Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°9, 4 mars 2013  >  Quatrième prix de la paix de Dresde pour Stanislav Petrov [Imprimer]

Quatrième prix de la paix de Dresde pour Stanislav Petrov

par Anton Friedrich

Dimanche matin, 6h46, Berlin, gare centrale devant le train EC 171 à destination de Budapest via Dresde et Prague. J’aurais bien aimé me rendre chez les Hongrois, auxquels nous devons des remerciements pour leur aide lors de la réunification allemande. Mais aujourd’hui, c’est Dresde, le but du voyage, Dresde qu’on appelle aussi la «Florence de l’Elbe». A 11 heures, au Semperoper, le Quatrième Prix international de la paix, le prix de Dresde 2013 de la prévention des conflits et de la violence sera décerné à Stanislav Petrov.
Pour moi, la visite de Dresde représente un petit défi émotionnel. Etant originaire d’Hambourg, j’aurais aimé, déjà avant la Réunification, bourlinguer avec mon bateau de Hambourg jusqu’à Dresde, notre ville jumelle dans la partie amont de l’Elbe. Mes parents aimaient souvent parler de leurs souvenirs de Dresde, le plus souvent les larmes aux yeux. Mon père, gravement blessé, a été sauvé de Stalingrad avec le dernier avion JU 52, et est arrivé à l’hôpital militaire de Dresde. Seulement deux ans auparavant, ma mère s’était mariée à un jeune homme en bonne santé, et maintenant elle accourait à Dresde pour être à ses côtés après ses blessures. Donc, en route pour Dresde, au Semperoper.
En 1945, le Semperoper a été fortement détruit et n’a été rouvert solennellement qu’en 1985 (la Frauenkirche seulement en 2000). Pour l’attribution du prix de la paix, l’opéra est plein de monde. Les gens sont venus pour honorer Stanislav Petrov qui, en 1983, avec son courage civique, son intuition et son engagement pour la paix mondiale, a empêché le déclenchement d’une Troisième Guerre mondiale.
Après Gorbatchev, Barenboïm et Nacht­wey, Petrov est le quatrième lauréat du prix international de la paix de Dresde, doté de 25 000 euros. Le panégyrique a été prononcé par Claus Kleber, journaliste du ZDF, honoré à plusieurs reprises, la dernière fois pour son reportage en trois parties appelé: «La bombe». La présentation a été faite par l’ancien ministre fédéral de l’Intérieur, Gerhart Baum, qui, à l’âge de douze ans, a vécu le bombardement de Dresde. En 2012, James Nachtwey a été honoré pour son reportage sur le déluge de feu. Le programme musical a été assuré par six musiciens russes qui font depuis cinq ans sensation à Berlin avec un mélange réussi de Salsa, Klezmer, Jazz, Tango et de folklore russe typique. Ce jour-là, ils jouent au Semperoper pour Stanislav Petrov. Extraordinaire.
Le 25 septembre 1983, le lieutenant-colonel Stanislav Petrov était à la tête d’une unité secrète de l’Union soviétique, qui, à 80 km de Moscou, surveillait les missiles nucléaires américains. 24 heures sur 24, 140 soldats observaient sur leurs écrans si rien ne bougeait sur les rampes de lancement américaines et s’ils ne devaient pas déclencher l’alarme.
Pour mémoire: En 1983, Reagan était le président des Etats-Unis et Andropov le premier secrétaire du comité central de l’URSS. Reagan considérait l’Union soviétique comme «L’Empire du mal» et pour Andropov, c’était certain que les Américains préparaient l’attaque préventive nucléaire. La guerre froide. En RFA, les USA avaient stationné des missiles de croisière et des Pershing II ce qui provoqua de nombreuses protestations. En RDA, les premiers SS 20 sont arrivés. Les USA ont construit, avec l’IDS (Initiative de défense stratégique, ndt.), un système mondial de défense contre l’URSS. Au cinéma, on pouvait voir les films «Wargames» et «The Day After», dans lesquels la guerre nucléaire et ses conséquences étaient montrées. Mais là, ce n’était pas du cinéma. En 1983, nous nous sommes réellement trouvés directement au seuil d’une Troisième Guerre mondiale. Un des plus grands conflits Est-Ouest, après la crise de Cuba et la crise de Berlin, a été passé sous silence pendant 10 ans.
Cette nuit-là, le lieutenant-colonel Stanislav Petrov a reçu, en quelques minutes, cinq fois des messages annonçant un lancement de missiles nucléaires américains avec pour objectif l’URSS. Les Spoutniks ont envoyé, 15 secondes après le lancement présumé, cinq fois le signal «START» au poste de surveillance près de Moscou. Et l’indication de probabilité que l’attaque était vraie était au maximum. Petrov: «Vous comprenez, au maximum, il ne pouvait être plus haut.» Mais Petrov a gardé son sang froid. Il a fait réexaminer tous les systèmes de contrôle disponibles. Comme ingénieur et analyste systémique, il connaissait la technique des systèmes de surveillance sur le bout des doigts. Mais personne ne trouve de faute technique, tout s’est déroulé normalement. Sauf qu’une guerre nucléaire venait apparemment d’être déclenchée. «Je n’étais pas sûr», dit Petrov, «d’un côté, le système avait fonctionné sans problèmes, pour cette raison l’information balistique devait être juste. De l’autre côté, la confirmation visuelle manquait.» Bien que la menace puisse être réelle à 50%, il prend le téléphone et signale une fausse alerte à l’état-major. Ensuite, il signale la deuxième et la troisième fausse alerte. Le lieutenant-colonel Stanislav Petrov: «Je ne voulais pas être responsable de la Troisième Guerre mondiale.» Il ne décide pas en tant que technicien, pas en tant qu’officier de l’armée soviétique, mais uniquement en tant qu’être humain. Il aurait pu faire endosser la responsabilité à un niveau «plus haut», à l’état-major, mais il assume sa responsabilité pour la survie de l’humanité de façon très courageuse.
Maintenant tous regardent fixement les écrans du radar. Un missile ou bien cinq ou davantage allaient-ils survenir? Au bout d’une demi-heure, la fausse alerte s’est confirmée. Pas de missiles en route pour l’URSS. Le lieutenant-colonel Stanislav Petrov a remercié ses collègues. C’est terminé. La Troisième Guerre mondiale a été empêchée par Petrov. C’est seulement plus tard que l’origine de la fausse alerte a été trouvée: une irritation cosmique du soleil et de la terre, un éclair de lumière et du brouillard mal interprété par Spoutnik. Petrov sera quand-même réprimandé de ne pas avoir enregistré assez rigoureusement le déroulement de ces 30 minutes. En 1984, à l’âge de 45 ans, il quitte ses fonctions dans l’armée soviétique. C’est seulement en 1993 qu’il sera réhabilité. Après l’effondrement de l’URSS, le général, qui l’avait réprimandé en 1983, parle de la station strictement confidentielle de surveillance de missiles et de la fausse alerte rapportée par Petrov. Par la suite, Petrov reçoit du courrier du monde entier, tous avec un texte semblable: «Merci d’avoir sauvé le monde en 1983.» A ce propos, Petrov répète jusqu’à aujourd’hui toujours les deux phrases: «Je ne suis pas un héros. Je n’ai fait que mon travail.»
C’était une occasion magnifique pour faire le voyage à Dresde. Et j’ai été ému de comprendre avec quelle sincérité et avec quel courage le lieutenant-colonel Stanislav Petrov avait poursuivi son chemin. Il y a eu des standings ovation pendant plusieurs minutes pour lui au Semperoper à Dresde. Et cela reste notre devoir de nous engager avec notre cœur et nos actions pour un monde sans armes nucléaires. Au moins depuis 2007, des propositions concrètes existent. L’armement nucléaire, cette folie, doit être arrêté. Nous ne pouvons pas nous reposer sur un autre lieutenant-colonel Petrov qui arrangera les choses. Et nous ne savons pas qui assumera aujourd’hui la responsabilité.    •
(Texte et encadrés traduits par Horizons et débats)

«La situation a été tendue pendant toute cette année [1983]. Le président d’alors, Ronald Reagan, nous a insultés comme «L’Empire du mal». Ensuite, les Américains ont stationné en Europe de l’Ouest des missiles Pershing II ciblés sur Moscou, et en riposte, nous avons installés nos missiles dans les ‘démocraties populaires’ de l’Europe de l’Est.»
(S. Petrov dans la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 19/2/13)


«Pour nous c’était clair: si les Américains attaquent en premier, ils vivront plus longtemps que nous, mais seulement 20 à 30 minutes. C’était comme ça, à l’époque.» (S. Petrov dans la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 19/2/13)


«Si nous avions constaté un lancement de masse aux Etats-Unis, nous aurions envoyé nos fusées, cela aurait pu se faire très vite. Il ne fallait rien faire d’autre que mettre en marche les gyrocompas des missiles et confirmer les coordonnées de l’objectif. Les fusées américaines nous seraient tombées dessus, pendant que les nôtres n’auraient été qu’à quelques minutes de l’Amérique. Ce qui serait arrivé à notre planète est inimaginable. La vie n’aurait probablement plus été possible.» (S. Petrov dans la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 19/2/13)

Le 17 février 2013 – Le monde et nous sommes encore en vie!

Le célèbre auteur et avocat norvégien Fredrik S. Heffermehl («The Nobel Peace Prize: What Nobel really wanted»), a proposé dans une lettre aux membres du Comité Nobel, institué par le Parlement norvégien, que l’ancien officier soviétique Stanislav Petrov soit présenté pour le prix Nobel de la paix:

Le 17 février 2013 – Le monde et nous sommes encore en vie! Aujourd’hui, j’ai assisté à la cérémonie dans le  Semperoper de Dresde (1300 personnes), lors de laquelle le spécialiste nucléaire soviétique Stanislav Petrov a obtenu le prix de la paix de Dresde 2013. Pendant la nuit du 26 septembre 1983, Petrov travaillait comme remplaçant du chef d’une centrale de défense antimissile, lorsque tous les alarmes d’avertissement ont indiqué que les Etats-Unis avaient déclenché la guerre nucléaire et que des missiles nucléaires avaient été lancés en direction de l’Union soviétique. Petrov a gardé la tête froide et a informé le commandant en chef qu’il s’agissait d’une fausse alerte. Il y a eu plusieurs fausses alertes, mais presque jamais, nous étions si proches de la destruction totale de la vie sur terre. Comment avons-nous été sauvés? C’est une histoire dont nous pouvons beaucoup apprendre. Heureusement, Petrov était développeur et ingénieur et avait beaucoup travaillé avec le système d’alerte, c’est lui-même qui avait écrit le manuel pour la surveillance satellites contre les attaques de missiles. Ainsi, il a pu opposer son jugement à celui de la machine. Nous pouvons tous être heureux que Petrov ait remplacé l’officier qui aurait été normalement de service ce soir-là. Cet événement n’est pas seulement «historique», mais d’une haute actualité.
Ceux qui croient que les armes nucléaires ont mystérieusement disparu avec la fin de la guerre froide rêvent. La réalité est que l’on continue à jouer à «la roulette russe» avec l’avenir de l’humanité. Cela s’exprime particulièrement dans le fait que la cérémonie a lieu à Dresde – dans la ville qui a été détruite le 13 et 14 février 1945. Aujourd’hui, le monde entier pourrait être brûlé et détruit. (Afin d’empêcher cela, des mouvements pour la paix et des diplomates actifs dans Middle Powers Initiative essayent à Berlin de parvenir à un accord sur l’élimination de toutes les armes nucléaires.)
Les organisateurs m'ont inormé qu'ils avaient demandé à Petrov ce qu’il voulait encore vivre dans sa vie et qu'il avait répondu: visiter la Norvège! Dans un discours lors du dîner qui a suivi la cérémonie, j’ai dit que  la meilleure occasion par excellence de venir en Norvège serait d’obtenir le prix Nobel de la paix – et de préférence avec deux autres: Lee Butler ou whistle-blower Daniel Ellsberg des Etats-Unis et Mordechaï Vanunu d’Israël. Ce serait un trio qui pourrait nous rendre conscients de la vulnérabilité de la vie sur cette planète.
Je propose que l’un des membres du Comité Nobel enregistre cela lors de la première réunion comme une proposition valable pour 2013.
Sincères salutations.

Fredrik S. Heffermehl, Oslo,Avocat et auteur