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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°51, 10 décembre 2012  >  «Maintenir la productivité au degré d’autosuffisance net actuel d’au moins 54%» [Imprimer]

«Maintenir la productivité au degré d’autosuffisance net actuel d’au moins 54%»

«Nourrir la population mondiale raisonnablement sur la base d’exploitations familiales»

Interview de Markus Ritter, conseiller national PDC SG, président de l’Union suisse des paysans

thk. Le 12 décembre le Conseil des Etats traitera, en tant que deuxième Conseil, le projet de loi concernant la Politique agricole 2014–2017. Après le Conseil national qui a déjà procédé à quelques modifications, c’est maintenant au tour du Conseil des Etats de déposer ses requêtes et ses propositions. L’article 72 réglant les contributions à la sécurité de l’approvisionnement concernant les surfaces herbagères, est spécialement controversé. Markus Ritter, depuis peu président de l’Union suisse des paysans et par conséquent successeur du conseiller national Hansjörg Walter, en explique les raisons et expose les problèmes qui en résultent dans l’interview ci-après.

Comment est-on arrivé au projet de loi sur la Politique agricole 2014–2017 et qu’est-ce qui sera fixé dans cette nouvelle loi sur l’agriculture?

La politique agricole de la Suisse est basée sur l’article 104 de la Constitution fédérale. Cet article a été accepté en 1996 par le peuple avec 77% des voix. Sur cette base, le parlement a adopté en 1999 la Loi fédérale sur l’agriculture en principe dans sa forme actuelle. La révision de loi actuelle est en rapport avec une motion du Conseil des Etats dans le cadre de la politique agricole 2011, dans laquelle le Conseil des Etats a demandé d’examiner la question de savoir si la politique agricole suisse ne devrait pas davantage être axée sur les objectifs constitutionnels et d’en présenter un rapport. Le Conseil fédéral a répondu par un rapport sur le développement du système des paiements directs. Le parlement a eu l’occasion d’en débattre et d’en prendre connaissance. Sur cette base la Politique agricole 2014–2017 accompagné du message du Conseil fédéral a été envoyée au parlement.

Quels sont les points forts de la nouvelle politique agricole?

Elle est davantage axée sur les objectifs constitutionnels. L’idée fondamentale est que chaque objectif constitutionnel doit être transformé en mesures et instruments concrets et ceci à l’aide d’un procédé d’incitation correspondant. Il en résulte que les objectifs constitutionnels, la sécurité de l’approvisionnement et l’entretien du paysage cultivé ainsi que tout le domaine des prestations écologiques et de l’occupation décentralisée du terroir suisse peuvent être encouragés.

La proposition du Conseil fédéral de payer plus de contributions liés à la surface s’approche-t-elle davantage de l’objectif constitutionnel de la sécurité de l’approvisionnement?

Pour développer le système des paiements directs, le Conseil fédéral a constitué un groupe de travail à large échelle. Suivant l’optique ou les ordres ces personnes ont rejoint ce groupe de travail avec des idées et objectifs très différents. Naturellement, ces différentes évaluations des objectifs constitutionnels ont conduit à des opinions différentes: combien de sécurité de l’approvisionnement, combien d’écologie, quel poids à donner à l’entretien du paysage cultivé et quels seront les moyens à investir. Ce débat de principe se poursuit au parlement jusqu’à présent. Les différentes motions qui ont été déposées lors des délibérations en sont la preuve.

La politique agricole 2014–2017 est-elle la bonne réponse aux défis des années à venir?

Ce qui est tout à fait décisif, c’est que les exigences face à la politique agricole sont aujourd’hui très fortement déterminées par l’extérieur. Vu la situation de l’approvisionnement et de l’alimentation, la très forte croissance de la population mondiale, environ 80 millions par an, la pénurie croissante en eau douce, les inondations et les sécheresses à grande échelle, il est clair qu’il faut donner une plus grande importance à la sécurité de l’approvisionnement sur le plan mondial. Ces derniers trois à quatre ans, il y a eu un report des priorités. Dans ce contexte il est important de donner plus de poids à l’agriculture productive et donc à la sécurité de l’approvisionnement. En ce qui concerne les prestations écologiques, la Suisse a déjà atteint un très haut degré avec environ 120 000 hectares de surface de compensation écologique, sur une surface totale de 1 million d’hectares de paysage cultivé. Là, il ne peut plus s’agir que d’une augmentation de la qualité et de réseautage. C'est pourquoi, nous devons conduire les entretiens avec les partenaires concernés.

Où se trouvent les points sensibles dans la PA 2014–17 pour l’agriculture productive dont nous avons besoin, d’après vos explications?

La réalisation, et c’est un des points que je critique, demandera des efforts administratifs supplémentaires, car l’implémentation de beaucoup de ces nouveaux instruments nécessite une planification adéquate et des contrôles jusqu’au niveau cantonal et même au niveau des exploitations. En plus nous craignons que la focalisation accentuée sur les contributions à la surface aggrave, par une augmentation des fermages, le marché dans le domaine de l’affermage. Les instruments, tels qu’ils sont en vigueur actuellement ont un effet extensif. Nous demandons que les procédés d’incitation maintiennent la productivité au taux d’autosuffisance net actuel d’au moins 54% et le renforcent dans cette direction.

Que faut-il pour que la paysannerie puisse maintenir et si possible augmenter ce degré d’approvisionnement?

Ce sont trois aspects dont j’aimerais parler ici. Premièrement, quant aux contributions aux surfaces herbagères, nous aspirons à une plus grande estimation de l’effectif animalier, cela concerne l’article 72. Ensuite nous demandons dans l’article 54 une contribution à la culture des céréales fourragères. Ces dernières années nous avons perdu 30 000 à 40 000 hectares de terres cultivables pour les céréales fourragères. Les céréales fourragères suisses sont importantes pour les paysans pour pouvoir nourrir notre cheptel de poulets et de porcs avec davantage de céréales indigènes. Ainsi nous mettons un accent plus fort sur la «swissness» et la stratégie de qualité. Le troisième point veut que les prestations renforcées dans le domaine de l’écologie puissent être rémunérées avec un investissement réaliste.

Où voyez-vous les dangers quand les contributions sont davantage axées sur l’entretien du paysage que sur l’effectif animalier?

En Suisse, nous avons 1 million d’hectares de terres cultivables, dont 2000 hectars par an se perdent en constructions, avant tout sur le plateau suisse, et 1400 hectares, avant tout dans les régions de montagnes, se reboisent. De ce côté-là nous avons déjà une perte significative de surface productive. Le deuxième point est qu’avec des procédés d’incitation favorisant une agriculture extensive, la production baisse avec l’effet général que notre degré d’autosuffisance continue à baisser. Nous sommes actuellement proche des 50% et si l’on considère que la population suisse augmente, c’est, en temps de crise et avant tout lorsque les développements internationaux s’accentuent, une détérioration de la place économique suisse. Un approvisionnement en denrées alimentaires de la population en tout temps fait partie de la sécurité du pays.

L’autosuffisance de notre pays me semble être primordial. C’est aussi une exigence du Rapport sur l’agriculture mondiale auquel des scientifiques suisses ont contribué de façon significative. Il considère l’agriculture en petits espaces, ancrée dans la région et organisée en coopératives ou en exploitations familiales comme une solution durable du problème mondial de la faim. Dans quelle mesure, la PA 2014–17 tient-elle compte des connaissances du Rapport sur l’agriculture mondiale?

Un des développements remarquables par rapport à la PA 2014-17 est le fait que la souveraineté alimentaire ancrée dans la Loi sur l’agriculture soit confirmée aussi bien par le Conseil national que par la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des Etats (CER-E). Au cours des deux semaines prochaines le Conseil des Etats statuera également sur l’ancrage de cette valeur fondamentale dans la loi. C’est très important aussi en vue des défis futurs, cités plus haut, d’avoir la possibilité de décider de façon autonome dans le domaine de la souveraineté alimentaire et de déterminer nous-mêmes quelle agriculture nous voulons. Je considère le modèle des exploitations familiales comme idéales pour la Suisse – des exploitations familiales qui sont à la fois moyen d’existence et refuge, produisent des aliments sains, peuvent être exploitées de manière économe et qui offrent un espace pour la tradition et la culture. C’est très important pour nous. En outre, c’est la seule chance de nourrir la population mondiale de façon raisonnable grâce aux exploitations familiales. Les monocultures à grandes échelles conduisent à des marchés internationaux instables avec de fortes hausses de prix, avec le résultat que les couches pauvres de la population ne peuvent plus se nourrir. Cela produit des vagues de famine accompagnées d’émeutes telles que nous les avons vues en Afrique du Nord, il y a deux ans.

Lors de la session, le Conseil des Etats a encore la possibilité de corriger le projet PA 2014–17. Qu’est-ce qui est à l’ordre du jour?

Nous avons bien sûr une série de motions qui ont été approuvées au Conseil des Etats par la Commission, et puis il y a encore des motions représentant des minorités dans l’assemblée plénière et il y a aussi des motions de particuliers. Là, il faut encore mener des entretiens individuels avec les conseillers aux Etats et leur faire connaître nos arguments pour ensuite laisser libre cours au débat au Conseil des Etats.

Quels sont les points importants?

Il s’agit dans l’article 9 d’un élargissement des compétences du Conseil fédéral concernant les possibilités des obligations générales. C’est surtout important au sein de nos marchés asymétriques où beaucoup de producteurs se trouvent en face de très peu d’acheteurs. Pour nous il est également important que, dans le contexte de l’article 54, les céréales fourragères soient favorisées. Là, nous voulons mettre l’accent pour une base indigène du fourrage. Quant à l’article 72, il est important que les contributions aux surfaces soient reliées davantage à la production, et que dans le crédit cadre les propositions du Conseil national et de la CER-E soient confirmés par l’assemblée plénière.
Il est décisif que notre agriculture travaille et cultive de façon durable. Nous produisons de façon intégrée, nous n’utilisons que les outils de travail qui sont indispensables. C’est aujourd’hui le standard d’après l’attestation de prestations écologiques. Il est aussi à noter qu’avec de bonnes sortes sur des sols féconds avec un approvisionnement en eau intacte et une fertilisation ciblée, une bonne récolte peut être réalisée. Avec de bonnes récoltes on peut aussi atteindre les objectifs de la sécurité de l’approvisionnement. Je suis également persuadé que la formation de la prochaine génération est très importante pour disposer à l’avenir du savoir-faire d’une bonne exploitation des terres. En Suisse, nous avons déjà bien avancé dans ce domaine. Pour cette raison nous devons renforcer nos efforts dans cette direction. Il est également important que les prestations de l’agriculture soient honorées sur les marchés avec des parts correspondantes de la création de valeur. L’agriculture reçoit actuellement en moyenne 20% ou autrement dit 20 centimes par franc du consommateur, dépensé pour des denrées alimentaires. Nous avons besoin de prix couvrant les coûts des produits agricoles, pour pouvoir maintenir et développer nos exploitations.

La Politique agricole 2014–2017, a selon le message, également pour objectif de préparer l’agriculture en vue de l’ouverture du marché. Comment voyez-vous ce point-là?

C’est un large éventail de thèmes que vous abordez. L’agriculture suisse, nous devons en être conscients, a la possibilité d’approvisionner la population en Suisse. Les marchés à l’étranger ne peuvent être livrés que dans une mesure très restreinte. Nous avons d’un côté dans le domaine du fromage d’excellents produits, établis aussi sur les marchés étrangers. A part ça, il n’est guère possible de livrer d’autres produits aux marchés étrangers à l’échelle nécessaire. Avec un degré d’autosuffisance net de 54% il n’est pas possible de conquérir des marchés étrangers de manière raisonnable.
De l’autre côté les coûts plus élevés pour l’agriculture en Suisse sont une réalité. Nous parlons ici d’un milliard de francs de coûts étrangers que l’agriculture suisse porte en plus en comparaison avec l’agriculture de Bavière ou du Bade-Wurtemberg. Devant cette toile de fond, il est très important que l’agriculture suisse ait une protection des frontières adaptée pour atténuer ce clivage des coûts. Les efforts de libéralisation des années 1980 et 1990 ont été paralysés pour la plupart. D’un côté c’est le cycle de Doha de l’OMC lancé en 2001 et qui n’avance plus. C’est parce qu’il a été lancé beaucoup trop tôt après le cycle d’Uruguay, que les objectifs sont dépassés, qu’aucun pays ne veut reprendre un rôle directeur, et que les efforts de l’époque concernant la libéralisation ont été relayés par les soucis des pays industrialisés concernant leurs problèmes de monnaie et de surendettement. Devant cette toile de fond, le parlement a pris congé des objectifs du libre-échange agricole avec l’UE dont le moteur avaient été les négociations de l’OMC. Cela ne rencontre plus de majorité politique de nos jours. Ce qu’il faut observer ce sont les négociations sur un accord de libre-échange avec la Chine. Là, les paysans sont en contact étroit avec le Conseil fédéral et les administrations fédérales responsables pour faire passer à temps les requêtes agricoles. Nous suivrons les négociations avec attention et nous garderons nos intérêts.

D’après vos explications claires et nettes, il est extrêmement important que la politique agricole soit adaptée là où ces développements prévisibles n’ont pas été assez pris en considération. Pour que nous ayons une politique agricole axée sur l’autonomie et la souveraineté alimentaire.

Oui, l’agriculture suisse joue un rôle important pour l’avenir de notre pays. Nous sommes une roue importante dans le développement économique de la Suisse, d’un côté en ce qui concerne la production d’aliments sains. Nous les paysans sommes aussi ceux qui entretiennent presque la moitié de notre paysage. Zones, où nous pouvons nous détendre et dans lesquelles a lieu le tourisme. Je crois que justement face à la population croissante de la Suisse et à l’augmentation d’une société de services, il est d’autant plus important de préserver des espaces vitaux multiples et une flore et une faune intactes. C’est là que l’équilibre écologique se fait.
Ce sont les espaces qui sont si importants pour le rétablissement et le bien-être de la population. Je suis entièrement convaincu que le combat des meilleurs talents mondiaux, maintes fois cité et toujours discuté par les leaders économiques, ne peut être gagné par la Suisse que lorsque toute la famille se sent bien chez nous, lorsqu’elle aime vivre ici et que la société active est donc motivée au travail. Là, l’agriculture suisse contribue de manière centrale à l’avenir et au développement de notre pays comme espace économique et vital de premier plan en Europe.

Monsieur le conseiller national, nous vous remercions de cet entretien.    •

Art. 104 Agriculture

1 La Confédération veille à ce que l’agriculture, par une production répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché, contribue substantiellement:
a.    à la sécurité de l’approvisionnement de la population;
b.    à la conservation des ressources naturelles et à l’entretien du paysage rural;
c.    à l’occupation décentralisée du territoire.
2 En complément des mesures d’entraide que l’on peut raisonnablement exiger de l’agriculture et en dérogeant, au besoin, au principe de la liberté économique, la Confédération encourage les exploitations paysannes cultivant le sol.
3 Elle conçoit les mesures de sorte que l’agriculture réponde à ses multiples fonctions. Ses compétences et ses tâches sont notamment les suivantes:
a.    elle complète le revenu paysan par des paiements directs aux fins de rémunérer équitablement les prestations fournies, à condition que l’exploitant apporte la preuve qu’il satisfait à des exigences de caractère écologique;
b.    elle encourage, au moyen de mesures incitatives présentant un intérêt économique, les formes d’exploitation particulièrement en accord avec la nature et respectueuses de l’environnement et des animaux;
c.    elle légifère sur la déclaration de la provenance, de la qualité, des méthodes de production et des procédés de transformation des denrées alimentaires;
d.    elle protège l’environnement contre les atteintes liées à l’utilisation abusive d’engrais, de produits chimiques et d’autres matières auxiliaires;
e.    elle peut encourager la recherche, la vulgarisation et la formation agricoles et octroyer des aides à l’investissement;
f.    elle peut légiférer sur la consolidation de la propriété foncière rurale.
4 Elle engage à ces fins des crédits agricoles à affectation spéciale ainsi que des ressources générales de la Confédération.

Source: www.admin.ch/ch/f/rs/101/a104.html