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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°28, 9 juillet 2012  >  Sauvez l’Europe, pas l’euro! [Imprimer]

Sauvez l’Europe, pas l’euro!

par Wilhelm Hankel, professeur d’économie

Un double appel:
Appel aux gouvernements:
Mettez fin à l’aventure de l’euro!
Appel aux citoyens:
Ne vous laissez pas prendre pour des idiots!

Si l’euro disparaît, l’Europe se désintégrera, et avec elle le rêve de l’avenir radieux de notre vieux continent qui fixe encore des critères mondiaux.
Jamais des dirigeants politiques, soutenus par une machine médiatique constituée de faiseurs d’opinion en partie dépassés par le sujet ou devenus indifférents (on peut en chercher les raisons) n’ont si massivement fait croire aux citoyens qu’ils feraient mieux de ne pas utiliser leur raison. On veut qu’ils croient que leurs projets de vie, leur destin économique et celui de leurs enfants ne sont nulle part aussi bien assurés que dans les Etats en faillite de la zone euro dont la monnaie perd chaque jour de sa valeur, dans ce monde de promesses de moins en moins crédibles de réduire prochainement les dettes publiques excessives et les impôts, tout cela dans l’espoir de freiner l’endettement qui est illusoire parce que chaque bilan des dettes européennes fait apparaître de nouveaux déficits et qu’il faut faire face à de nouvelles échéances dépassant les mille milliards. L’Europe est entre les mains de gouvernements qui se croient plus intelligents et prévoyants que leurs peuples naïfs. Ces derniers ne comprennent-ils pas qu’ils vivent avec l’euro dans le meilleur des mondes possibles et qu’il ne peut pas y avoir d’«alternative» (Angela Merkel dixit) à celui-ci parce que le coût de la sortie volontaire de ce paradis serait beaucoup plus élevé que celui du «sauvetage» de l’euro?
Qu’est-ce qui scandalise ou désespère le plus? L’arrogance d’une élite de pouvoir européenne qui, sans scrupules ni autocritique apparents, identifie ses propres intérêts (et le maintien de ses prébendes) à l’intérêt général européen, ou le cynisme d’une «industrie» financière qui se prétend irremplaçable («systémique»), s’exempte de toute responsabilité dans la catastrophe des dettes qu’elle a provoquées et a le front de se déclarer non soumise à législation sur les faillites (toujours en vigueur pour les autres)? Il y a suffisamment de «tierces personnes» – épargnants, contribuables – qui peuvent assumer les pertes, y compris les managers responsables de ces dettes qui touchent de très hauts salaires (et des bonus). Et les Allemands? Ne devraient-ils pas enfin accepter le fait qu’après deux guerres mondiales et un génocide, ils ont encore le devoir d’indemniser l’Europe, même si les crimes de leurs grands-parents ont été commis il y a plus d’un demi-siècle? N’ont-ils pas «profité» de l’euro plus qu’aucune autre nation, comme le prouvent leurs exorbitants excédents d’exportations (pour un économiste de réputation mondiale comme Helmut Schmidt, ils sont la véritable raison des déficits des autres pays)? Rien ne révèle mieux que cela l’inanité des arguments très répandus en faveur de l’euro. En abandonnant du jour au lendemain son deutschemark solide et stable, l’Allemagne a perdu tous les avantages liés à cette monnaie: l’avance, par rapport aux autres pays, de son économie en matière d’intérêts et de croissance (avec l’introduction de l’euro, l’ancienne locomotive conjoncturelle de l’Europe s’est transformée en voiture de queue), l’avantage de l’appréciation du mark pour sa population et son économie (Karl Schiller appelait cela un «dividende social permanent pour le peuple allemand» qui améliorait durablement les coûts et la compétitivité de l’industrie allemande dépendante de l’importation de matières premières, d’énergie et de produits intermédiaires) et la force d’attraction de l’Allemagne pour les capitaux et les participations étrangers. Depuis, le pays ne profite plus que de deux choses: 1) le goût persistant des autres Européens pour l’inflation et 2) leur répugnance à respecter la discipline des coûts salariaux. C’est en cela que consiste encore le «profit» tiré de l’euro par l’Allemagne.
Quatre vérités simples réfutent les mensonges sur l’euro répandus par les gouvernements, les médias et les experts stipendiés (dont la plupart viennent des banques):

La monnaie est faite pour les citoyens

La première vérité est la suivante: La monnaie est faite pour les citoyens et non les citoyens pour la monnaie. L’euro n’est pas au-dessus de leurs droits. Ni celui-ci ni la société ne peuvent se passer d’une monnaie stable, qui est l’«étalon» du travail et de sa rémunération véritables (et des dettes). Quiconque manipule cet étalon ne se rend pas seulement coupable au regard du droit civil. Il détruit avec ce mauvais étalon (l’inflation) la base comptable de l’économie de marché et en même temps son fondement juridique et social. Il réduit l’économie au rôle d’un casino et la prive de son efficacité. C’est exactement ce que fait la Banque centrale européenne (BCE) qui se moque de sa mission en imprimant des milliers de milliards d’euros pour «sauver» les anciens euros encore en circulation. Mais ce faisant, elle ne «rassure» pas les marchés financiers (comme elle le prétend) ni ne stabilise (comme elle le prétend également) les Etats et les banques surendettés, car on ne peut pas noyer ces dettes dans «toujours plus d’argent» mais seulement les amortir par une augmentation des prestations réelles. Cependant cette volonté d’augmenter les prestations est tuée par l’inflation persistante de l’euro. Aucune monnaie ne gagne de la valeur quand on l’instrumentalise à des fins étatiques. Or c’est exactement ce qui se passe maintenant avec l’euro et cela va durer.

Aucun Etat ne peut se permettre de remplacer sa monnaie nationale par une monnaie étrangère

La deuxième vérité est qu’aucun Etat ne peut se permettre de remplacer sa monnaie nationale par une monnaie étrangère. Imaginez que les Etats-Unis adoptent le rouble ou la Russie le dollar. C’est précisément ce qu’ont fait les Etats de la zone euro à partir de 1999 en remplaçant leur monnaie nationale par l’euro. Maintenant ils subissent les conséquences de cette expérience monétaire irréfléchie: Les mauvais taux d’intérêts réels de la zone euro (ils sont encore trop faibles pour certains pays et trop élevés pour d’autres) et les taux de change réels, mauvais parce que fixes (un euro grec = un euro allemand), ont apporté aux uns l’inflation et le surendettement (du secteur privé comme du secteur public) et forcé les autres à accepter et à financer dans les pays du sud de la zone euro un processus de surconsommation inconsidérée, notamment de produits de luxe, sans possibilité de correction et d’opposition. Peut-on imaginer pire manquement à la logique et aux lois de la raison économique? Longtemps avant que le «Pacte budgétaire» et que l’union de transferts qui lui est liée ne soient mis en place, cette union de transferts «commerciale» des banques ainsi que des marchés monétaires et des capitaux fonctionnait déjà et causait les dégâts que les contribuables des quelques Etats de la zone euro qui ne sont pas encore en faillite (telle l’Allemagne) doivent réparer. Le «Pacte budgétaire» effectue l’«européanisation» de ces dégâts, mot qui ne fait qu’actualiser le terme de «mutualisation».
La troisième vérité, dérivée des précédentes, est la suivante:

Pas de substitution de la monnaie protégée par l’Etat et au volume contrôlé

La monnaie nationale, protégée par le législateur et contrôlée, ne saurait être remplacée. La longue histoire des changes ne connaît pas de «concubinat» monétaire à la façon euro – où 17 Etats se partagent une monnaie – mais seulement des «unions de change». Tous les accords de change historiques et à succès passager étaient fondés sur ces bases, tels les accords de changes universels de Bretton Woods (jusqu’en 1973), le régime de l’étalon-or du XIXe et du début du XXe siècle (jusqu’en 1931), l’Union monétaire scandinave (jusqu’en 1933), ainsi que l’Union monétaire latine, menée par la France jusqu’en 1926. Et même les prédécesseurs du système de l’euro, à savoir l’Accord monétaire européen (AME) de 1958 et le Système monétaire européen (SME) de 1979, qui l’a remplacé, comprenaient des conventions fixant les rapports de change, mais n’impliquaient jamais de renonciation à la monnaie du pays en tant que «moyen de paiement légal» au sein de l’Etat, de l’économie et de la société. Le retour à ce niveau serait loin d’être une catastrophe comme le chante à plein gosier et de concert le cœur des politiciens européens, mais marquerait le rétablissement de rapports normaux et pacifiques aussi bien dans les Etats de l’UE qu’entre ceux-ci (absence totale de démonstrations contre une Allemagne tendant à établir son hégémonie).

L’interruption de l’union monétaire constitue non une catastrophe, mais une libération

Cette constatation réfute, quatrièmement, une des contrevérités entendues le plus fréquemment et selon lesquelles une interruption de l’union monétaire serait non seulement inimaginable, mais aussi d’un prix exorbitant. Une telle interruption occasionnerait des coûts (chez qui?) insupportables: faillites de l’Etat, assainissements bancaires, crise profonde et durable de l’économie réelle comme il y a 80 ans lorsque, après le vendredi noir d’octobre 1929 et l’effondrement mondial du système de l’étalon-or, – après la dévaluation de la livre en septembre 1931 – l’économie occidentale s’est écroulée. Il a fallu attendre une bonne dizaine d’années pour revoir un essor, «grâce à l’armement et à la conjoncture de guerre.»
Toutefois, un voyage à la périphérie septentrionale de l’Europe, dans l’île islandaise de Thule, nous montrerait combien peu le présent se compare au passé. Ce petit pays, qui ne fait pas partie de la zone euro, a perdu tout son système bancaire lorsque la crise financière mondiale a éclaté, dans les années 2008/2009. Point intéressant, on a renoncé alors à un assainissement aux frais de l’Etat ou du contribuable, mais laissé les banques en difficultés faire faillite. Les épargnants islandais ont été dédommagés aux frais de l’Etat. Les actionnaires, les investisseurs étrangers (prétendus «spéculateurs») ainsi que les gestionnaires responsables sont restés les mains vides. (Certains des investisseurs étrangers ont intenté une action, mais ont été déboutés par référendum, alors que les gestionnaires devaient répondre en Cour de leurs actes.) Ainsi, le pays était débarrassé de dettes bancaires considérables, qui ne menacent plus ni l’Etat ni l’Economie. L’Etat ne doit ni les reprendre ni les refinancer. Tout d’abord, la monnaie a été largement dévaluée. Par la suite, elle a été légèrement réévaluée. (Actuellement, son cours est de 50% du cours avant la crise.) En 2012, l’Islande enregistrera une croissance entre 2 et 3%, soit la plus élevée de tous les Etats de l’euro. De nouveau traités en Bourse, les taux des emprunts de l’Etat islandais sont munis d’une notation de BBB+ et coûtent au fisc quelque 5% par année, soit beaucoup moins que ce que doivent payer les Etats en difficultés de la zone euro.
La légende islandaise moderne permet de tirer trois leçons. Le pays qui dispose de sa propre monnaie se tire toujours d’affaire. Il ne dépend pas d’un soutien étranger ni n’a à craindre de perdre son statut d’Etat ou de devoir solliciter de protectorat financier, qu’il s’agisse de l’UE ou du FMI. Le pays disposant de sa propre monnaie peut toujours éviter la banqueroute et la remplacer par une dévaluation (externe), ce qui n’est pas possible dans la zone euro. Cette opération rétablit la capacité concurrentielle de l’économie et la capacité de l’Etat de recueillir des fonds. Ainsi, le pays demeure le partenaire indépendant et disposant de droits égaux dans la famille économique mondiale. Il récupère sa notation sur la scène financière mondiale. Depuis l’époque des Phéniciens, cette évolution a eu lieu après chaque dévaluation.
Finalement, il faut se demander pourquoi l’UE et la politique européenne ne suivent pas cette voie historique et, en fin de compte, toujours couronnée de succès, pour résoudre la crise des changes européenne? Pourquoi abuse-t-on de la crise de l’euro pour élargir les compétences de l’UE et de ses organes et pour limiter, voire abolir, l’Etat de droit et la démocratie dans les pays d’Europe (encore) souverains? Qui profite du sauvetage de l’euro, qui y gagne et combien? Dans quelle mesure les arguments d’un George Soros sont-ils honnêtes, qui accusent les Allemands de ne pas œuvrer assez pour l’Europe et de ne pas avoir brûlé assez d’argent sur l’autel du vieux continent? Ce maître spéculateur se réfère-t-il aux pays d’Europe en crise ou à ses propres comptes? Les cinq auteurs qui ont rédigé le présent livre répondent à toutes ces questions. Chaque auteur apporte sa contribution et s’exprime dans un sens qui a largement fait défaut dans le débat sur l’euro, à savoir sur la base des connaissances acquises et de la probité intellectuelle. L’objet du débat n’est pas l’euro et son sauvetage «à tout prix» (Barroso, président de la Commission de l’UE), mais les intérêts du citoyen. Répétons nos propos initiaux: l’euro doit servir le citoyen, et non le contraire.    •

Le texte est le chapitre d’introduction du livre de Bruno Bandulet, Wilhelm Hankel, Bernd-Thomas Ramb, Karl-Albrecht Schachtschneider, Udo Ulfkotte: «Gebt uns unsere D-Mark zurück. Fünf Experten beantworten die wichtigsten Fragen zum Staatsbankrott», 2012, ISBN 978-3-86445-035-8
Impression aimablement autorisée par les auteurs et l’éditeur.
(Traduction Horizons et débats)