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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°28, 19 juillet 2010  >  Accord de libre-échange agricole avec l’Union européenne: un NON de raison [Imprimer]

Accord de libre-échange agricole avec l’Union européenne: un NON de raison

hd. L’Association suisse pour un secteur agroalimentaire fort (ASSAF-Suisse) fut fondée il y a environ un an. Il s’agit d’une association d’organisations agricoles, d’entre­prises de transformation de produits agricoles et de producteurs de machines. Le but principal de cette organisation est d’empêcher le libre-échange dans le secteur agricole, ainsi que défendre et préserver la sécurité et la souveraineté alimentaires. Sur le site internet: www.assaf-suisse.ch, on trouve diffé­rentes informations quant à ses activités ainsi que l’argumentaire dans son intégralité (publié en novembre 2009), dont Horizons et débats reproduit ci-dessous des extraits.

Le Conseil fédéral a ouvert en novembre 2008 des négociations avec l’UE en vue de la libéralisation totale des échanges agricoles entre la Suisse et l’Europe (ALEA). Un tel objectif est inacceptable, car:
L’«îlot de cherté helvétique» contre lequel prétend lutter le projet d’ALEA est un leurre. Si l’on considère le pouvoir d’achat des Suisses, parmi les meilleurs au niveau international, notre pays représente au contraire un «îlot de prospérité». Nous connaissons la part moyenne de dépenses des ménages consacrées à l’alimentation la plus faible d’Europe. Par ailleurs, les consommateurs actuels ne recherchent pas uniquement les prix les plus bas lors du choix de leur alimentation. Ces attributs supplémentaires (qualité, proximité, etc.) seraient fortement en danger en cas d’ALEA.
Les conséquences d’un ALEA seraient difficilement supportables pour une grande partie du secteur agroalimentaire suisse. En effet, les différentes projections font ressortir une diminution comprise entre un tiers et 50% du revenu de l’agriculture suisse. Par ricochet, l’existence de nombreuses PME situées en amont et en aval serait remise en question. Les différentes prestations auxquelles le peuple a, à de nombreuses re­prises, montré son attachement (prestations écologiques, entretien du paysage, production de qualité, sécurité de l’approvisionnement) seraient en péril.
La Suisse doit rester un pays producteur de matières premières agricoles et de produits transformés et non uniquement de prestations écologiques et de produits hauts-de-gamme. Le mandat constitutionnel confié à l’agriculture est clair sur ce point-là.
Un tel accord doit donc être rejeté et ceci pour de nombreuses autres raisons développées ci-après.

«Ilot de cherté helvétique»

Un mythe à oublier

La lutte contre le prétendu «îlot de cherté helvétique» est devenu ces dernières années le grand leitmotiv du Département fédéral de l’économie. L’existence même d’une Suisse trop chère est cependant à relativiser. En effet, l’important n’est pas tant le niveau des prix à la consommation que le pouvoir d’achat des consommateurs. Hors, celui-ci est plus élevé en Suisse que chez nos voisins. Par ailleurs, il est important de rappeler que le Danemark, pourtant membre de l’UE depuis de nombreuses années, pos­sède un niveau des prix comparable voire supérieur à celui de la Suisse (SECO, le 3 avril 2008). Enfin, une pression sur les prix signifie une pression sur les revenus des entreprises donc sur les salaires des employés. Un gain à court terme du pouvoir d’achat pourrait donc se transformer en diminution sur le long terme.

Rien à gagner pour les consommateurs

Les consommateurs ne bénéficient pas des efforts consentis ces dernières années par les producteurs agricoles. Ainsi, alors que les prix à la production ont baissé de 25% entre 1990 et 2006, les prix à la consommation des denrées alimentaires ont eux augmentés de 10%. Cette récupération de l’entier des marges par la grande distribution est due à la concentration extrême du secteur (duopole Migros-Coop). La promesse de baisse des prix à la consommation que font miroiter les partisans de l’ALEA risque donc fort bien de se transformer en miroir aux alouettes. Avant d’exiger une diminution drastique du revenu des agriculteurs, le DFE devrait en priorité s’assurer par l’intermédiaire de la Comco de l’existence d’une concurrence saine débarrassée des rapports de force actuels.
Dans son rapport de mars 2008 consacré aux résultats de l’exploration en vue d’un éventuel ALEA, le gouvernement reconnaît d’ailleurs que, même en cas d’ouverture des frontières, «les grands distributeurs suisses devraient continuer d’imposer aux consommateurs […] des prix nettement supérieurs à ceux des produits vendus par les concurrents étrangers». Un certain nombre de raisons à ceci sont données. Il s’agit entre autre de la densité des magasins, de la structure de la demande ainsi que d’un protectionnisme de fait, notamment dû à un certain nombre de normes légales. La grande distribution se voit donc dispensée des efforts de rationalisation exigés des agriculteurs et pourra au contraire en profiter pour augmenter ses marges.

Concurrence et croissance économique

Une économie déjà largement ouverte au commerce agricole mondiale

Selon les partisans de l’ALEA, le secteur agroalimentaire helvétique serait protégé de la concurrence et par conséquent insuffisamment productif. Cette vision ne correspond cependant pas à la réalité. La Suisse est extrêmement ouverte à l’extérieur en ce qui concerne la production agricole. Ainsi, en 2007, le total des importations agricoles a repré­senté 11,3 milliards de francs contre 6,5 milliards pour les exportations. Rapportées à la population, les importations représentent environ 1500 francs par habitant. Par comparaison, l’Union européenne importe pour 115 milliards de francs de produits agricoles, soit moins de 250 francs par habitant. La Suisse est donc loin d’être une forteresse impermé­able au commerce agricole mondial.

Perspectives de croissance aléatoires

L’augmentation du PIB qui nous est pro­mise n’est pas assurée. En effet, les différentes mesures prises ou en voie d’être adoptées par le DFE pour faire baisser les prix en Suisse pourraient également représenter un risque à long terme. Ainsi, le danger existe qu’une baisse des marges entraine une diminution des salaires. Le pas suivant serait alors l’entrée du pays en déflation avec toutes les conséquences néfastes que cela comporte (ralentissement de l’investissement, contraction de la consommation, baisse de la production, augmentation de la dette). Par ailleurs, il ne faut pas oublier que si l’argent potentiellement économisé par les consommateurs grâce à l’importation de produits étrangers bon marché est investi dans l’achat d’autres produits importés, le gain serait inexistant au niveau de la croissance de l’économie suisse.

Politique extérieure de la Confédération

Risques collatéraux importants

Certains accords de libre-échange signé par la Confédération par l’intermédiaire de l’AELE contiennent une clause spéciale prévoyant que les Etats de l’AELE accordent au pays signataire «un traitement non moins favorable que [celui] accordé à la Communauté européenne.» En clair, une libéralisation totale des échanges agricoles avec l’UE ouvrirait également les frontières vis-à-vis de ces pays-là et cette fois-ci sans l’ouverture réciproque en contrepartie. Une telle clause existe principalement avec les pays de la Méditerranée mais également vis-à-vis d’un gros producteur agricole comme le Canada. La chute éventuelle du prix à la production en dessous du niveau des prix européens n’est donc pas à exclure.
De leur côté, les règles de l’OMC prévoient le principe de non-discrimination des pays tiers. En accordant un accès illimité à son marché pour un partenaire particulier, la Confédération contreviendrait à cette obligation, notamment pour les produits où des pays tiers représentent une part importante des importations. Une étude de l’Institut d’économie rurale de l’EPFZ consacrée à la viande a montré que, si un ALEA était positif du point de vue des échanges lorsque le secteur est pris dans son ensemble, les productions bovines et ovines seraient plus problématiques. En effet, pour ces productions, l’augmentation des échanges internationaux consécutive à un ALEA serait plus faible que les effets de distorsion du commerce mondial engendrés par le droit préférentiel accordé à l’UE. Afin d’éviter de voir leurs exportations prétéritées, certains Etats tiers seraient alors en droit d’exiger des concessions, probablement une augmentation des contingents d’importation, et, sur ce point-là, la Suisse n’obtiendrait aucune contrepartie.

Politique agricole et stratégie alimentaire

Pas de baisse conséquente des coûts de production

Contrairement aux promesses de nombreux partisans, un ALEA ne ferait que peu baisser les coûts de production. Ainsi, l’Institut d’économie rurale de l’EPFZ prévoit au mieux une stabilisation des coûts en cas d’ALEA. Quant aux charges pouvant réellement baisser, les fourrages notamment, la diminution serait presque exclusivement portée par les producteurs eux-mêmes par l’intermédiaire d’une baisse du prix des céréales.

Pertes à l’interne non compensées par les exportations

Le Conseil fédéral prévoit de compenser la diminution des parts de marché à l’interne par l’exportation de produits à haute valeur ajoutée. Pourtant, le libre-accès au marché européen est loin de garantir un écoulement conséquent auprès des consommateurs européens. En effet, le contingent hors taxe de 2000 tonnes de viande dont la Suisse bénéficie déjà à l’heure actu­elle n’est que peu utilisé. L’exemple des fromages n’est pas à lui seul représentatif puisque ceux-ci connaissaient déjà d’une longue tradition exportatrice avant l’ouverture des fronti­ères. Par ailleurs, rappelons que le secteur des fromages bénéficie d’une prime lui permettant d’être compétitif à l’exportation. Il est donc illusoire de croire que nous allons inonder le marché européen avec nos spécialités.
De plus, il faut se souvenir que les produits de haute qualité représentent une production de niche. Ils ne pourront jamais être la solution pour l’ensemble des exploitations helvétiques. L’agriculture suisse n’a pas pour vocation de produire uniquement du haut de gamme, le mandat constitutionnel est très clair sur ce point-là. Par ailleurs, il faut cesser de croire que la Suisse est meilleure que les autres. L’UE produit également des produits de très bonne qualité et les consommateurs européens sont loin d’attendre impatiemment l’arrivée des produits suisses.

Chute de la production et du taux d’auto-approvisionnement

Une ouverture des frontières ferait diminuer la production indigène et ainsi chuter le taux d’auto-approvisionnement du pays alors que celui-ci est aujourd’hui déjà inférieur à 60%. Le mandat constitutionnel prévoyant que l’agriculture «contribue substantiellement à la sécurité de l’approvisionnement de la population» nécessiterait donc une forte hausse des paiements directs que la Confédération n’aura probablement ni les moyens ni la volonté de réaliser.

Concurrence à géométrie variable

L’application de la législation helvétique par la Commission de la concurrence est pour le moins problématique. En effet, d’un côté, elle interdit certains accords sur les prix internes à la branche, par exemple au niveau des interprofessions, mais de l’autre autorise une concentration toujours plus marquée du commerce de détail. Cette concentration renforce la position des grands distributeurs face aux agriculteurs. Du point de vue de la production, un ALEA ne résoudrait absolument pas ce problème. Il faut même plutôt craindre que les distributeurs profitent de l’ouverture des frontières pour s’approvisionner en masse à l’étranger et ainsi pouvoir augmenter la pression sur les producteurs suisse.

Régulation nécessaire du commerce alimentaire

Ces dernières années, les marchés des matières premières ont connu une très forte volatilité, volatilité amplifiée par l’entrée en jeu de spéculateurs dans ces marchés spécifiques. Ceci a notamment débouché sur les émeutes de la faim que nous avons connues en 2008. Même si la Suisse est restée en dehors de telles extrémités, notamment grâce à nos moyens financiers mais également à notre système de protection à la frontière, il faut veiller à maintenir un minimum de souveraineté alimentaire afin de pouvoir faire face aux différentes crises. Dans un pays connaissant à l’heure actuelle un taux d’auto-approvisionnement déjà inférieur à 60%, ces perturbations sur les marchés agricoles doivent faire réfléchir et montrer l’importance d’une certaine régulation. Alors que des pays tels que la Chine ou les monarchies du Golfe rachètent de plus en plus de terres agricoles dans les pays du Sud, phénomène dénoncé entre autre par Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, la Suisse ne peut pas se permettre de dépendre presqu’uniquement du commerce mondial pour assurer son approvisionnement.

Industrie agroalimentaire helvétique en danger

Une partie de l’industrie de transformation indigène n’est pas intéressée par la con­quête des marchés d’exportation mais a pour vocation de fournir le marché suisse en produits de qualité. Ces entreprises, qui seraient durement touchées par une ouverture des fronti­ères, représentent une part non négligeable du tissu industriel helvétique et ne peuvent donc pas être ignorées.
Par ailleurs, les entreprises de transformation ne pourront pas se battre d’égal à égal avec leurs concurrentes européennes. En effet, elles ne bénéficient pas des mêmes conditions cadre, notamment au niveau des coûts de main-d’œuvre. En plus, l’Union europé­enne offre des soutiens aux investissements nettement plus élevés que ce que peuvent espérer les entreprises helvétiques. Enfin, dans de nombreux secteurs, il sera tout simplement impossible de régater avec la concurrence étrangère pour des questions d’échelles. Par exemple, même s’il n’y avait qu’une seule sucrerie en Suisse, celle-ci serait bien plus petite que nombre d’établissements ailleurs en Europe.
Pour terminer, il faut rappeler que l’industrie de transformation profite également d’une structure de production fonctionnelle ainsi que de l’image porteuse de la Suisse (pay­sage préservé notamment). Ceci lui offre des arguments pour négocier avec les distributeurs à l’étranger.

Politique interne

Non-sens écologique

La Suisse tente depuis des années de se profiler en tant que pays où il fait bon vivre et particulièrement respectueux de l’environnement. La conclusion d’un ALEA représenterait un virage à 180 degrés par rapport à cette vision puisqu’une baisse des prix obligerait les agriculteurs à rationaliser la production. Ceci conduirait à l’agriculture concentrée et « industrielle » dont précisément la population ne veut pas. Par ailleurs, une augmentation des importations signifie également une augmentation du trafic des marchandises, des bouchons sur la route et des rejets de CO2. Alors que nous savons déjà que les objectifs de Kyoto seront difficiles à remplir, vaut-il la peine d’en rajouter?

Dangereuse perte de souveraineté

En concluant un ALEA, la Suisse perdrait une bonne partie de sa souveraineté au niveau de la politique agricole et des législations qui y sont liées. Ainsi, dans son communiqué de presse du 4 novembre 2008 concernant l’ouverture des négociations, la Commission europé­enne considère que «l’adoption de l’acquis devrait constituer un point essentiel de l’accord à venir». Même s’il ne s’agit évidemment pas d’une reprise de la politique agri­cole commune (PAC), de telles intentions donnent une idée de la marge de manœuvre réelle laissée à la Confédération. La mise en consultation déjà évoquée de la nouvelle loi sur les denrées alimentaire n’est d’ailleurs pas de nature à rassurer.

Source: www.assaf-suisse.ch