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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°8, 28 février 2011  >  «A l’attitude intérieure du musicien s’ajoute la force et l’équilibre» [Imprimer]

«A l’attitude intérieure du musicien s’ajoute la force et l’équilibre»

Une visite dans l’atelier d’un constructeur de cors des Alpes

Un entretien avec Josef Stocker, Kriens

tsh. Tous ceux qui aiment les randonnées en montagne connaissent les sons prolongés du cor des Alpes. Ses sons qui nous arrivent de loin, depuis les montagnes, nous les portons dans l’âme. L’écho de ces sons, reflété par les parois des rochers, nous fait rassembler nos forces mêmes en situations difficiles.
Depuis la nuit des temps, les instruments à vent ont émis leurs sons dans les régions alpines et sur tous les continents. Le cor des Alpes passe pour l’instrument national suisse par excellence, bien qu’il n’ait pas été inventé en Suisse. Les témoignages les plus anciens sur le jeu du cor des Alpes en Suisse datent du XVIe siècle. A l’origine le cor des Alpes était l’instrument des bergers. Comme ses sons sont audibles à des kilomètres, ils l’utilisaient le soir pour attirer le bétail dans les vastes pâturages des alpages. Les sons du cor des Alpes servaient également à calmer les vaches pendant la traite. Il en était de même pour le jodel et pour la joutze. Pour cette raison le jodel et la mu­sique du cor des Alpes sont proches et se sont influencés mutuellement. Les sons du cor des Alpes expriment des émotions comme la tristesse, la joie, le calme et la paix ou aussi le tempérament. Ainsi le cor des Alpes pouvait transmettre certains signaux, par exemple un message pour la bien-aimée dans la vallée qui répondait également avec une mélodie ou bien le message sur une bête perdue ou la mise en garde d’un danger. Le cor des Alpes se prête à être joué en pleine nature où les sons peuvent se déployer librement. Seul le cor des Alpes émet des sons assez puissants pour remplir toute une vallée alpine.
L’article d’Alfred de Zayas (cf. p. 8) m’a rappelé les sons du cor des Alpes entendus dans ma jeunesse et a réveillé en moi la curiosité de savoir comment on construit un cor des Alpes actuellement et s’il faut pour cela – comme jadis – un arbre tordu.
J’ai visité Josef Stocker à Kriens qui, depuis plus de 30 ans a étudié et développé la construction des cors des Alpes en entier dans sa menuiserie. Depuis sa retraite, il construit des cors des Alpes dans de petits ateliers près de sa maison. Il m’a consacré beaucoup de temps et il m’a fait part de son savoir énorme, de son expérience de longue date et de sa fascination pour la construction de cet instrument.

Horizons et débats: Vous êtes menuisier de profession, Monsieur Stocker, et comment êtes-vous arrivé à construire des cors des Alpes? Il faut certainement une formation spéciale.

Josef Stocker: En vérité, il n’existe pas de formation spéciale, il faut l’apprendre par soi-même. J’ai commencé comme menuisier, j’avais ma propre entreprise dans le village spécialisé dans la construction de meubles et l’aménagement intérieur. J’ai eu des employés et nous avons beaucoup travaillé, comme c’est la coutume pour les menuisiers.
En 1973, un employé du kiosque du chemin de fer à crémaillère du Pilate a passé chez moi et m’a montré un cor des Alpes de 20 cm en carton qu’ils y vendaient comme souvenir. Les touristes auraient demandé des instruments plus longs et en bois, et là il cherchait un menuisier capable de percer des tuyaux en bois de forme conique. Cela m’a intéressé, j’ai fait un modèle et je lui ai livré ces tuyaux. Dans sa cave, il a alors terminé ces petits cors des Alpes, ça l’a tellement inspiré qu’il a fait des instruments de plus en plus grands, de 50 cm, puis d’un mètre, jusqu’à ce que son atelier devienne trop petit. Je l’ai alors invité chez nous à la menuiserie où il pouvait travailler avec nous; mais lui, il n’était pas menuisier, c’était un bricoleur et bientôt il nous a passé toute la production. Nous avons beaucoup appris de lui, c’était mon apprentissage.

Pouvait-on jouer avec des cors des Alpes d’un mètre?

Non, non, On pouvait peut-être en sortir péniblement un son, mais il faut une longueur de 2 mètres pour pouvoir en sortir 5 à 6 sons convenables. Puis nous nous sommes dit, puisque nous pouvons produire des petits cors des Alpes, nous devrions réussir à en construire de vrais. Du cor de souvenir nous nous sommes tournés vers le vrai cor des Alpes. Et alors nous avons bricolé, cherché jusqu’à ce que cela marche, nous nous sommes exercés, nous avons mesuré et regardé, et ainsi cela s’est développé.

J’ai lu quelque part que les cors des Alpes sont fait de bois d’arole ou d’épicéa.

Le bois d’arole est utilisé aux Grisons. Moi, je prends toujours du bois d’épicéa indigène d’un an, qui produit une bonne résonance. Le bois à fibres longues donne un corps sonore excellent qui vibre longtemps. Je prends des arbres en altitude, qui poussent plus lentement. Les bois avec des cercles annuels minces donnent des sons plus clairs.

Saviez-vous jouer le cor des Alpes? Je suppose que c’est une condition.

Non, pas encore. Un bon menuisier sait manier le bois, il peut tout faire avec le bois, aussi chaque forme. La bonne finition et la précision font 90 pour cent de la qualité du son d’un cor des Alpes. C’était bon, on pouvait souffler et se rendre compte si les sons sortaient presque tout seuls et justes. Alors c’est Martin Christen de Hergiswil qui est venu, lui il savait jouer du cor des Alpes, et il nous a soutenus.

Je me rappelle: Son père, Robert Christen était constructeur de cors des Alpes à Hergiswil; nous aimions l’écouter lorsqu’il accordait ses cors. Tous les samedis soirs le trio de cors des Alpes Christen jouait – grand-père, père et fils – pour annoncer le dimanche avec leurs sons. Est-ce que Martin Christen a aussi appris le métier?

Non, il était ramoneur, mais il jouait comme un champion. Il est souvent venu et il nous a beaucoup aidé pour le développement des sons.
Bientôt nous avons commencé à tout faire à la machine. Je n’ai jamais sculpté un cor comme c’était la coutume à l’époque. J’ai acheté une machine à sculpter d’un sculpteur sur bois d’Einsiedeln qui a arrêté son activité à cause de l’âge. Alors j’ai été at­taqué par la concurrence disant que nos cors des Alpes n’étaient pas fabriqués à la main et donc pas faits avec amour. Nous avons évidemment continué, par amour pour la profession de menuisier, et nous avons développé des machines et des outils spéciaux pour la construction d’un cor des Alpes. Nous étions alors les premiers, et aujourd’hui pratiquement tous les cors sont fabriqués de cette manière. Aujourd’hui pratiquement chaque menuisier possède une machine CNC avec laquelle on peut couper des arcs. Là vous pouvez entrer des travaux en 3D, explorer un modèle, le programmer ou bien développer un programme vous-même.

Travaillez-vous avec un tel programme?

Non, à l’époque j’ai commencé à construire des formes et j’ai fait couler les modèles en laiton ou même en bronze à Emmenbrücke; maintenant on n’a qu’à poser la forme et les morceaux de bois à côté et l’on peut copier et fraiser. C’est une grande machine transformée elle n’aurait pas de place dans mes petits ateliers. Lorsque j’ai arrêté la menuiserie à ma retraite j’ai transmis ma machine et tous les outils à un collègue à Kleinwangen, c’est lui qui fait la préfabrication pour moi.

Les formes des cors, il les fabrique aussi? J’aimerais bien savoir comment cela se passe.

Avec cette machine, des pièces brutes sont coupées dans des planches épaisses, collées et ensuite fraisées pour obtenir l’épaisseur voulue. Le bout de résonance à l’avant est fait de deux moitiés qui sont collées. Cela a pour avantage que je peux travailler dans la direction des fibres du bois. Ainsi le cor est plus résistant pour le travail à la machine. Après le ponçage et le laquage, on n’y voit plus rien. La forme doit être juste, ça doit être celle d’une trompette. Le cône là-dedans n’est pas exactement un cône, c’est un cône qui va en s’évasant, il a toujours un multiplicateur à la place d’une addition. Il ne s’élargit pas d’un facteur 1 mais de 1,046. C’est calculé avec exactitude et alors les cors sont accordés exactement.
Sur Internet, vous pouvez bien regarder les phases de fabrication dans une émission télévisée pour l’école qui a été enregistrée chez nous en 1994: www.videoportal.sf.tv sous le titre «Kulturelle Eigenheiten: Warum ist das Alphorn so lang?» (particularités culturelles, pourquoi le cor des Alpes est-il si long?).

L’anneau brun sur le bout de résonance, est-ce une décoration ou est-ce qu’il influence le son?

Il est fait de bois de poirier et il sert à l’amplification; il est travaillé au tour et ensuite zingué avec le bout. Ça aussi c’est spécial: Les charpentiers l’ont développé pour lier les bois massifs pour la construction de ponts, pour tout ce qui est statique.

Le rotin est-il enroulé autour du tuyau comme décoration?

Cela aussi, mais pas seulement. Enrouler le tuyau de rotin divisé sert la stabilité et assure la tension nécessaire dans le cor. Pensez à un vieux manche de balai qu’on enveloppe de fil de fer pour le faire tenir plus longtemps.
Un autre problème sont les transitions: Pour pouvoir mieux transporter le cor des Alpes. il est fabriqué en trois parties, qui peuvent être mises ensemble avec des joints en métal. Ceux-ci doivent être finement poncés pour qu’à l’intérieur le bois se joigne exactement et le son ne soit pas interrompu. Je me suis beaucoup occupé de travaux mécaniques et j’ai pu trouver moi-même une solution sans joints supplémentaires.

Le cor des Alpes est un instrument aux sons naturels. Pouvez-vous expliquer cela?

Nous connaissons deux systèmes de sons: La gamme tempérée et la gamme naturelle. La gamme tempérée avec 12 intervalles réguliers par octave est utilisée depuis Jean Sébastien Bach dans la musique classique et la mu­sique légère. Le cor des Alpes est un instrument sans pistons, pour cette raison on peut y jouer les sons de la gamme naturelle. Les inter­valles de la gamme naturelle sont physiquement constants, et deviennent plus étroits vers le haut. Ainsi l’intervalle des deux sons les plus bas est d’une octave, ensuite un intervalle d’une quinte, d’une quarte etc. Les sons qui s’écartent le plus de nos habitudes d’écoute tempérées sont les sons naturels caractéris­tiques: «fa», «la» et le «si bémol». Pour cette raison on ne peut pas jouer la gamme naturelle par exemple sur un piano. Le cor des Alpes joue presque toujours en solo, en duo ou en trio.

Pourquoi vos cors des Alpes ont-ils tous la même longueur?

C’est important, ils sont accordés de façon uniforme, la forme et la grandeur sont identiques et par conséquent nous avons les sons justes. Si quelqu’un a acheté un cor chez moi il y a dix ans, il peut tout de suite jouer avec un groupe de cors nouveaux.
La longueur du tuyau dans lequel se forme la colonne d’air définit la tonalité dans laquelle le cor est accordé. Ceux-ci sont des cors en fa dièse, leur longueur est de 3,40 mètres et un joueur expérimenté peut y jouer 16 sons naturels. Lorsqu’on joue à plusieurs voix, ce sont seulement les cors de même tonalité qui peuvent jouer ensemble. Vous ne trouverez pas dans la littérature spécialisée quelle longueur un cor doit avoir pour en sortir le son souhaité. Mais je peux le calculer physiquement et mesurer: 340 mètres de propagation du son par seconde divisé par la longueur du cor des Alpes, 3,40 mètres, cela donne un son de base de 100 Hertz. Avec l’expérience que j’ai, je sais vérifier si c’est juste. J’ai aussi mesuré les sons avec un appareil de fréquence qui permet de comparer les sons exactement. Le bricolage m’a toujours fasciné: J’ai aussi confectionné des cors plus longs, d’abord de 14 mètres et ensuite de 47 mètres avec un diamètre du bout de résonance de 82 cm. Avec cela j’ai eu le record mondial.

Vraiment? Et comment sonne-t-il, ce cor?

De manière inquiétante, très basse. Il a besoin de beaucoup plus d’air. Le cor normal a 16 sons, si je double la longueur du cor, j’arrive à 32 sons. Avec un cor de 14 mètres, j’ai 64 sons et avec le cor de 47 mètres à peu près 171 sons. Cela veut dire qu’entre les sons il y a toujours un son de plus. Cela le rend encore plus difficile à jouer.

Aujourd’hui, vous jouez vous-même du cor des Alpes?

Oui, je suis bien obligé. J’essaie les cors, déjà à cause de la couleur du son. Regardez, si vous en avez un comme celui-ci avec une forte structure, avec une forte veinure du bois alors il est un peu récalcitrant, il a un autre son.

A quoi un amateur fait-il attention lors de l’achat d’un cor des Alpes?

Il en joue lui-même ou bien je lui demande quel instrument il a joué jusqu’à présent. S’il dit qu’il a joué du trombone, alors il lui faut ce bois fortement structuré: La basse sonne vigoureusement et il peut y mettre de la force. Mais s’il a joué du cor chromatique, alors je lui cherche un cor finement structuré. Il peut en jouer très finement.

Comment le son est-il produit dans le cor des Alpes?

L’instrument permet une longue et vibrante colonne d’air qui sert d’amplificateur acoustique. L’homme génère le son avec ses lèvres vibrantes et son appareil respiratoire. Les lèvres sont comme les cordes d’une guitare ou d’un violon; la longueur des cordes correspond à une tension des lèvres et avec la pression du diaphragme on fait passer l’air respiratoire. Les lèvres vibrant de façon différenciée, la colonne d’air dans le tuyau est amenée à vibrer: Plus la tension des lèvres est forte, plus les vibrations vont vite et le son est haut, avec une tension faible des lèvres, le son est plus bas. L’art de jouer du cor des Alpes consiste à mettre de la tension dans les lèvres. Et la technique respiratoire est importante: Il faut générer une tension régulière pour pouvoir expirer l’air très lentement. Ce n’est que là qu’on a un son régulier.
Et s’y ajoute l’attitude intérieure du joueur, la force et l’équilibre pour former les sons qui portent si typiquement. Il cherche l’harmonie avec la nature sur une montagne ou à l’orée d’une forêt.
Et maintenant, j’assemble un cor et je vous joue un solo en plein air au jardin.

Avec plaisir, je vous remercie de cet entretien.    •

 

par Alfred de Zayas

Le cor des Alpes est un instrument de mu­sique en bois traditionnel très populaire chez les habitants des régions de montagne en Suisse et aussi ailleurs dans les Alpes. C’est un cor en bois naturel, fabriqué en bois massif tendre, en gé­néral d’épicéa (sapin rouge) et pourvu d’un bec amovible en forme de calice, le plus souvent en bois dur, plus précieux. Son histoire n’est pas tout à fait claire, certains experts pensent qu’il est issu du cor lituus romain-étrusque.
Il semble que le cor des Alpes ait servi depuis le Moyen-Age dans les communes villageoises comme instrument d’alarme, surtout dans des régions de montagne vallonnées ce qui a permis d’envoyer des messages acoustiques soit vers le bas, en direction de la vallée, soit vers le haut, en direction de la montagne voisine, par exemple des signalements de feux ou bien l’annonce de certains événements, remplaçant parfois les cloches d’église. A la différence des cuivres, qui ont tendance à produire des sons aigus, les instruments en bois produisent des sons plus doux, inadaptés aux buts guerriers. Contrairement à la trompette, aux trombones et au tambour, on peut désigner le cor des Alpes comme instrument de paix.
Une mélodie traditionnelle suisse, le Ranz des Vaches, l’appel pour faire rentrer le bétail, est souvent jouée au cor des Alpes et Gioacchino Rossini utilise ce thème dans l’ouverture de son opéra Guillaume Tell, le héros suisse légendaire. Johannes Brahms s’est laissé inspirer par un air de cor des Alpes entendu lors de son séjour sur le Rigi («la reine des montagnes») avec la vue sur le Pilate, pour le thème du cor dans l’introduction au quatrième mouvement adagio de sa première symphonie.

Source: Société des Ecrivains des Nations Unies à Genève. United Nations So­ciety of Writers, Geneva. Sociedad de Escritores de las Naciones Unidas, Ginebra. Ex Tempore. Revue littéraire internationale. An International Literary Journal. Revista literaria internacional. Volume XXI – décembre 2010. p. 34.