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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°34, 29 août 2011  >  Ni Potosí ni l’Arabie saoudite [Imprimer]

Ni Potosí ni l’Arabie saoudite

La Bolivie et le lithium

par Niels Peter Ammitzbøell

Les mines d’argent de Potosí, la montagne Cerro Rico, dévalisées, vides, sont percées de part en part de galeries, de sorte qu’on s’attend à ce que la montagne s’effondre. On estime le nombre de morts à des centaines de milliers parmi la population indigène bolivienne dans les mines de Potosí. La ville de Potosí – qui fut autrefois avec Londres et Paris une des villes les plus riches au monde – est délabrée, marquée par la misère la plus profonde – un symbole du destin d’un pays riche en matières premières à l’écart des centres de l’industrialisation.
En Bolivie, après l’argent, on a extrait du cuivre et du zinc, puis du pétrole et du gaz. La richesse fut produite ailleurs. Des économies florissantes, l’industrialisation et un bien-être croissant se développèrent en Europe et plus tard en Amérique du Nord. En dépit de sa richesse en terres fertiles et en richesses minières, la Bolivie est actuellement le deuxième pays le plus pauvre d’Amérique latine après Haïti. Malheur à un pays qui renferme des richesses minières. Il devient la victime de la convoitise des puissants. L’exploitation, la pauvreté et la guerre menacent ce pays.

«A la plupart des habitants des ex-colonies, on suce le jus pour une vie en dignité, comme dans une saignée qui n’en finirait jamais. La Bolivie aussi est un patient malade du marché mondial, le diagnostic fait l’effet d’une douche froide. Le géant chancelant qui avec seulement dix millions d’habitants couvre une superficie trois fois plus grande que l’Allemagne, est un exemple des énormes dégâts psychiques et physiques à l’homme, à la société et à l’environnement que l’Europe et les Etats-Unis ont causés durant des siècles.» (p. 9 sq.)

Dans son livre «Das weisse Gold der Zukunft – Bolivien und das Lithium»  («L’or blanc de l’avenir – la Bolivie et le lithium»), Benjamin Beutler raconte de façon captivante l’histoire des derniers 500 ans de cette immense région. D’abord la Conquista, la colonisation, puis les guerres de libération de la mince couche supérieure d’origine espagnole, l’indépendance après 1825, la révolution nationaliste de 1952, une histoire politique mouvementée, une fois démocratique, une autre fois dictature. Les Indios, la majorité de la population, restent pauvres, incultes, loin des événements politiques. Economiquement parlant, on continuait à dépendre de l’exportation des matières premières, la création de valeur subséquente avait lieu ailleurs. La tentative de constituer une économie nationale et une industrialisation en développant la stratégie de la substitution de l’importation, comme dans d’autres Etats d’Amérique latine, fut abandonnée. Cette politique mise sur le protectionnisme par des droits d’entrée élevés, alors que des investissements publics et des diminutions d’impôts sur la production indigène sont censés refouler les importations coûteuses de l’étranger.

«Par la nouvelle Magna Carta qui entra en vigueur en janvier 2009 par décision populaire, contre la résistance acharnée des oligarques régionaux, la conception du monde indigène et la protection des gisements miniers sont élevés pour la première fois au rang de droit constitutionnel.» (p. 16 sq.)

Au lieu de ça, vinrent des conseillers de l’Ecole de Chicago. Jeffrey Sachs, à peine âgé de trente ans, était le responsable principal, plus tard il travailla comme conseiller principal en Russie durant l’époque Yeltsine. Suivirent plus de vingt ans de politique économique néolibérale sous le signe de la dérégulation et de la privatisation. Cette époque constitue une partie principale du livre. L’idéologie de la privatisation entraîna la vente par liquidation du gaz, du pétrole, des aéroports, des compagnies aériennes, des chemins de fer, de l’eau, des télécommunications et du courant électrique à des entreprises étrangères. Et que resta-t-il à la population? Jeffrey Sachs se remémore en 2005 les résultats de ses «conseils». Il avoue que les inégalités n’ont pas diminué et que l’écart entre riches et pauvres est plus grand que jamais! En comparaison mondiale des inégalités, la Bolivie occupe la septième place derrière six Etats africains.

Le tournant

La reprise de l’approvisionnement en eau de Cochabamba en 1999 par Bechtel constitua un tournant. L’entreprise US ne devait pas seulement reprendre l’approvisionnement municipal en eau – qui n’était en mesure de n’approvisionner qu’une fraction de la ville – mais toutes les réserves d’eau, toutes les sources et rivières. L’utilisation traditionnelle de l’eau ne devait plus être un droit pour le paysan. Dans bien des quartiers de la ville, des comités de l’eau indépendants avaient pris l’initiative d’installer l’approvisionnement en eau. On avait foré des puits sur des terres privées. Toutes ces installations furent expropriées sans indemnité et remises à la maison Bechtel. Même la récolte de l’eau de pluie dans des réservoirs, à usage privé, fut interdite. Lorsque les premières factures d’eau aux montants fortement augmentés furent expédiées, Cochabamba devint ingouvernable. La lutte pour l’eau fut sanglante. Malgré l’engagement de militaires, le gouvernement dut baster, rendre la privatisation rétroactive, et Bechtel dut s’en aller. C’est une autre partie principale du livre. Beutler décrit le parcours d’Evo Morales et le combat couronné de succès contre d’autres tentatives néolibérales de privatisation.
En 2005, après plus de vingt ans de néolibéralisme, Evo Morales fut élu à la présidence comme premier représentant de la majorité de la population indigène. Le gouvernement veut réaliser l’autodétermination du pays et faire en sorte que la richesse ne revienne plus à l’étranger et à une petite élite comme cela a été le cas durant 500 ans, mais à la majorité de la population résidante. Les Boliviens voient une chance particulière dans les réserves de lithium – qui sont les plus grandes au monde – situées dans le Salar de Uyuni, le lac salé asséché haut perché dans les Andes. Dans le monde entier, on accélère le développement d’autos électriques avec des batteries au lithium pour maintenir le trafic automobile sans essence. On prévoit que la demande de ce métal léger qu’est le lithium augmentera énormément. La moitié des réserves mondiales se trouve en Bolivie. La presse mondiale titre: «La Bolivie pourrait devenir l’Arabie saoudite du XXIe siècle».
Mais Morales ne veut pas d’une Arabie saoudite. Ni d’un pillage des ressources minières comme au Cerro Rico, ni d’une société comme celle d’Arabie saoudite qui dépend durablement et exclusivement de l’extraction de matières premières. La transformation du lithium jusqu’à la fabrication de batteries, voire peut-être jusqu’à la production d’autos électriques, doit se faire en Bolivie. La création de valeur par l’industrie de transformation doit profiter à la Bolivie et à la population indigène. Il faut de l’industrialisation. Dès à présent, les Boliviens ont fait le premier pas vers l’extraction, par eux-mêmes, du lithium. Mais pour la planification industrielle, il faut des partenaires étrangers qui soient prêts à collaborer avec les Boliviens d’égal à égal et à partager correctement les bénéfices. Des entreprises françaises par exemple sont intéressées par la matière première, mais jusqu’ici elles ne veulent pas entrer en matière concernant les conditions posées par le gouvernement bolivien. Par conséquent, les Boliviens ne donnent pas le lithium. Peut-être y a-t-il des possibilités avec l’Iran, le Japon, la Chine ou la Corée du Sud. Autrefois déjà, par exemple en Algérie, on poursuivit la stratégie de créer la chaîne entière de production du pétrole dans le pays même et de fournir ainsi à l’économie une base saine. Cela réussira-t-il en Bolivie?
Est-ce que la richesse en matières premières doit devenir la malédiction pour le pays qui en est pourvu? Des chercheurs norvégiens examinèrent de manière détaillée le phénomène de l’effet de frein sur le développement, dû à d’amples gisements de matières premières: «La malédiction des matières premières ne vaut que pour des pays aux institutions faibles.» Les ressources minières de Bolivie furent nationalisées. La politique de la Bolivie est-elle de gauche? Marxiste? C’est possible. Mais l’ambassadeur de Bolivie en Italie a affirmé à Horizons et débats en 2008 que ce qui était décisif, ce n’est pas une politique traditionnelle de gauche comme par exemple au Venezuela qui était déterminante, mais bien les valeurs traditionnelles, la culture et les formes de société des Indios. Après des décennies de «théorie économique unique», il y a de nouveau en économie nationale des conceptions diverses. Mais la Bolivie fut classée sans autre forme de procès dans «l’axe du mal». Dans le monde, on ne prend pas de gants en politique.
Le livre de Benjamin Beutler est une contribution très stimulante pour celui qui veut comprendre où notre «ordre» économique indicible a abouti actuellement et à quelles tâches il convient de s’atteler.    •

Benjamin Beutler. Das weisse Gold der Zukunft – Bolivien und das Lithium. Berlin 2011, ISBN 978-3-86789-126-4

«La Bolivie d’aujourd’hui s’est toutefois débarrassée de la camisole de force du marché mondial avec son principe de l’offre et de la demande. La nouvelle devise en matière de commerce avec du lithium semble être: tout peut, rien ne doit. Car du côté bolivien, tous les participants ont clairement en tête: il s’agit à tout prix d’éviter une nouvelle liquidation du pays. Cette fois on veut garder la richesse qui repose dans le Salar de Uyuni dans sa propre maison au lieu de continuer de se vider de son sang. Cette fois la précieuse matière première ne doit pas être acheminée hors du pays. Cette fois tout doit se dérouler autrement. En réalité les chances pour un nouveau départ sont en ce moment aussi bonnes que jamais. Le changement en politique est comme partout une question de conscience. L’humilité coloniale des Boliviens, due à la violence et à la répression exercée sur eux durant des siècles dans la culture, la société et l’économie, appartient au passé.» (p. 25)