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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°28, 19 juillet 2010  >  «Nous demandons le retrait d’une directive de l’UE» [Imprimer]

Une directive de Bruxelles oblige les Etats membres à conserver les données

Plaidoyer pour une protestation européenne

Entretien avec Rolf Gössner

Rolf Gössner est avocat, journaliste et vice-président de la Ligue internationale des droits humains. Il a été le premier à porter plainte contre la conservation des données de connexions devant la Cour constitutionnelle allemande.
A la fin juin, plus de 100 organisations et associations professionnelles de 23 pays de l’UE ont, dans une lettre ouverte, demandé à la Commission de l’UE d’abandonner définitivement tout projet de conservation des données.

Junge Welt: La directive prévoit que toutes les données de connexions seront conservées pendant six mois (Qui a téléphoné à qui et combien de temps? De quel télé­phone por­table l’appel a-t-il eu lieu? Qui envoie des courriers électroniques à qui?) La Cour constitutionnelle a mis fin à cela en mars 2010. Quels sont les inconvénients de son arrêt?

Rolf Gössner: On n’a écarté que provisoirement les risques impliqués par les données conservées. Toutes les données accumulées jusqu’ici ont dû être effacées parce que les bases juridiques du droit allemand étaient contraires à la Constitution allemande. Mais la Cour n’a pas interdit la conservation de données en général; elle les autorise à cer­taines conditions strictes.
Le Bundestag peut désormais adopter une nouvelle loi qui, elle, mettra en œuvre la directive européenne qui oblige d’une part les Etats membres à conserver les données, et d’autre part tient compte des conditions posées par la Cour constitutionnelle. C’est le vœu de la CDU/CSU mais le FDP hésite, comme c’est trop souvent le cas. Or les problèmes fondamentaux seraient les mêmes: On pourrait, sur la base des données, réaliser des profils de déplacements des per­sonnes, leurs contacts commerciaux pourraient être reconstitués et l’on pourrait identifier des relations amicales. Cela constituerait une menace pour la liberté de communication et la vie privée, et également pour le secret professionnel des avocats, des journalistes, des médecins ainsi que pour les relations de confiance entretenues avec certaines institutions de conseil.
En outre, on ne voit pas bien comment les opérateurs de télécommunications pourraient protéger la sécurité des données. Là où de nombreuses données sont enregistrées, les convoitises de personnes ou d’institutions non autorisées augmentent. On peut toujours faire un usage abusif des données, d’où notre démarche. Nous demandons le retrait de la directive européenne.

La transmission des données enregistrées n’est possible qu’à la suite d’une décision du juge. Cela ne vous suffit-il pas?

Non. D’une part parce que le risque d’usage abusif des données ne peut pas être maîtrisé et d’autre part parce que l’expérience et les études scientifiques montrent que les juges compétents ne sont pas capables d’enrayer les intrusions dans la vie privée. Cela se manifeste surtout lors des écoutes policières. Les juges ne peuvent s’appuyer que sur les pièces à conviction de la police qui sont unilatérales. S’ils veulent rejeter une demande, ils doivent le justifier, ce qui représente beaucoup plus de travail que d’accepter une demande. Et il n’existe pas de contrôle du processus comportant l’obligation de faire un rapport. Dans le procès contre le groupe présumé terro­riste «Militante Gruppe», les juges d’instruction avaient donné leur aval aux demandes du Parquet. En mars dernier, la Cour de jus­tice fédérale a déclaré que les mesures de surveil­lance étaient illégales parce que les présomptions étaient insuffisantes.

Le recensement de 2011 obéit aussi à une directive de l’UE. Pourquoi trouvez-vous ce projet inquiétant?

A la différence des recensements antérieurs, le recensement de 2011 puise des informations personnelles à de nombreuses sources mais sans le consentement des personnes concernées. Ainsi on collecte des données auprès des bureaux de déclaration de domicile, des cadastres et de l’Agence fédérale pour l’emploi, ainsi qu’à des «sources accessibles à tout le monde». En outre, jusqu’à un tiers des citoyens seront obligés de répondre à des questions sur leur vie privée.
Grâce à des informations détournées de leur objectif initial issues de banques de données diverses, enrichies des données sensibles de questionnaires obligatoires, on établira des profils personnels. Il en résultera une collection de données importantes, cette fois centralisées, vulnérables à une utilisation abusive. Ainsi le recensement de 2011 viole le droit fondamental à l’autodétermination des informations. C’est pourquoi le groupe de travail «Conservation des données» a prévu une plainte constitutionnelle qui sera déposée à la mi-juillet (www.zensus11.de) et qui a déjà été soutenue par plus de 10 000 personnes.

Une autre demande de Bruxelles consiste dans le programme de surveillance SWIFT.

Cet exemple montre avec quelle rapidité le FDP a perdu sa «réputation» de parti des droits civils. A la fin de l’année dernière, le gouvernement fédéral noir-jaune a adopté l’accord sur les données bancaires entre l’UE et les Etats-Unis – combattu par le FDP – et a, après un veto spectaculaire du Parlement européen, approuvé récemment une nou­velle version améliorée. Selon cet accord, les autorités de surveillance américaines, dans le cadre de la «lutte commune contre le terrorisme», obtiennent l’accès à des millions de données extrêmement sensibles concernant des détenteurs de comptes et des virements bancaires, accord comportant de graves insuffisances en matière de droit à la protection des données. Le 8 juillet, le Parlement européen a accepté l’accord malgré ses défauts.
La directive européenne sur la surveillance des communications montre que Big Brother étend ses ramifications partout en Europe. Qu’en est-il du mouvement de défense des droits civils? Les politiques de la justice, de l’intérieur et de la défense doivent être de plus en plus coordonnées aux niveaux européen et national. Malheureusement, il n’existe pas de mouvement européen des droits civils correspondant, mais on observe des avancées dans ce sens, comme le Réseau européen des libertés civiles (www.ecln.org). Nous avons un besoin urgent d’européaniser le mouvement des droits civils parallèlement à l’internationalisation des mouvements sociaux. S’ils s’associaient, ils pourraient augmenter leurs chances d’efficacité. En outre, l’UE n’est pas monolithique. Ainsi certains fonctionnaires européens ont fait connaître leur volonté d’examiner la directive européenne sur la conservation des données, voire de la re­mettre en question. Il s’agit de renforcer ces approches.
C’est à cela que servira notamment la grande manifestation qui aura lieu le 11 septembre prochain à Berlin sous la devise «La liberté plutôt que la peur» (www.freiheit-statt-angst.de).     •

Source: junge welt du 7/7/10
(Traduction Horizons et débats)