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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°27, 2 juillet 2012  >  La dernière volonté d’Alfred Nobel [Imprimer]

La dernière volonté d’Alfred Nobel

par Dieter Deiseroth

Le deuxième vendredi du mois d’octobre, le Comité du prix Nobel de la paix, instauré par le Parlement norvégien, annoncera une nouvelle fois officiellement le nom du lauréat du prix Nobel de la paix de cette année. Ce prix hautement renommé provenant de la fondation d’Alfred Nobel, le «fabricant de la dynamite» suédois, a été décerné depuis 1901 à 121 personnalités.
Fredrik S. Heffermehl, auteur et juriste norvégien, né en 1938, a fait fureur ces dernières années avec son livre «The Nobel Peace Prize: What Nobel Really Wanted»* (titre de la première édition norvégienne de 2008: «Nobels vilje») – traduit depuis dans plusieurs langues et complété à plusieurs reprises. Son message principal: le Comité norvégien du prix Nobel de la paix, composé de politiques peu compétents, ne tient constamment pas compte des critères d’attribution fixés dans le testament d’Alfred Nobel en 1895. Ce comité s’est permis de se créer et de fixer lui-même des critères de choix contraires à la dernière volonté du fondateur du prix, il ne travaille pas professionnellement, décide dans une procédure secrète non transparente, se soustrait à toute critique discursive sérieuse. Les thèses de Heffermehl s’appuient sur un examen détaillé du contenu du testament. Pour cela, il procède à deux niveaux. Dans un premier temps, il utilise la méthode d’interprétation normative valant pour les testaments dans le droit de succession norvégien et suédois (qui sont aussi en vigueur dans le droit allemand): Qu’est-ce que le testateur a voulu dire et exprimer dans cette situation avec ses mots et dans ce contexte? Dans un deuxième temps, Heffermehl pose la question de savoir comment l’intention subjective de Nobel transmise en 1895 doit être comprise dans le présent, où le contenu du testament doit être mis en pratique chaque année lors du choix du lauréat. A Paris, le 27 novembre 1895, Alfred Nobel avait écrit à la main et selon le droit suédois ses dispositions légales en présence de deux témoins: Après la déduction de 1,6 millions de couronnes suédoises en legs à des parents, collaborateurs et amis, la succession devait être utilisée avec une part du lion de 31,6 millions pour le financement des prix nouvellement créés. D’après le testament de Nobel, on devait, avec les fruits de son héritage, remettre chaque année cinq prix à différentes personnalités qui ont accompli une chose importante pour le bien-être de l’humanité. Un prix devait être décerné pour la découverte ou l’invention la plus importante dans les domaines de la physique, de la chimie, de la physiologie ou de la médecine, un autre prix pour les produits les plus excellents avec «une orientation idéale» dans le domaine littéraire. Et justement le prix Nobel de la paix. Il devait être remis au «défenseur de la paix» qui a «le plus» œuvré pour (1) la «fraternisation des peuples», (2) la réduction ou l’abolition des «armées existantes», tout comme (3) «la promotion des congrès pour la paix». Nobel a confié la remise des quatre premiers prix à diverses institutions suédoises et la cinquième à un comité à élire au sein du Parlement norvégien («Stortinget»). Comme Heffermehl l’a constaté, Nobel a exprès délégué la remise du prix au Parlement norvégien, et non suédois, en tant qu’administrateur et instance de référence. Dans l’Union des Etats de Suède et de Norvège, qui existait encore à cette époque-là, il lui semblait que cette représentation nationale dominée en ce temps-là par le Parti libéral («Venstre») était plus appropriée que celle de Suède. Car elle était parmi les premières au monde à avoir mis à la disposition du «Bureau international de la paix», créé entre autre par Bertha von Suttner, des dons importants, et a agi aussi au moyen d’initiatives remarquables contre les risques de guerre, pour le désarmement et pour un arbitrage international.
Heffermehl reproche au «Comité de Nobel» d’avoir transformé les trois directives spécifiques fixées par Nobel dans son testament en un «critère pour la paix» diffus et de les avoir falsifiées. Lors de la remise des prix, le Comité a mis beaucoup plus l’accent sur l’engagement du lauréat pour le «contrôle de l’armement» – c’est autre chose que le «désarmement» – ou pour la démocratie, l’humanité, l’environnement, le ménagement des ressources ou les droits de l’homme. Certes, il est le dernier à contester qu’un concept multiple soit nécessaire pour le travail de la paix. Or, le prix Nobel n’a justement pas été initié «pour la paix en général» ou pour quelque chose s’y rapportant, mais comme prix pour des personnalités ou associations qui ont apporté dans des champs spécifiques avec des moyens spécifiques d’excellentes contributions visant à mettre fin à la conduite de guerres. Le critère de la «fraternisation» (des peuples) a été transformé par le comité en une «fraternité des nations» («Brotherhood») non spécifique. L’objectif du démantèlement des «armées existantes» a été complètement éliminé du champ de visée. Le Comité nie complètement l’importance des «congrès pour la paix» et ici, il affirme de façon erronée que de tels congrès n’existent plus aujourd’hui ou qu’ils sont devenus sans importance. De plus, le Comité ne tient pas compte du fait que les critères de Nobel font partie d’une cohérence organique («fraternisation des peuples» et «désarmement» plus «promotion des congrès pour la paix») et qu’ils ne peuvent donc pas être invoqués séparément.
Le Comité du prix Nobel de la paix favorise, grâce à ces interprétations choisies par lui-même, le système international basé sur l’armement au lieu d’en venir à bout ou de l’abolir – comme Nobel le souhaitait. En tenant compte de ces dispositions testamentaires, Heffermehl considère au moins 51 des 121 prix décernés jusqu’à présent comme injustifiés.

Le Comité est composé à la proportionnelle par les partis

L’auteur voit les raisons de ce développement malsain des dernières décennies avant tout dans le comportement défaillant du Parlement norvégien. Celui-ci a attribué depuis 1948 les cinq sièges du Comité du prix Nobel à la proportionnelle aux partis. La qualification, la compétence et l’expérience particulière dans les domaines importants pour le jugement des critères d’attribution ne jouaient pour le choix des membres du Comité pratiquement aucun rôle. Seul le consensus principal norvégien sur la politique de sécurité qui s’est formé  depuis le début de la Guerre froide à la fin des années 40 devait correspondre. Pour les membres du Comité, la référence à la politique extérieure norvégienne – en conséquence aussi les concepts de puissance militaire et la loyauté presque aveugle face à l’OTAN – sont plus importants que le respect de la volonté d’Alfred Nobel. Mais déjà en 1948, la volonté testamentaire de Nobel a été souvent méprisée. A cette époque, tout comme aujourd’hui, cela ne s’est pas produit par erreur: L’analyse de Heffermehl s’appuie ici sur des procès-verbaux en partie documentés par lui, de journaux intimes de membres du Comité pendant de longues années, et accessibles maintenant dans les archives.
Les réactions du Comité du prix Nobel à l’étude de Heffermehl ont été jusqu’à présent très rares. Les membres qui se sont exprimés publiquement ont tenté de présenter ceci comme l’«opinion personnelle» d’un marginal. C’est surtout ce reproche qui a défié Heffermehl: C’est pourquoi dans l’édition parue maintenant en anglais (en même temps qu’en suédois, finlandais et en russe), il a montré de manière détaillée que sa critique est sur le fond soutenue par de nombreuses études antérieures. Heffermehl exige que la fondation de Nobel procède à un réexamen général de la distribution des prix Nobel de la paix des 110 dernières années, et, avant tout, qu’elle adapte son comportement actuel aux dispositions testamentaires du fondateur. De plus, les membres actuels du Comité devraient donner «carte blanche» au Parlement à Oslo, afin «d’élire un comité respectable». En outre, la procédure de choix du lauréat devrait être transparente. La renommée du prix, qu’il considère comme «l’un des plus grands cadeaux faits à l’humanité», ne doit pas être endommagée plus longtemps. Outre son travail de publication, Heffermehl a sollicité aussi des institutions étatiques qu’elles veillent à un respect effectif de la dernière volonté d’Alfred Nobel, protégée au niveau du droit de succession. Et il a raison: Le Conseil de surveillance de la fondation doit veiller à ce qu’on respecte strictement la volonté du fondateur. Indépendamment de cela, on peut déjà constater maintenant que l’étude pionnière de Heffermehl livre un matériel riche qui aide à mieux comprendre et apprécier les structures complexes de l’attribution du prix Nobel de la paix qui se dérobent en général aux yeux d’un public critique. Ce serait très intéressant de savoir si d’autres études semblables relatives à la procédure de remise de prix pratiquée en Suède ont été élaborées et publiées à propos des quatre autres prix Nobel.     •

*Fredrik S. Heffermehl: The Nobel Peace Prize. What Nobel Really Wanted. Praeger 2010

Source: Blätter für deutsche und internationale ­Politik, 10/2011
(Traduction Horizons et débats)

Ce que Nobel voulait réellement

Lorsque Barack Obama a approuvé, dans son discours lors de la remise du prix Nobel de la paix, l’invasion préemptive et qu’il a déclaré que les actions militaires américaines garantissent la paix mondiale, beaucoup ont été étonnés que le chef d’une superpuissance militaire, qui avait participé à deux guerres à l’étranger, ait été choisi en premier pour le prix Nobel de la paix.
Ce prix est depuis 110 ans la distinction la plus convoitée qui attire l’attention du monde. Ces dernières décennies, il est devenu la distinction la plus critiquée car des chefs d’Etats militarisés, des bellicistes, et des terroristes ont été comblés de prix pour la défense de la paix. Au moyen de sources primaires encore inédites qu’il traite en détail, Fredrik Heffermehl révèle l’histoire des déroulements intérieurs du Comité Nobel norvégien, et montre comment on en est venu à décerner des distinctions non-méritées sous une pression politique, géopolitique et économique croissante.
En tant que juriste norvégien, il émet la thèse que le choix du Comité Nobel passe outre la volonté d’origine d’Alfred Nobel fixée en 1895 dans son testament. Grâce à l’interprétation  de chacun des 120 prix Nobel de la paix décernés entre 1901 et 2001, l’auteur retrace la divergence toujours plus croissante avec le testament de Nobel quant au choix du lauréat, et en conclut que les dix derniers prix attribués sont, à une exception près, illégaux.
En présentant comment le Comité Nobel et les parlementaires norvégiens se sont comportés vis-à-vis de sa critique, l’auteur montre les faibles chances de résistance quand les politiques, qui agissent en groupe, méprisent le respect des règles juridiques et les règles d’une discussion loyale et sincère.
Fredrik S. Heffermehl est juriste norvégien et défenseur de la paix au niveau international. Il est vice-président de l’International Association of Lawyers against Nuclear Arms (IALANA; juristes contre les armes atomiques, biologiques et chimiques) et a été président de l’Union norvégienne pour la paix et vice-président du Bureau international de la paix.
Il a agi en Norvège en tant que juge adjoint, médiateur adjoint pour les consommateurs et en tant que Secrétaire général de l’Association humaniste norvégienne. Heffermehl a obtenu ses diplômes en droit à l’Université d’Oslo, à l’Université de New York et au Collège pour l’administration publique à Oslo. Il est éditeur de Peace is possible (la paix est possible), qui contient des contributions de 31 collaborateurs importants travaillant pour la paix.

Source: Texte du rabat du livre,
(Traduction Horizons et débats)