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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°6, 11 fevrier 2008  >  Des troupes étrangères accusées de massacres [Imprimer]

Des troupes étrangères accusées de massacres

par Matiullah Minapal et Aziz Ahmad Tassal, Lashkar Gah, Afghanistan*

«Ils ont tué des civils – des gens comme moi, aux mains rugueuses de paysan. Si vous ne me croyez pas, accompagnez-moi à leurs tombes. Je vais déterrer leurs corps pour vous les montrer.»
Les habitants d’un village situé au sud du pays témoignent des violences perpétrées par des troupes afghanes et étrangères pendant une nuit récente.

Un jeune homme est couché sur un lit de l’hôpital d’urgence de Lashkar Gah. Son cou est recouvert d’un bandage, il a beaucoup de peine à parler. Pendant qu’il pose sa main sur sa blessure, souffrant visiblement de douleurs, il parle de son calvaire, en chuchOTANt et en interrompant à maintes reprises son récit par les mots: «Ah, mes deux frères! Ah, mes deux frères!»
Cet homme s’appelle Abdul Manaan, mais les villageois l’appellent «Naanwaï», le «boulanger», parce qu’il possède une boulangerie à Lakari, située à environ deux kilomètres du village Toubé dans le district de Garmseer, au sud de la province du Helmand.
Abdul Manaan souffre de coups de couteaux dans la nuque, qu’on lui a infligés lors d’une attaque nocturne. Au dire des villageois, cette attaque a été exécutée par des unités mixtes qui se composaient de troupes étrangères et afghanes, transportées par des hélicoptères à Toubé le 18 novembre 2007. Plusieurs témoins oculaires confirment que, lors de cette attaque, les soldats ont tué ­18 civils, attaque qui a été qualifiée, même dans les conditions afghanes, de ­particulièrement brutale.
Bien que cette attaque ait eu lieu trois semaines auparavant, il n’y avait, jusqu’alors, pas eu de réactions ou de commentaires en dehors de Helmand.
«C’était vers deux heures du matin quand le bruit des appareils m’a réveillé», raconte Abdul Manaan. «J‘ai regardé par la fenêtre mais je n’ai rien vu. Mes deux frères cadets, qui dormaient dans une chambre voisine, sont venus vers moi pour me demander ce qui se passait, mais je leur ai répondu: ‹Rien, allez tranquillement vous recoucher!› ils sont retournés au lit et moi aussi.»
«Puis j’ai entendu des bruits provenant du toit. J’ai regardé dehors et j’ai vu des hommes armés. Ils sont descendus en grimpant et ont pénétré dans la chambre de mes deux frères. Ils leur ont demandé s’ils étaient des Talibans. Un de mes frères leur a répondu: ‹Non, nous sommes de simples commerçants, venez, fouillez notre maison. Nous n’avons rien, pas d’armes, rien de pareil.› Les soldats l’ont aussitôt tué. Puis ils ont amené mon deuxième frère vers moi, lui ont lié les mains et lui ont coupé la gorge. Je l’entendait encore râler quand ils sont venus vers moi.»
«Un des soldats parlait un peu le Pachtoune– il m’a demandé si nous étions des Talibans. Je lui ai répondu que non, que nous tenions une boutique. Ils m’ont ordonné de me mettre contre le mur et ils m’ont lié les mains. Ensuite, ils m’ont posé un couteau dans la nuque et ils ont frappé trois fois. Puis, ils m’ont recouvert d’une vieille bâche et sont sortis. Mais je n’étais pas mort.»
Pendant que Manaan était couché sous la bâche, couvrant des deux mains ses blessures à la nuque, il entendit les soldats tourner autour de la maison et des cris d’enfants.
«Quand, après environ une demi-heure, les soldats sont repartis, je me suis levé et je suis allé auprès de mon frère. Il était froid.»
Il a retrouvé les femmes et les enfants vivants dans une autre chambre, ensemble avec d’autres personnes qui y sont venus d’autres maisons. «Tous criaient et pleuraient», dit-il.
Le matin, on a transporté Manaan à l’hôpital de Lashkar Gah.
«J’ai survécu, mais mes deux frères sont morts, que vais-je faire maintenant?», dit-il.
Les habitants de la province Helmand ont dû, ces derniers mois, s’habituer de plus en plus aux attaques aériennes. Comme les Talibans et les troupes étrangères se disputent le contrôle de la province, les populations civiles se trouvent souvent en plein champ de bataille.
Les troupes internationales reprochent aux Talibans d’utiliser les femmes et les enfants pour former des «boucliers vivants» tandis que les rebelles et de plus en plus souvent aussi le Gouvernement afghan accusent les troupes étrangères de mépriser brutalement et de manière générale la vie humaine.
Mais ce que les témoins racontent de cet événement de Toubé dépasse de loin les bombardements isolés, aussi horribles soient-ils, qui anéantissent des maisons et des familles.
Les récits d’Abdoul Manaan sont confirmés par des douzaines d’habitants de Toubé qui ont tous été interviewés par des membres de l’Institut de reportages sur la Guerre et la Paix (IWPR) lorsqu’ils se sont fait traiter à Lashkar Gah ou y ont accompagné des parents blessés.
Tous ont témoigné de façon concordante que les soldats ont forcé les portes des maisons, tué des enfants, et coupé les gorges d’habitants. Et ils ont confirmé unanimement que l’assaut a commencé à deux heures du matin avec le bruit d’hélicoptères qui ont déchargé des douzaines d’hommes armés, des Afghans aussi bien que des étrangers.
Un homme qui s’appelle Nabi Yan a déclaré à l’IWPR: «Dans la nuit de dimanche, à deux heures du matin, des troupes étrangères ont assailli ma maison et ont fusillé mes enfants dans leurs berceaux. J’ai ramassé leurs cerveaux écrasés de mes propres mains et je les ai placés sur les corps.»
«Cette nuit-là, ils ont tué 18 hommes. Je jure que parmi eux, il n’y avait aucun combattant taliban», dit-il, et la rancune le fait continuer d’une voix plus forte. «Ils ont tué des civils – des gens comme moi, aux mains rugueuses de paysan. Si vous ne me croyez pas, accompagnez-moi à leurs tombes. Je vais déterrer leurs corps pour vous les montrer.»
Selon le témoignage de Nabi Yan, les ­soldats sont partis vers cinq heures du matin, quand il faisait encore nuit. Lui-même et ceux de sa famille qui avaient survécu sont donc restés dehors, dans le froid hivernal, blottis près du fleuve, n’osant plus aller retrouver leur maison.
Borjan, un voisin, attendant devant l’hôpital d’urgence, confirme ces événements. «Je suis témoin», dit-il. «Les soldats sont entrés dans nos maisons. Ils ont tués tous ceux qu’ils ont trouvés, même ceux qui dormaient encore dans leurs lits. Dans une maison, ils ont tiré sur des bébés qui dormaient dans leurs berceaux. Ils ont coupé la gorge à trois hommes; pourtant un y a survécu et il se trouve là, dans cet hôpital.»
Selon Borjan le nombre de victimes est de 17.
«Au cours de cet assaut, deux de mes cousins ont été tués», raconte Noor Mohammad, un autre homme qui attend devant l’hôpital.
«La nuit, tout à coup on a entendu des hélicoptères. Des soldats sont venus vers notre maison. Nous nous sommes cachés, sans ouvrir. Ils ont forcé la porte. Quand ils sont entrés, ils ont aussitôt commencé à tirer et ont tué quatre personnes. C’étaient des soldats étrangers en compagnie de soldats de l’armée afghane. En repartant, ils ont encore tué tous ceux qu’ils ont repérés.»
Garmseer est situé à environ 70 kilomètres au sud de Lashkar Gah, à la frontière du Pakistan. L’isolement de ce lieu ainsi que la perméabilité de la frontière en font une des régions les plus instables dans une province extrêmement agitée.
Les Talibans contrôlent la plupart des districts, à l’exception de quelques centres administratifs du gouvernement, et les conflits entre les insurgés et l’armée sont fréquents.
En dépit de cela, les rapports sur ce qui s’est passé à Toubé sont hors du commun et ils se sont vite répandus, par voie orale, dans la totalité de Helmand, détériorant encore le moral déjà très mauvais qui règne parmi la population. Le 20 novembre, une délégation d’une centaine de chefs de tribus du district s’est rendue à Lashkar Gah pour avoir des entretiens avec des représentants du gouvernement dans les bureaux du Afghan National Security Directorate.
A cette rencontre, qui s’est déroulée avec beaucoup d’émotion, ont également participé des représentants du PRT (Provincial Reconstruction Team), une unité composée de forces militaires et civiles se trouvant sous le mandat de la FIAS (Force internationale d’assistance à la sécurité) et sous le commandement de l’OTAN. Le PRT a pour tâche de veiller à la sécurité et à la reconstruction dans la région de Helmand.
Les chefs de tribus ont exigé que les troupes étrangères se retirent de Garmseer et que les opérations armées prennent fin.
«Nous haïssons le gouvernement et l’OTAN parce qu’ils tuent nos femmes et nos pères», a déclaré Khan Agha, un membre de la délégation. «Ils ne nous laissent pas vivre notre vie, ils nous massacrent.»
Khan Agha a déclaré qu’il se dresse aussi contre l’armée afghane. «Il est déjà suffisamment grave que des étrangers commettent de tels actes, mais maintenant l’armée afghane les soutient. Nous sommes furieux que même des Afghans n’aient pas pitié de nous. Jusqu’à présent, j’ai collaboré avec l’armée afghane, mais dorénavant, si j’en ait ­l’occasion, je ferai tout pour leur nuire».
Et les doyens ont relaté ce qu’ils avaient vécu, l’un après l’autre, de façon remarquablement concordante.
«Mon nom est Hajji Ali Mohammad», dit un vieux, courbé au point de ne presque plus être capable de marcher. Pendant qu’il parlait, les larmes coulaient sur son visage. «C’était pendant la nuit. Des hommes armés ont pénétré dans ma maison et ont tué deux de mes fils. L’un d’eux s’était marié un mois plus tôt. Mes fils n’étaient pas membres des Talibans, ils étaient paysans. Nous sommes de pauvres paysans.»
Mohammad Hussain Andiwal, le chef de police de la province de Helmand, a tenu un long discours. Il a déclaré qu’il allait soulever le sujet de la violence à Toubé auprès des forces armées internationales. «Je ressens votre douleur», dit-il aux doyens. «Même un cœur de pierre fondrait face à votre chagrin. J’en parlerai aux étrangers, je leur demanderai de me promettre de ne plus jamais commettre de telles tueries au sein de la population civile.»    •

Sources: IWPR du 11/12/07 (Foreign Troops Accused in Helmand Raid Massacre), www.rawa.org/temp/runews/2007/12/11/foreign-troops-accused-in-helmand-raid-massacre.html?cutepath=http:/www.mcm-creations.com/id.txt? 
(Traduction Horizons et débats)

*    Matiullah Minapal et Aziz Ahmad Tassal sont des journalistes auprès du IWPR (Institut for War and Peace Reporting) de Lashkar Gah en Afghanistan.

«Les soldats sont entrés dans nos maisons. Ils ont tués tous ceux qu’ils ont trouvé, même ceux qui dormaient encore dans leurs lits. Dans une maison, ils ont tirés sur des bébés qui dormaient dans leurs berceaux. Ils ont coupé la gorge à trois hommes; pourtant un y a survécu et il se trouve là, dans cet hôpital.»

Source IWPR du 11/12/07

«Mon nom est Hajji Ali Mohammad», dit un vieux, courbé au point de ne presque plus être capable de marcher. Pendant qu’il parlait, les larmes coulaient sur son visage. «C’était pendant la nuit. Des hommes armés ont pénétré dans ma maison et ont tué deux de mes fils. L’un d’eux s’était marier un mois plus tôt. Mes fils n’étaient pas membres des Talibans, ils étaient paysans. Nous sommes de pauvres paysans.»

Source IWPR du 11/12/07