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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°18, 20 mai 2013  >  Sécurité nationale par la «gestion à l’aide de mauvaises expériences» [Imprimer]

«Depuis plusieurs années, le Conseil fédéral dirige la sécurité nationale, en particulier notre armée de milice, à l’aide des finances. Dans le jugement de la situation sécuritaire (pour autant qu’elle ait lieu), il n’attache pas assez d’importance aux risques et dangers actuels et futurs ainsi qu’à leur apparitions dans des scénarios complexes.»

Sécurité nationale par la «gestion à l’aide de mauvaises expériences»

par Peter Regli, ancien divisionnaire*

La Suisse est un pays heureux. Elle est entourée de voisins, qui ont à lutter avec des problèmes qui ne nous affectent guère. La situation interne, la paix sociale et la cohésion nationale sont en danger dans un grand nombre d’Etats de l’UE. Le monde et l’Europe sont devenus une poudrière, mais il est toujours permis de fumer.
Dans cette situation confuse et de plus en plus critique une appréciation de la situation devient toujours plus exigeante. A tous les niveaux, les leaders politiques sont confrontés à de nouveaux scénarios complexes et inconnus. Ces cadres y sont très souvent mal préparés, ne réfléchissent pas assez avant d’agir et n’ont pas de visions stratégiques. Des troubles sociaux, des courants politiques extrémistes et des médias sociaux échappant à tout contrôle peuvent mener à de nouvelles situations de crise et dépasser les gouvernements. Les évènements correspondants des derniers temps, notamment en Grèce, en France, en Espagne, en Hongrie et en Italie, doivent nous faire dresser l’oreille.
Les succès économique de la Suisse et notre ordre social libéral présupposent la sécurité. La sécurité nationale est la condition préalable pour notre prospérité, pour la paix et l’ordre à l’intérieur du pays ainsi que pour la confiance de l’étranger en notre place financière, industrielle et scientifique.
Depuis plusieurs années, le Conseil fédéral dirige la sécurité nationale, en particulier notre armée de milice, à l’aide des finances. Dans le jugement de la situation sécuritaire (pour autant qu’elle ait lieu), il n’attache pas assez d’importance aux risques et dangers actuels et futurs ainsi qu’à leur apparitions dans des scénarios complexes. Les événements ayant lieu autour de nous, notamment les attentats terroristes, les troubles sociaux, les mouvements extrémistes (par exemple l’extrême gauche, les anarchistes, les néo-nazis, les islamistes et les djihadistes), les cyber-attaques, l’espionnage, la criminalité organisée ne paraissent pas préoccuper et secouer nos dirigeants politiques. Il faut craindre que face à un tel comportement, il ne reste que la «gestion à l’aide de mauvaises expériences» qui pourrait mener à des mesures concrètes dans le domaine de la sécurité nationale. Outre les Etats-Unis avec leur 11-Septembre, il y a par exemple aussi la Norvège qui a dû faire une mauvaise expérience avec l’attentat du 22 juillet 2011, perpétré par Anders Breivik, et la Ré­publique fédérale allemande avec les «assassinats kebab», perpétrés par la droite radicale.
Selon la volonté de nos responsables politiques, la sécurité nationale s’est transformée en une «sécurité de beau temps». Les facultés de savoir diriger à l’échelon le plus élevé et les moyens disponibles ne sont adaptés ni aux orages ni aux tremblements de terre. On refuse à l’armée les moyens nécessaires pour assumer entièrement ses tâches. Les services de renseignement, la première ligne de défense, attendent toujours et encore urgemment leurs bases juridiques actualisées (une loi moderne sur les services de renseignements). La plupart des corps de police cantonaux et le corps des gardes-frontière n’ont pas assez de ressources personnelles. Lors de la révision 2011, le Parlement a édulcoré de telle manière la loi pénale, que son efficacité est menacée. Notamment les bandes criminelles étrangères, nullement intimidées par des peines pécuniaires conditionnelles, ne se privent pas de faire leurs razzias.
Que cela convienne ou pas aux socialistes, aux Verts et au Groupe pour une Suisse sans armée: notre armée de milice est et reste une réserve stratégique du gouvernement de notre pays. En cas de crise complexe et prolongée, qui pourrait déborder de l’étranger vers la Suisse, nos autorités cantonales seraient après 2 à 3 jours à bout de souffle. La police sous dotée et le corps des gardes-frontière auraient alors urgemment besoin de soutien. Dans un tel cas, seule l’armée pourrait aider. Elle est capable d’être mobilisée rapidement, de manière ciblée et bien organisée et avec un bon impact. Maintes fois, par exemple lors de grandes manifestations tels le G8, l’Euro 08, le sommet de la Francophonie, les WEF, ainsi que lors d’incendies de forêt et d’inondations, l’armée a démontré au cours des dernières années ses capacités à protéger, secourir et aider. Le chef du DDPS se sent responsable de pouvoir assurer ces interventions avec l’armée en tant que réserve stratégique à tout moment et de façon optimale, dans le pire des cas aussi pour le véritable combat.
Le Conseil fédéral ne veut pas accorder à l’armée davantage que 4,7 milliards de francs par année (dont 300 millions pour le JAS-39 Gripen). Cette instruction force la direction de l’armée à faire des ajustements douloureux au niveau des prestations et des infrastructures (aussi cantonales) et à nouveau au niveau du personnel. Une restructuration rapide et conséquente de notre armée de milice, adaptée aux scénarios futurs, est urgente. Les mesures communiquées en avril par le chef du DDPS sont nécessaires, adaptées à la situation et orientées vers l’avenir. C’est au Parlement dominé par les partis bourgeois de veiller à ce que l’armée obtienne dans un premier pas 5 milliards de francs par an pour le strict nécessaire (inclus les JAS-39 Gripen). Par la suite, l’armée doit continuer à être développée de manière ciblée et conséquente, afin d’être capable de réagir aux incertitudes du futur.
A l’avenir, l’Europe et la Suisse seront confrontés à des scénarios asymétriques. Des acteurs dans l’ombre, sans s’en tenir aux règles du jeu et aux conventions, méprisant le genre humain et d’un comportement partiellement totalitaire, vont de nouveau défier l’Etat de droit démocratique de manière inattendue et brutale, tout en utilisant le cyberespace et les médias sociaux. Un attentat, à l’instar de celui du 15 avril à Boston, est possible partout. Une telle situation mettrait, de manière impitoyable, notre réseau national de sécurité à l’épreuve.
Le Conseil fédéral et le Parlement devraient consciemment «attendre l’inattendu» et pratiquer une politique de sécurité responsable et prévoyante.     •

Source: Neue Zürcher Zeitung du 6/5/13

(Traduction Horizons et débats)

*    Ancien chef des services de renseignement suisses, aujourd’hui actif dans le domaine de la sécurité nationale.