Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°33, 4 novembre 2013  >  Réflexions concernant la sécurité alimentaire [Imprimer]

Réflexions concernant la sécurité alimentaire

par Ueli Maurer, Président de la Confédération, à l’occasion de l’ouverture de l’Olma, le 10 octobre 2013 à St-Gall

Je vous remercie de votre invitation, je suis venu avec plaisir. Pour moi, une visite de l’Olma c’est comme rentrer à la maison: les activités artisanales, l’agriculture, c’est pour moi le monde réel. Et je me réjouis de pouvoir vous transmettre les meilleures salutations du gouvernement fédéral.
S’il existe dans l’année d’un président de la Confédération des figures imposées et des figures libres, alors je suis aujourd’hui arrivé aux figures libres.
L’Olma est née au début des années 40. Les denrées alimentaires étaient alors rationnées. A cette époque, l’existence du pays dépendait de l’armée et de l’agriculture.
De telles conditions sont lointaines pour nous – tout au moins nous avons le sentiment qu’elles sont lointaines.
Lorsqu’on vit en paix et dans la prospérité, les besoins élémentaires sont une évidence: nous ne nous sentons pas directement menacés. Dans les magasins, les rayons sont toujours pleins. Nous avons des années prospères derrière nous et déjà nous sommes devenus insouciants. Nous nous comportons comme si la sécurité du pays et la sécurité alimentaire ne pouvaient plus jamais être mises en danger. La politique est généralement très généreuse en ce qui concerne les dépenses, cependant la sécurité du pays et la sécurité alimentaire se trouvent toujours sous pression. Et ce sont juste­ment là nos besoins les plus élémentaires.
Heureusement, les citoyens ont toujours la possibilité de faire changer les choses. Très certainement, nous devrons voter l’année prochaine sur l’acquisition de nouveaux avions de combat pour l’armée – ce sera une votation décisive pour notre sécurité. Je vous prie de profiter de cette occasion pour prendre clairement position en faveur de la sécurité de notre pays!
En temps de paix et de prospérité beaucoup de gens réagissent avec incompréhension, pas seulement face à l’armée, mais aussi face à notre agriculture. Mais le monde est-il vraiment un supermarché avec une offre luxurieuse permanente où nous pouvons nous servir à tout moment? Je désire m’exprimer plus en détail à ce sujet:
Regardons, comment le monde se développe. Nous nous apercevons vite que juste­ment dans le domaine de l’agriculture, de la sécurité alimentaire et de l’approvisionnement du pays des changements majeurs sont imminents. J’aimerais parler de certaines tendances qu’on ne prend, à mon avis, pas assez en compte bien qu’en réalité il faudrait s’en alarmer.
La population mondiale augmente. Les statisticiens s’attendent à une croissance annuelle d’environ 80 millions d’êtres humains. Cela correspond à une croissance d’un milliard en 12 à 13 ans – mille millions d’êtres humains de plus qui doivent eux aussi manger et boire tous les jours.
Les prix des produits alimentaires augmentent. Ces dernières années des augmentations massives des aliments de base ont eu lieu dans certaines régions du monde. Cela nous montre que la demande augmente. Dans le monde entier les ressources se raréfient; indépendamment du fait qu’il s’agisse de pétrole, d’eau, de matières premières ou de produits alimentaires. Et ce qui est rare est convoité et cher.
Les denrées alimentaires ont une importance politique. Aux niveaux économique et politique, la plupart des pays ne sont pas en mesure de faire face à des augmentations massives du prix des denrées alimentaires. Les conséquences sont des troubles politiques souvent déclenchés ou aggravés par ces augmentations de prix. Les spécialistes du Proche-Orient considèrent par exemple les protestations et révolutions dans les pays arabes comme étant en relation avec l’augmentation des prix des produits alimentaires.
Nous savons tous que la raréfaction des ressources, tel le pétrole, a une importance politique. On mène même des guerres pour le pétrole. Nous devons envisager qu’à l’avenir les produits alimentaires auront une importance politique similaire.
Dans le monde entier, une course aux ressources est engagée. De par l’importance politique des denrées alimentaires, les grandes puissances se lancent dans une course globale aux ressources agricoles. Cette course a déjà commencé:
Les Etats occidentaux et les Etats asiatiques en plein essor tentent de devancer les autres pays à l’aide d’investissements, d’accords et de prise d’influence politique pour assurer leurs besoins.
Dans le monde entier, les Etats qui en ont la possibilité accaparent de grandes surfaces de terres agricoles précieuses. La dernière nouvelle est parue il y a quelques jours à peine: la «Neue Zürcher Zeitung» a rapporté que la Chine achète en Ukraine des terres arables d’une surface presque aussi grande que celle de la Suisse. Lorsqu’un pays comme la Chine, connu depuis des siècles pour ses stratégies à long terme, investit autant pour améliorer la sécurité de son approvisionnement, cela devrait nous inciter à réfléchir.
Le monde ne se stabilise pas. On dit qu’il se réduit, qu’il se transforme en village. On peut réellement obtenir cette impression en observant l’échange mondial des marchandises, la manière avec laquelle les gens voyagent et celle avec laquelle nous suivons les événements dans le monde comme si tout se passait dans notre propre salon.
Mais cette impression est trompeuse. Les distances ne se réduisent pas, ce sont les liaisons qui s’améliorent. Et tout dépend de ces liaisons.
L’échange international de marchandises est de plus en plus complexe et par conséquent plus fragile et sujet aux perturbations. Nous n’avons pas de garantie que les voies d’accès resteront toujours ouvertes et que les moyens de communication fonctionneront toujours. Pas seulement les voies terrestres et maritimes peuvent être interrompues, mais aussi les liaisons virtuelles.
Jusqu’à peu, beaucoup de personnes croyaient que le monde, et notamment l’Europe, allaient se fondre en une communauté d’Etats. On s’attendait à ce que les interdépendances économiques créent un partage global du travail: chacun fait ce qu’il sait le mieux faire – et cela au niveau mondial.
Avec la crise de la dette, ce développement est remis en question. Les différences entre les diverses économies nationales n’ont pas diminué, tout au contraire! Sous la pression de la crise, les affrontements sont devenus plus durs, également entre des Etats amis – la nécessité faisant loi!
Nous avons vu que les grandes puissances misent souvent davantage sur le pouvoir que sur le droit. Cela étant, nous devons être conscients que toute dépendance nous rend sujet au chantage.

Conclusion

Faisons un bref résumé en image: il y a une différence fondamentale entre nos villages et le «village global». Dans notre village, nous pouvons vite traverser la rue pour aller chez le voisin lorsque, bêtement, on manque d’un kilo de farine. Mais nous, les Suisses, nous ne pouvons pas aller aussi facilement frapper au coin de la rue parce que notre pays manque de céréales panifiables.
Tout à coup, on est content d’avoir une paysannerie à nous, pour ne pas devoir tout se procurer à l’autre bout du monde.

Réflexions au sujet de la sécurité d’approvisionnement

Que faut-il faire? Je pense que nous devrions davantage inclure les développements mondiaux dans nos réflexions concernant l’agriculture. L’internationalisation et l’évolution structurelle doivent être remises en question, notre force – la haute qualité de nos produits – doit cependant être maintenue.
A mon avis, il est grand temps de discuter publiquement de notre sécurité d’approvisionnement. Je voudrais contribuer à cette discussion avec les sept thèses suivantes:

1.    Eviter les dépendances

Nous nous procurons une partie des marchandises de pays qui ne sont pas du tout stables au niveau politique. Leur instabilité devient ainsi également notre problème. Le commerce avec de tels pays n’est pourtant pas à déconseiller. Mais il est déconseillé de se rendre dépendant, si on peut l’éviter. Nous ne voulons pas être dépendants d’autres pays car, alors, on devient sujet au chantage.
Mais ce n’est pas uniquement la dépendance d’un seul fournisseur qui est délicate, la dépendance totale du marché mondial dans le domaine des marchandises de première nécessité et des denrées alimentaires peut également être problématique.
Pour moi il est donc clair que l’agriculture n’est pas seulement une question économique.
Car il s’agit de l’approvisionnement en vivres. Comme ce mot l’exprime: ce sont des produits pour vivre, voire survivre. Pour cette raison, il est faux de toujours poser la question du prix et de rentabilité dans le domaine de l’agriculture.
L’agriculture a un devoir dans l’intérêt du pays; elle fournit une contribution pour la sauvegarde de notre souveraineté. Et en situation de crise, elle contribue à notre survie. Une forte agriculture indigène et la plus grande autonomie d’approvisionnement possible sont d’une grande valeur.

2.    Augmenter le degré d’autosuffisance, assurer les surfaces de production

Si nous voulons prendre au sérieux les développements globaux, notre objectif doit être l’augmentation de notre degré d’autosuffisance. C’est le seul moyen de minimiser les dépendances et de garantir que, lors d’interruptions de livraison ou de raréfactions, cela ne conduisent pas très rapidement à des problèmes d’approvisionnement.
Le degré d’autosuffisance ne peut cependant pas être augmenté uniquement par des méthodes de production modernes. Pour la production de vivres, il faut tout simplement le meilleur terrain agricole possible.
Mais le fait est que les terres sont aussi utilisées pour autre chose: Il faut également des surfaces de terres pour de nouveaux appartements et pour l’aménagement des infrastructures. Lorsqu’on voyage à travers la Suisse, on voit partout que les localités s’élargissent et que les terres agricoles diminuent. Ce n’est pas étonnant, vu la forte immigration. Mais ce n’est pas sans problème quand on construit à grande échelle sur les meilleures terres arables. Car une fois qu’il a été construit, un terrain est perdu pour toujours pour la production de denrées alimentaires. Cela m’inquiète de voir à quelle vitesse les terres qui devraient nous nourrir disparaissent. Je pense qu’il est grand temps d’assurer nos surfaces de production agricole pour l’avenir.

3.    Produire des denrées saines et de qualité

Nous misons depuis toujours sur la qualité, dans tous les domaines. La qualité suisse est une image de marque, un trait constitutif de notre pays. Nous ne voulons certainement pas y renoncer pour nos denrées alimentaires. Finalement il en va de notre santé et de notre comportement face à la nature et l’environnement.
Une agriculture industrielle, accompagnée de transports d’animaux à travers l’Europe, n’aura jamais le soutien de nous Suisses.
Nos produits alimentaires indigènes figurent parmi les meilleures qualités au monde au niveau de leur qualité. C’est un avantage concurrentiel: celui qui achète des produits suisses ne doit pas craindre un scandale alimentaire.
La haute qualité a aussi ses répercussions sur l’alimentation saine de la population et donc aussi sur la santé publique et ses coûts. Avant tout, de bons produits sains signifient aussi une haute qualité de vie.
Nous voulons donc continuer à miser sur la qualité. Mais cela demande une agriculture professionnelle – ce qui m’amène au prochain point …

4.    Miser sur une agriculture professionnelle

C’est très bien que beaucoup de gens font de l’agriculture leur loisir. Mais c’est tragique quand de vrais paysans gagnent si peu avec leurs exploitations qu’ils sont obligés de chercher un autre travail et ne peuvent ainsi s’occuper de leurs fermes que pendant leur temps libre.
Et c’est plus que tragique lorsqu’en transformant nos agriculteurs de professionnels capables en de simples paysans de loisirs, nous perdons énormément de savoir-faire.
Car ces professionnels disposent du savoir-faire pour produire les meilleurs produits alimentaires du monde. S’ils perdent leur base d’existence, notre pays perd ce savoir-faire et en même temps également son standard de qualité élevé. Cela nous ramènerait des décennies en arrière.
En cas de crise c’est encore pire et il en est de même pour l’agriculture comme pour l’armée: on ne peut pas vite la reconstruire en quelques années. En cas de crise, on ne peut pas rattraper ce qu’on a délaissé auparavant.

5.    Préserver une agriculture productive

Une production écologique durable est importante et renforce la confiance des consommateurs en de tels produits.
Mais nous devons faire attention à ne pas trop tirer sur la corde: il ne faut pas qu’avec toute cette durabilité on ne puisse plus rien produire. Les roses des Alpes sont belles mais on ne peut pas les manger.
L’agriculture doit demeurer un secteur productif important pour l’économie nationale et pas seulement pour la sauvegarde des paysages. Les paysans sont des entrepreneurs et ils ont besoin de suffisamment de marge de manœuvre pour les innovations entrepreneuriales. Avec une sur-réglementation nous étouffons les développements créatifs dans ce secteur.
Ou bien dit autrement: d’abord on réglemente tout, puis on critique le manque de capacité d’adaptation aux développements du marché.

6.    Garder l’industrie de transformation dans le pays

Ce qui est juste pour la production, est juste aussi pour la transformation. Nous misons tout sur la qualité, des standards élevés sont importants.
Mais faisons attention à ne pas affaiblir notre industrie de transformation face à ses concurrents étrangers par des réglementations insensées, pour ne pas les forcer à délocaliser à l’étranger.

7.    Renforcer la place économique suisse

Nous arrivons au dernier point: nous devons très sérieusement prendre soin de notre place économique suisse. Car ce ne sont pas seulement l’agriculture et l’industrie de transformation qui souffrent de plus en plus des réglementations étatiques, ce sont aussi un grand nombre d’autres branches.
Je viens de mentionner que la lutte renforcée pour les ressources va, sous peu, marquer le monde. C’est un aspect du développement mondial. L’autre aspect, c’est la concurrence entre les places économiques qui va continuer à se renforcer.
Nous sommes bien placés, nous avons des PME innovatrices, nous avons des salariés bien formés et capables, nous avons la sécurité juridique et la stabilité politique. Mais nous avons malheureusement aussi tendance à compliquer la vie aux entreprises avec de plus en plus de prescriptions bureaucratiques.
Faisons attention à ne pas créer, par des interdictions et des prescriptions, des obstacles pour tous ceux auxquels notre pays doit sa prospérité!

Préserver les liens entre le pays et la paysannerie

Voici pour mes sept thèses. Mais je n’ai pas tout à fait terminé. Il y a encore un autre point concernant notre agriculture que je souhaite relever de cette façon: il y a un lien fondamental entre la destinée du pays et de son agriculture.
Autrefois, on disait «Bauernstand ist Nährstand» (les agriculteurs nourrissent le peuple). Cette expression est tout à fait adéquate: ce sont les femmes et les hommes qui nourrissent le peuple. Ce sont des femmes et des hommes qui veillent à ce qu’il y ait assez de bonne et saine nourriture pour tout le monde. Ce sont des femmes et des hommes qui s’occupent de notre sécurité alimentaire.
Si nous considérons l’agriculture de cette façon, toutes les questions de détails sont reléguées au second plan. Car l’enjeu est de taille. Il s’agit de «notre pain quotidien». Pour cela des générations avant nous ont déjà travaillé durement dans leurs fermes et récité le «Notre père». La nourriture, les repas quotidiens, le travail pour «gagner son pain», tout cela a formé notre histoire, nos coutumes et nos traditions.
L’agriculture a donc aussi une relation émotionnelle avec notre pays qui nous donne depuis des siècles «notre pain quotidien». Notre agriculture représente aussi notre lien avec la patrie, avec ses beaux paysages soignés, avec nos élevages respectueux des animaux, avec le soin dont nous nous occupons de l’environnement, en faveur d’une paysannerie saine qui vit selon nos valeurs qui ont fait leurs preuves.
Un pays sans agriculture, un pays sans paysannerie, perd le lien avec son passé, la nature, la tradition, les coutumes, la terre – et perd ainsi ses valeurs et ses racines.
Un tel pays ne durerait pas longtemps.
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite de beaux jours à l’Olma!    •

Source: www.vbs.admin.ch 
(Traduction Horizons et débats. Copyright DDPS)