La dignité humaine passe avant les lois du commerce (règles de l’OMC)
Merci pour votre éditorial du 29 mars. La ruine économique des structures agricoles en Afrique (entre autres), due à la politique européenne est un sujet particulièrement important.
Malheureusement vous avez négligé un aspect moins connu qui jette un peu plus de lumière sur notre responsabilité. Les surfaces agricoles qui jusqu’ici nourrissaient les populations locales, précisément en Afrique disparaissent aussi parce que de vastes terres fertiles sont vendues ou affermées à long terme à des firmes étrangères. Ce sont surtout la Chine et l‘Inde – mais elle ne sont pas les seules – qui achètent ou afferment par l’intermédiaire des représentants de l’Etat au Congo, au Soudan, en Ethiopie et ailleurs de vastes surfaces dont on chasse ensuite les habitants pour y cultiver des plantes sources de biocarburants, par exemple de l’huile de palme. Et quand ils ne sont pas chassés, ils doivent travailler pour des salaires de misère à produire ces denrées d’exportation, sans que personne ne se préoccupe de savoir comment ils se nourrissent. (Ils peuvent peut-être acheter leur alimentation à d’autres transnationales ...)
De cela, on parle encore un peu, on le lit de temps en temps dans les journaux, récemment encore dans la revue «junge Welt» du 13 mars, qui cite une étude réalisée par l’«Observer» britannique.
Il est moins connu que l’UE et tout spécialement l’Allemagne encouragent ces agissements, en créant une demande d’«énergies renouvelables.» Prenons un exemple du secteur de la construction de bâtiments: il y a quelques années, une directive européenne a obligé les Etats membres à promulguer des lois et ordonnances imposant des économies d’énergie. En Allemagne a été promulguée une ordonnance relative aux économies d’énergie qui a été remise à jour et renforcée à quelques années d’intervalles. En soi c’est une bonne chose.
Des procédures de calcul compliquées permettent de calculer pour tout projet immobilier à autoriser des besoins en énergie primaire qui ne doivent pas excéder certaines valeurs. L’un des facteurs principaux, dans ces calculs, est le coefficient d’énergie primaire pour une source d’énergie donnée. C‘est finalement la volonté politique qui fixe ce dernier. Par exemple les combustibles fossiles (gaz naturel, pétrole) ont un mauvais coefficient, les énergies «renouvelables» en ont un bon. Les énergies renouvelables ne comprennent pas seulement l’énergie solaire ou la géothermie, très utilisée en Suisse, mais aussi les «bioénergies» sous forme de combustibles solides ou de biogaz. La combustion de plantes pollue certes l’environnement, mais c’est considéré comme positif, parce que les plantes brûlées ont auparavant absorbé du dioxyde de carbone et sont donc «climatiquement neutres». (Elles n’auraient toutefois pas agi autrement si elles étaient mangées et non brûlées.)
C’est ainsi que la demande en bois (granulés) a beaucoup augmenté ces dernières années, mais les maîtres d’œuvre utilisent aussi de plus en plus d’autres sources de bioénergie pour satisfaire aux prescriptions. En Allemagne beaucoup d’agriculteurs se sont par exemple convertis au colza, parce que les plantes «énergétiques» rapportent plus que les plantes vivrières. Je ne sais pas dans quelle mesure des produits agricoles africains jouent déjà un rôle sur ce marché par le biais, par exemple, de centrales thermiques produisant du chauffage à distance, mais la tendance est nette: il faut produire de l’énergie à partir des plantes.
S’y ajoute depuis début 2009 une deuxième loi allemande, qui exige explicitement qu’on se chauffe en partie avec des énergies renouvelables. Quand un immeuble (neuf) ne remplit pas ces conditions, il n’a droit qu’à 85% des besoins énergétiques de base normaux, il est donc sanctionné.
S’y ajoute aussi depuis quelque temps une vague de «certifications de l’habitat» qui déferle sur le marché allemand de l’immobilier et décerne des médailles comme aux Jeux Olympiques – ce qui bien sûr rapporte de l’argent aux divers organismes certificateurs. Et les propriétaires d’immeubles paient en général, car ils espèrent accroître ainsi la valeur de leur bien. La «durabilité» signifie entre autres que les économies d’énergie sont encore mieux récompensées que la loi ne l’exige. Mais ce sont les mêmes prescriptions qui en décident: celles qui accordent aux bioénergies un bon «coefficient d’énergie de base».
Et le cercle se referme. Les intentions sont bonnes – baisse de la consommation d’énergie, «durabilité» – mais on pousse aussi à détruire des surfaces agricoles vivrières pour produire de l’énergie. Est-ce vraiment un moyen d’assurer durablement l’autosuffisance alimentaire des pays? Une question qui sans doute n’intéresse pas les politiciens.
Cet agencement complexe de prescriptions qui se complètent dissimule une volonté politique bien simple – qu’on a ancrée au moyen de l’octroi de bons coefficients à certaines énergies. Cette volonté fait fi des conséquences qu’elle entraîne pour la production vivrière nationale. L’une d’elles est en effet que tous ceux qui veulent manger sont rendus plus dépendants des multinationales agroalimentaires. Et sans grand profit pour le climat, car les plantes sont brûlées au lieu d’être mangées.
Christian Fischer, ingénieur, Cologne