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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°35, 7 septembre 2009  >  La violence médiatique et la violence juvénile [Imprimer]

La violence médiatique et la violence juvénile

Le crime de Ried (Muotathal)

par Roland Näf, coprésident de la VGMG (Association contre la violence médiatique)

A partir de l’exemple du crime de Ried, l’auteur montre les rapports existant entre la consommation de violence médiatique et la violence réelle. Il s’appuie sur l’acte d’accusation du procureur du canton de Schwyz et des témoignages d’un membre de la famille des victimes.1
Dans la nuit du 11 au 12 avril 2008, un adolescent de 15 ans a tué avec un couteau son demi-frère et sa belle-mère et blessé son père à la tête. Il a suivi le mode opératoire préparé avec des camarades, mais il n’a réalisé que partiellement son objectif: tuer quatre per­sonnes. Il a été reconnu coupable de double assassinat ainsi que de tentative d’assassinat et ses coaccusés de complicité d’assassinat.
Comme toujours dans le cas d’actes violents, le comportement de l’accusé ne peut jamais être ramené à une cause unique. La cruauté dont a fait preuve l’adolescent de 15 ans ne peut pas être comprise de manière exhaustive et il n’existe pas d’explications simples. On ne peut jamais prouver l’importance des différents facteurs. Mais l’analyse suivante montre de manière plausible que la consommation de représentations de la violence joue un rôle important. Les témoignages d’un membre de la famille et plusieurs passages du réquisitoire du procureur du canton de Schwyz indiquent que l’auteur et ses camarades ont subi l’influence des jeux vidéo et d’autres représentations violentes (films et images).

Importance des représentations de la violence

Avant sa mort, la belle-mère de l’auteur se plaignait auprès de proches de ce que le fils de son nouveau compagnon passait beaucoup de temps à jouer à des jeux vidéo violents mais elle n’obtenait pas, dans cette question d’éducation, le soutien de son compagnon car celui-ci passait également son temps à jouer à ces jeux de tueur. Cette famille recom­posée ne connaissait pas de limites quant à la consommation de violence. Apparemment, le monde virtuel jouait également un rôle important dans les relations de ces adolescents. Ils considéraient les objets en rapport avec ces jeux comme des objets de valeur:
L’accusé devait, après son crime, se rendre chez R avec sa remorque de mobylette afin de transporter chez I des objets tels que des jeux vidéo, des X-boxes, etc. et faire croire à un crime crapuleux. (acte d’accusation contre I)2

Acte prémédité d’un adolescent de 15 ans

Le mode opératoire systématique et la planification semblent très inhabituels, car ils contrastent avec les actes passionnels des adolescents. Le procureur général a fondé son accusation de meurtre notamment sur le fait que le criminel avait pris des mesures
d’ordre technique et organisationnel dont la nature et l’ampleur montrent qu’il avait l’intention de commettre plusieurs meurtres au sens de l’Art. 112 du Code pénal. (acte d’accusation contre R)
Le plan sur lequel les adolescents se sont basés ne correspond pas à des expériences quotidiennes personnelles mais beaucoup plus à la reprise de clichés et de stratégies fréquentes dans les films et les jeux vidéo.
Selon le plan d’action préparé avec le co­accusé K, l’accusé avait l’intention de tuer son père, sa belle-mère et ses deux demi-frères et sœurs, de porter des gants pour ne pas laisser d’empreintes et faire penser à un crime crapuleux, d’utiliser un objet contondant, de dévaster l’appartement, de passer la nuit chez son complice I puis de prendre la fuite avec K en direction de Rorschach. (acte d’accusation contre R)
La consommation de jeux vidéo et de films faisant l’apologie de la violence constitue un apprentissage efficace de la pratique d’actes de violence. Le fait que dans les jeux vidéo et les films, les acteurs parviennent impunément à leur but et accèdent au statut de héros est sans doute également très important. En se référant à ses expériences médiatiques, le jeune criminel a considéré le meurtre prémédité comme la solution aux problèmes qu’il avait avec son père et sa belle-mère. Il a confié à son camarade (coaccusé K), qu’il voulait se débarrasser de son père et de sa belle-mère et qu’il voulait donc les assassiner. Le coaccusé a encouragé R à réaliser son crime. (acte d’accusation contre K)
Sans modèles provenant des jeux vidéo violents, il en serait probablement resté au désir de meurtre malgré une «situation familiale très tendue». (ibid.)

Du jeu de rôle d’une organisation criminelle à sa copie réelle

La préméditation du crime s’est déroulée sur fond de création d’une organisation criminelle dont l’initiateur était le coaccusé K. Il apparaît dans les entretiens des adolescents que la fiction provenant des modèles média­tiques se confond avec la réalité.
A l’occasion de l’entretien téléphonique au cours duquel l’inculpé a donné des conseils à R pour l’exécution de son crime, M a demandé à l’inculpé s’il voulait appartenir à une organisation nommée «Definity», qui comprenait 5 à 6 membres. Cette organisation vendait de la drogue. Il fallait encore tuer quelqu’un et après, cette organisation posséderait cinq maisons au Kosovo. Le chef de cette organisation était un certain «Astrit». […]
En rapport avec la préparation du crime et la complicité éventuelle de l’accusé dans le projet d’«assassinat des parents de R, R a dit à l’inculpé que celui-ci compterait, après l’accomplissement du crime, parmi les 5 ou 6 chefs de l’organisation. De plus, R a présenté à l’accusé un contrat en rapport avec l’organisation pour qu’il le signe mais que l’accusé n’a jamais signé. (acte d’accusation contre I).
Cette confusion entre des mondes vir­tuels et le quotidien difficile des adolescents a conduit les accusés à utiliser l’organisation «Definity» non seulement comme système de stimulation (cf. citation supra), mais comme moyen de chantage.
Un des éléments déclencheurs qui ont conduit R à exécuter l’acte prémédité dans la nuit du 11 au 12 avril 2008 à minuit, a été, outre la situation familiale particulièrement tendue chez R le plan convenu de l’acte, l’organisation «Definity» et les propos de l’accusé: «Tu sais ce qui va se passer si tu ne le fais pas.» R comprenait ainsi que, le cas échéant, il serait lui-même tué, s’il ne réalisait pas le crime, par un certain «Astrit» qu’il ne connaissait pas à ce moment-là. (acte d’accusation contre K)
L’affaire de Ried confirme de manière exem­plaire le fait que des adolescents possédant une personnalité immature ont tendance à confondre la réalité et l’imagination si bien que l’apologie de la violence à l’écran peut avoir des effets dangereux:
Selon les résultats de l’enquête, il est certain que l’adolescent incriminé a des difficultés, en raison d’une structure de personnalité immature, à gérer ses émotions de manière adéquate. Il a tendance à dissocier et à minimiser ses sentiments négatifs et à confondre réalité et imagination. (acte d’accusation contre I)

Les symboles et les noms du monde virtuel sont intégrés dans l’acte réel

Un autre élément indiquant l’influence de symboles et de comportements valorisés provenant de jeux vidéo et de films est le fait que les accusés, lors de la préparation de leur forfait, aient utilisé des surnoms empruntés au monde des jeux, en particulier des noms d’avatars:
Les personnes avaient les surnoms suivants: «RE» était K (pour l’accusé à ce moment-là «Astrit»), R s’appelait «ANUBIS». Au début, l’accusé n’avait pas encore de surnom. Si le meurtre s’était déroulé comme prévu, l’inculpé aurait fait ses preuves et aurait pu également choisir un surnom. (acte d’accusation contre I)
Les objets utilisés ainsi que certains aspects du crime devraient être révélateurs du rapport entre les expériences virtuelles faites devant le petit écran et les délits, notamment les gants en latex, l’instrument ayant servi au meurtre ainsi que le pied-de-biche. Malheureusement, le procureur de Schwyz a omis de faire la comparaison entre les détails relatifs au meurtre et les actions auxquelles les accusés se sont exercés pendant des heures devant leurs écrans. Une analyse détaillée des re­présentations de violence découvertes (jeux, films, séquences vidéo sur les portables) aurait très probablement montré des parallé­lismes.

Violence sexuelle sur les portables et les écrans d’ordinateur

Parallèlement à la consommation de violence médiatique à travers les jeux vidéo et les films d’horreur, les représentations de violences sexuelles jouent un rôle chez les criminels masculins. Ainsi, un des chefs d’accusation contre le coaccusé K était la détention de matériel pornographique, selon l’art. 197 du Code pénal, parce qu’il avait téléchargé des fichiers au contenu pornographique:
Il s’agit ici de bandes dessinées asiatiques appelées «Animes». Ces fichiers – 20 en tout – contiennent des images pornographiques souvent très violentes dont certaines mettent en scène des enfants. On peut voir notamment des objets pointus et tranchants enfoncés dans des sexes féminins. En outre, des femmes et des filles sont martyrisées, ficelées, battues, violées ou subissent d’autres tortures. (acte d’accusation contre K)

Conclusion

La VGMG se demande si, lors du procès, les producteurs et les vendeurs de représentations de violence n’auraient pas dû se trouver sur le banc des accusés en même temps que l’adolescent de 17 ans, ainsi que le père bio­logique du criminel. Celui-ci n’a pas seulement négligé ses devoirs éducatifs mais il a aussi encouragé la consommation de violence médiatique.    •

Source: Vereinigung gegen mediale Gewalt
Case postale 323, CH-3074 Muri b. Bern
www.vgmg.ch, e-mail: info@vgmg.ch
CCP: 60-443232-4
(Traduction Horizons et débats)

1 Un membre de la famille des victimes de Ried a pris contact avec l’auteur à propos de la fondation de la VGMG (voir encadré). Il a accompli cette démarche parce qu’il avait l’impression que l’opinion publique n’était pas informée de l’importance de la consommation de violence médiatique dans le développement psychologique de l’accusé.
2 Le parquet de Schwyz a inculpé trois adolescents. Le délinquant principal R est accusé de double assassinat et de tentative d’assassinat. K et I sont entre autres accusés de complicité de double assassinat et de pornographie. Afin de protéger la personnalité des adolescents et de leurs familles, on utilise des lettres à la place des noms: R (accusé principal), K (le plus âgé des coaccusés), I (le plus jeune des coaccusés).

Association contre la violence médiatique (VGMG)

La VGMG est une association suisse dont le siège est à Muri près de Berne. Politiquement et confessionnellement neutre, elle a une activité de relations publiques et ne poursuit pas de buts commerciaux. Ses membres fondateurs viennent de différents domaines de la société. Il s’agit par exemple de politiques appartenant à presque tous les partis, de scientifiques et de nombreuses personnes venant des milieux éducatifs. La VGMG s’investit dans la lutte contre l’apologie de la violence sur les petits écrans et en faveur d’une vie en société sans violence. Elle demande pour cela une réglementation efficace et une sensibilisation accrue de l’opinion publique.  
L’association a pour but:
• de sensibiliser la société en l’informant sur les effets des représentations de la violence,
• de s’engager en faveur d’une plus grande efficacité de la protection des enfants et des adolescents contre la violence médiatique,
• d’encourager une lutte efficace contre la diffusion des jeux vidéo et de films violents de toutes sortes afin de sauvegarder la dignité humaine,
• de coordonner les actions de la société contre la violence dans les médias,
• de mettre à la disposition des décideurs, à tous les niveaux politiques, des informations concernant les effets des représentations de la violence dans les médias,
• de faciliter l’accès aux résultats des recherches relatives aux effets de la violence médiatique.

Vereinigung gegen mediale Gewalt
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Le crime de Höngg est en rapport avec les jeux vidéo violents

Le meurtrier de Höngg, condamné le 25 août à 16 ans de prison, était un passionné de jeux vidéo violents:
«De plus, il est apparu lors du procès devant le tribunal cantonal que l’accusé jouait régulièrement et cela depuis 1999 déjà aux jeux de tir.
Parmi ses jeux préférés figurait MegaShooter dans lequel il s’agit de tirer sur des êtres humains. Le président du tribunal Rainer Klopfer était convaincu qu’il existait un rapport entre les jeux vidéo violents et ce crime absurde. Selon lui, le monde virtuel a apparemment basculé dans la réalité.»

Source: «20 Minutes» du 26/8/09