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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°42, 1 novembre 2010  >  Sommet de la Francophonie à Montreux: le G 192 prime sur le G 8 et le G 20 [Imprimer]

Sommet de la Francophonie à Montreux: le G 192 prime sur le G 8 et le G 20

hd. Du 22 au 24 octobre 2010, la Suisse a organisé et présidé le XIIIe Sommet de la Francophonie et a repris pour deux ans la présidence de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui fête cette année ses 40 ans d’existence.
A la suite des efforts de l’Assemblée générale de l’ONU en faveur d’un G 192, le Sommet a envoyé un nouveau signal en faveur de la démocratisation et du multilatéralisme dans toutes les relations internationales et contre la suprématie d’une région linguistique et d’une culture. Selon Sarkozy, le système financier en vigueur jusqu’ici, d’inspiration anglo-saxonne, a précipité le monde dans la dernière crise économique mondiale et poussé de nombreux habitants des Etats pauvres d’Afrique et d’autres pays en développement au bord de l’abîme.
Pour Abou Diouf, Secrétaire général de l’OIF, réélu pour un troisième mandat, les propositions du G 20 ne sont légitimes que si elles servent les intérêts des 172 Etats.
Dans son souci de donner à l’OIF une importance politique accrue, la Présidente de la Confédération Doris Leuthard a précisé dans son discours d’ouverture que le monde n’est plus disposé à accepter la suprématie exclusive de clubs puissants mais ne représentant qu’une petite minorité de pays, c’est-à-dire le G 8 et le G 20.
Nous reproduisons ci-après des extraits de déclarations relatives à ce Sommet.


«Le G 192, j’y crois»

Extrait du discours de Nicolas Sarkozy, Président de la République française, du 23 octobre 2010

[…] Mais quels sont ces chantiers décisifs qu’il nous faut faire avancer dès l’année 2011?
Le premier, c’est celui de la réforme du système monétaire international. Qui, aujourd’hui, pourrait se lever pour me dire que l’instabilité des changes ne fait pas peser une lourde menace sur la croissance mondiale? Est-ce que l’on va continuer à se faire des reproches, à s’envoyer des anathèmes, à dénoncer des attitudes unilatérales alors que ne nous sommes pas capables de définir un système multilatéral? Nous nous en sortirons tous ensemble ou nous échouerons tous ensemble.
La France propose d’aborder ce débat sur le système monétaire international sans tabou. Mais qui peut contester que Bretton Woods c’était en 1945, à une époque où, au fond, il y avait une monnaie et une grande économie. Les choses n’ont-elles pas changé depuis 1945? Devons-nous nous attacher à un système qui a vécu et qui ne fonctionne plus ou devons-nous avoir le courage d’imaginer ensemble, en se coordonnant, comment on peut créer les bases d’un nouveau système monétaire international?
A quoi sert de parler de stabilité si l’instabilité des changes s’étale aux yeux du monde entier chaque jour qui passe?
Il y a un deuxième chantier que la France souhaite ouvrir, c’est celui de la volatilité extravagante des prix des matières premières.
Qui ne se souvient des «émeutes de la faim» à Haïti ou en Afrique quand les prix de certains produits alimentaires ont brutalement explosé en 2008? Est-ce qu’on a déjà oublié cela? Combien faudra-t-il d’émeutes, de guerres, de drames pour que nous comprenions que nous ne pouvons pas laisser faire cela? On vient me dire: «mais c’est la loi du marché». Non justement, ce n’est pas la loi du marché, c’est la loi de la spéculation, c’est la loi du refus de la transparence, c’est la loi de l’intérêt de quelques-uns sans que personne ne puisse dire où vont des milliards de dollars qui sont soustraits aux Etats, aux producteurs et aux pays? Cette situation ne peut pas durer parce qu’elle générera des guerres et des affrontements.
A-t-on déjà oublié les conséquences dramatiques pour l’économie mondiale des hausses brutales des prix du pétrole et du gaz, suivies de baisses tout aussi rapides? Avec un prix du baril de Brent, qui en quelques mois, passe de 40 à 140 dollars. Et n’opposons pas les pays consommateurs d’énergie et les pays producteurs d’énergie, ils ont en vérité le même intérêt: des prix trop bas de l’énergie sont une catastrophe, mais des prix trop élevés et c’est la mort pour tout le monde. Là encore, ayons le courage de dire que le marché ne fonctionne pas, parce que les prix des matières premières sont pris en otage par des mouvements spéculatifs que personne ne maîtrise. C’est à nous de prendre les voies et les moyens pour qu’au minimum il y ait la transparence sur la formation des prix et sur l’arrivée des bénéfices considérables qui sont réalisés.
Alors qui osera dire que le sujet est trop difficile et qu’il vaut mieux ne rien faire? Qui peut penser que quand on n’évoque pas les sujets difficiles, il ne vous rattrapent pas de la pire des façons?
Le troisième chantier que la France souhaite faire progresser et je ne me lasserai pas de plaider en faveur de ce chantier, c’est celui de la gouvernance mondiale, dont nous avions déjà parlé au sommet de Québec.
Depuis lors, la Banque mondiale a adopté une réforme importante et le FMI est engagé, non sans débats vigoureux, dans la sienne. Mais enfin, nous représentons le tiers des Etats membres de l’ONU, qu’est-ce qui nous empêche de porter ensemble, devant l’Assemblée générale, la réforme indispensable des Nations Unies pour adapter l’organisation aux réalités du XXIe siècle? Nous avons changé de siècle, peut-on réfléchir à un changement de gouvernance?
Est-il normal qu’il n’y ait aucun membre permanent du Conseil de Sécurité émanant de l’Afrique? Un milliard d’habitants, dans trente ans deux milliards d’habitants, qui n’ont pas de représentation permanente. C’est un scandale.
Est-il normal qu’il n’y ait pas de représentant permanent du continent sud-américain au Conseil de sécurité? Pas un seul! Est-il normal qu’un pays comme l’Inde, qui sera bientôt le pays le plus peuplé du monde, n’y soit pas? Et même, est-il normal que des pays soient absents alors qu’ils pèsent dans l’économie du monde – je pense au Japon, je pense à l’Allemagne –, parce que leurs dirigeants avaient fait le mauvais choix au moment de la Seconde guerre mondiale? Nous sommes au XXIe siècle, nous ne sommes plus au XXe siècle.
J’ai entendu, Madame la Présidente, votre inquiétude sur le fait qu’un petit nombre d’Etats prendraient en main la résolution de problèmes qui concernent, vous avez raison, tous les Etats du monde. Mais alors ayons le courage d’aller jusqu’au bout. Le G 192, j’y crois, mais à condition qu’il ait le courage de prendre des décisions! Et le système qui consiste à dire: «on ne prend de décision que si tout le monde est d’accord», c’est un système qui est condamné parce que c’est un système qui fera le lit de l’immobilisme, du conservatisme et donc, à l’arrivée, de ceux qui ne veulent rien faire. Nous n’avons pas le choix. Si nous voulons garder ce système, il faut le réformer et la réforme intérimaire du Conseil de Sécurité, je le dis, elle est indispensable.
Je poserai également un quatrième sujet qui est passionnant et qui concerne la Francophonie au premier plan, c’est celui des financements innovants. Il y a quelque chose auquel je suis très attaché et qui à mes yeux compte plus que tout, c’est le respect de la parole donnée. Quand on n’est pas d’accord, il faut dire non; quand on est d’accord il faut dire oui; mais on ne peut pas dire oui et faire non. Vous voulez savoir où je veux en venir? Je m’explique.
A Copenhague, nous avons apposé notre signature sur un document qui prévoit 100 milliards à partir de 2020 pour l’Afrique et pour les pays les plus pauvres. Qui va oser dire à l’Afrique que nous serons au rendez-vous de ces sommes colossales en faisant simplement appel à nos budgets qui sont tous, sans exception, en déficit? Si on veut tenir notre parole – et il faut la tenir – à l’endroit de l’Afrique, alors il faut poser la question des financements innovants. Peu importe que ces financements innovants soient une taxe sur les transactions financières, une taxe sur les containers de bateaux, une taxe sur les connections internet. Mais qui ne voit que si nous ne donnons pas les moyens aux pays les plus pauvres de construire les fondements de leur croissance, c’est nous, les pays les plus riches, qui serons les premiers à payer la facture en ne maîtrisant pas les courants migratoires et en affrontant, avec le changement climatique, de véritables guerres qui seront les guerres de la faim et les guerres de l’eau.
Nous n’avons pas le choix. Nous ne pouvons pas, quelles que soient les conséquences de la crise, réduire notre aide au développement. La question des financements innovants est une question centrale. Je sais qu’elle divise entre nous mais enfin, mes chers amis, si nous ne parlions que des sujets sur lesquels nous sommes spontanément d’accord, on peut lever la séance tout de suite et profiter de Montreux! Je n’ai pas compris que les sommets ne devaient servir qu’à parler des sujets qui n’intéressent personne. La question du développement est un sujet majeur, absolument majeur. […]    •


«Transcender les clivages des groupes régionaux et politiques»

Extrait du discours de Doris Leuthard, présidente de la Confédération lors de l’ouverture du XIIIe Sommet de la Francophonie

La Francophonie s’emploie à faire vivre et à renforcer la diversité culturelle et linguistique, si chère à nous les Suisses. Avec notre allemand, notre italien, notre romanche et notre français, nous vivons en permanence cette diversité qui a forgé, dans mon pays, cet esprit de respect mutuel indispensable à une coexistence pacifique entre personnes de divers horizons. […]
Parmi les défis que j’ai mentionnés, nous en avons retenu trois qui nous semblent prioritaires, et pour lesquelles nous pensons que la Francophonie est à même d’apporter des réponses en tant qu’acteur majeur des relations internationales.
Premièrement, nous aurons à préciser la place que nous souhaitons donner à la Francophonie dans la gouvernance mondiale et son influence au sein des enceintes internationales. Pour cela, certaines questions doivent être posées sans détour:
Comment la Francophonie peut-elle nous permettre de transcender les clivages des groupes régionaux et politiques pour peser sur la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU?
Dans le même état d’esprit, comment la Francophonie peut-elle mieux peser sur le G 8 et le G 20 afin d’éviter qu’un nombre restreint d’Etats prenne, en dehors des instances internationales reconnues, des décisions qui concernent l’ensemble de la communauté des Nations? […]    •

Source: www.admin.ch


«Nous, francophones, défendons une manière de penser, de lire le monde, d’envisager le progrès de l’humanité»

par Micheline Calmy-Rey, conseillère fédérale, présidente du département fédéral des Affaires étrangères, présidente du Conseil des ministres de la Francophonie

Penser en français au sein du gouvernement, c’est adopter un lieu de pensée différent de celui de mes collègues alémaniques, au-delà des clivages politiques. Avec un bagage culturel francophone, j’aborde un problème différemment, j’évoque d’autres références, j’ai une autre perception de la réalité nationale et internationale. La force de la Suisse est là, dans sa capacité de penser en plusieurs langues.
La Suisse est formée de parties constitutives – les cantons –, non d’une majorité et de minorités. Et le français est l’une des composantes de l’identité suisse, ni plus ni moins importante que l’allemand, l’italien ou le romanche. Ainsi, ce n’est pas la Suisse romande mais la Suisse entière qui fait partie de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Cela nous distingue du Canada ou de la Belgique, représentés par leur gouvernement fédéral mais encore par le Québec, le Nouveau Brunswick et la Wallonie.
La Suisse possède donc une place emblématique au sein de la Francophonie […] parce qu’elle incarne l’horizon multilingue que représentent justement les Etats de l’OIF. Nous mettons notre expérience institutionnelle, fédéraliste, respectueuse des particularités, au service de ce grand dessein qu’est la promotion de la diversité culturelle, tout en sachant que renforcer la présence du français dans le monde c’est, en retour, renforcer le multilinguisme suisse.
Les langues, dans leur diversité, véhiculent l’élaboration et la transmission des savoirs, dans les lettres comme dans les sciences. L’expérience suisse dit bien que la défense d’une langue n’implique pas d’emblée l’affrontement avec les autres langues. La Francophonie se fait l’écho de la même devise: elle n’est pas une «gendarmerie» linguistique qui opposerait le français à d’autres idiomes, mais elle combat les risques de l’unilinguisme. Pourquoi utiliser un piètre anglais de colloque s’il est possible de dire les choses en français, la précision, la sensibilité et la subtilité en plus?
La langue française colporte tout un héritage, littéraire et philosophique, qui détermine aujourd’hui les rapports entre les êtres humains. Que seraient la démocratie, la liberté, les droits humains – annoncés par Rousseau dans le «Contrat social» – sans l’apport intellectuel francophone? Les idées des Lumières, dont nous sommes si fiers, ne sont-elles pas intimement liées à la langue française? Le français n’a-t-il pas servi à Senghor pour nous conduire vers la compréhension entre les peuples? Nous, francophones, défendons une manière de penser, de lire le monde, d’envisager le progrès de l’humanité. Avec notre français, avec nos français, nous contribuons à une mondialisation plurielle. L’espace culturel francophone doit, en Suisse et dans le monde, défendre son aire d’influence.

Source: Le Temps du 20/10/10 (extraits)