la langue au moyen d’un manuel systématique, incluant dès le départ, l’apprentissage exact et minutieux du vocabulaire, ainsi que l’exercice de la grammaire traitée au moyen d’exemples pour finalement les amener en l’espace de trois ans de secondaire, à un usage assez libre de la langue dans différents domaines de la vie tout en leur donnant des outils d’acquisition de connaissances dans d’autres domaines de la langue et de la société en anglais.
Au niveau grammatical, les élèves savaient utiliser le présent simple, le présent immédiat, present perfect, past simple (y compris une liste de verbes courants irréguliers), past continuous, will-future, le futur immédiat, les trois conditionnels. L’apprentissage systématique et l’accompagnement étroit ont engendré chez les élèves la conviction de la possibilité d’apprendre une nouvelle langue (facile au début) et l’appréciation de l’anglais en tant que matière préférée. Dans quelques cas, les élèves ont joint à ces trois ans d’anglais un séjour à l’étranger et ont passé avec succès le Cambridge First Certificate in English (FCE).
Cette année, j’ai reçu en anglais pour la première fois des élèves d’école primaire dans une matière nouvellement instaurée à différents niveaux, niveau E (niveau le plus élevé), pour ceux qui avaient déjà eu l’«anglais précoce» en primaire. Les élèves avaient donc, depuis la troisième classe d’école primaire, 2 heures d’anglais par semaine pendant 4 ans. Le résultat est accablant.
Partant du fait que les élèves avaient déjà étudié cette langue pendant le même nombre d’heures que mes élèves de troisième classe du secondaire récemment congédiés (trois heures pendant trois ans équivalent à 2 heures pendant 4 ans), j’ai pensé que je pourrais faire appel à un vaste vocabulaire et que les élèves me comprendraient oralement. Au début du premier cours, j’ai parlé anglais pendant en­viron cinq minutes avec mes nouveaux élèves, lorsque j’ai constaté qu’ils ne me comprenaient pas. Quand j’ai demandé qui a compris, j’ai obtenu un (!) vague signe de main de toute la classe. Bon d’accord. Je commence à un niveau plus bas: j’explique aux élèves à quoi ils doivent s’attendre dans mes cours. Ils ne connaissent pas le mot «vocabulary» … Ils n’ont jamais écrit un «vocabulary test». Ils ne connaissent pas de cahiers de grammaire. Ils ont fait des observations de la nature pendant six mois en cours d’anglais.
Assez désillusionné, je vérifie dans le manuel du cycle primaire ce que les élèves auraient dû apprendre. Quels objectifs sont-ils formulés? Je tombe sur un vocabulaire de base de 1300 mots avec lesquels les élèves auraient dû être familiarisés à la suite de l’apprentissage avec le manuel. Les élèves devraient connaître les temps du présent simple, présent immédiat, past simple (y compris des verbes irréguliers utilisés couramment), will-future et du futur immédiat. Je leur fais passer, pendant la première semaine, le test de passage qui doit montrer au professeur du second cycle ce que les élèves ont appris à l’école primaire afin de mettre à leur disposition du matériel scolaire individuellement ciblé par lequel ils doivent combler leurs lacunes apparentes. Le test révèle un manque de connaissances en de multiples domaines et présente de plus, au moyen d’un questionnaire à choix multiple, un nombre de confusions et de formes fausses, que les élèves répètent ensuite en permanence.
Dans une succession répétitive de tous les domaines donnés comme objectifs (à part les deux futures tenses), les élèves sont familia­risés avec les notes structurées de la grammaire et on leur fournit du matériel d’entraînement. Dans un deuxième test après quatre semaines, le résultat est dégrisant: les élèves ne sont pas habitués à apprendre, ils ignorent le fait que certaines choses doivent être apprises par cœur.
Dans un entretien lors de la remise de ce test, je ne pouvais pas faire autrement que de raconter aux élèves comment les cours d’anglais que je connaissais jusqu’à présent, se passaient. Les élèves me regardaient, à la fois, avec étonnement, fascination et intensité. Ils me suppliaient de recommencer avec eux depuis le début. Je voudrais même le faire si le nouveau manuel ne me m’obligeait pas à traiter dans une première étape l’ordre de tous (!) les adjectifs dans la phrase, les noms composés et les sujets comme l’architecture à l’exemple du Chrysler building, l’art déco (enjoliveur, capot, emblème du bouchon de radiateur …), l’élaboration d’une esquisse sur le propre appartement de rêve etc. … Pourquoi obligé? Parce que les élèves, qui «montent» du niveau inférieur chez moi doivent avoir appris la même chose que nous et parce que les élèves, que je dois «dévaluer», ne pourraient plus suivre dans le cours moyen.
L’enseignement à niveaux nivelle la liberté du choix des manuels scolaires et ainsi presque la liberté de la méthode pédagogique. Probablement qu’il existe dans le primaire des conditions-cadres correspondantes, qui rendent impossibles, même aux professeurs d’anglais de bonne volonté, d’enseigner la langue de manière structurée.
Lors d’un échange entre les enseignants du primaire et du secondaire, une discussion a eu lieu à propos de l’anglais en tant que nouvelle matière dans le primaire. On a ra­bâché aux enseignants du primaire pendant leur formation d’anglais à l’Ecole pédagogique qu’ils ne devaient pas faire attention à l’orthographe et à la grammaire, mais seulement tenir compte de l’approche communicative, de la joie d’apprendre la langue. Apprendre la grammaire et les «vocabulary tests» étaient interdits, car ceux-ci détruisent l’émulation pour la langue. Je me demande comment on peut développer un enthousiasme pour une langue quand on ne la comprend pas …

Nota bene

Depuis la troisième semaine du second cycle, je fais un «vocabulary test» toutes les semaines pour rattraper le vocabulaire mentionné. Cette remise à niveau prend beaucoup de temps qui en fait était en fonction dans le primaire. Pourtant celle-ci vaut la peine car les élèves apprennent assidûment maintenant après un bon trimestre et se réjouissent beaucoup de leurs bons résultats. Une interrogation de 50 mots chaque semaine où une moyenne de 2 fautes n’est plus une rareté maintenant. Les élèves s’habituent lentement au fait que les notes de grammaire sont importantes. L’enseignement peut être dispensé en grande partie en anglais – et pourtant, je peux être heureux quand j’arrive à conduire les élèves au même niveau que les générations précédentes, qui ont commencé l’anglais seulement au second cycle.
Pourquoi n’utilise-t-on pas ce temps précieux du primaire qu’on gâche pour l’anglais au profit des matières principales comme ­l’allemand et les mathématiques?    •