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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°27, 7 juillet 2008  >  Qui a tellement intérêt à ce que les fermes laitières disparaissent? [Imprimer]

Qui a tellement intérêt à ce que les fermes laitières disparaissent?

par Philippe Vuagniaux, Sottens (VD)

Philippe Vuagniaux est agriculteur corps et âme. Bien qu’il ait largement mérité la retraite, il soutient son fils dans son travail de plus en plus dur à la ferme laitière familiale située entre le lac Léman et celui de Neuchâtel. Si l’on jette un coup d’œil dans l’étable à stabulation libre bien garnie de paille fraîche, il est évident que le bien-être des vaches laitières y est primordiale.
Néanmoins, ce n’est pas seulement sa propre ferme qui tient à cœur à Philippe Vuagniaux, mais également le maintien d’une agriculture suisse indépendante. Vu la crise mondiale de la faim, il souligne l’importance de petites structures locales qui permettent de s’approvisionner chez le paysan sur place.
Les salaires étant insuffisants et le prix de base du lait imposé au plus bas, Philippe Vuagniaux s’inquiète pourtant de l’avenir des producteurs de lait en Suisse, au lendemain de la grève qu’a connue ce secteur.

Je ne connais pas d’éleveur-producteur de lait qui ait fait la grève de gaîté de cœur. Mettre son lait à la fosse provoque une blessure profonde qu’on n’oubliera jamais. C’est aussi une perte sèche dont on se passerait bien.
Mais c’est le dernier signal qu’on peut donner avant d’abandonner une activité qui ne nous permet plus de vivre. Quand on ne trouve plus de salaire par le lait produit, quand le travail nous submerge parce qu’on ne peut pas payer de la main-d’œuvre et quand, de surcroît, on nous promet de nouvelles baisses du prix du lait, il ne reste plus que l’arrêt des livraisons qu’on appelle «grève» pour se faire entendre!
Le prix qu’on nous paie pour du lait de transformation est de 67,5 centimes. Depuis quelques années, le prix est baissé continuellement par le prix de base, mais aussi par l’exigence plus forte des teneurs en matières grasses et protéines. Les vaches donnent plus de lait en avril et mai, alors on baisse le prix de 4 à 5 centimes. Par contre, on nous gratifie de 4,5 centimes en octobre, alors que les vaches sont en fin de lactation et donnent peu de lait. Le prix est continuellement «bricolé»!
Le porte-parole de la Migros, à chaque hausse du prix de base, répète les mêmes arguments depuis vingt ans: «Le lait suisse est le plus cher d’Europe! Alors mettons-le au plancher.» La manœuvre est simple: maintenir le prix de base au plus bas et contrebalancer le manque à gagner des paysans par des prestations compensatoires de l’Etat pour pouvoir maintenir leurs marges juteuses. Or c’est la plus calamiteuse des pistes à suivre, même si elle est préconisée par les politiques.
La Migros catéchise ses clients par le biais de son journal (la Coop aussi) pour les maintenir accros de quelques centimes.
Je suis étonné qu’aujourd’hui la FAO ouvre sa Conférence au sommet sur la crise alimentaire mondiale avec six cents journalistes, pour tenter de résoudre la pénurie de biens alimentaires (qui va de pair avec le nombre de bouches à nourrir, qui a doublé en moins de dix ans), et que la direction de la Migros n’ait pas encore vu que, d’ici peu, le vrai problème sera de trouver des nourritures et non de les payer.
Alors, si on a un peu de compétence, on pourrait reconnaître qu’il est primordial de maintenir intacte la structure qui permet de se fournir ici auprès des paysans.
Le troupeau laitier suisse est le fruit de cinquante ans de travail de sélection, il faut trois ans pour avoir une vache en production, et quand elle produit, il n’y a pas d’autre moyen de l’arrêter que de la … tuer. On est obligé de livrer son lait, les acheteurs le savent bien. Alors, je me demande qui a tellement intérêt à ce que les fermes laitières ferment, à ce que tout le savoir nécessaire à la conduite d’un troupeau laitier disparaisse?
Les personnages de notre époque qui ont conduit tant d’entreprises importantes et nationales à la catastrophe sont jugés et acquittés, mais déclarés incompétents. Nous avions une centrale laitière coopérative propriété des sociétés de laiterie qui jouaient aussi le rôle de régulateur et qui était parfaitement viable. Sont arrivés des fondés de pouvoir et des directeurs accros des fusions qui ont créé Swiss Dairy Food (SDF). Swiss Dairy Food est morte en faillite. Les centrales ont passé aux mains des acheteurs, et les paysans sont soumis à leur bon vouloir.
Les vaches sont soumises au bon vouloir des paysans, mais elles nous ont appris qu’on n’obtient rien d’elles sans appliquer toutes les règles du jeu: la qualité de leur nourriture, l’hygiène de la traite et de leur étable et, oui, aussi le respect et l’amitié dus à l’animal. Que tous ceux qui nous ont témoigné leur amitié et leur solidarité lors de ces arrêts de livraison de lait reçoivent aussi à cette occasion notre amitié et notre reconnaissance.    •