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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2016  >  No 8, 18 avril 2016  >  «Nous devrions avoir plus de confiance en nous» [Imprimer]

«Nous devrions avoir plus de confiance en nous»

Plaidoyer pour une politique industrielle originale qui ne lorgne pas vers l’étranger

Un entretien de Hanspeter Künzi, radio SRF, avec Nick Hayek, patron de Swatch

mw. Le monde entier connait son nom, mais c’est en Suisse qu’il a véritablement accompli quelque chose d’exceptionnel: l’entrepreneur Nicolas Hayek (1928–2010). Alors que l’un des piliers fondateurs de l’économie suisse, l’industrie horlogère, était au bord de l’abîme, il l’a relancée en entreprenant, avec le concours d’ingénieurs de l’EPFZ [Ecole polytechnique fédérale de Zurich] et le soutien des banques suisses, la mise en fabrication d’une montre bon marché en plastique, la «Swatch» (= Swiss Watch). Aujourd’hui, le groupe Swatch possède diverses marques de montres suisses traditionnelles, ainsi que de nombreux sites de production fabriquant les plus petites pièces détachées indispensables à l’industrie horlogère – et tout cela, intégralement en Suisse.

Depuis la mort de son père, son fils Nick Hayek – tout comme son père avant lui, une personnalité impressionnante – dirige le groupe Swatch.

Dans cette interview radiophonique de radio SRF, Nick Hayek prouve qu’il est un chef d’entreprise suisse qui prend conscience de ses responsabilités. Pour les Hayek, la priorité absolue n’est pas la réalisation de bénéfices, mais la sauvegarde du site économique suisse.Un chef d’entreprise qui met son potentiel au service de la Suisse. Quelqu’un qui comprend que ce sont justement le fédéralisme et la démocratie directe, particularités du modèle suisse qui présentent aussi des avantages essentiels pour une économie forte. Bref, voici un parmi tant d’autres de ses concitoyens qui apportent leur contribution à la société. Nous avons rassemblé ci-dessous des extraits de l’interview.

                                                                      ***

Radio SRF: Nick Hayek, c’est le visage de l’industrie horlogère suisse. Depuis 13 ans, il dirige le consortium Swatch-Group, le plus important fabricant horloger du monde. Depuis jeudi dernier, les fabricants horlogers sont de nouveau présents à Bâle, au «Baselworld», le plus grand salon mondial de l’horlogerie. 1500 exposants venus du monde entier y exposent leurs créations en matière d’horlogerie ainsi que, dans une moindre mesure, de joaillerie. […]
   Nick Hayek, cet entretien est retransmis en direct depuis nos studios de Bâle, car naturellement, vous y êtes présent ces jours-ci. Mais vous n’êtes pas vraiment un grand fan de cette grande manifestation, non? 

Nick Hayek: Ecoutez, c’est important que ce salon ait lieu en Suisse. Quand il s’agit d’industrie horlogère, le pays le plus important, c’est la Suisse. Mais moi, j’ai grandi avec la Swatch, avec la marque Swatch. Si on avait laissé la décision aux commerçants, la marque Swatch n’existerait tout simplement pas. Bâle est un salon commercial. A l’époque, au début des années 80, les commerçants, les commerçants américains, ont dit: «Mais c’est une blague, qui voudrait d’une montre en plastique, c’est trop bon marché. Qui pourrait bien vouloir d’une montre «Swissmade» bon marché?» […]

«Quand il s’agit de l’industrie horlogère, c’est la Suisse le pays le plus important»

Vous avez dit que certaines marques ne faisaient qu’un gros coup de bluff. Alors, qu’est-ce que le groupe Swatch vient faire là?

Nous avons une responsabilité, vous savez, à un certain moment, le groupe Swatch ne venait plus à Bâle. Et quand vous voyez quelle est la stratégie industrielle du groupe Swatch – très exactement, nous avons 150 usines dans le pays. Nous fabriquons, entièrement en structure verticale, les plus petites pièces détachées, et pas seulement pour le groupe Swatch, mais encore pour des tierces parties, pour toute l’industrie horlogère suisse. Et cela signifie que nos marques sont présentes dans tous les segments, que nous voulons aussi les exposer, et que notre présence à Bâle est donc volontaire et obligatoire; nous nous devons simplement de montrer que nous sommes très solidaires de l’avenir de cette industrie.
Il ne s’agit pas là de se mettre en évidence et de dire: je suis le plus grand, je suis le meilleur, mais bien plus de montrer que nous avons un intérêt commun – l’industrie horlogère suisse est une véritable industrie de haute technologie. C’est pour cela que nous sommes là.

Maintenant, l’industrie horlogère suisse ne marche plus tout à fait aussi bien qu’avant: l’an dernier, le total des exportations a reculé d’environ 3% et même chez vous, dans le groupe Swatch, le chiffre d’affaires a également reculé d’environ 3%. Et le bénéfice net – ce qu’on peut dire, je crois, sans exagérer – a chuté d’environ 20%. Là où n’importe quel chef d’entreprise serait plutôt nerveux et mal à l’aise, on a le sentiment, avec vous, que cela ne vous intéresse pas vraiment.

Non, voyez-vous, comme je l’ai dit auparavant, nous avons une autre philosophie; nous sommes des industriels et nous pensons à long terme, pas à court terme. Ce que pense la bourse ne nous intéresse pas. Elle ne se projette pas dans l’avenir sur plus de trois jours.

Mais moins de bénéfices, ça ne concerne pas que la bourse, mais aussi votre propre caisse.

Ça y est, le franc suisse, on en parle. Par loyauté, nous tenons à continuer à produire localement. Naturellement, l’effet «franc suisse» pèse sur nous. Mais si vous considérez la situation dans son ensemble, le groupe Swatch fait plus de 18% de bénéfice opérationnel dans le secteur des montres et de la bijouterie – pour une entreprise industrielle. Bien sûr, l’année précédente, nous avions atteint les 20 à 21%. Mais le groupe Swatch a un financement très solide, une stratégie à long terme et pour cette raison nous n’en changerons pas à court terme, uniquement à cause d’un franc suisse désastreusement surévalué. Ce que nous visons, c’est une croissance soutenue à long terme, des investissements dans les innovations et dans la production. Nous devons justement les avoir tous deux en Suisse, nous avons besoin de la recherche et du développement, nous les avons, nous sommes très forts. Mais nous devons aussi retenir dans le pays le savoir-faire de la production. Alors cela ne va pas si mal si, pour une fois, nous faisons 2 ou 3% de moins. 20% ça paraît insensé mais quand vous savez que, dans le groupe Swatch, nous faisons encore un milliard de bénéfices, alors – OK – c’est supportable.

De nouveau, vous mentionnez le franc fort. – Vous vous laissez volontiers aller à l’encontre de M. Jordan, le directeur de la BNS. Maintenant, si on examine d’un peu plus près les chiffres des exportations de l’an dernier par régions, c’est frappant: Hongkong, le principal marché, moins 23%; Chine, le troisième marché en importance, moins 4,6%; en Asie, au Moyen-Orient, en Russie aussi, c’est problématique partout, même en Amérique du Sud. Au contraire, dans les pays de la zone Euro, comme l’Italie, l’Allemagne, la France, on relève une tendance positive. En fait, cela amène à une conclusion: tout ça n’est donc pas uniquement la faute du franc suisse, il y a d’autres problèmes.

Je dois donc, maintenant, corriger certains faits dont vous n’avez peut-être pas connaissance. Les chiffres des exportations ne sont pas les chiffres de vente. Ce sont des produits qu’on exporte, d’une succursale vers les autres. Deuxièmement, de nos jours les gens voyagent. C’est-à-dire, les Chinois voyagent. Avant, ils allaient à Hongkong, et puis il y a eu des problèmes, maintenant ils vont au Japon, et ils vont en Europe. Et naturellement, ils achètent les produits là où c’est le plus favorable et meilleur marché. Maintenant, avec ces distorsions monétaires – et je dois vous corriger: un franc suisse fort ne pose aucun problème, nous voulons tous avoir un vrai, bon, franc fort. Mais un franc suisse massivement surévalué est une catastrophe – pour l’industrie et pour le tourisme. Si vous vendez maintenant vos produits en Allemagne ou en France, vous avez alors des gens, les Français et les Allemands, qui achètent ces produits localement et qui ignorent les fluctuations monétaires.
Là, on ne peut pas augmenter les produits [le prix des produits] d’un jour à l’autre de 20%, sinon vous aurez des ventes qui s’effondrent, c’est-à-dire des chiffres de ventes en nombre d’articles. Il faut donc accepter l’idée que les touristes voyagent, par exemple, en Allemagne ou en France et qu’ils y achètent leurs montres, plutôt qu’à Hongkong ou en Chine. Mais si ensuite, vous opérez le change des recettes locales en francs suisses, là vous enregistrez une perte. Et de cela, vous devez aussi faire une analyse exacte. En 2009 par exemple, nous, l’industrie horlogère suisse dans son entier, avons exporté 21 millions de pièces. En 2015 – alors que tout le monde parle de temps plus difficiles – plus de 28 millions de pièces. C’est une croissance incroyable. […]

«L’industrie horlogère suisse […] a toujours dû se battre contre les 1,17 milliards de pièces produites dans le reste du monde»

Abordons maintenant un autre sujet. Nous avons déjà parlé du franc suisse et là, nous pourrions peut-être encore en parler pendant une demi-heure. Mais parlons des Smart-Watches. Il y a un an, vous étiez déjà ici, chez nous. Alors, vous nous aviez dit: nous n’avons pas peur, ce n’est pas une concurrence pour la Suisse. Entre-temps, on vend plus de Smart-Watches, et notamment, bien sûr, d’Apple-Watches, que de montres chez nous. Ça vous a surpris?

Non, vous devez considérer les chiffres. Vous savez, le marché mondial de l’horlogerie porte sur 1,2 milliards de pièces. Les ventes concernent 1,2 milliards de pièces. Là-dessus, l’industrie horlogère suisse a traditionnellement une part entre vingt et trente millions de pièces. Les Japonais, soixante millions. Et maintenant comparez ces chiffres avec ceux de l’industrie horlogère suisse. Vous devez établir la comparaison avec l’ensemble de l’industrie horlogère. L’industrie horlogère suisse, dans tous les segments, même dans les plus bas segments du marché, là où le groupe Swatch est pratiquement le seul présent, avec Tissot, avec Swatch, a toujours dû se battre contre les 1,17 milliards de pièces qui sont produites dans le reste du monde. Et ce sont des montres de mode, des montres intelligentes, des montres non-intelligentes, de belles montres. Nous les avons toujours exposées. Les montres connectées, nous les produisons déjà. Swatch a lancé sa montre-carte de crédit en Chine, avant Apple, avec Union-Pay. Nous avons la Touch Zero One, la Touch Zero Two, et comme je l’ai dit précédemment: nos technologies sont intégrées à de nombreux appareils et chez Apple aussi, d’ailleurs, pas dans les montres connectées, mais dans les Smartphone, il y a des applications qui viennent de chez nous.

Donc, vous avez été les pionniers, si l’on peut dire, dans ce domaine, et maintenant, vous avez été totalement devancé par Apple.

Nous sommes les pionniers absolus. Cependant, vous savez, nous sommes en très bonne position. Nous sommes acteurs du marché et nous utiliserons les fonctions que nous estimerons correspondre aux désirs du consommateur. Nous occupons une situation fantastique. Nous pouvons réaliser l’intégration des fonctions, indépendamment, dans nos montres, c’est-à-dire que la montre doit rester un bijou destiné à un homme ou à une femme. Et nous pouvons intégrer les fonctions qui sont utiles. L’erreur, commise par certains autres, a été d’acheter le know-how aux Etats-Unis. Le savoir-faire est là, dans nos universités, au CSM de Neuchâtel, dans le groupe Swatch, nous avons tout le savoir-faire jusqu’au système d’exploitation, mais il y a des gens qui, pour remporter rapidement des succès de marketing à court terme, vont en Amérique pour faire leur marché. […]

«Les Suisses ne sont pas des extrémistes, ils ne veulent pas d’une politique extrémiste, ni de droite ni de gauche»

Monsieur Hayek, je voudrais encore discuter avec vous brièvement d’un sujet tout à fait différent, la politique. Cette semaine, il y a eu au Parlement un grand débat économique: les partis de gauche veulent des programmes d’action économique, ils veulent, par exemple, tenir en laisse la Banque nationale. Les partis de droite, eux, ne veulent en principe rien changer, à part de s’assurer que les conditions générales restent bonnes. Vous, que souhaiteriez-vous?

Je voudrais qu’à l’avenir la Suisse s’en tienne fermement à son système fédéral par lequel elle délègue l’autonomie aux gens d’en bas, aux cantons, aux communes, aux villes.

Y a-t-il maintenant besoin d’un programme économique, comme la gauche le désire?

Non, il n’y a besoin d’aucun programme économique. Vous voyez, la Suisse a un problème, c’est le franc suisse, ça, c’est vraiment le problème, j’en reparle à nouveau, même si cela vous énerve. Regardez, la Banque nationale américaine, la Banque nationale japonaise, la Banque européenne, toutes les banques nationales ont reconnu que leur devise nationale est un instrument important de leur industrie. Il n’y a que la Suisse qui pense qu’elle ne peut rien faire, qu’elle est petite et faible – et c’est ça, notre problème. Tout le reste est fantastique: nos relations avec les syndicats sont excellentes, nos relations avec les travailleurs, le système de formation, les infrastructures. Nous avons le meilleur de ce qui existe. Et nous avons encore une autre excellente chose: c’est qu’il n’existe aucune politique centralisée qui veuille entreprendre des mesures d’aide à l’économie.

Peut-on dire, en ce qui concerne la politique en matière de Banque nationale, la tenir en laisse, que vous vous trouvez plutôt à gauche, mais en ce qui concerne les programmes d’action économique, vous vous situez plutôt à droite? Où vous trouvez-vous, réellement?

Vous savez quoi? Je suis un pragmatique. Cela veut dire que ce qui nous tue dans ce monde, ce sont ceux qui suivent les dogmes et les idéologies. De quoi avons-nous besoin, nous les braves Suisses … nous avons les pieds sur terre, nous devons faire ce qui est bien pour notre pays, pour nos travailleurs et pour notre emploi. Le chômage, dans ce pays, ça ne passe pas. Là il faut se réveiller. Et s’il y a des positions de gauche, s’il y a des positions de droite – un coup c’est à gauche, un coup, c’est à droite, cela ne m’intéresse pas, nous faisons ce à quoi nous croyons. Et si quelqu’un de l’extérieur dit, ça, c’est de gauche ou ça, c’est de droite, ça ne nous intéresse pas.

Pourtant – une fois tous les quatre ans au moins, on doit quand même se décider: pour quel parti je vote? Vous, vous votez pour qui?

En réalité, je ne vote pas pour un parti, je vote pour des personnes, je regarde autour de moi: qui est crédible et qui représente ce que je trouve juste. Ensuite je vote, comme ça. Je ne suis dans aucun parti.

Depuis l’automne dernier, nous avons une nouvelle majorité, une majorité plus importante en nombre qu’avant. Pour vous en tant que chef d’entreprise, est-ce une bonne chose, vous en réjouissez-vous?

Vous voyez, j’ai appris qu’en Suisse tout est toujours circonscrit dans des limites. Même si maintenant lors de ces élections, il y a eu un léger déséquilibre en faveur de la droite. Puis, il y a une autre fois un déséquilibre en faveur de la gauche. Tout cela s’est contrebalancé. Les Suisses ne sont pas des extrémistes, ils ne veulent pas d’une politique extrémiste, ni de gauche ni de droite. Je ne me fais aucun souci. Et n’oubliez pas ce système exceptionnel … Quand je raconte à nos amis chinois que nous avons sept conseillers fédéraux et qu’ils proviennent effectivement de quatre partis différents! Ça c’est vraiment sensationnel. Et c’est exactement ainsi que cela doit être.

Autrefois, à l’étranger, la politique suisse était le symbole de la continuité, de la stabilité – maintenant il y a continuellement des initiatives – qu’elles parviennent ou non à aboutir – qui font les gros titres des journaux, également à l’étranger. A gauche, le 1:12, le salaire minimum, à droite, l’initiative UDC contre l’immigration de masse ou tout récemment, l’initiative de mise en œuvre… Cela donne, à l’étranger aussi, une toute nouvelle image de la politique suisse: moins de stabilité, comme on en a partiellement l’impression en Suisse. Est-ce un problème pour vous, l’avez-vous ressenti?

Non. Vous avez eu cette impression, vous? Non, j’ai l’impression qu’à l’étranger les gens admirent la Suisse. Il n’y a que les politiciens; si vous écoutez les hommes politiques à l’étranger, les Allemands, voilà un bon exemple: lorsque, par exemple, la Suisse a accepté l’initiative «contre les rémunérations abusives», les politiciens allemands ont dit: «Sensationnel. Qu’ils sont intelligents, ces Suisses! Ils ont voté contre les ‹parachutes dorés›.» Ensuite il y a un autre vote, l’initiative «contre l’immigration de masse», et alors, les mêmes politiciens se révoltent: «Mais c’est scandaleux, comment ils ont voté, ces Suisses, c’est effrayant de voir comme on peut les manipuler!» C’est quoi tout ça? Un coup c’est sensationnel quand cela nous plaît, et le coup d’après, ça ne l’est pas?

En tant que chef d’entreprise, ne remarquez-vous aucune différence avec la situation d’il y a par exemple dix ans, qui était quand même légèrement différente?

Au contraire, je pense que la Suisse est un modèle, et que beaucoup, beaucoup de gens dans le monde – sauf les hommes politiques – trouvent que la Suisse est un super exemple. Et la Suisse a le leadership dans de nombreux domaines, en technologie aussi, et également d’ailleurs en technologie intelligente, et nous devrions en prendre conscience et être un peu plus sûrs de nous, avant d’essayer d’aller acheter partout dans le monde ce que nous pourrions fabriquer nous-mêmes […]

Une nouvelle batterie sensationnelle – Swiss made!

En conclusion, je voudrais encore vous parler de quelque chose de tout à fait différent, pas de montres, mais de batteries. La société s’appelle Belenos, elle est encore relativement petite, mais ce qui doit en sortir sera quelque chose de tout à fait grand, une nouvelle super-batterie beaucoup plus efficace que tout qui existe aujourd’hui. On parle de 30% de productivité en plus, et par-dessus le marché, plus simple à recharger. Comment une société comme la vôtre en arrive-t-elle à s’engager à une telle hauteur dans un domaine plutôt étranger?

Pas si étranger que ça: dans l’industrie horlogère – beaucoup de choses tournent autour de l’énergie. Vous pouvez recharger une montre – mécanique – avec l’énergie générée par le mouvement de votre corps. Il y a même des montres que vous pouvez mettre en marche par la température dégagée par votre peau lorsque vous courez. Et en micro-électronique également. Nous sommes spécialistes de tout ce qui touche à la miniaturisation et qui consomme peu d’énergie: Touch Screen, les cellules solaires. Et c’est mon père qui en est à l’origine. Il avait une vision et répétait constamment: pour ce qui est de la mobilité, si les Chinois, si les Indiens, si tous ces gens veulent reproduire les fautes que nous avons commises en matière de mobilité, l’univers périra étouffé par le smog.

Il voulait faire une Swatch-mobile.

Oui, il voulait faire une Swatch-mobile. Alors, il a fondé Belenos, d’ailleurs avec L’EPFZ comme actionnaire et avec George Clooney. Nous avons fait des recherches sur les piles à combustible et les batteries. Et nous avons mis au point un nouveau matériau avec l’aide de l’EPFZ: le vanadium, et maintenant voici l’idéal: Renata, notre usine de batterie, où nous produisons 800?000 pièces par jour dans le canton de Bâle. Et la combinaison de la recherche et du développement jointe à la production nous ont amenés à ce résultat: en juillet nous serons à même de produire une sensationnelle nouvelle batterie qui aura une densité énergétique augmentée de 30%, sera moins dangereuse, se rechargera plus vite – et qui sera Swiss made!

Et elle ne servira pas seulement pour les montres, pas seulement pour l’électronique grand public, mais également pour les vélos à assistance électrique (E-Bike) ou, par exemple, aussi pour des voitures – ainsi, en ce moment en Suisse la mesure de toutes choses est la Tesla, et une telle batterie coûte environ 30?000 francs suisses. On peut faire 400?km, après quoi il faut la recharger entre quelques heures jusqu’à une demi-journée. Avec votre batterie… ça prend combien de temps, par exemple?

Nous nous sommes spécialisés en travaillant avec une tension et un voltage plus bas grâce auxquels nous pouvons recharger plus rapidement. Les matériaux employés chauffent moins, la durée de vie est plus élevée. Tout cela provient des connaissances acquises dans l’industrie horlogère.

Et plus tard, vous voulez livrer cela aussi en Chine. Où ces emplois seront-ils créés, alors?

Tout d’abord ils sont créés ici en Suisse, car c’est ici que nous avons conduit la recherche et que nous produisons. Comme je l’ai dit: aujourd’hui, nous produisons 800?000 batteries par jour! Il n’y a, je crois, aucun autre producteur de batteries, qui en fasse autant en Suisse. Ce qui est important cependant, ce sont les emplois en Suisse. Là nous sommes des pionniers, là nous allons de l’avant. Mais nous devons aussi changer le monde, nous devons aussi nous occuper de ce que ces batteries, qui sont de meilleure qualité, amènent vraiment un changement dans la mobilité, et cela ne peut se produire qu’en passant par une «joint-venture» et que si des usines se développent dans différents endroits du monde où l’on puisse produire ces batteries plus rapidement.

Vous avez déjà dit qu’il y avait là un chiffre d’affaires annuel potentiel de dix milliards de francs suisses. Comparativement, c’est plus que le chiffre d’affaire, réalisé par le groupe Swatch avec les ventes d’horlogerie. Quand cela prendra-t-il effet?

Ça, il faut le demander aux analystes.

C’est à vous que je le demande, vraisemblablement, vous êtes plus au courant.

Ecoutez, cela n’est pas important. Ce qu’il faut, c’est le savoir-faire de la production, et les résultats de la recherche et du développement: ils sont là. Et puis, vous voyez que les produits existent. Savez-vous combien de chefs d’entreprises viennent à nous, de petits entrepreneurs, des entrepreneurs moyens, ceux qui font les E-Bikes, qui ont des idées – pensez à toutes ces voitures à conduite autonome, qui existent déjà, qui ont besoin d’énergie; là vous voyez quel est le potentiel existant en Suisse.

Néanmoins, je vous le redemande: Quand cela sera-t-il totalement mis au point, quand ces dix milliards seront-ils réalisés, et combien de gens s’attèleront à ce travail – encore une fois, uniquement – en Suisse?

Vous savez que l’argent ne m’intéresse pas. Ce qui est important, c’est que nous ayons livré les cent mille premières batteries pour une super-nouvelle voiture électrique. Et ce sera certainement le cas en 2017.

Votre père avait la réputation d’avoir été le véritable sauveur de l’industrie horlogère suisse. Est-ce possible que vous soyez un jour reconnu comme celui qui a créé l’idée de la voiture électrique comme moyen de transport de masse écologique?

Non, ce n’est pas ça, ce sera aussi mon père qu’on verra comme l’initiateur du projet, car c’est lui qui avait eu cette idée visionnaire en 2007. Et cette idée a perduré jusqu’à aujourd’hui parce que nous sommes têtus et que nous n’écoutons ni les analystes, ni la bourse, ni les journalistes.

Vous voulez aller jusqu’au bout du projet?

Non seulement nous le voulons, mais nous le mènerons vraiment à bien jusqu’au bout. Nous sommes des entrepreneurs et pas des gars du marketing.

Alors, nous vous souhaitons bonne chance, monsieur Hayek, et merci d’avoir participé à notre émission du samedi.    •

Source: Radio SRF, Samstagsrundschau du 19/3/16

(Traduction Horizons et débats)