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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°24, 16 juin 2008  >  Les citoyens de Pécs s’opposent aux radars de l’OTAN [Imprimer]

Les citoyens de Pécs s’opposent aux radars de l’OTAN

De la lutte pour le droit jusqu’à la désobéissance civile

par Angelika Ferency et Armin Hofmann

Péter et Angéla vivent avec leurs enfants non loin de la frontière serbo-croate, au bord de la ville de Pécs au sud-ouest de la Hongrie. Nous nous rendons au travers d’une rangée de maisons dans l’arrondissement de Isenkùt (en français: la fontaine divine), dans une rue bosselée perdant son asphalte en cours de route. Angéla saute par-dessus un fossé au bord de la route et nous fait signe. Son mari nous salue de la maison angulaire qu’ils ont rénovée et rendue habitable de leurs propres mains. On sent la bonne odeur d’un délicieux gâteau aux pommes. «Je suis la mère de cinq garçons, ce dont je suis fière», nous dit-elle en riant, commentant ainsi l’animation régnant sous la table et autour d’elle où nous nous sommes installés.
Peu après, la porte s’ouvre pour laisser entrer Alex, un jeune homme d’origine hongroise, ayant grandi aux Etats-Unis, puis revenu en Hongrie pour entreprendre des études de médecine à Pécs. Le benjamin se précipite vers lui pour être pris dans ses bras et recevoir un baiser. Alex est accompagné d’Orsi, qui enseigne la psychologie sociale à l’Université. Les deux luttent depuis des années, avec de nombreux citoyens, contre la mise en place d’une installation de radars de l’OTAN dans l’espace de repos situé à proximité. Alex, Péter et Angéla se sont alliés, dans leur lutte contre le ‹système de défense antimissile› des Américains, avec des citoyens tchèques et polonais et ont lancé l’appel de Prague (www.prague-declaration.org).

Quatrième anniversaire de leur lutte à succès

Dans l’après-midi, ils se trouvaient sur la montagne Zeng, située dans la chaîne du Mecsek, qui domine Pécs. Ils y ont fêté, dans un vent glacial et décoiffant, la quatrième année de leur lutte à succès contre l’installation de radars de l’OTAN. «Nous ne voulions pas de base militaire à proximité. Nous ne voulions pas voir sacrifiée l’aire de repos de notre ville par un projet militaire. Et nous ne voulions pas risquer la santé de nos enfants par les rayonnements des radars.» Ce furent leurs propres paroles.
Certains parmi eux s’étaient enchaînés aux arbres lorsque les bulldozers s’étaient approchés en 2004 pour défricher le terrain en vue de la mise en place de la station radar. Avec succès, l’installation du radar échoua. Le juge de la cour constitutionnelle de l’époque, ­Solyom, aujourd’hui président de la Répu­blique, avait confirmé par jugement suprême que les intérêts militaires ne pouvaient prendre le pas sur la santé des citoyens.
Mais, dans un même souffle, il fut décidé de construire cette installation dans la mon­tagne Tubes située dans la chaîne de montagne Mecsek, en plein milieu d’une zone protégée ‹natura 2000›. Personne n’était au courant, ni les citoyens ni les représentants au parlement communal.

Une manœuvre par surprise

László Toller, le maire de l’époque, était habile pour tirer les ficelles en douce; il fut un stratège politique de l’ancienne nomenklatura socialiste, membre du parti et soutien occulte du Premier ministre en place Gyurcsány, lequel avait déclaré publiquement qu’il avait menti à la population, ce qui avait failli provoquer un soulèvement. «Un mauvais roi», déclare Angéla, «qui a dirigé notre ville en faisant jouer toutes ses relations d’antan, mais sans tenir compte de la volonté des citoyens, comme cela devrait être le cas en bonne démocratie.»
Toller avait imaginé un coup de surprise. Il fit savoir, en un premier temps, qu’il n’y aurait pas de radar sur le Tubes. Le 23 novembre 2005, il mit subitement, et sans que quiconque s’y attende, à l’ordre du jour une votation sur ce sujet au parlement communal qui devait se tenir le lendemain. Les députés n’eurent pas le temps de s’y préparer ne sachant pas même ce qu’ils allaient voter. Le dossier présenté au vote contenait le numéro cadastral du terrain, mais pas le nom de l’endroit où le radar devait être installé. Ils votèrent donc sur un numéro anonyme, sans se douter qu’ils venaient d’approuver la construction de l’installation du radar de l’OTAN.
On fit savoir publiquement que le radar devait être installé sur un terrain militaire – lequel avait pourtant été désaffecté après le changement de régime! On précisa que les citoyens n’avaient pas à se prononcer sur des terrains militaires. Mais il y avait un hic: le numéro cadastral du terrain, objet du vote du parlement communal, ne correspondait pas au lieu de l’ancien terrain militaire où l’installation de l’OTAN devait être construite. Une véritable embrouille!
«Ainsi tout le monde fut dupé», remarqua Péter, «les citoyens de Pécs tout comme les députés du parlement communal. – Cela nous amena à remettre en œuvre la résistance civile. Nous avons fondé une association de citoyens du nom de ‹Civilek a Mecsekért Mozgalom› (www.cmm.hu), d’après la montagne Mecsek dans laquelle se trouve le Tubes. Notre association de quartier Istenkùt a adhéré à l’association des citoyens du fait que notre quartier se trouve proche du Tubes.»

Coup sur coup

C’est alors que les événements se précipi­tèrent: en premier lieu, les lois nationales furent modifiées, permettant aussi sur le plan national la construction de dispositifs militaires sur le Tubes. Il est à remarquer que, après l’accord du parlement communal pour la construction du radar de l’OTAN, la fameuse manufacture de porcelaine Zsolnay, une entreprise d’Etat d’alors, (comparable aux porcelaines de Meissen) fut adjugée à la ville de Pécs, sans contre partie. De plus, vint de l’étranger une importante donation. De toute façon, selon les rumeurs, des cercles importants de l’OTAN et de l’UE se seraient engagés pour que la ville de Pécs soit proclamée en 2010 capitale de la culture, ce qui lui rapporterait 43 milliards de forints (environ 218  millions d’euros). Angélica s’écrie: «Quoi, une capitale culturelle, alors qu’il y a dans cette ville plusieurs milliers de ménages sans eau courante … nous sommes bien heureux d’avoir notre propre source d’approvisionnement en eau dans notre terrain.»
Elle se rendit à la cuisine pour en revenir avec la tarte aux pommes, dont la senteur envahissait la maison, accompagnée d’un thé chaud. Du coup, les cinq fils furent présents, riant et criant, prenant chacun un morceau puis disparaissant à nouveau.

La résistance civile

En 2006, lors des élections parlementaires nationales, il ne fut pas question du radar de l’OTAN sur le Tubes. Le Premier ministre Gyurcsány vit son mandat confirmé, ce que beaucoup regrettèrent. Toller, l’ancien maire, fut victime d’un grave accident qui l’empêcha de garder sa fonction. Péter Tasnádi, un collègue de parti, lui succéda. Lors des élections communales, le radar fut mis sur le tapis, mais leur résultat ne changea rien au fait accompli. Selon Alex: «Ni le parti socialiste, ni le parti national-conservateur Fidezs, ni non plus les Verts, qui pourtant nous soutiennent dans nos idées, ne se sont impliqués pour notre revendication.»
«Il ne nous resta donc d’autre solution que de lancer un référendum. Nous avions déjà récolté des signatures en janvier 2006 pour obliger le parlement communal à nous en­tendre.» – «Nous avions mis en place des stands dans les rues pour engager des débats avec nos concitoyens sur ce radar de l’OTAN», raconte Péter. «Toutefois ce qui nous a le plus enthousiasmés fut le fait qu’un nombre grandissant de citoyens emmenait des listes de signatures pour en récolter. Ainsi, nous eûmes en un rien de temps le nombre suffisant de signatures – 5% des votants.»
La salle était bondée pleine lors de l’audition à la mairie. De hauts représentants du ministère de la Défense étaient présents, ce qui n’impressionna pas les citoyens présents, environ 200, car ils étaient fort bien préparés et possédaient les meilleurs arguments. C’est alors qu’un député quitta la salle, suivi petit à petit, comme à la queue leu leu, par les autres, jusqu’à ce qu’il fut évident que le quorum n’étant plus atteint, il ne pouvait y avoir de décision.

Récolte de signatures

Il ne restait donc plus que la possibilité de faire échouer cette construction du radar par une votation populaire. Pour cela, il fallait 18 000 signatures, soit le 10% des votants de la commune de Pécs. De plus, pour que la votation soit déclarée valable, il fallait qu’au moins 50% + 1 voix des votants de la commune soient déposées.
Lorsque la Hongrie a dû voter pour adhérer à l’OTAN, le quorum national avait été abaissé juste avant à 25%. Pour les com­munes il resta à 50% + 1 voix, ce qui n’avait jamais été atteint jusque-là.
Toutefois, les succès précédents nous encouragèrent à tenter l’impossible. «Nous n’avions qu’un mois à disposition pour récolter le nombre prescrit de signatures, ce qui était déjà une performance!» De plus, le gouvernement communal ne se fit pas faute de nous dresser des embûches, en exigeant brusquement que les citoyens devaient présenter, lors de la signature, le numéro de leur carte d’identité. Toutefois, les nouvelles cartes d’identités délivrées entre-temps, ne possédaient pas de tels numéros, ce qui rendit d’aucuns incertains et les incita à ne pas signer. «Mais comme auparavant, nombreux furent ceux qui nous aidèrent – même des inconnus, ce qui nous permit d’obtenir rapidement le nombre voulu de signatures.»

La votation

C’est ainsi qu’il y eut une votation à Pécs en mars 2007 à propos du radar sur le Tubes. Une fois de plus, le maire mena double jeu. Le gouvernement communal qu’il présidait aurait dû informer les citoyens sur le contenu de cette votation. Mais on se contenta de les inciter à aller voter; car, selon le maire, il souhaitait savoir ce qu’en pensait la population.
Les «civils» de Mecsekért Mozgalom prirent les choses en mains. Ils profitèrent des occasions qui s’offraient, pour imprimer des tracts afin d’informer la population; ils installèrent un site Internet dans le même but et envoyèrent des SMS pour inciter, au dernier moment, la population à se rendre aux urnes. Plus de 30% répondirent à l’appel et plus de 95% d’entre eux s’exprimèrent contre la construction de cette installation radar de l’OTAN.
Péter reste rêveur, car: «une participation de 50% + l voix ne peut être atteinte que dans les votations nationales, mais pas au niveau communal. Il est très déçu que la votation n’ait pas eu de succès.» Alors que le maire n’a été élu qu’avec la moitié de ces voix, soit 28 000, alors que 39 000 se sont prononcées contre la construction de cette installation radar.

Recours au tribunal

Les citoyens exprimèrent leur indignation en organisant des manifestations, mais sans succès. Selon Péter, il ne restait qu’une voie, celle de la justice, après que toutes les possibilités politiques aient été tentées en vain.
En fait, les sujets de plaintes ne manquaient pas: pour une part, il y avait le fait, à l’encontre de ce qui avait été prétendu, que le terrain militaire ne correspondait pas au terrain où la station radar de l’OTAN devait être installée. De plus, cette installation devait se faire en plein milieu d’une réserve naturelle où l’on ne trouve que des sentiers. Il eut fallu procéder à l’explosion de 50 000 m3 de roches pour construire des routes et des chemins d’accès. De plus, la question des eaux usées devait être résolue, du fait que la région autour du Tubes est soumise à la protection des eaux. Il n’y avait pas de permis de construire pour l’énorme coupole nécessaire à la construction de l’installation. Il n’y avait pas eu d’études sur le rayonnement auquel serait soumis la population. Finalement, le ministère de la Défense s’est accordé à lui-même le permis de construire, ce qui était illégal.
C’est pourquoi on formula en premier lieu une opposition auprès du ministère, puis auprès du tribunal, dans l’espoir d’obtenir un effet suspensif jusqu’à ce que les questions en suspens soient réglées juridiquement.
Le tribunal aurait dû rendre sa décision dans les huit jours, mais rien ne se passa. Ce ne fut que quelques mois plus tard, en automne 2007, qu’on apprit que la plainte n’avait pas d’effet suspensif, une décision annulée en deuxième instance au profit du mouvement de citoyens.
Finalement, le tribunal compétent décida en mai 2008 que la plainte contre le ministère de la Défense, qui s’était accordé à lui-même le permis de construire l’installation radar de l’OTAN, ne serait pas soumise au Tribunal européen et que le jugement était donc valide.
C’était le soir et Angéla apporte de la cuisine une pizza aux brocolis. «Il n’est pas facile, dit-elle, de s’engager, en tant que civils, pour les droits des citoyens. On passe tout de suite pour mauvais. C’est ainsi chez nous. Je travaille avec des personnes handicapées et ne reçois aucune aide de la commune, alors même que je m’engage pour toutes et tous!»

«Il ne s’agit pas de détails …»

«C’est très simple: nous ne voulons pas de cette installation radar!» précise Péter. «Il ne s’agit pas de détails! Il va de soi que nous sommes préoccupés par la santé de nos concitoyens, par la protection de la nature et par d’autres questions, mais il s’agit d’abord de principes: qui décide de notre vie, nous, la population de Pécs ou bien le gouvernement?»
Nous savons très bien comment doit se développer notre ville. Nous ne voulons pas être les victimes de conflits de puissances intérieures ou extérieures qui décident par-dessus nos têtes de notre sort; nous ne voulons pas être tributaires de ces derniers. Nous voulons installer ici des petites et moyennes entreprises, nous voulons un environnement sain avec une production d’énergie raisonnable et nous voulons organiser nous-mêmes la vie de notre commune.» – «Nous vivons ici, avec nos enfants, avec nos voisins et nous nous identifions à notre ville.» – «Et c’est pourquoi, précise Péter, nous ne voulons pas que notre ville devienne l’accès militaire aux Balkans.»
«Pour l’instant, nous attendons les décisions du tribunal et espérons avoir le droit de notre côté», ajoute Alex. Péter l’interrompt par un solide «oui!» et continue «je n’ai pas envie de me voir là-haut sur le Tubes en résistance pacifique. Cela pourrait être assez dangereux.» Après un temps d’arrêt, il continue: «Mais s’il le faut, nous y sommes prêts! Oui …»
Il était déjà tard et nous avions à parcourir en voiture un long chemin par la montagne. Lors des adieux, nous nous sommes donnés l’assurance de nous revoir pour à nouveau échanger nos expériences et nos impressions.
Lors de notre voyage de retour, nous nous sommes souvenus que l’OTAN a mené, à quelques kilomètres seulement, une sale guerre dont les gens souffrent aujourd’hui encore; ce fut le début d’une série de guerres contraires au droit international, qui ont provoqué la mort et la misère de femmes, d’hommes et d’enfants innocents. Et il est prévu que cela continue …    •

(Traduction Horizons et débats)