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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°4, 28 janvier 2012  >  La voie bilatérale, un modèle périmé? – Bien sûr que non! [Imprimer]

Widmer-Schlumpf a-t-elle confiance en cette Cour de justice?

«En ce qui concerne la jurisprudence, on a affaire à la Cour de justice qui est la plus haute juridiction de l’Union européenne et qui n’est donc pas un tribunal national, mais une Cour faisant partie de l’UE qui ne se sent aucunement liée aux droits fondamentaux, à la citoyenneté, aux droits politiques et aux garanties institutionnelles ancrées dans la Constitution fédérale suisse.»

Hans-Jacob Heitz

La voie bilatérale, un modèle périmé? – Bien sûr que non!

par Hans-Jacob Heitz, avocat et médiateur, ancien juge au Tribunal fédéral administratif

Vu les délibérations imminentes de la Suisse avec l’UE, voici une réponse à la question de savoir si, à l’avenir, la voie bilatérale restera bloquée et s’il existe une autre issue pour la Suisse que celle du bilatéralisme, accom­pagnée par quelques réflexions indépendantes et créatives en vue de la poursuite de la voie bilatérale.

Notre Constitution fédérale (Cst.) définit la voie de la politique suisse, ce qui est naturellement aussi valable pour les traités internationaux. Selon son préambule et les art. 2, al. 1 et art. 54, al. 2, elle stipule, par respect des «acquis communs» et en tant que valeurs de référence immuables: la «liberté» – en nous rappelant que «seul est libre qui use de sa liberté» –, la «démocratie» ainsi que l’«indépendance et la sécurité du pays». En outre, on y trouve aussi l’obligation de s’en­gager «en faveur d’un ordre international juste et pacifique» (art. 2, al. 4 Cst.). Ces valeurs de base forment elles-mêmes le fondement de notre neutralité armée, ancrée notamment dans notre Constitution aux art. 173 et 185, ce qui souligne la souveraineté de la Confédération suisse, cette «nation née de la volonté collective». Quant aux autorités judiciaires, l’art. 188 Cst. désigne le Tribunal fédéral comme étant l’autorité judiciaire suprême de la Confédération. Selon art. 189, al. 3 Cst., la loi peut – comme dans le droit international – lui conférer d’autres compétences, élargies à l’examen de litiges concernant la violation du droit émanant de traités internationaux, ce qui garantirait l’accès au juge selon l’art. 29a Cst. Avec ses prescriptions constitutionnelles, tel un paramètre, la marge d’action concernant les traités internationaux est clairement définie, ce qui soulève la question de savoir si, au niveau institutionnel, il y a d’autres voies qui s’offrent à la Suisse – sous réserve d’amendements constitutionnels – que le bilatéralisme qui a prévalu jusqu’ici. Cette question sera traitée par la suite et nous y donnerons une réponse.

La notion de souveraineté au sein de l’UE

Comme mis en évidence ci-dessus, la souveraineté suisse se définit par la liberté, la démocratie et l’indépendance assortie de neutralité.
Sur la base des Traités de Maastricht, du Traité sur l’Union européenne, respectivement du Traité de Lisbonne, l’UE s’est donné une sorte de constitution, sans qu’elle le soit au sens juridique du terme, qui correspond plutôt à des traités de droit international entre les pays membres de l’UE, donc en fait égale­ment d’une certaine sorte de bilatéralisme. Du point de vue du contenu, on y met l’accent sur la volonté des Etats et des peuples de coexister pacifiquement sur la base de valeurs et d’intérêts communs, faisant valoir les principes de la liberté, de la démocratie et du respect de l’Etat de droit, ce qui ne met pas à priori en question la souveraineté des Etats. Avec le but d’une «identité européenne», on vise la citoyenneté de l’Union européenne et l’union monétaire ainsi qu’une politique extérieure, de sécurité et de défense commune. Ces buts permettent à bon droit de déduire que les idéaux fondamentaux de la Confédération suisse et de l’Union européenne ne sont pas si éloignés les uns des autres.
Ces idéaux communs pourraient en principe former la base idéale d’un partenariat qui pourrait aussi à l’avenir être vécu selon le principe du bilatéralisme. Or, aujourd’hui on a toujours davantage l’impression que l’UE, représentée par ses commissaires, semble s’éloigner de plus en plus de ses idéaux fondamentaux, car ce n’est qu’ainsi qu’on peut plus ou moins expliquer le comportement agressif et pour ainsi dire dictatorial de l’UE face à notre pays autonome.
En ce qui concerne la jurisprudence, on a affaire à la Cour de justice qui est la plus haute juridiction de l’Union européenne et qui n’est donc pas un tribunal national, mais une Cour faisant partie de l’UE qui ne se sent aucunement liée aux droits fondamentaux, à la citoyenneté, aux droits politiques et aux garanties institutionnelles ancrées dans la Constitution fédérale suisse.

L’importance du bilatéralisme dans la zone de tension de la crise de l’UE

Après le Non à l’EEE, la Suisse n’avait pas d’autre choix que conclure des traités individuels sur la base du bilatéralisme. Actuellement la Suisse et l’UE sont reliées par un réseau de plus en plus fin de traités bilatéraux qui forment le fondement de la cohabitation entre la Suisse et l’UE. Depuis un certain temps, cependant, ce fondement est mis en question par les représentants de l’UE, comme à la fin de l’année par Viviane Reding, suppléante du président de la Commission européenne José Manuel Barroso. Au lieu de suivre la voie bilatérale qui a fait ses preuves dans le passé, on veut nous imposer la reprise automatique du droit européen ainsi qu’un tribunal supranational, c’est-à-dire des juges étrangers. Au Conseil fédéral et dans les partis bourgeois, on est toujours d’avis qu’il faut maintenir la voie bilatérale. En principe, c’est bien ainsi! Il me paraît pourtant évident que, dans le contexte de la crise de l’UE et probablement aussi suite à celle-ci, un véritable bras de fer, telle la lutte entre David et Goliath, a éclaté entre la Suisse et l’UE, où il s’agit, à l’instar du comportement de David, de garder sans trop d’émotions la vue globale et son sang-froid. Malheureusement, nos parlementaires suisses, peu résistants aux crises, ont actuellement tendance à perdre les nerfs et à vouloir se profiler par des affirmations peu réfléchies et visiblement contre-productives. Ces signaux, marqués par des divergences internes, correspondent à un comportement totalement erroné. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de former un front commun et de profiter du fait que l’UE est secouée par la crise.

Bilan de performance de la Suisse: nous devons renforcer notre confiance en nous!

Dans l’Union européenne, on semble ne pas seulement juger de façon erronée les performances fournies par la Suisse envers l’UE, mais ne pas les voir ou les ignorer complètement; de plus, on néglige de prendre en compte les attrayantes possibilités dont dispose la Suisse comme alternative à l’Union européenne. En ce qui concerne les prestations fournies à l’UE, il suffit de se souvenir des paiements de cohésion annuels s’élevant à des centaines de millions ou à la NLFA, construite uniquement à nos frais pour 20 milliards, et augmentée des coûts pour les raccordements à cette voie de transit chez nos voisins au Nord et au Sud, somme que la Suisse finance volontairement. Nous avons aussi construit la route transversale pour la circulation de transit européenne du Nord au Sud et actuellement on évalue un second tunnel du Gothard qui ne sera pas non plus gratuit. Et face à tout cela, l’UE se permet de nous reprocher de jouer les pique-assiettes – à mon avis, un reproche complètement erroné et véritablement grotesque.
Actuellement, on est en train de négocier entre autres un accord sur l’énergie avec l’UE, où celle-ci prend, là aussi, de grands airs. On semble complètement ignorer que le château d’eau européen se trouve en Suisse. Celui-ci gagnera toujours plus en importance, vu la décision de sortie du nucléaire prise par l’Allemagne, qui est au sein des Etats de l’UE notre partenaire économique le plus important. Même la NLFA, l’axe de transit des Alpes la plus courte, a une grande importance au niveau de la politique énergétique, vu qu’on peut économiser pas mal d’énergie suite à cette voie de transport directe et respectueuse de l’environnement. Et pourtant, on nous reproche à tout moment de profiter au niveau économique avant tout du marché européen, notamment de l’Allemagne, et que ce serait la raison de notre prospérité.
Il est grand temps que l’UE – qui se présente face à la Suisse de manière toujours plus désagréable, pour ne pas dire arrogante – se regarde enfin dans le miroir et retourne au pragmatisme. L’installation de coulisses menaçantes ne mènera pas au but désiré, et c’est en outre indigne d’une organisation internationale.
Mais l’UE continue de taper sur la Suisse, et avec elle des Etats membres qui se trouvent en période électorale, telle l’Allemagne, que ce soit au sujet de la fiscalité ou de la procédure d’approche des avions atterrissant à l’aéroport de Zurich. La Grande-Bretagne par contre, le berceau du fairplay vécu, se comporte de façon impeccable. Pour des raisons purement opportunistes, le Bundesrat allemand, dominé par le SPD, décide de manière très imprudente, de renoncer à des recettes rapides grâce au principe de l’impôt libératoire, juridiquement logique et transparent. Pas besoin de beaucoup d’imagination pour pronostiquer que, sous peu cet argent manquera douloureusement dans le budget d’Etat allemand – la chancelière Angela Merkel l’a déjà mentionné dans son discours de Nouvel An –, ce qui sera certainement de nouveau attribué à la Suisse afin de détourner l’attention de leur propre mauvais comportement.
En ce qui concerne l’aéroport de Zurich, j’aimerais quand-même rappeler qu’il sert de plate-forme aéroportuaire («hub») à la filiale de la Lufthansa allemande Swiss (dont la vente a été une pure bêtise!), ce qui est dans l’intérêt direct de l’UE, sans qu’elle veuille l’admettre. Dans ce contexte, il est tentant de réfléchir, (uniquement!) comme hypothèse, au scénario de savoir quel serait l’impact sur l’Union européenne, si la Suisse stoppait ses contributions au titre de la cohésion, si elle suspendait l’énergie des centrales hydrauliques, si elle fermait l’aéroport de Zurich pour la Swiss au profit d’autres compagnies aériennes intéressées (qui existent bel et bien!) à avoir une plate-forme aéroportuaire à Zurich, si elle imposait une nouvelle taxe aux entreprises de transport pour l’utilisation de l’axe de transit routier Nord-Sud, ou si elle fermait cet axe complètement, et si elle exigeait un impôt exceptionnel sur les successions de tout citoyen de l’UE possédant une propriété foncière en Suisse. Ce jeu d’idées ne signifie pas une renaissance de l’idée du Réduit, il s’agit plutôt de développer enfin une confiance en soi saine et de refaire preuve de force, dans le sens d’une dissuasion moderne redéfinie. Seul celui qui pense à l’impossible trouvera de bonnes solutions réalisables. Le modèle suisse qui a fait ses preuves l’a bien mérité, et il ne faut pas qu’il se laisse mettre à genoux par une politique d’exclusion européenne marquée par la jalousie.

Des solutions alternatives en tant que chances pour la Suisse

Il s’agit de bien réfléchir au fait que dans le monde globalisé d’aujourd’hui, ce ne sont pas uniquement les sociétés et les marchés européens qui gagnent en intérêt pour l’économie et la société suisse (donc pour la Suisse en général), mais de plus en plus les Etats de l’Europe de l’Est et du Caucase, entre autres à cause de leurs ressources naturelles, ainsi que notamment aussi les Etats asiatiques et d’Amérique latine, les Etats du BRICS, suite à leurs économies en plein essor. Dans ce contexte, il ne faut pas oublier non plus la grande importance qu’a déjà acquise le continent nord-américain (Accord de libre-échange nord-américain ALENA), laquelle en tout cas restera stable à l’avenir. La Suisse et ses autorités fédérales sont bien conseillées en concluant des accords bilatéraux avec ces Etats, ce qui ne peut que renforcer la position de notre pays dans ses négociations avec l’UE. En d’autres termes, il faut redéfinir les priorités au détriment de l’Union européenne. Le scénario tout à fait réaliste que nous présentons ici ne devrait pas laisser indifférents l’UE et ses Etats membres, ce qui devrait de nouveau faciliter les négociations, car sinon l’UE continue à couper la branche sur laquelle elle est assise, comme la crise européenne actuelle nous le démontre sans équivoque. L’UE ne devrait pas négliger que la situation géographique de la Suisse en Europe est d’importance géostratégique, car elle peut – pour les Etats asiatiques, américains et autres, ainsi que pour les associations d’Etats mentionnés plus haut, notamment l’ASEAN, l’ALENA ou les «quatre dragons asiatiques» et leurs marchés – prendre la fonction d’une sorte de porte-avions avec une excellente infrastructure, pour permettre à ces pays l’accès direct à l’UE et ses marchés. En d’autres termes, notre Conseil fédéral devrait enfin développer différents scénarios, avec des décisions prises sous réserves, pour pouvoir négocier et réagir rapidement et du tac au tac. Un tel scénario pourrait s’appeler «bilatéralisme élargi», qui prend en compte les requêtes de l’Union européenne au sujet du contrôle indépendant des contrats bilatéraux, c’est-à-dire de leur respect et de leur meilleure transparence concernant la reprise du droit européen, ce qui se fait actuellement déjà sans que les citoyens puissent s’en rendre compte. Que l’on nomme cela «EEE light», «EEE bilatéral» ou autrement, n’est que d’importance purement formelle et donc secondaire. Pour la surveillance de tels accords, il faudrait aussi prendre en compte les structures d’organisation de l’AELA (Association européenne de libre-échange). Dans ce contexte, la Suisse aurait déjà deux alliés naturels avec le Liechtenstein et la Norvège. En ce qui concerne la surveillance, la Suisse fait figure de partenaire extrêmement fiable, ce qu’il faut une fois de plus rappeler à l’UE. En utilisant un tel comportement et une telle tactique, nous aurions de nouveau la possibilité de reprendre l’initiative. La crise actuelle avec une Union européenne affaiblie ne peut que nous être utile. Dans ce contexte, la devise du scout «Toujours prêt!» ne nous semble pas du tout déplacée.

Idée fondamentale: le bilatéralisme a un avenir

D’abord, il est important de retenir que le «bilatéralisme» ne se limite pas à la relation entre la Suisse et l’UE ou les 27 Etats membres, mais au contraire, le bilatéralisme gagne toujours plus d’importance au niveau mondial. Les commentateurs qui déclarent le terme «bilatéral» comme étant une parole creuse, respectivement déclarent le bilatéralisme et les accords bilatéraux comme étant morts, méconnaissent l’importance croissante du bilatéralisme dans le monde entier. Il serait souhaitable d’avoir plus les pieds sur terre et de montrer davantage de sens des réalités, plutôt que de décrire des scénarios de naufrage.
Si l’UE voulait bien se souvenir, et agir en conséquence, que c’est uniquement avec un partenariat solide, basé sur le respect mutuel et servant pareillement les deux parties, que l’histoire à succès du bilatéralisme peut continuer, ce qui n’exclut pas que ce principe puisse être optimisé. Ainsi, il serait tout à fait concevable et réalisable de créer un «bilatéralisme élargi», correspondant à la logique du marché intérieur européen, c’est-à-dire un «EEE bilatéral», à condition que l’UE se remette à agir de manière pragmatique en soutenant un «cadre bilatéral» qui respecte la souveraineté de la Suisse.
L’UE doit enfin comprendre qu’elle se trouve face à un Etat souverain, qui n’est pas un membre officiel de l’Union européenne et auquel elle ne peut pas imposer ses règles, ce qu’interdit déjà le droit international. La poursuite du bilatéralisme entre la Suisse et l’UE a sans doute un sens au niveau social et économique, et pour l’UE, c’est en même temps un élément actif pour sortir de l’actuelle crise qui n’est de loin pas réglée.
La poursuite du bilatéralisme avec la Suisse ne doit pas exclure que ce pays puisse négocier, indépendamment et en toute conscience de sa propre valeur, des contrats bilatéraux avec d’autre Etats, groupes d’Etats ou marchés. Plus la Suisse pourra s’ar­ranger rapidement avec la Chine, c’est-à-dire conclure avec succès les négociations bilatérales actuelles, d’autant meilleure sera notre position de négociation face à l’UE. Il s’agit de profiter activement de cette dynamique pour renforcer la conscience de notre propre valeur. En ce qui concerne le comportement de l’UE envers nous, souvenons-nous de la sagesse populaire qui dit que les chiens qui aboient ne mordent pas. En conséquence, le Conseil fédéral est plutôt invité à pré­senter ses exigences à l’UE au lieu de faire la courbette devant elle en quémandeur. Les déclarations récentes des conseillers fédéraux Didier Burkhalter et Ueli Maurer nous redonnent courage. Restaurer la confiance à l’intérieur, des rencontres en conscience de sa propre valeur et en respectant son vis-à-vis à l’extérieur, cela fait sens. Continuons sur cette voie!
En tout cas, il me semble important, sur la base de scénarios avec de nouvelles variantes, d’agir de manière proactive plutôt que réactive. La Suisse, c’est-à-dire le Conseil fédéral et les autorités fédérales, soutenus par l’économie privée avec leurs organisations faîtières telle economiesuisse et les cantons, doivent se préparer de manière durable à de telles démarches – c’est le seul moyen de pouvoir réussir dans les affrontements futurs avec l’UE. Le conseil, qu’on a pu lire récemment, de s’orienter sur la «liberté et la responsabilité» dans la concurrence entre partenaires, doit être pris à cœur. Je me demande pourtant, si cela peut être efficace de s’allier avant tout à de petits Etats de l’UE, tel le Luxembourg, car deux petits Etats impuissants n’en font pas un grand puissant, d’autant plus que les finances et l’économie de la Confédération peuvent tout à fait se mesurer sur un pied d’égalité avec les Etats européens de grandeur moyenne et elles devraient le faire.
Ma réponse concernant la question initiale de savoir s’il y a une alternative équivalente au bilatéralisme est clairement non, sous réserve d’amendements constitutionnels. Prenons à cœur l’adage suivant: «Le secret du bonheur est la liberté. Le secret de la liberté est le courage!»    •
(Traduction Horizons et débats)