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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°2, 18 janvier 2010  >  Attaque de l’UE et des fonds de placement prédateurs contre les caisses d’épargne allemandes [Imprimer]

Attaque de l’UE et des fonds de placement prédateurs contre les caisses d’épargne allemandes

Menace d’un procès devant la Cour de justice des Communautés européennes

Le cas échéant en intentant une action devant la Cour de justice des Communautés européennes, Bruxelles veut faire en sorte que, lors d’une vente de caisse d’épargne, des banques de droit privé et des investisseurs financiers puissent participer à l’opération et conserver le nom de «caisse d’épargne». Or le §40 de la loi allemande sur le crédit (KWG) prévoit que seules les entreprises aux statuts à caractéristiques déterminées peuvent parer leur nom de l’expression «caisse d’épargne». Font partie notamment de ces caractéristiques des tâches axées sur le bien commun et une limitation de l’activité essentielle à la région dans laquelle l’entreprise a son siège. De plus, des établissements privatisés ne peuvent se nommer «caisses d’épargne» que s’ils affectent leur bénéfice annuel au bien commun et assurent l’approvisionnement de la population en crédit.

am. Selon la Commission de l’UE, les dispositions protectrices de la loi sur le crédit violent la liberté d’établissement et la liberté des mouvements de capitaux. Les investisseurs privés ne pourraient pas recourir à la bonne image et, partant, à la valeur du nom de «caisse d’épargne» et seraient ainsi empêchés d’acquérir des caisses d’épargne. Dès 2006, le gouvernement allemand avait proposé un compromis selon lequel, après une privatisation de caisse d’épargne, un investisseur privé pourrait continuer à user de l’expression de «caisse d’épargne» si la banque concernée était tenue d’axer ses tâches sur le bien commun et d’affecter ses bénéfices en conséquence. A la mi-décembre 2009, la Commission européenne a rejeté ce compromis, de sorte qu’un procès devant la Cour de justice des Communautés européennes menace.

Attaque contre le «système des trois piliers» de l’économie bancaire allemande

Traditionnellement, le système éprouvé des «trois piliers de l’économie bancaire» consiste en banques de droit privé, en établissements de droit public et en sociétés coopératives. Par le passé, ce système a permis d’approvisionner en prestations financières des catégories diverses de clients, à un haut niveau et sur l’ensemble du territoire. Ce système doit être modifié, les établissements de droit public et les coopératives étant mis sur le même pied que les banques de droit privé et soumis aux impératifs de rendement et aux pressions de la mondialisation.

Les caisses d’épargne devraient aider à combattre la misère

La tradition toujours vivace des caisses d’épargne a pour conséquence que ces ­caisses témoignent aujourd’hui encore d’une culture axée sur le bien commun et ancrée dans la région. Cette évolution se reflète dans la bonne réputation des caisses.
A l’origine, les caisses d’épargne allemandes ont été fondées par le seigneur du lieu ou un particulier qui entendaient permettre aux couches les plus pauvres de la population de constituer un avoir portant intérêts, les aidant à faire face aux épreuves de l’existence (maladies, vieillesse, etc.). Les précurseurs de la caisse d’épargne étaient la caisse d’orphelins et les établissements de prêts, tels la caisse fondée en 1749 par l’abbaye impériale de Salem et chargée de gérer les rentes des orphelins, ainsi que l’établissement ducal de prêts de Brunswick, fondé en 1765.
Les premières caisses de conception moderne ont été érigées en 1778 à Hambourg, en 1786 à Oldenburg, en 1796 à Kiel, en 1801 à Altona et en 1808 à Darmstadt, en 1817 à Lubeck, en 1818 à Berlin et en 1821 à Nuremberg. En 1818 a été fondée à Stuttgart la Caisse d’épargne du Wurtemberg, qui s’étendait à tout le royaume du Wurtemberg. Dès lors, le nombre de caisses a augmenté rapidement (1836: 300 caisses, 1860: environ 1200, 1913: quelque 3100 caisses d’épargne).
Un exemple: le 1er janvier 1826 a été fondée à Cologne la Caisse d’épargne de la ville de Cologne, établissement dépendant de l’administration communale. Lors de sa fondation, la Caisse était une division juridiquement dépendante de la «gestion des pauvres» et donc une subdivision de l’administration communale. Elle est restée établissement communal de la ville de Cologne, même si la loi l’a rendue indépendante, en faisant une entreprise communale de la ville aux fonctions publiques et d’utilité publique. La fondation de cette caisse publique d’épargne avait pour but de mettre à la disposition de la population un établissement de crédit lui permettant de placer ses économies en toute sécurité et contre rémunération. Elle reflétait l’idée générale de prévoyance. On pensait à un pendant socio-économique des banques d’affaires et des prêteurs d’argent. La Caisse d’épargne devait aider à combattre la pauvreté de la population, comme le prévoyait expressément le chiffre 5 du règlement des Caisses d’épargne de Prusse, édicté en 1838. Suivant cette disposition, «l’établissement même devait être axé principalement sur les besoins des plus pauvres.» De plus, la prise de responsabilités sous forme de prévoyance devait être renforcée par l’éducation apprenant à économiser. De la même manière, la Caisse d’épargne de Cologne est devenue bientôt le principal bailleur de fonds des classes moyennes et, ultérieurement, des couches populaires les plus faibles sur le plan économique, ce qui résultait de réflexions de prévoyance analogues, sur le plan communal, à ce que l’on appelle aujourd’hui celles d’intérêt général.
En règle générale, les caisses d’épargne sont, en Allemagne, des établissements de droit public. Leurs supports sont des corporations communales territoriales telles que villes, communes et arrondissements ruraux ou une association ad hoc de caisses d’épargne communales, réunion de plusieurs corporations territoriales. Souvent, le nom, tel que Caisse d’épargne de la ville de, Caisse d’épargne de la collectivité de ou Caisse d’épargne du district de, indique déjà quel est le support communal. Les bases juridiques de la fondation et de l’exploitation sont la loi sur les caisses d’épargne du Land dans lequel la caisse d’épargne a son siège, ainsi que les statuts formulés par le support.
Entre-temps, les caisses d’épargne exploitent, en tant qu’établissements universels de crédit, toutes les sortes d’opérations bancaires ordinaires avec les ménages, les entreprises, les communes et les clients institutionnels. Le principe régional s’applique à l’exploitation de la plupart des caisses d’épargne. Il en découle que l’activité d’une caisse s’étend généralement au domaine de son support communal.

Dès 1999, première attaque de l’UE contre les caisses d’épargne

Dès le 21 décembre 1999, la Fédération bancaire de l’Union européenne (FBE) a déposé devant la Commission européenne un recours contre l’aide aux établissements publics allemands de crédit. La Commission de l’UE a fait sienne ce recours. A première vue, il s’agissait de la responsabilité des caisses. (garantie: la corporation territoriale répond de toutes les dettes de sa caisse d’épargne; charges d’établissement: la corporation territoriale est tenue d’affecter des moyens suffisants à toutes ses caisses d’épargne pour que celles-ci puissent accomplir leurs tâches). L’UE a affirmé que, en raison de notations relativement favorables à long terme, les ­caisses d’épargne se seraient assuré des avantages concurrentiels par rapport aux banques de droit privé, dans leurs charges de refinancement notamment. En fait, il s’agit de tout autre chose, ainsi que l’Association allemande des caisses d’épargne et de virements l’expose dans sa prise de position envers l’UE du 31 janvier 2001.
A la suite de la concentration bancaire mondiale, le marché bancaire européen a subi une restructuration profonde au milieu des années nonante. Lors de transactions mon­diales, l’internationalisation des marchés financiers n’a permis la participation que de banques d’une taille inconnue jusqu’alors. Dans les opérations destinées à de gros clients, les banques européennes ont subi les pressions qui découlaient du succès passager des banques américaines d’investissement. L’importance des marchés des capitaux pour le financement de l’expansion bancaire ainsi que l’importance du cours des actions comme étalon du succès économique d’une banque et de son management ont obligé les banques à atteindre des rendements inconnus jusqu’alors. Il en est résulté non seulement la multitude des fusions et reprises bancaires de l’époque, mais aussi des incertitudes marquées relatives au rôle futur de la banque universelle, qui se sont répandues dans le secteur du crédit. Des modèles utilisés pendant des décennies ont été soumis à un nouvel examen. (On se rappelle que les Etats-Unis ont abrogé en 1999 le Glass-Steagall Act et, partant, la séparation entre banques ordinaires et banques d’investissement.)
Ces incertitudes se rapportaient notamment au marché allemand. Le rôle important des caisses d’épargne dans les opérations avec les épargnants et les entreprises des classes moyennes avait généré une concurrence particulièrement forte sur le marché bancaire allemand. Les banques commerciales privées n’avaient donc pas pu réaliser le même rendement en Allemagne que leurs concurrents internationaux dans d’autres Etats. Les oligopoles limités à peu de banques que connaissait le Royaume-Uni, par exemple, et qui atteignaient des rendements élevés, étaient inconnus en Allemagne, grâce à la concurrence des caisses d’épargne.
En fait, le recours de l’UE et de la FBE avait pour objectif de priver de sa base le troisième pilier du système bancaire allemand, les établissements de droit public, qui ­s’­ajoutent aux sociétés coopératives et aux banques de droit privé, ou, tout au moins, de lui faire la vie dure. Cette manœuvre consistait à attaquer les principes déterminant la responsabilité en matière de charge d’établissement et de garantie. En même temps, on s’est efforcé, de manière générale, d’impliquer le rôle de l’Etat en matière de prestations bancaires dans une discussion critique. Finalement, il s’agissait d’imposer aux établissements de crédit de droit public les pressions de la privatisation. On voulait ainsi éliminer des concurrents incommodes qui, jusqu’alors, avaient certes appliqué des principes d’économie, mais n’opéraient pas sous la pression des rendements imposée par les marchés des capitaux. De plus, une privatisation devait donner l’occasion aux banques de droit privé, par la reprise de caisses d’épargne et/ou de banques de Länder, d’opérer une nouvelle concentration dans le secteur bancaire allemand. Dans l’ensemble, il est devenu évident que le droit concernant l’aide de l’Etat devait servir de levier pour privatiser le secteur bancaire public d’Allemagne.

Arrangement de Bruxelles

Les longues discussions visant à déterminer si la charge d’établissement et la garantie sont des aides de l’Etat contraires à l’art. 87 du Traité instituant la Communauté européenne se sont closes définitivement par la décision que la Commission européenne a adressée le 27 mars 2002 à la République fédérale d’Allemagne. Le gouvernement fédéral a accepté cette décision le 11 avril 2002.
•    La garantie a été abrogée.
•    La charge d’établissement a été remplacée par une «relation économique nor­male de propriétaire, conforme aux principes d’économie de marché», entre le propriétaire et l’établissement de crédit de droit public.
•    Aucune responsabilité illimitée du propriétaire relative aux engagements de la caisse, aucune déclaration d’intentions ni de garantie relative à l’état de l’établissement public de crédit.
Formellement, la procédure close par l’arrangement de Bruxelles était une procédure de l’UE contre la République fédérale d’Allemagne. Il faut toutefois constater que le gouvernement ne s’est alors pas défendu réellement contre les reproches de l’UE – bien au contraire. Son «avocat», le Secrétaire d’Etat Caio Koch-Weser, a anticipé le résultat des négociations. «Le gouvernement fédéral avait déjà remarqué auparavant que des pressions visant à un ajustement s’esquissaient.» Et de se féliciter ultérieurement que l’impensable se soit réalisé …
Ainsi, le Secrétaire d’Etat Caio Koch-Weser du ministère des Finances avait participé alors à l’entrée en vigueur de l’arrangement de Bruxelles. Auparavant, il avait travaillé depuis 1973 pour la Banque mondiale, depuis 1991 comme Vice-président et depuis 1996 comme Directeur général. En mai 1999, il était passé au ministère allemand des Finances, à titre de Secrétaire d’Etat. En octobre 2005, Caio Koch-Weser a annoncé qu’il quittait le ministère des Finances. Il est alors passé dans le secteur financier privé, faisant partie depuis janvier 2006 de la Direction générale élargie de la Deutsche Bank. Vice-chairman, il fait rapport directement au président de la Direction générale élargie et conseille cette Direction générale et les clients de la banque. Caio Koch-Weser est membre du Conseil de la fondation Bertelsmann, du Conseil de fondation du World Economic Forum (WEF) et de la Direction du centre de réflexions Bruegel, sis à Bruxelles, qui se propose modestement de contribuer à la qualité de la politique économique en Europe. De nombreux gouvernements de l’UE et maints groupes économiques y participent.
Faisaient aussi partie de la délégation les ministres des Finances de Bade-Wurtemberg, Gerhard Stratthaus, de Bavière, Kurt Faltlhauser, de Rhénanie du Nord-Westphalie, Peer Steinbrück, et le président de l’Association des caisses d’épargne et de virements d’Allemagne, Dietrich H. Hoppenstedt.
Que le parti social-démocrate (SPD) et celui des Verts ait gouverné de concert de 1998 à 2005 sur le plan fédéral, soit à l’époque où l’arrangement susmentionné a été conclu, n’était pas non plus un hasard. Lorsque le chancelier Gerhard Schröder était au pouvoir (cabinet Schröder I, du 27 octobre 1998 au 22 octobre 2002, et cabinet Schröder II, du 22 octobre 2002 au 18 octobre 2005), la SPD désignait le ministre des Finances, compétent en la matière. Après l’éviction d’Oskar Lafontaine, Hans Eichel a exercé ces fonctions du 12 avril 1999 au 18 octobre 2005.

Démocratie au sein de l’UE?

Notons-le: La cause du problème, le § 40 de la loi sur le crédit (KWG), est du droit allemand adopté au terme d’une procédure démocratique.
Tous les partis allemands, tous les syndicats et toutes les associations défendant des intérêts ont fait front en 2006 contre la Commission, lorsque le conflit à propos du droit exclusif de porter le nom de caisse d’épargne s’est exacerbé de nouveau. Motion sur motion se sont succédé au Bundestag (coalition de l’union chrétienne CDU/CSU et de la SPD: imprimé 16/2748; la gauche: imprimé 16/2745; alliance 90/les Verts: imprimé 16/2752) avec la même teneur, à savoir de ne pas toucher au système des trois piliers de l’économie allemande du crédit, en particulier aux caisses d’épargne.
Durant la seconde moitié de juillet 2006, le syndicat ver.di a lancé une large campagne de signatures parmi les employés des caisses d’épargne et entreprises connexes. Cette campagne devait communiquer au gouvernement fédéral l’inquiétude des employés, la lutte concernant la protection du nom de caisse d’épargne reflétant la mise en péril des quelque 380 000 emplois que compte l’Association des caisses d’épargne. 120 000 signatures ont été collectées avec le mot d’ordre: «Préserver ce qui est bien! La caisse d’épargne, l’original!»
Si ces prises de position reflètent les sentiments de la population allemande jusqu’à maintenant – et tout porte à y croire – une décision comme celle que l’UE s’efforce d’imposer ne serait pas possible dans un processus démocratique. L’opiniâtreté de la Commission correspond à sa logique. Le ton de l’UE s’exacerbe même. Nous sommes à la veille d’un procès devant la Cour de justice des Communautés européennes. On doit se demander si les lobbies susmentionnés s’imposeront et si le droit adopté par le législateur allemand n’aura plus force de loi. Peut-être la population allemande devrait-elle s’inspirer de l’exemple islandais …    •

Caisses d’épargne, banques populaires et Raiffeisen – Sauveurs dans le besoin

am. Deux des trois piliers du système allemand du crédit, à savoir les caisses d’épargne (de droit public), ainsi que les banques populaires et banques Raiffeisen (banques coopératives) ont plus que neutralisé le fléchissement du crédit subi par les banques de droit privé frappées par la crise financière. Ce fait ressort de la statistique du premier semestre publiée par la Banque fédérale d’Allemagne en août 2009.
Par rapport à fin 2008, les crédits octroyés par les banques de droit privé aux entreprises non bancaires ont diminué de 5,4 milliards d’euros. En revanche, les caisses d’épargne et banques coopératives ont accru leurs crédits de 6,9 milliards d’euros durant la même période. Contrairement aux banques de droit privé, elles n’ont donc pas réduit l’approvisionnement en crédit des petites et moyennes entreprises pendant la crise, mais l’ont augmenté sensiblement. Cette évolution s’explique par le bien commun et la prévoyance, notions qui perdurent dans les caisses d’épargne et banques coopératives.
En outre, les 438 caisses d’épargne et plus de 1200 banques populaires et banques Raiffeisen ont nettement mieux supporté la crise financière que nombre de banques d’affaires et de banques de Länder. En effet, si elles sont tenues de travailler économiquement, elles ne sont pas axées en priorité sur le profit.