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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°19, 18 mai 2009  >  Que désire le «directoire des grands» de l’UE [Imprimer]

Que désire le «directoire des grands» de l’UE

Steinbrück renouvelle ses provocations et cause consciemment des dégâts en matière de politique étrangère

par Karl Müller

Les pays d’Europe ont actuellement un avant-goût de ce que serait la mise en œuvre du «traité de Lisbonne», accordant au «directoire des grands et à quelques-uns de ses vassaux» (Jean Asselborn, ministre luxembourgeois des Affaires étrangères) un poids encore plus grand en voix – ce serait bien le cas pour les Etats formant ce directoire, à savoir la France, la Grande Bretagne et surtout l’Allemagne – si le règlement de la «double majorité», par rapport à celui du «traité de Nice» valable actuellement, et si l’extension des domaines relevant des décisions prises à la majorité étaient adoptés.
Le sénat de la République tchèque vient à peine d’avaliser à contrecœur le «traité de Lisbonne» – cédant ainsi à des pressions massives et après avoir subi pendant des mois le comportement arrogant avant tout des politiciens allemands – que les membres de ce directoire, notamment les représentants allemands, triomphent. 1938 se rappelle à notre souvenir!
Les voix qui, en Europe, se permettent de parler franchement sont d’autant plus précieuses. Le ministre des Finances allemand a récemment non seulement attaqué de façon provocante le Luxembourg et l’Autriche, pays de l’UE, ainsi que le Lichtenstein et la Suisse, mais a apporté la preuve qu’il se comporte envers les pays d’Afrique comme les colonialistes blancs d’alors.
Le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, Jean Asselborn, a caractérisé ces débordements du ministre allemand de «niveau en-dessous de la ceinture», «d’une arrogance inouïe» et «une façon de s’exprimer avilissante». – «Chaque Luxembourgeois se souvient avec horreur de l’époque où venaient d’Allemagne des paroles et des discours, des humiliations et la peur.»
Un jour auparavant, le 5 mai, lors de la réunion des ministres des Finances de l’UE, le Premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker, avait violemment critiqué les listes «grises» et «noires» de caractère parfaitement malhonnête et allant à l’encontre du droit international, établies sous l’impulsion notamment du parti socialiste allemand. Il a rappelé que les gouvernements des pays de l’UE présents lors du sommet du G20 à Londres, soit de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et de la Grande Bretagne, n’avaient pas respecté les décisions prises lors du sommet de l’UE de mars. On y avait décidé de renoncer à mettre des pays de l’UE sur ces listes.
L’actuel président du Conseil européen des ministres des Finances, le ministre tchèque Miroslaw Kalousek, a soutenu la critique venue du Luxembourg dans la mesure de ses possibilités et s’est adressé ainsi aux ­ministres de l’UE présents: «J’estime nécessaire de présenter mes excuses au Luxembourg et à l’Autriche – il n’était pas honnête de publier leurs noms sur cette liste.»
Toutefois, le ministre allemand des Finances ne s’en préoccupe guère. «Nous continuerons de nous occuper de cette question» fit-il savoir, en réaction à la critique. Et en fait, Steinbrück et le parti socialiste conti­nuent comme si de rien n’était. Dernièrement encore, le 7 mai, au sein du Bundestag. Car ils savent, et le disent, qu’ils agissent dans le sens (et sur ordre?) du nouveau gouvernement américain.
Aux USA, on ne fait pas uniquement fonctionner la planche à billets pour se procurer de l’argent frais; les citoyennes et citoyens américains eux-mêmes doivent s’attendre à payer toujours plus pour financer les guerres qui dévorent des billions de dollars et pour les versements au monde de la finance. Cela sous prétexte d’agir pour la justice sociale, le tout devant être pris soi-disant avant tout aux «riches».
Le parti socialiste allemand (SPD) se contente d’un tel agissement déloyal. Car, ce n’est pas l’expérience qui lui manque dans le domaine de la répartition de «bas» en «haut» présentée comme une «réforme sociale». Le 5 mai, le vice-président du groupe parlementaire socialiste au Bundestag, Joachim Poss, avait affirmé dans une déclaration de presse du groupe, que les agissements des Etats-Unis étaient un «signal important», donnant raison au comportement du parti socialiste.
Mais d’autres partis allemands voient les choses tout autrement. Lors du débat du 7 mai au Bundestag, le député du parti libéral (FDP), Hermann Otto Solms, s’est adressé directement au ministre des Finances: «Il vaudrait mieux négocier avec les pays amis plutôt que de les menacer. Cela est vrai particulièrement pour la Suisse qui a entrepris son processus de démocratisation dès 1291, ce qui en fait un pays à très longue tradition démocratique. La Suisse peut encore aujourd’hui être un modèle pour nous, il suffit d’évoquer les instruments de démocratie directe de ce pays. Nous n’avons pas à donner des leçons aux Suisses, mais à négocier avec eux pour trouver des solutions acceptables par les deux parties.» Quant au vice-président du groupe parlementaire chrétien-social (CDU/CSU), Michael Meister, il avait estimé le 5 mai déjà que «Steinbrück renouvelle ses provocations et cause consciemment des dégâts en matière de politique étrangère.»
* * *
Comment se fait-il que le SPD, qui se prenait pour le digne gardien de l’UE, mélangeant tout, se lance avec agressivité contre les petits pays de cette UE et contre d’autres petits pays, telle la Suisse? Tout cela à cause de prétendues petites sommes, lesquelles, même si elles existaient, ne représenteraient pas plus qu’une goutte d’eau comparées à la montagne de dettes de l’Etat allemand qui s’élève à 1,5 billion (1500 milliards) d’euros?
Si le calcul de Steinbrück devait se révéler juste, soit 2 milliards d’euros de pertes fiscales du fait des transferts de fonds allemands en Suisse, cela représenterait 1 pour mille de la dette. Trop peu pour payer les intérêts de cette dette pendant deux semaines. Par ailleurs, de telles questions devraient être traitées par négociations équitables.
Mais où se trouvent donc ces fortunes qui, selon Steinbrück (qui s’exprimait à ce propos au Bundestag le 7 mai), pourraient rapporter à l’Etat allemand annuellement 100 milliards d’euros, soit 50 fois plus que ce qu’il pourrait retirer de la Suisse? On les trouve peut-être dans les paradis fiscaux britanniques ou américains, que Steinbrück se garde bien de nommer!
Il apparaît donc clairement qu’il s’agit d’autre chose que de récupération d’impôts non payés. Ce qui est aussi apparu dans les critiques émises au Bundestag suite aux attitudes inconséquentes de Steinbrück.
Il ne s’agit pas non plus de soucis d’équité, ce qui irait par trop à l’encontre de la politique allemande, et notamment de la politique du SPD.
Peut-on penser qu’on se comporte aussi brutalement seulement pour gagner quelques voix dans les élections à venir? Ce n’est guère crédible, à moins que la direction du SPD ait complètement perdu la tête.
De quoi donc s’agit-il? Un ordre des Etats-Unis, eux-mêmes enfoncés jusqu’au cou et qui voudraient réduire la concurrence de l’UE? A peine, du fait que le comportement actuel du SPD n’est guère propice à renforcer cette UE.
Peut-on penser à un retour mutant de la vieille conception national-socialiste d’une Europe sous direction de l’Allemagne? Il y aurait malheureusement quelques indications, voire des preuves dans ce sens, malgré les tentatives d’occultation de cette thèse encore tabou jusqu’à présent.*
La remarque du Premier ministre du petit pays qu’est le Luxembourg – émise lors d’une interview accordée à «Spiegel Online» du 9 mai – dit: «nous avons déjà une fois été occupés et nous avons souffert de l’occupation allemande». Ces mots vont au-delà de la simple rhétorique politique et doivent être pris très au sérieux!
Il est donc particulièrement grotesque de la part des dirigeants de la «Linkspartei» et des Verts de soutenir la politique de Steinbrück.
Mais, n’est-ce là qu’un concept allemand? Qui voulait, il y a 80 ans, voir les national-socialistes au pouvoir en Allemagne? Il ne s’agissait pas que de pouvoir, mais d’un pouvoir mondial et de beaucoup d’argent – pour le grand capital de New York et Londres. Il suffit de relire les livres d’histoire.
Qui a intérêt aujourd’hui à laisser brandir le fouet et le bâton par le plus puissant «vassal» en Europe? Il est honteux qu’un parti qui se prétend «social-démocrate» s’engage ouvertement dans cette voie.    •


*    On trouve dans la littérature scientifique des études démontrant les relations entre les conceptions natio­nal-socialistes concernant l’Europe et celles de l’après-guerre, p.ex. dans le livre de John Laughland: «The Tainted Source: Undemocratic Origins of the European Idea» (1998, ISBN 978-0751523249), ou bien le recueil «Europäische Integration. Deutsche Hegemonialpolitik gegenüber Westeuropa 1920 – 1960» dans la publication «Beiträge zur Geschichte des Nationalsozialismus» (2002, ISBN 3-89244-607-5). Malheureusement, on en parle trop peu, sauf dans le journal Internet www.german-foreign-policy.com pour les régions de langue allemande.