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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°9, 4 mars 2013  >  De la Chine, du sénateur Rand Paul et de l’épouvantable coût des frontières ouvertes [Imprimer]

De la Chine, du sénateur Rand Paul et de l’épouvantable coût des frontières ouvertes

par Michael Scheuer*

Bien que l’information diffusée cette semaine, selon laquelle les militaires chinois auraient piraté les pages Web du gouvernement et d’entreprises des Etats-Unis, et l’apparition du sénateur Rand Paul à Fox News le 10 février – au cours de laquelle il a demandé au Président Obama de reconnaître qu’il ne pouvait tuer un citoyen américain avec un drone – ne semblent avoir aucun lien avec le problème des frontières, il y a un rapport évident.
Ce que les militaires chinois semblent avoir fait est d’avoir franchi une espèce de limite, électronique, dont le but est de protéger du matériel de défense et commercial sensible, conservé dans des systèmes informatiques. Que les Chinois fassent cela n’est pas une surprise. Il y a un certain temps qu’ils y travaillent, exactement comme les gouvernements occidentaux. Qu’on se souvienne des informations concernant les cyber-attaques israélo-américaines sur les installations nucléaires iraniennes et les attaques renouvelées de hackers amateurs sur des banques, des entreprises de cartes de crédits, des médias et des institutions gouvernementales.
Dans notre cas, le reportage détaillé qui a été publié sur les attaques chinoises semble avoir déclenché une colère considérable dans l’opinion publique américaine et chez quelques fonctionnaires fédéraux élus et non élus. Notre frontière électronique souveraine – si l’on veut – a été violée sans motif par une puissance étrangère dans le but de nuire à l’Amérique, ou du moins de préparer la Chine à nous faire du mal à l’avenir. Il semble que l’attaque chinoise entraînera un renforcement de notre défense électronique, ce qui n’est que bien.
Cependant, la plus grande partie de la colère américaine concernant la cyber-attaque infondée contre notre cyber-frontière disparaît quand il s’agit du fait que tant de nos ennemis ont régulièrement et sans motif franchi nos frontières territoriales et côtières traditionnelles. Et là les paroles du Sénateur Paul sont pertinentes. Sur Fox News, le sénateur Paul s’est fait du souci pour le Président Obama – et probablement aussi pour ses successeurs – concernant l’engagement de drones pour tuer des citoyens américains à l’intérieur des Etats-Unis. C’est un point légitime – ou qui l’aurait été – si les craintes du sénateur n’apparaissaient pas beaucoup trop tard.
Il est regrettable pour notre pays que la préoccupation du sénateur Paul concernant l’engagement de drones à l’intérieur des Etats-Unis ait déjà été dépassée par les événements. Durant trente ans et plus, les contrôles frontaliers inexistants sur terre et sur le littoral signifient deux choses: a) nous n’avons aucune idée du nombre de nos ennemis et de leurs représentants qui résident en Amérique et b) nous n’avons aucune idée quels genres d’armes ces ennemis ont déjà cachées soit à l’intérieur des Etats-Unis, soit immédiatement de l’autre côté de la frontière, au Mexique et au Canada.
Alors que les politiciens se sont affrontés durant trente ans sur une «réforme de l’immigration», ils ont ignoré le fait que la seule préoccupation vraiment importante concernant les frontières américaines était leur lien fondamental et direct avec la défense nationale. Cette considération vient en premier et en dernier lieu et toujours; toutes les autres craintes concernant la frontière ont infiniment moins d’importance. Et comme nous n’avons rien fait pour nous protéger en contrôlant nos frontières, nous aurons dans un temps pas trop lointain un président qui n’engagera pas seulement des drones à l’intérieur des Etats-Unis, mais qui déclarera également la loi martiale pour maintenir l’ordre et qui modifiera le droit fédéral américain de sorte que les forces armées américaines puissent opérer à l’intérieur du pays.
Si vous pensez que c’est tiré par les cheveux, ça ne l’est pour vous que parce que les medias dominants et les politiciens vous ont endormis, eux qui tous connaissent le rôle vital que des frontières contrôlées ont à jouer pour la défense nationale, mais qui ne veulent pas en parler.
Par conséquent, la vérité c’est que personne parmi nous n’a besoin de médias, de politiciens ou de généraux couverts de décorations pour dire l’évidence. L’Amérique a perdu la guerre en Irak parce que nous n’avons pas su fermer les frontières aux moudjahiddines entrants ou que nous ne voulions pas les fermer. Nous avons perdu la guerre en Afghanistan parce que nous-mêmes avons simplement omis d’envisager la fermeture de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. Nous avons perdu la guerre contre la drogue parce que nous avons négligé de contrôler nos propres frontières. Le régime syrien de Bachir el Assad perd sa guerre parce qu’il ne peut plus contrôler ses frontières et arrêter l’invasion de combattants islamistes. Israël se voit confrontée à un danger futur parce que les tyrans arabes ne sont plus là pour contrôler leur côté de la frontière avec Israël. Bref: des frontières incontrôlées mènent inévitablement au désastre.
Et l’Amérique ne fera pas exception à cette règle absolue. Abstraction faite des millions d’étrangers non enregistrés qui vivent actuellement en Amérique, le gouvernement a suivi ces trente années une politique extérieure interventionniste, avec laquelle il a menacé et brimé des pays et mouvements étrangers – dont un grand nombre méritent clairement d’être intimidés si ce n’est durement punis – ce qui lui a souvent valu une haine acharnée de leur part.
Durant la même époque, le gouvernement américain a laissé nos frontières sans contrôle, et si nos ennemis ne sont pas idiots – et ils ne le sont pas – ils ont profité de ces frontières ouvertes pour se préparer au jour où a) ils ne supporteront plus les brimades et les menaces américaines ou b) Washington prendra des mesures militaires directes contre eux. Y a-t-il quelqu’un qui croit sérieusement que l’Iran ou le mouvement sunnite islamiste n’ont pas profité de l’avantage qu’offraient les frontières ouvertes pour introduire des combattants et des armes aux Etats-Unis? Quelqu’un accepte-t-il le mantra traditionnel du FBI qui dit: «Nous n’en avons pas trouvé en Amérique, donc il n’y en a pas»? N’est-il pas simplement raisonnable que les ennemis des Etats-Unis – qui dans une véritable guerre contre l’armée américaine n’auraient aucune chance de l’emporter –préparent la vengeance en se préparant à commettre un bain de sang à l’intérieur du pays? Et n’aurait-il pas été tout aussi raisonnable pour Washington de mettre ses frontières sous contrôle pendant qu’il était occupé à pratiquer une politique extérieure interventionniste dont il savait qu’elle lui aliénait une grande partie du monde?
Finalement, nous saurons probablement nous protéger efficacement contre les cyber-attaques chinoises. Nous en sommes conscients et cela nous irrite et nous sommes assez bons dans cette façon de faire la guerre. Mais il est malheureusement beaucoup trop tard pour nous protéger nous-mêmes contre la violence intra américaine qui surgira aux Etats-Unis, parce que nous avons omis de contrôler nos frontières. Il n’y a aucun doute que les combattants et les armes et matériels de nos ennemis sont déjà là; la seule question est de savoir quand ils se décideront à les engager. S’ils le font, les soucis légitimes du sénateur Rand Paul pour la protection des droits des citoyens américains au sein des Etats-Unis, seront balayés par la loi martiale, la puissance dictatoriale du président et les opérations militaires à l’intérieur du pays. Elles seront toutes les fruits des frontières non contrôlées et par conséquent des occasions que celles-ci ont créées pour nos adversaires pour se préparer à la guerre en Amérique du Nord.    •
Source: Michael Scheuer, Non-Intervention.com
du 20/2/13
(Traduction Horizons et débats)

*    Michael Scheuer, né en 1952, historien et analyste politique. Pendant 22 ans, jusqu’en 2004, Scheuer était collaborateur de la CIA où, de 1996 à 1999, il a dirigé l’unité «Usama ben Laden». Après son départ de la CIA, il a travaillé comme journaliste pour l’agence de presse CBS News et The Jamestown Foundation. Aujourd’hui, il enseigne à la Georgetown University de Washington. Par ailleurs, c’est un expert en sécurité pour plusieurs chaînes de télévision et il écrit des livres. Il s’est rendu célèbre avant tout par son livre «Imperial Hubris: Why the West is Losing the War on Terror» paru anonymement sur demande de la CIA. En 2012, il a soutenu la candidature de R. Paul en soulignant ses vues de politique étrangère.