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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°3, 23 janvier 2012  >  Les entreprises familiales moyennes victimes d’une bande de brigands: le pillage des indépendants [Imprimer]

Les entreprises familiales moyennes victimes d’une bande de brigands: le pillage des indépendants

Un ouvrage d’Eberhard et Imke Hamer

par Ewald Wetekamp

Partant de la définition selon laquelle l’entreprise familiale moyenne est une communauté de production dirigée par des hommes, avec des hommes et pour des hommes, Eber­hard Hamer et Imke Hamer soulignent, sur la base d’exemples et de chiffres impressionnants, l’importance des entreprises familiales moyennes («Mittelstand», cf. encadré p. 7) en Allemagne. Dès les premières pages du livre, le lecteur découvre des chiffres étonnants: 33,9% des Allemands vivent des revenus du marché, le reste, soit 66,1%, étant entretenu, directement ou indirectement, par les premiers (proches, retraités, chômeurs ou fonctionnaires).

Le Mittelstand, pilier de la société

Avec leurs ouvriers et leurs employés, les entreprises familiales moyennes, soit quelque 4,1 millions d’entreprises, ont un potentiel fiscal de 80% et financent plus de 60% des systèmes sociaux. Ce faisant, elles sont tenues de livrer les deux tiers de leur revenu à des institutions publiques et sociales. Par contre, depuis des années, les sociétés de capitaux transfèrent leurs holdings dans des paradis fiscaux et s’affranchissent ainsi de leurs obligations sociales et fiscales. Aussi aucun citoyen normal ne comprend-il pas que ces grands groupes reçoivent davantage de subventions qu’ils ne paient d’impôts.
Le fait qu’une petite part des bénéfices subsiste dans les entreprises familiales, malgré leurs lourdes charges fiscales et sociales, n’est possible que grâce à un travail intense et à un sens aigu des responsabilités face aux lourdes responsabilités envers l’entreprise et les salariés. Si la norme syndicale du temps de travail est de 38,5 heures hebdomadaires, la semaine des entreprises familiales atteint plus du double.

Campagne médiatique motivée par la jalousie et manie réglementaire des fonctionnaires

On pourrait donc supposer que l’opinion publique et les politiciens non seulement reconnaissent les mérites de cette politique des entreprises et, par conséquent la récompensent. Finalement, elles réalisent des bénéfices, s’acquittent de charges et de prestations sociales dont chacun profite. Or les entreprises familiales moyennes sont, bien au contraire, exposées à une campagne motivée par la jalousie et se voient imposer des charges insupportables.
Elles doivent pourvoir elles-mêmes à leurs assurances sociales, notamment à leur prévoyance vieillesse. Elles n’y parviennent qu’en accumulant une fortune et un patrimoine dont elles vivront ultérieurement. Elles en assument tout le risque. Or elles sont souvent jalousées en raison de ce patrimoine attribué à l’exploitation de la main-d’œuvre. Cette présentation est diffusée dans toute la population par les médias. Pourquoi les entreprises familiales ne sont-elles pas en mesure de corriger cette manière de voir? Elles n’ont tout simplement pas l’influence nécessaire pour se protéger de l’exploitation par les pouvoirs publics ou d’autres groupes de pression. Dans le secteur financier et les grands groupes industriels, la situation est toute différente. Ils sont soutenus non seulement par la plupart des organisations patronales, mais aussi par les chambres de commerce, les associations professionnelles, la presse et la télévision, voire le Bureau politique de l’UE. Ils sont entourés de plus de 15 000 lobbyistes de l’économie dominante, des banques, du secteur social de l’économie et des compagnies d’assurances qui empêchent toute évolution préjudiciable à la grande industrie. A Berlin également, plus de 600 lobbyistes de l’économie dominante veillent à ce que la politique économique et les subventions se développent en leur faveur.
Non seulement les prélèvements fiscaux et sociaux pénalisent les entreprises familiales moyennes allemandes, mais aussi la masse inimaginable de prescriptions, de contrôles et de conditions contraignantes entraîne un travail administratif considérable de plus de 500 heures par année qui freine l’efficacité de ces entreprises par rapport au marché. Dans l’intérêt de qui? Le contrôle public de toutes ces prescriptions génère du travail et des revenus pour des dizaines de milliers de fonctionnaires. Il y a cent ans, l’Etat avait besoin d’un fonctionnaire pour plus de 800 citoyens. Actuellement, il emploie un fonctionnaire administratif ou fiscal pour 12 citoyens. Maintenant, quelque 48% des dépenses publiques sont affectées en priorité à l’appareil administratif. Où cela nous mène-t-il?

Un Etat endetté malgré des recettes fiscales très importantes

Les entreprises familiales moyennes ne sont pas les seules à passer à la caisse; c’est aussi le cas des ouvriers et des employés. En 2008, le salaire brut moyen était d’environ 3500 euros. Il restait à un salarié marié et ayant un enfant 2333,72 euros. S’il vivait seul, il disposait de 1955,48 euros. Cependant, le fisc allemand n’est pas encore satisfait. Il prélève encore sur sa consommation 19% de TVA, 66% de taxe sur l’essence et d’autres impôts indirects, de sorte que ce salarié doit encore lui remettre 20% de son revenu disponible. Après déduction de ses dépenses courantes, il ne lui reste plus que 10% par mois pour des amortissements, des vacances ou des achats à tempérament. S’il veut gagner davantage en travaillant davantage, la progressivité fiscale lui fera payer un montant tel qu’il disposera de moins d’argent qu’auparavant. Etant donné cette exploitation, l’Etat ne devrait pas se plaindre du volume élevé de travail au noir – en 2009, avec un PIB de 1700 milliards d’euros, il s’élevait à 252 milliards.
Pour se faire une idée du montant effectif des prélèvements, il faut ajouter ceux des entrepreneurs: part des employeurs aux cotisations sociales, cotisations aux coopératives professionnelles, charges concernant la protection de l’emploi, les vacances, les heures de travail non effectuées et la bureaucratie sociale. Ainsi, pour l’entreprise, le coût du travail d’un salarié recevant un salaire brut de 3500 euros atteint quelque 6000 euros. Le salarié perçoit trop peu de son salaire brut et il coûte trop cher à son entreprise. Les impôts, les charges sociales et les coûts salariaux indirects atteignent un montant record en Allemagne.

Taxes obligatoires versées aux communes et aux syndicats intercommunaux

Mais ce n’est pas tout. Des collectivités communales de droit public et des syndicats intercommunaux sont parvenus, en onze ans, de 1995 à 2006, à majorer le montant de leurs contributions et de leurs taxes de 44,7%, alors que les prix à la consommation n’ont augmenté que de 17,1% pendant la même période. Ces contributions et taxes obligatoires des organismes publics sont rentables, non pas pour les citoyens mais pour les banques, les fonds et les investisseurs financiers à la recherche de rendements extrêmement élevés qui, en accord avec les fonctionnaires communaux, privatisent cet élément lucratif de l’approvisionnement public, lequel est régi par le principe de couverture des frais. Les contributions obligatoires sont prélevées conformément à ce principe. Pour un exploitant privé, cela représente la possibilité de réaliser des bénéfices presque illimités. Ainsi, nous n’avons pas seulement vendu notre argenterie de famille – cette opération ne s’effectue qu’une fois – mais nous avons remis à des particuliers la spirale des taxes ouverte vers le haut.

Atteintes étatiques à la propriété des entrepreneurs du Mittelstand par les lois de protection de l’environnement, du paysage et de la nature

Pour beaucoup d’entrepreneurs du Mittelstand, les immeubles et les biens fonciers représentent des biens de production et une assurance vieillesse. Mais l’Etat intervient dans les deux domaines avec des lois qui empêchent partiellement ou totalement les propriétaires d’en jouir. Des prescriptions concernant l’efficacité énergétique des bâtiments ou la menace de plaintes pour discrimination en cas de location ou de non location des locaux peuvent forcer le propriétaire à se séparer de son bien et à investir à l’étranger. La protection de l’environnement, du paysage et de la nature représentent des interventions de l’Etat qui compliquent, renchérissent voire rendent impossible l’exploitation des biens fonciers. D’une part, rappelons ici l’affaire du scarabée pique-prune du périmètre de la gare de Stuttgart. Les protecteurs de cet insecte cherchent à contrecarrer le résultat du seul référendum qui ait eu lieu dans le Bade-Wurtemberg. D’autre part, il arrive de plus en plus souvent qu’on interdise l’exploitation d’une forêt une fois qu’elle a été déclarée zone protégée. Cela signifie qu’on abandonne à la «nature» des terres cultivables et la forêt qui représentent une source de revenus. Un coup d’œil jeté sur les hauteurs de la Forêt noire après la tempête Lothar ou sur la Forêt bavaroise a permis de se rendre compte de l’ampleur de la désertification. On ne peut s’empêcher de penser ici au projet des parcs naturels de l’UE: mise en jachère de vastes zones transnationales, expropriation et mise sous tutelle de communes et de propriétaires privés. A qui diable cela doit-il profiter?
Mais que va-t-il se passer si le Mittelstand ne peut plus payer ses charges et ses autres prestations?
L’agonie des entreprises familiales moyennes montre que toutes ces «mesures contraignantes» menacent leur existence.

Autres menaces pesant sur le Mittelstand

Dans la seconde partie de leur ouvrage, les auteurs évoquent des menaces autres que celles de l’Etat. Ainsi il n’existe pas de coopération entre les syndicats et les entreprises qui viserait à sauvegarder la prospérité. On continue d’assister à la lutte des classes. Bâle II et Bâle III ont rendu plus difficiles les conditions de crédits raisonnables des banques. Les fonds d’investissement (private equity) et les investisseurs financiers à la recherche de rendements extrêmement élevés (Heuschrecken) profitent de cette situation de manière éhontée et contribuent également au fardeau qui pèse sur le Mittelstand. De plus, ce dernier est exploité par les assurances. Personne n’a besoin d’autant d’assurances que le Mittelstand. Mais en cas de sinistre, l’assurance devient un adversaire et emporte généralement la mise.
En outre, les auteurs montrent que la criminalité organisée au niveau global menace l’existence de l’économie du Mittelstand.

Effets sur l’économie de marché et la démocratie

Les auteurs sont absolument certains que les atteintes à la liberté, à la fortune et aux biens du Mittelstand ne visent pas seulement une couche particulière de la société mais qu’elles tendent à miner la base de notre ordre libéral, de la démocratie et de l’économie de marché qui reposent sur la propriété privée et les libertés individuelles. C’est une attaque du fondement juridique de la population tout entière, car si le Mittelstand s’effondre, nous aurons de nouveau une société divisée en deux: la classe supérieure et la classe inférieure. Cela signifierait la fin de la société citoyenne responsable. L’économie de marché ne peut pas se passer du Mittelstand, sinon elle se transformera en économie du pouvoir, en économie des grands groupes ou en économie monopolistique privée ou publique.
Là où le Mittelstand disparaît sous les coups répétés portés à ses bases existentielles, il ne peut plus y avoir de démocratie libérale. Elle cède alors à la domination d’une élite capitaliste – la ploutocratie –, à une dictature militaire ou à une dictature de fonctionnaires (Bureau politique), dans tous les cas à une domination exercée sur des sujets. Qui pourrait vouloir cela?

Revendications du Mittelstand

Les mesures efficaces qui revitaliseraient le Mittelstand seraient les suivantes:
–    Egalité fiscale entre les différents types d’entreprises. Il est inadmissible que 80% des recettes fiscales proviennent du Mittelstand et que les grands groupes et les sociétés de capitaux reçoivent plus de subventions qu’ils ne paient d’impôts;
–    Non imposition des profits réinvestis dans l’entreprise;
–    Systèmes sociaux reposant sur la responsabilité et non plus sur la tutelle;
–    Débureaucratisation de la vie et des entreprises du Mittelstand;
–    Dérégulation (les entrepreneurs de bâtiment doivent respecter 164 prescriptions contenues dans plus de 5000 articles).
En outre le Mittelstand aurait également au point de vue arithmétique le pouvoir politique. Les entrepreneurs indépendants et leurs proches peuvent à eux seuls mobiliser 12% des électeurs. Le Mittelstand dépendant peut en mobiliser tout autant. A cela s’ajouteraient 23 millions de salariés avec leurs proches. Cela ferait vraiment un parti populaire.

Ce qui est nécessaire

Ce qui est nécessaire, c’est de rendre compte, d’expliquer à la population largement, objectivement et sans parti pris idéologique les notions de performance entrepreneuriale, de profit, de coût et de productivité dans l’économie de marché. Mais cela ne suffit pas. Il faut que l’on sache que c’est le Mittelstand qui, par son travail et ses activités, favorise l’économie de marché et la prospérité, la liberté et les conditions de la démocratie. Si l’on faisait savoir cela à tous les citoyens, on déclencherait rapidement des réflexions qui empêcheraient le marché et la démocratie de sombrer dans les monopoles et la dictature et provoqueraient un changement de cap qui profiterait à tout le monde.    •

Qu’est-ce que le Mittelstand?

C’est la totalité des entreprises familiales allemandes, à taille humaine, employant quelques centaines de salariés, spécialisées dans une gamme de produits de haute qualité technique exportés partout dans le monde où elles disposent d’une position dominante sur le marché mondial, solidement implantées dans les territoires, étroitement enracinées dans les milieux politiques et financiers régionaux et locaux, jalousement attachées à leur indépendance et à leur caractère familial, centrées sur la pérennité à long terme et la transmission intergénérationnelle.

Les entreprises du Mittelstand sont des entreprises capitalistes, dirigées par leurs propriétaires. Mais ce capitalisme est très différent du capitalisme financier.

95% des entreprises du Mittelstand sont des entreprises familiales et indépendantes des grands groupes. Le caractère familial du capital se traduit par une implication personnelle des dirigeants et des membres de leur famille dans la gestion. Il n’y a pas, comme dans la grande entreprise actionnariale et managériale, de dissociation entre les propriétaires, la direction opérationnelle et la gestion du risque au sein de l’entreprise. La gouvernance d’entreprise – c’est-à-dire l’autorité des actionnaires sur la gestion opérationnelle qui a pu être mise en question dans le capitalisme moderne du fait de la délégation accordée aux managers professionnels – se trouve ainsi intrinsèquement réalisée au sein du Mittelstand.

Source: Extraits du rapport du Conseil d’analyse économique franco-allemand intitulé «Mittelstand: notre chaînon manquant», réalisé à la demande du Secrétaire d’Etat aux Entreprises et au Commerce extérieur. France, 2008.