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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°33, 22 août 2011  >  Comment l’Afghanistan va finir [Imprimer]

Comment l’Afghanistan va finir

Les Etats-Unis perdent, l’Islam gagne et une nouvelle génération de musulmans rejoint le djihad

par Michael F. Scheuer*

Ces jours-ci, deux truismes semblent convenir au débat sur l’Afghanistan: «Si tu ne comprends pas ton ennemi, tu seras vaincu par lui.» et «Si tu ne tues pas tes ennemis, ils te tueront.» Les leaders politiques et militaires américains ainsi que l’administration n’ont ni essayé de comprendre ce qui motivait les talibans et leurs alliés ni essayé de les tuer massivement. Par conséquent ils ont maintenant atteint un point de non-retour: ils sont au seuil d’une défaite extrêmement  humiliante qu’ils ne peuvent pas dissimuler.
Il faudrait bien garder en mémoire les quatre points suivants quand on entend les sottises proférées par Obama, Brennan, Clinton, Levin, Petreaeus et les premiers ministres Cameron (Grande-Bretagne) et Harper (Canada) à propos d’une «solution négociée» pour l’Afghanistan.
1. Les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN ont déjà annoncé leur défaite face aux Moudjahidin d’Afghanistan. L’Amérique et la Grande-Bretagne commenceront à retirer leurs troupes le mois prochain – à un moment où les Moudjahidin ont le dessus sur les champs de bataille, où le gouvernement de Karzai a entièrement infiltré les forces de sécurité et de l’armée et dispose d’importants moyens financiers, d’armes et de volontaires qui leur sont fournis par leurs sponsors de la péninsule arabique.
2. Les talibans ont pris connaissance de l’annonce de la capitulation de la coalition Etats-Unis/OTAN et ils n’ont aucune raison de supposer qu’il y a encore un reste de volonté de combattre, du côté de l’Occident, surtout après avoir, cette semaine, entendu Obama exprimer son manque fâcheux d’esprit sanguinaire en pleurnichant des excuses à l’endroit des victimes civiles afghanes. Cette guerre est un jeu à somme nulle pour les talibans, les autres Moudjahidin et le Pakistan – idée dont l’Occident pense qu’elle n’a plus cours – et les affirmations des Etats-Unis et de l’OTAN sur un probable compromis avec les Moudjahidin ne sont que des paroles creuses destinées à donner un espoir – tout à fait illusoire – aux populations occidentales.
3. Etant donné le prochain retrait des troupes de l’OTAN, du manque de volonté occidentale et de l’inefficacité des forces armées de Karzai, les talibans et leurs alliés vont poursuivre leur stratégie des mille coups d’épée dans l’eau et Obama et ses homologues des pays de l’OTAN vont continuer à s’entretenir entre eux et avec les médias sur la paix honnêtement négociée qui est imminente. L’armée et les services secrets du Pakistan vont augmenter leur aide aux talibans et à leurs alliés afin de s’assurer que le régime de Karzai et la présence de l’Inde en Afghanistan seront éliminés après le retrait de l’OTAN car ils en ont assez de l’obstination de leurs alliés occidentaux amollis à leur dire que c’est le devoir du Pakistan de se sacrifier et de gagner la guerre pour l’Occident. Le Pakistan sera soutenu par les régimes de la péninsule arabique qui tiennent beaucoup à ce que soit réinstallé à Kaboul un gouvernement islamiste qui empêchera la propagation du chiisme en Afghanistan et en Asie centrale.
4. Si la coalition Etats-Unis/OTAN se retire ou est chassée par les Moudjahidin, les talibans et leurs alliés a) réintroduiront un gouvernement islamiste qui dirigera une grande partie du pays avec le même régime religieux «law-and-order» brutal mais efficace que celui qui sévissait le 10 septembre 2010, et la plupart des Afghans vont s’en réjouir; b) mèneront une campagne de représailles contre les Tadchiks, les Ousbeks et les chiites qui étaient si oublieux de l’histoire qu’ils croyaient que les Etats-Unis et leurs alliés savaient comment gagner une guerre et assez bêtes pour soutenir une guerre culturelle occidentale brutale qui visait à détruire la culture conservatrice islamique et tribale de l’Afghanistan et c) accueilleront Al-Qaïda et d’autres groupes de rebelles non afghans pour qu’ils se réinstallent en Afghanistan car ils savent pertinemment que l’Occident ne reviendra pas les combattre, si ce n’est au moyen d’un mélange inefficace de rhétorique menaçante et d’une stratégie qui échoue depuis longtemps et qui consiste à tuer ou à emprisonner ses ennemis islamistes un à un.
Il conviendrait d’ajouter un dernier point à propos de la prochaine défaite des Etats-Unis et de l’OTAN en Afghanistan, point qui concerne la totalité du monde islamique et particulièrement ses jeunes, dont l’Amérique du Nord et l’Europe font maintenant partie. Lorsque l’Armée rouge se retira d’Afghanistan en février 1989, cela attira les jeunes gens de la génération d’Oussama ben Laden. Pour la première fois depuis des siècles. Allah avait permis aux musulmans de vaincre une puissance occidentale, et surtout une des deux superpuissances mondiales. Une grande partie de la motivation qui conduisit les Moudjahidin contre l’Occident et Israël sur les champs de bataille était la conséquence de la défaite de l’Armée rouge et de la croyance qui a suivi selon laquelle le monde musulman avait détruit l’empire soviétique.
Mais même après cette victoire et celle du 11-septembre, ben Laden, ses adeptes et leurs alliés constatèrent que, chez les musulmans, ils se heurtaient à un défaitisme profondément ancré. La rhétorique de ben Laden, d’Al Zawahiri et des autres leaders islamistes est basée sur un thème clair et permanent: Il faut vaincre ce défaitisme dans les cœurs de tous les musulmans avant qu’Allah ne récompense ses fidèles par une victoire sur les ennemis qui restent. En d’autres termes: le message des islamistes adressé à leurs compagnons musulmans est qu’Allah n’aidera pas non plus ceux qui ne se remuent pas eux-mêmes. La permanence de ce thème du vivant de ben Laden se manifeste dans la vidéo de 100 minutes d’al-Qaïda diffusée le 3 juin 2011 qui est intitulée «You are held responsible only for thyself» («Vous n’êtes responsables que de vous-mêmes»).
Il sera naturellement difficile d’apprécier l’ampleur de l’influence mondiale qu’aura la défaite des Etats-Unis et de l’OTAN contre les Moudjahidin qui sont commandés par les talibans en Afghanistan et la réinstallation d’un émirat islamiste. Mais cet effet pourrait-il être vraiment moins fort que ceux qu’avait eus la défaite des soviétiques? En 1989, il n’y avait pas l’Internet et pas de reportages télévisés diffusés 24 heures sur 24 sur l’humiliation de l’Armée rouge. Aujourd’hui, ce système d’informations est intensif et omniprésent. En outre, les Moudjahidin auront vaincu la seconde superpuissance et ses alliés militaires les plus puissants non seulement en Afghanistan mais aussi en Irak, ce qu’aucune puissance au monde n’a jamais réussi. Le plus important, c’est que cette réussite sera considérée dans tout le monde islamique aussi bien comme un effet de la volonté d’Allah que comme sa récompense à l’intention des musulmans qui se sont remués et ont vaincu leurs ennemis incroyants et ceux de l’islam.
D’une manière générale, la décision des leaders politiques occidentaux de permettre que leurs armées soient battues si facilement en Afghanistan aura à long terme des conséquences malheureuses et sanglantes pour eux et pour leurs peuples.

Source: Michael Scheuer, Here’s how Afghanistan ends- America loses, Islam wins and a new Muslim generation joins the jihad (http://non-intervention.com du 10/6/2011)
(Traduction Horizons et débats)

*    Michael F. Scheuer a été pendant 22 ans, jusqu’en 2004, agent de la CIA et il y a dirigé, de 1995 à 1999, l’unité spéciale qui s’occupait d’Oussama ben Laden. Après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, il fut le conseiller de cette unité. C’est une des personnes les plus exposées de la lutte contre le terrorisme aux Etats-Unis. Il s’est fait connaître officiellement en 2004 sous le pseudonyme d’Anonymous, auteur de l’ouvrage «Imperial Hubris», dans lequel il règle son compte à la politique étrangère américaine. Il vit dans les environs de Washington D.C. où il travaille comme professeur à la Georgetown University et en tant qu’expert de diverses chaînes de télévision pour les questions de sécurité. Il a écrit:

Through our Ennemies’ Eyes: Osama Bin Laden, Radical Islam and the Future of America, 2003, publication anonyme

Imperial Hubris: Why the West Is Losing the War on Terror, 2004, publication anonyme

Marching Toward Hell: America and Islam After Iraq, 2008

Osama Bin Laden, Oxford University Press, 2011