Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°31, 4 août 2008  >  Les accords de libre-échange ont-ils encore un sens? [Imprimer]

Les accords de libre-échange ont-ils encore un sens?

par Frédéric Walthard, Estavayer-le-Lac

Cette question est surtout d’actualité face aux effets dangereux sur l’homme et l’environnement d’un monde mondialisé à l’extrême, dominé à nouveau par des blocs économiques peu nombreux mais toujours plus grands. On se sent ramené à l’ère de l’impérialisme et du colonialisme. Des blocs économiques, tels que la Chine, les USA, la Russie, l’Union européenne, les empires pétroliers arabo-islamiques, l’Inde, le Japon, et encore d’autres dont notamment la Corée et l’Amérique latine se sont développés avant tout au cours de la seconde moitié du siècle passé et sont ainsi devenus de réels pouvoirs économiques.
En ce temps-là, il s’agissait de réduire le grand nombre de restrictions introduites pendant la Seconde Guerre mondiale et qui formaient un obstacle à la libre circulation des marchandises et des personnes. Il s’agissait aussi de construire un nouveau système aussi libéral que possible des relations écono­miques entre les Etats européens.
Aussi longtemps que la liberté de cir­culer des marchandises et des personnes était au premier plan, cette diminution des restrictions s’est avérée raisonnable. Mais uniquement à la condition que les Etats qui y participent puissent entretenir leurs propres relations économiques et se défendre contre des infiltrations étrangères, surtout à caractère économique et politique. Quand les intérêts économiques étaient similaires et très souvent aussi complémentaires, ces Etats formaient des marchés communs plus grands sous forme de zone de libre-échange tout en maintenant entièrement leur souveraineté. Selon l’avis de la majorité d’alors, cette méthode déclencha des impulsions assez efficaces pour la croissance des pays détruits par la guerre, bien que certains Etats la trouvèrent pas assez ambitieuse. Il était primordial que dans une telle zone de libre-échange les ­règles communes nécessaires soient décrétées de commun accord et gérées dans le cadre d’accords multilatéraux conclus par des Etats souverains et égaux en droits. Le grand avantage de ce système est que les Etats-membres gardent leur pleine liberté de conclure des accords avec des Etats tiers, ce qui s’appelle le «Treaty market power», un procédé actuellement très contesté.
Depuis les années 50 du siècle passé, il s’est formé autour de ces zones de libre-échange un réseau mondial de relations économiques des plus variées. Ceci fut le premier fondement de la mondialisation malheureusement tant déformée de nos jours et qui aurait initialement dû servir au développement et à l’assainissement économique de tous les pays, mais notamment des pays pauvres et arriérés du «Tiers-Monde».
Le succès croissant de la reconstruction économique en Europe a très vite fait naître l’idée d’avancer d’un pas supplémentaire: organiser l’Europe de manière à ce que ce continent ne puisse plus jamais devenir le foyer d’un conflit mondial.
Cela débuta avec la politisation de la reconstruction économique. On préféra le système de l’union douanière aux zones de libre-échange, c’est-à-dire la liberté de circuler à l’intérieur d’un grand marché européen, entouré d’un mur douanier commun. A l’intérieur de ce mur douanier, plus de frontières et libre circulation des personnes et des marchandises. Outre cela, une administration commune pour cet espace douanier, ce qui déclencha une réaction en chaîne: La politique douanière commune du début se transforma rapidement en une politique commerciale commune, puis en une politique économique et financière commune, voire en une politique des Affaires étrangères commune et un ­nombre illimité d’institutions communes. Cela exigea un nouvel appareil administratif central gigantesque possédant les compétences d’intervenir directement dans tous les domaines d’activités humaines au sein des Etats-membres. Cela déboucha dans la création d’organismes supranationaux, y compris d’un propre Parlement, d’une propre monnaie et d’un projet constitutionnel commun.
Le rêve d’Aristide Briand, du comte Coudenhouve Kalerghi et de Winston Churchill de créer une Europe unifiée semblait devenir réalité. Quand bien même les peuples de l’Europe n’ont jusqu’à présent pas approuvé une Constitution très peu réaliste, une chose est devenue réalité: un grand marché unique libre à l’intérieur, une union économique à l’extérieur, qui a su se présenter comme un bloc économique, monolithique et consolidé, face à la communauté internationale des Etats. Une puissance économique extrêmement forte qui se répand dans le monde entier, qui est imitée par de nombreux peuples et qui se trouve forcément en concurrence avec d’autres blocs économiques, menant jusqu’à de très sérieux conflits. Ces autres blocs économiques nouveaux sont nés en majeure partie suite à l’exportation des acquis technologiques d’Europe (le «transfert du savoir»), ainsi que de ceux du second bloc économique occidental, les Etats-Unis. C’est surtout en Extrême-Orient que ce développement avança à grand pas et dans un laps de temps très court pour submerger le monde entier. Parmi de nombreux exemples, nous ne citons ici que le Japon, la Chine (actuellement le bloc économique le plus grand et le plus fort), l’Inde et la Corée du Sud.
La reconstruction économique d’après-guerre a fait naître à travers la mondialisation du développement en Europe et aux Etats-Unis une situation toute nouvelle et extrêmement dangereuse. Comme pour les empires de jadis, il ne s’agit pas pour les grands blocs économiques actuels d’un échange pacifique de marchandises et de personnes. Suite à la mondialisation un combat acharné pour conquérir les marchés, les matières premières, les produits alimentaires, des personnes en tant qu’esclaves du travail (de nos jours très souvent hautement qualifiés) et des consommateurs s’est développé. Ce combat est souvent mené de manière subversive et à outrance, malgré les conférences hautement médiatisées où se retrouvent les hommes d’Etat les plus puissants du monde et qui sont soi-disant dédiées à la «paix» et la «collaboration» (G8, OMC, etc.). Outre cela, nous vivons une course à l’armement vers des armes toujours plus puissantes et dévastatrices, qui pourraient définitivement mettre fin à un environnement qui a, jusqu’à présent, déjà été exploité jusqu’à la limite du possible.
Peut-être que cette autodestruction n’aurait pas avancé si rapidement si nous autres Européens avions cru au modeste – mais pour un développement pacifique très efficace – système de zone de libre-échange et combattu l’idée d’entasser des Etats et des peuples indépendants dans une camisole de force formée par des unions utopiques et hégémoniques telle que l’Union européenne comme nous la connaissons actuellement.
Sans contester les possibilités de bien-être économique et social qui accompagnent une grande puissance économique, le chemin plus lent et moins fastueux passant par des zones de libre-échange aurait certainement été plus sûr. Le maintien des frontières nationales aurait mieux pu diriger les nombreux désavantages d’une mondialisation effrénée sur des voies plus saines.
Avant que tout soit détruit, nous devrions peut-être quand-même tenter de prendre cette voie.
En tout cas, il ne faudrait pas remplacer – à l’instar du président Sarkozy – la voie d’une zone de libre-échange pour la région de la Méditerranée (une proposition qui existe depuis plusieurs décennies) par le système d’une Union. Une telle union ne saurait ­rester qu’une formule vide de sens ou devenir également un baril de poudre extrêmement dangereux …     •
(Traduction Horizons et débats)

Frédéric Walthard est une personnalité qui a contribuer à faire l'histoire suisse. Il est heureux qu'il ait décidé d'écrire ses mémoires. Le volume 1 (de 1921 à 1944) nous informe sur son enfance, sa jeunesse et sa formation. Le volume 2 (de 1944 à 1971) est consacré à son "rude et fascinant travail" en tant que diplomate de la Confédération et délégué de l'industrie horlogère. Le volume 3 (de 1971 à 1988) évoque ses années de directeur de la Foire de Bâle. Les 3 volumes ont été publiés en allemand aux Editions Zeit-Fragen et peuvent aussi être commandés séparément.