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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°22, 6 juin 2011  >  Que les voisins s’occupent de leurs propres affaires – nous nous occupons des nôtres! [Imprimer]

Que les voisins s’occupent de leurs propres affaires – nous nous occupons des nôtres!

Un plan sournois des Stuttgartois: supprimer les frontières

par Marianne Wüthrich, docteur en droit, Zurich

En Bade-Wurtemberg les nouveaux partis du gouvernement, la SPD et les Verts, ont conclu un traité de coalition. C’est bien leur droit. Il est cependant inacceptable que ce traité de coalition se mêle en plusieurs domaines des affaires intérieures de la Suisse, qu’il veuille dicter à l’Etat voisin souverain ce qu’il a à faire et qu’il revendique même un droit de regard pour le Bade-Wurtemberg. Lorsqu’un autre Etat (ou bien un Etat membre comme le Bade-Wurtemberg) veut quelque chose de nous, il n’a qu’à se tenir au droit international et proposer des négociations au gouvernement suisse – avec le respect dû envers l’Etat voisin souverain. Le gouvernement rouge-vert de Stuttgart a apparemment d’autres desseins: Il est question de «droits de participation» des Allemands en Suisse et de «coopération transfrontalière»  avec la «région voisine». Un tel vocabulaire vise à supprimer progressivement les frontières nationales. Tous les Etats nationaux devraient être dissous en une masse uniforme dans le ventre de l’immense empire anonyme de l’UE.

Aéroport de Zurich-Kloten: en profiter mais sans subir les mauvais effets

«Le Bade-Wurtemberg dispose de suffisamment d’aéroports et de places d’atterrissage dans l’enceinte du pays et dans les pays voisins.» (Traité de coalition, p. 30)1
Eh bien: Et aussi suffisamment de circulation aérienne? Parmi les aéroports «dans les pays voisins», il y a l’aéroport de Zurich-Kloten qui est – tout le monde le sait – très bien fréquenté par les voisins allemands. Néanmoins le traité de coalition ordonne: «Nous nous engageons dans l’intérêt de la région frontalière de Bade sud pour une restriction significative des nuisances sonores par la circulation aérienne de l’aéroport de Zurich, nous soutenons les positions fixées dans la ‹Stutt­garter Erklärung zum Flugverkehr› (déclaration de Stuttgart concernant la circulation aérienne) et la maintenance inconditionnelle des interdictions des vols de nuits.» (p. 30) La «Stutt­garter Erklärung» de 2009 veut entre autre restre­indre le nombre de vols sur le territoire allemand à 80 000 et maintenir les interdictions de vols le matin et le soir, ce qui signifierait une aggravation des restrictions actuelles. La limite de 80 000 a même été inscrite explicitement dans le traité de coalition et n’a été supprimée qu’à la dernière minute. (Source: NZZ am Sonntag du 1 mai 2011)
Est-ce là une démonstration de «solidarité» entre les peuples telle que les néo-Verts la comprennent? Selon la devise: Nous coproduisons la pollution, mais nous laissons aux Suisses le soin de résoudre le problème du bruit et de la pollution de leur environnement? Et cela bien entendu avec des déclarations unilaté­rales, y compris des chiffres concrets sur des mouvements de vol et les ho­raires de jour, par-dessus les têtes de la Suisse souveraine, tout comme l’Allemagne le pra­tique déjà depuis des années. Que ce soient aujourd’hui les avions de la «Lufthansa» allemande qui dominent les vols à Kloten, on ne l’a apparemment pas remarqué de l’autre côté de la frontière. Au fait, l’accord sur le transport aérien a été la partie des Accords bilatéraux I entre l’UE et la Suisse qui nous a été présentée avant la votation comme la meilleure part du gâteau: justement à cause de cet accord, beaucoup de Suisses ont accepté, il y a dix ans, les Bilatérales I malgré leurs nombreux désavantages. Et comment se présente aujourd’hui, après les découpages par l’Allemagne, la liberté du transport aérien dont les mérites ont été tellement vantés?
Les anciens sociaux-démocrates avaient encore d’autres idéaux en ce qui concerne la solidarité des peuples – mais ils n’avaient pas non plus l’intention de dissoudre en douce les frontières entre les Etats sans demander aux habitants s’ils le veulent. Ils avaient des idées honnêtes, là il s’agissait de la fraternité entre les peuples sur un pied d’égalité.
D’après les dires d’utilisateurs, l’aéroport de Stuttgart serait quelque peu désert.

La Suisse n’attend pas les «stress tests» de l’UE

«Nous nous engagerons au niveau européen pour que le «stress test» prévu pour les centrales nucléaires, concernant les centrales proches de la frontière en France et en Suisse, respectent les critères du point de vue de la technologie de la sécurité, tels que développés par la Commission pour la sécurité des réacteurs pour de tels examens.» (Traité de coalition p. 33)
Là aussi, nous n’avons pas besoin d’un «engagement» dicté par l’extérieur – car la Division principale de la sécurité des installations nucléaires suisses (DSN) a mis en route depuis longtemps les examens nécessaires, c’est-à-dire une semaine après l’accident nucléaire au Japon. (cf. Horizons et débats no 20 du 23/5/11).
Les habitants du Bade-Wurtemberg feraient mieux de s’engager à Bruxelles pourque les autres centrales nucléaires européennes soient également mises à l’examen dans des délais raisonnables. Nous, les Suisses, nous sommes en tout cas indépendants et nous n’avons pas à attendre jusqu’à ce que les 27 gouvernements se soient mis d’accord. Nous n’avons pas à craindre les «stress tests de l’UE».

Attaque totale contre la souveraineté de la Suisse

«Nous nous engagerons pour que la Suisse garantisse les intérêts et les droits de participation de la région frontalière allemande au processus de planification de son lieu de stockage en profondeur de déchets nucléaires à une distance de 30 km du lieu de stockage définitif.» (Traité de coalition, p. 33)
Ces Messieurs Dames d’outre Rhin se comportent comme s’ils commandaient en Suisse – comme si la frontière entre les deux pays, qui est en même temps une frontière de droits politiques, n’existait pas. Cela veut dire concrètement:
D’abord, les Verts veulent déjà avoir la parole pour le choix du lieu de stockage définitif en Suisse, comme ils l’ont déjà annoncé en 2007: «Il faut avoir la garantie que le groupe d’accompagnement prenne son travail déjà au début de la première étape (choix des sites potentiels en vue de critères de la technologie de la sécurité) avec l’implication de l’Allemagne comme Etat voisin potentiellement concerné. Ceci nécessite des réglements clairs pour la constitution du groupe et sa manière de travailler. De même il faut la garantie qu’il ait accès à des experts indépendants.» (cf. motion du groupe parlementaire des Verts avec Kretschmann à l’adresse du Landtag de Bade-Wurtemberg du 10/4/07)
En clair: Des membres du gouvernement allemand, des fonctionnaires de l’administration et des experts ne réclament pas seulement de participer sur pied d’égalité au sein de commissions fédérales suisses mandatées de la recherche de sites de stockage définitif de déchets nucléaires, mais ils veulent en même temps décider de la constitution et de la manière de travailler d’une commission d’un Etat souverain – voilà qui rappelle désagréablement les époques les plus sombres.
En outre la population allemande dans le périmètre de 30 km d’un lieu suisse de stockage définitif potentiel devra avoir le même droit de participation que la population suisse: «La participation de la population concernée du côté suisse et allemand doit se faire sur pied d’égalité dans le cas d’un site proche de la frontière.» (cf. motion du 10/4/07)
Ainsi la population allemande devrait tout d’un coup prendre part aux décisions suisses? Une population qui, comme chacun sait, n’a dans ses propres communes, Länder et dans la République fédérale (sans parler de l’UE) aucun droit à la participation, mais ne peut qu’une fois en quelques années décider quel parti guidera son destin pour les années à venir … Les Allemands seraient heureux de pouvoir voter au sujet des nombreux problèmes actuels dans leur pays – mais là, les politiciens au pouvoir ne veulent guère en savoir quelque chose. Et maintenant, la population allemande devrait pouvoir participer à des votations populaires suisses «sur pied d’égalité» avec la population suisse? Et comment cela? Les instruments différenciés de la démocratie directe, tels que les Suisses les connaissent depuis des siècles, n’existent pas en Allemagne.

En route vers un empire géant, centralisé et dirigé rigoureusement

On est tenté de croire que les néo-Verts des deux côtés de la frontière ne veulent pas introduire la démocratie directe en Allemagne du Sud mais visent plutôt à supprimer celle de la Suisse. Car les citoyens suisses grâce à leurs droits politiques forts sur le plan de la Confédération, des cantons et des communes, ont jusqu’à présent opposé avec succès une forte résistance fondamentale aux projets des puissances néolibérales du capital mondialisé étroitement liés à l’Internationale socialiste. Bien que la Suisse y soit impliquée partout si nous ne faisons pas fortement attention, mais malgré tout: Nous ne sommes ni membre de l’UE, ni de l’OTAN parce que le peuple et les Etats ne le veulent pas. La population suisse ne veut pas de grandes régions, elle dit en majorité Non aux fusions de communes et aux parcs naturels, si elle est informée de manière objective, et des fusions de cantons, elle n’en veut déjà rien savoir.
La structure de démocratie directe de la Suisse est à l’opposé des projets de la classe politique en Europe. Cette classe politique ne veut pas d’Etats nationaux forts, mais un empire géant, centralisé sous son propre régime. Lorsqu’elle veut donc dissoudre les frontières entre les Etats nations, elle n’a pas du tout le projet d’organiser la vie en commun d’une communauté de peuples où tous les êtres humains peuvent participer aux décisions. Au contraire: Bruxelles démontre depuis des années où la petite boule doit rouler. «Tout le pouvoir aux exécutifs», telle est la devise. En parlant de «participation de la population» dans la question des sites de stockage définitif, les Allemands semblent plutôt comprendre une sorte de participation dont ils ont l’habitude, c’est-à-dire la participation des exécutifs – allemand et suisse.

Des néo-Verts suisses comme complices

Extraordinairement déconcertant est le fait qu’il y ait des Suisses néo-Verts qui soutiennent ces ambitions sombres d’outre-rhin – on appelle cela de la haute trahison. Ainsi quelques politiciennes cantonales se font inviter dans le Bade-Wurtemberg pour pousser la population et les autorités communales à la résistance contre le site de stockage nucléaire définitif à Benken dans le Weinland zurichois afin de revendiquer des droits de participation aux autorités suisses (cf. Horizons et débat no 18/2011). Ce genre de socialistes suisses affairés, visent aussi activement à dissoudre les frontières pour affaiblir la Suisse de l’intérieur. Car ils aimeraient depuis longtemps siéger dans la centrale bruxelloise et n’ont pas grand chose à faire de la démocratie directe. Ce qui les dérange bien davantage, c’est que les citoyens suisses votent depuis 20 ans contre l’adhésion à l’UE.
La revendication d’une participation allemande en Suisse a été d’ailleurs activée par l’ex-Conseiller fédéral Moritz Leuenberger (PS), que le ministre allemand de l’environnement Sigmar Gabriel avait invité, juste dans ce but à Berlin, il y a deux ans. L’ancien trotskiste Leuenberger avait toujours été loué par les promoteurs d’une UE centraliste sous l’égide socialiste, et il avait même reçu à Berlin un prix pour un discours antidémocratique. A Berlin, Leuenberger avait fait savoir en mai 2009 que la recherche d’un lieu suisse de stockage définitif pour des déchets nucléaires se ferait en trois étapes et durerait environ dix ans: «Chaque étape, avait-il dit, est accompagnée d’une large procédure de consultations dans laquelle les cantons, les partis, les organisations, la population et aussi les Etats voisins seraient impliqués. […] Comme au moins deux des sites possibles se trouvaient à proximité immédiate de la frontière allemande, les Allemands avaient absolument les mêmes droits de participation que les Suisses», avait souligné l’ex-Conseiller fédéral. (Source: swiss-info.ch du 27/5/09, mises en évidence par l’auteur)
En tant que Conseiller fédéral de la Confédération suisse, Leuenberger aurait dû mieux savoir que ses homologues allemands qu’il était loin au-delà de ses compétences d’accorder aux Allemands «absolument les mêmes droits qu’aux Suisses». En Suisse, le Conseil fédéral n’a rien à dire – c’est le Parlement qui décide et comme instance suprême les citoyens, le peuple souverain.

Des régions transfrontalières dans l’agenda rouge-vert

«Nous voulons renforcer la coopération transfrontalière, en particulier avec les régions voisines en Suisse, en Autriche et en France. Des alliances durables avec des structures transparentes et des possibilités de participation des parlements et de la société civile doivent être consolidées. Dans les commissions interrégionales du Rhin supérieur, du Haut Rhin et du Lac de Constance, nous voulons renforcer le rôle des représentants du peuple par rapport à l’administration, et le compléter d’un engagement ambitionné de la part du gouvernement du Land.» (Traité de coalition, p. 76)
Les lecteurs d’Horizons et débats comprendront de quel genre de «coopération» il s’agit là: Il ne s’agit pas de coopération d’autorités de plusieurs Etats souverains telle qu’elle est pratiquée depuis des décennies avec succès. Il s’agit plutôt de l’installation d’espaces métropolitains transfrontaliers, de régions interreg, de parcs naturels etc. – des projets qui tous feront éclater les structures des Etats nations et fédéralistes, et qui seront dominés par les exécutifs variés. Aux Parlements, c’est-à-dire aux représentants du peuple, ne reviendraient plus que des «possibilités de participation», leur rôle face à l’exécutif devrait être «consolidé». De par le droit, les Parlements représentent cependant le pouvoir législatif, c’est-à-dire le pouvoir suprême de l’Etat – et là il n’y aurait rien à renforcer si les exécutifs s’en tenaient à la séparation des pouvoirs fixée par la Constitution. Les «comités interrégionaux du Rhin supérieur, du Haut Rhin et du Lac de Constance» sont cités ici comme des entités allant de soi et existantes, alors que ces «comités» ne sont issus d’aucune élection démocratique par les citoyens mais qu’ils sont au contraire promus de façon opaque, tout comme la commission de l’UE.
Qui, dans ce mélange non légitimé démocratiquement de fonctionnaires et de membres de gouvernements de communes et d’Etats-membres de différentes nations, aurait finalement son mot à dire, le traité de coalition nous le divulgue: «Nous voulons donner au Bade-Wurtemberg une voix forte en Europe et jouer un rôle actif sur la scène européenne.» (p. 74) Eh bien, maintenant c’est déjà plus clair – il ne s’agit là plus du tout de structures du droit public, mais de la grande scène du théâtre européen, sur laquelle la coalition de Stuttgart veut accaparer le rôle principal.    •

1    Der Wechsel beginnt. Koalitionsvertrag zwi­schen Bündnis 90/Die Grünen und der SPD Baden-Württemberg, Baden-Württemberg 2011–2016