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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°21, 2 juin 2009  >  «Chasse aux pirates» dans tout l’océan Indien? [Imprimer]

«Chasse aux pirates» dans tout l’océan Indien?

Un conflit militaire rampant

Depuis trois semaines, des informations et des rapports sur «les pirates» inondent à nouveau le monde médiatique: de prétendues nouvelles «attaques» menées par les pirates et une participation devenue maintenant incompréhensible de différents Etats à la poursuite des pirates occupent le lecteur. Outre les rapports sur les actions de libération ratées, la discussion à propos d’une participation à la chasse aux pirates avive les esprits. Quels coups géostratégiques pourraient bien se cacher maintenant derrière ce mot-clé «chasse aux pirates»? Quelques absurdités sautent aux yeux.

Rl. A peine les USA et l’UE s’étaient-ils mis d’accord pour chasser les pirates devant la Corne de l’Afrique avec un grand déploiement de l’armée maritime, que soudain les attaques des pirates ont augmenté massivement. On est presque tenté de constater que plus il y a des chasseurs de pirates, plus il y a des pirates, pourtant cela devrait être en fait l’inverse. Apparemment, la chasse aux pi­rates n’a rien à voir avec les pirates car sinon, ceux-ci auraient dû être éliminés en peu de temps après le déploiement international massif de la Marine. Horizons et débats avait déjà auparavant attiré l’attention sur le fait que dans cette prétendue chasse aux pirates, il ne s’agit pas réellement de pirates, mais du contrôle sur la voie maritime internationale devant la Corne de l’Afrique et de la saisie géostratégique de l’Afrique même. Apparemment, cela ne s’arrête pas là.
Les objectifs géostratégiques sont évidents quand on observe la manière dont la mission «chasse aux pirates» prend de l’ampleur. Au début, la mission était limitée à la côte somalienne. Maintenant, les ministres de la Défense de l’UE ont approuvé l’élargissement de l’intervention de la Marine. Les 13 bâtiments de guerre européens patrouillant actuellement doivent maintenant élargir leur activité dans l’océan Indien jusqu’aux îles des Seychelles. Dans une déclaration commune, les ministres de la Défense et des Affaires étrangères ont exigé il y a deux semaines un «engagement permanent de l’UE». On a ainsi coupé court à l’espoir comme quoi l’intervention ne serait que de courte durée.
En outre, l’UE veut renforcer la coopération avec l’OTAN qui a également des vaisseaux de guerre patrouillant devant la côte somalienne et intensifier la surveillance aérienne. La France a exigé l’expédition de soldats et de navires supplémentaires. Le Secrétaire d’Etat à la Défense français Jean-Maire Bockel a déclaré à Bruxelles que c’est seulement ainsi que l’«Opération Atalanta» menée par l’UE peut devenir un «plein succès». Il veut un renforcement de «10 à 20%». Le commandant britannique Philip Jones a déclaré qu’on avait besoin de «centaines de bâtiments de guerre» et pas seulement des six ou sept frégates de l’UE. Outre l’Allemagne et la France, l’Espagne, la Grèce et la Grande-Bretagne participent également à l’intervention dirigée par l’UE. A l’avenir, d’autres pays comme les Pays-Bas, la Suède, la Roumanie et des pays non-européens comme la Norvège et la Suisse doivent participer à l’opération «Atalanta» (Spiegel Online du 18 mai). En Allemagne, le Parlement doit encore approuver cette extension.
L’opération internationale sous la direction des USA coûte aux Etats participants beaucoup d’argent provenant des impôts – de l’argent qui n’est justement plus là aujourd’hui.
Pourtant, un aspect s’ajoute encore à ces réflexions géopolitiques – celui qui ne se rallie pas, perd du contrôle et de l’influence. Apparemment, les chasseurs de pirates sont eux-mêmes des pirates contre lesquels on doit se protéger avec un propre contingent. Ainsi, le nombre des Etats participants augmente en permanence. Après que, entre autres, les USA, l’UE et finalement aussi la Russie, l’Ukraine et la Chine s’y sont joints, les Etats arabes et l’Iran ont été astreints à envoyer également leurs vaisseaux de guerre. Pourquoi? Une nouvelle de la RIA Novosti (20 mai) selon laquelle un bateau chasseur sous-marin russe, Admiral Pantelejew, escorte au large de la Somalie un convoi de cinq cargos russes, est révélatrice. Apparemment, les Etats sont contraints de protéger leurs propres navires. L’augmentation massive de «bateaux pirates» bien équipés en haute mer mène à de nouvelles conclusions. Il est certain que des pirates somaliens ne sont pas capables de repérer à quatre cent milles des côtes de manière ciblée des bateaux de commerce parmi les navires de guerre.
La zone devant la Corne de l’Afrique, une des routes maritimes les plus impor­tantes du monde, est surveillée systématiquement déjà depuis octobre 2001 dans le cadre de l’«Operation Enduring Freedom» par les USA, l’Allemagne et d’autres Etats à l’aide de moyens de reconnaissance les plus mo­dernes. L’opération est pratiquée par les forces maritimes internationales, en grande partie provenant des Etats de l’OTAN, et assemblées dans une association désignée comme Task Force 150 (TF 150). Elles sont soumises au quartier général des forces maritimes du US Central Command (USNAVCENT) à Manama au Bahreïn.
Dans la politique internationale, un retournement a eu lieu. Au lieu que les Na­tions unies garantissent comme jusqu’à présent dans le cadre d’accords internationaux la sécurité des voies maritimes et la mettent en pratique, le Conseil de sécurité s’est prononcé de manière impromptue en décembre, à l’initiative des USA, pour une solution militaire. Une solution civile et diplomatique n’a pas été prise en considération. La «Neue Zürcher Zeitung» a rapporté le 18 décembre 2008: «La résolution 1851 du Conseil de sécurité, appelant tous les Etats ‹qui en sont capables› à participer à la lutte contre la piraterie. Cela doit se dérouler d’une part en employant des navires de guerre et des avions de combat, pour rendre inoffensifs tous les véhicules maritimes, les armes et les autres équipements des pirates. Le fait que tout cela puisse se dérouler en pleine mer au large des côtes, est incontesté. […] La possibilité d’attaques aériennes sur le continent n’est cependant pas non plus explicitement exclue dans la version adoptée.»
Il est toujours admis en principe que: le problème des «pirates» serait rapide à résoudre. La Somalie n’a pas de garde-côtes et elle est depuis 19 ans sans gouvernement qui fonctionne. La communauté internationale devrait accepter un Etat somalien, garantir sa souveraineté et l’aider économiquement! De cette manière, on retirerait une zone de non-droit aux véritables pirates de Somalie. Un Etat somalien pourrait les combattre efficacement et les faire passer devant un tribunal le cas échéant.
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On se frotte les yeux à la lecture des rapports sans réflexion critique des médias. Aucune question critique. Aucun commentaire critique. Le mot «pirate» suffit apparemment pour masquer la réflexion critique: une guerre pour la suprématie sur les océans a-t-elle déjà lieu? Les accords de droit international relatifs à l’utilisation des mers sont-ils devenus de la maculature?    •