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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°25, 27 juin 2011  >  Au début, il y avait beaucoup de «papas» colorées [Imprimer]

Au début, il y avait beaucoup de «papas» colorées

Comment un petit tubercule a conquis le monde

par Heini Hofmann

Dans une époque marquée par l’abondance culinaire, cela ne peut pas être nuisible de se rappeler que les temps des famines ne re­montent pas très loin. Une des armes les plus importantes pour lutter contre la faim, était la pomme de terre que l’on ne peut plus guère imaginer absente de la carte des menus. Mais cette plante n’était pas, à l’origine, une plante domestique qui poussait dans nos contrées.
Un regard en arrière montre que le long chemin parcouru par la pomme de terre à partir des Andes jusqu’à ce qu’elle eût la valeur actuelle pour la nourriture dans le monde, et qu’elle soit la troisième plus importante plante cultivée au monde équivaut à une véritable odyssée.

Origine dans les Andes

On suppose aujourd’hui que la culture des pommes de terre a débuté, il y a plus de 10 000 ans sur les rives du lac Titicaca, dans les Andes du Pérou et de la Bolivie, lorsque les premiers habitants de cette région ont croisé d’une manière voulue, les pommes de terre sauvages et les ont greffées. Il y a quelques 7000 ans, la pomme de terre actuelle est née (Solanum tubersosum). On a trouvé en tout 187 espèces sauvages dans les Andes, à partir de 4000 mètres d’altitude jusqu’en bas, sur les côtes de l’Océan pacifique. En comparaison des formes cultivées aujourd’hui, la diversité des formes et des couleurs des formes ancestrales sauvages est impressionnante. C’est aussi la diversité des fleurs – du rouge au lilas, en passant par le rose, jusqu’au violet et au blanc – qui reflète la biodiversité.
La culture des pommes de terre était cruciale pour le développement des civilisations andines sur les haut-plateaux puisqu’à cette altitude le maïs ne se prête pas à la culture. Toutes les civilisations andines pré-espagnoles, également l’Empire inca, qui s’étendait du nord de l’Equateur jusqu’au sud du Chili, relevaient de la culture de la pomme de terre. L’importance attribuée à ce tubercule s’avère aussi dans l’art de ces civilisations, et ce qui est frappant, ce sont surtout des céramiques, marquées par des motifs de pommes de terre.

La pomme de terre de la belle-fille

Les Incas n’utilisaient pas de monnaie. Le travail fourni était récompensé par des produits alimentaires. Grâce à la culture de la pomme de terre, il n’y avait pas de famine. Aujourd’hui encore, dans la vallée d’Urumbama qui est sacrée aux Incas, les paysans de Pisac travaillent leurs champs de pommes de terre, avec la traditionnelle bêche ou la charrue à pied. Auparavant ils prient les dieux des montagnes, leur demandant la permission de semer les pommes de terre. En automne, ils célèbrent la coutume traditionnelle «ayni», une sorte de fête de la récolte.
Les pommes de terre plantées dans les régions de montagne situées à très haute altitude sont insensibles au froid et contiennent des substances amères. On a recours à des procédés anciens datant de l’époque pré-inca, pour venir à bout de cette circonstance. Pendant plusieurs nuits, les pommes de terre sont étendues en plein air, pour geler ou on les dépose au fond des ruisseaux. Plusieurs semaines plus tard, les paysans, pressent ces tubercules avec leurs pieds pour en faire sortir autant d’eau que possible. En même temps, ils enlèvent les peaux. Puis, le tout sèche au soleil. Le produit ainsi obtenu, se nomme Chuno ou Tunta, et il peut être conservé de manière presque illimitée. C’est une sorte de lyophilisation des anciens temps!
Et bien sûr, toutes ces pommes de terre n’étaient pas similaires. Certaines sortes avaient une valeur culturelle importante. Par exemple, le tubercule noueux du nom de Iunchuy waqachi en Quechua; ce qui veut dire en allemand «fait pleurer la belle-fille». Cette pomme de terre caractérisée par son grand nombre de bosses, était autrefois donnée à peler à la fiancée. Si elle maîtrisait cette tâche pas facile, elle avait le droit de se marier avec l’homme désiré.

Aussi tendres que les marrons cuits

De la même façon que les navigateurs ont découvert le Nouveau Monde, la pomme de terre a conquis l’Ancien Monde grâce à eux. C’était en 1537, lorsque Jiménez de Quesada a mené une expédition espagnole sur les hauts-plateaux de la Colombie actuelle, qu’elle fut mentionnée historiquement pour la première fois. Les descriptions ulté­rieures, venant de diverses régions d’Amérique latine, indiquent que la pomme de terre était en ce temps-là déjà largement répandue dans les Andes. Ainsi, il existe des récits, notamment des Incas, sur les méthodes de culture de la pomme de terre, sur la charrue à pied, sur l’arrachage des mauvaises herbes et sur la récolte.
Selon l’un des récits «les maisons étaient très bien approvisionnées en maïs, haricots et «truffes» (pommes de terre), des racines en forme de boules qu’on sème et qui forment des tiges. Elles se trouvent sous la terre et ont environ la taille d’un œuf…». Et un soldat écrivit: «Outre le maïs, il y a deux autres produits alimentaires de base pour les ‹Indios›. L’un a le nom de ‹papa› et est une sorte de ‹tubercule de terre›, qui, lorsqu’il est cuit, est aussi tendre que les marrons cuits, mais il n’a qu’une peau mince comme les truffes, et comme elles pousse dans le sol.»

La marche triomphale vers l’Europe

Il va de soi que les navigateurs ont ramené en Europe ce formidable tubercule. Bien qu’il n’y ait pas de documents connus sur sa première apparition en Europe, il y a des repères qui indiquent l’introduction en Espagne autour de 1570. Le premier indice concret vient de l’«Hospital de la Sangre» de Séville, où l’on préparait de tels «papas» pour les patients.
Autour de 1590, ce tubercule aurait été acheminé vers l’Angleterre, et en 1597, il fut mentionné pour la première fois dans «Herball» de John Gerard. Cela réfute à la fois la théorie erronée qui a survécu jusqu’aujourd’hui, selon laquelle Sir Francis Drake aurait importé de Virginie le formi­dable tubercule vers l’Angleterre. A Vienne, le savant Charles d’Ecluse (nommé Clausius) a publié en 1601 dans son ouvrage «Rariorum Plantarum Historia» l’illustration d’une pomme de terre, où il distinguait déjà nettement entre les «tubercules-tiges» et les «tubercules-racines».

Le protestantisme en tant que véhicule

En Europe, la pomme de terre s’est répandue par trois voies principales: D’une part en tant qu’«objet de curiosité» parmi les scientifiques et les botanistes. D’autre part en tant qu’«objet d’utilisation» dans les couvents de l’ordre mendiant des Carmélites. La troisième voie de propagation suivit – à partir de 1648, à la fin de la guerre de Trente Ans – l’expansion de la foi protestante parce que ses partisans emportaient la pomme de terre avec eux quand il devaient quitter leurs terres suite aux persécutions. En Suisse, on raconte que la première pomme de terre aurait été importée par un membre de la Garde de Rome via Glaris vers Bâle, où le botaniste Gaspard Bauhin l’a décrite pour la première fois en 1596.
Dès lors, on ne put plus stopper la marche triomphale de ces formidables tubercules. En 1680, le roi Ian III Sobieski en a planté dans le jardin de son palais près de Varsovie en Pologne. En 1748, le Parlement français a subitement interdit de cultiver la pomme de terre parce que des bruits couraient qu’elle était la cause de la lèpre. En 1753, le botaniste suédois Carl Linnaeus fonda la nomenclature moderne dans son ouvrage «Species Plantarum» où la pomme de terre fut aussi mentionnée.

Faim, fuite et mort

Un quart de siècle après l’interdiction de la culture de la pomme de terre en France, le scientifique Parmentier s’est engagé pour propager à nouveau la culture de ce tubercule, soutenu par Louis XIV qui la fit planter dans les jardins de Versailles. Puis Frédéric le Grand de Prusse ordonna à son peuple de cultiver le tubercule pour prévenir la famine. Ainsi, à la fin des guerres napoléoniennes, en 1815, la pomme de terre était un aliment de base qui était utilisé par la plupart des Européens. Même Thomas Jefferson servit – après un séjour en France – pour la première fois, des pommes de terre à ses invités à la Maison Blanche.
Mais alors le grand choc arriva: Dans les années 40 du XIXe siècle, le terrible mildiou de la pomme de terre apparut et se répandit en 1845 en Europe, et frappa particulièrement l’Irlande, où pratiquement toutes les ré­coltes furent anéanties. Il s’en suivit de grandes famines et des maladies, provoquant plus d’un million de morts et un nombre tout aussi élevé de personnes obligées à émigrer.
Mais la pomme de terre continua à se répandre: en 1850, le tsar Nicolas Ier ordonna à son peuple de cultiver la pomme de terre, et en Alaska, lors de la ruée vers l’or, ces tubercules étaient pesés selon leur poids en or, à cause de leur taux élevé en vitamine C. A la fin du XIXe siècle, la pomme de terre était cultivée dans toute l’Europe, en tant qu’aliment de base, et pendant la Seconde Guerre mondiale, elle assura l’alimentation de la population, en Europe comme en Russie.

La propagation au niveau mondial

En dehors de l’Europe, la pomme de terre s’est répandue de deux façons: des missionnaires européens, des colonisateurs et des marchands l’ont apportée en Amérique du Nord, en Afrique, en Asie et dans la région du Pacifique. La Chine est aujourd’hui le pays qui a la plus grande production de pommes de terre, et l’Afrique en tant que continent se trouve en troisième place. L’héritage des Andes, dont les populations ont domestiqué et amélioré la pomme de terre sauvage, est entre-temps devenu un héritage mondial.
Actuellement, la pomme de terre est après le riz et le blé la troisième plante du monde qui nourrit l’homme. Plus de 130 pays cultivent la pomme de terre et elle est consommée par plus d’un milliard de personnes. En 2005, la surface des cultures de pommes de terre dans les pays en voie de développement a pour la première fois dépassé celle des pays industrialisés. Cependant, c’est toujours en Europe que la consommation de pommes de terre est la plus haute du monde.
Mais on n’a pas encore terminé d’écrire l’histoire de la pomme de terre. Car suite aux changements climatiques et à l’augmentation des prix du blé, mais aussi à cause de l’utilisation grandissante de produits alimentaires pour la production de biocarburants, l’importance de ce formidable tubercule pour assurer l’alimentation dans le monde ne fera qu’augmenter à l’avenir.     •
(Traduction Horizons et débats)

L’Helvétie, le pays des «Rösti»

HH. En Suisse, avec son plat national nommé «Rösti», des pommes de terre sont plantées sur plus de 11 000 hectares (pendant la Seconde Guerre mondiale, il y en avait 80 000). 65% de la récolte aboutissent dans nos assiettes, 30% sont utilisés comme nourriture pour animaux et 5% sont utilisés pour les semences. Actuellement, environ 30 variétés sont cultivées en Suisse. La consommation par habitant et par an est de 45 kilogrammes. Suite à la prospérité croissante, la pomme de terre s’est transformée de repas pour les pauvres en accompagnement.

La Suisse y participe aussi

HH. Au total il y a 5 000 sortes de pommes de terre (dont 3 000 uniquement au Pérou), dont 300 sont des formes sau­vages. Pas seulement leur apparence mais aussi leurs couleurs varient du jaune et brun connus chez nous jusqu’au rouge, violet, bleu ou noir. Bien que l’identification de toute la palette de tubercules ne soit pas encore terminée, de plus en plus de sortes originelles sont menacées puisque sur le marché seules les sortes à grand rendement peuvent s’imposer. C’est pourquoi une grande importance revient à la recherche de base au Centre international de la pomme de terre CIP (Centro internacional de la Papa) de Lima qui est aussi soutenu par la DDC (Direction suisse du développement et de la coopération).
    Les scientifiques du CIP cherchent des vieilles sortes avec une valeur nutritive particulièrement haute et croisent leurs caractéristiques avec les sortes à grand rendement pour les rendre ainsi mieux commercialisables. En outre, on lance des sortes originelles, menacées de disparition, comme délicatesses pour gourmets (surgelées pour l’exportation) pour ainsi aider les pommes de terre et les paysans des Andes. Swissaid aussi mise sur les pommes de terre et souligne qu’aujourd’hui encore 860 millions de personnes ne peuvent pas manger à leur faim bien qu’on puisse produire assez de produits alimentaires pour tous. C’est spécialement la pomme de terre qui a le potentiel de résoudre le problème global de la famine.

Le Topinambour, la «patate pour diabétiques»

HH. Par leur apparence, les tubercules brunâtres et noueux, rappellent vaguement du gingembre. Le Topinambour pousse jusqu’à trois mètres de haut, est originaire du Mexique, est apparenté au tournesol, et a été très populaire avant tout en France. Au milieu du XVIIIe siècle, il a été remplacé par les pommes de terre qui ont un plus grand rendement.
    Aujourd’hui, le topinambour, avec sa saveur au léger goût de noix, ne joue plus qu’un rôle mineur et est cultivé principalement pour l’alimentation animale, bien qu’il soit de par sa haute teneur en vitamines et oligo-éléments, réputé pour être sain et pour aider à perdre du poids. Avec moins de 30 calories par 100 grammes, il donne la réplique à la pomme de terre (avec 85 calories) de façon significative. De plus il freine l’appétit en raison de sa haute teneur en inuline. L’inuline a également un effet favorable sur le métabolisme d’insuline, ce qui explique pourquoi le topinambour est aussi appelé «patate pour diabétique».