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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°3, 24 janvier 2011  >  Une initiative bureaucratique et inutile! [Imprimer]

Une initiative bureaucratique et inutile!

par Ignazio Cassis, conseiller national tessinois, médecin et vice-président de la FMH

L’initiative désire réduire le nombre de suicides et d’actes de violence armée à l’aide de trois instruments: un registre national, le dépôt obligatoire des armes d’ordonnances à l’arsenal et une demande d’autorisation pour tout achat d’armes à feu. Celle-ci doit justifier la possession d’une arme et prouver l’existence de l’aptitude nécessaire.
Entre 1996 et 2008, le nombre de suicides commis avec une arme à feu a diminué de 40%, c’est-à-dire de 397 à 239. Cela grâce à diverses nouvelles lois, notamment la réforme de l’Armée (2004) et la révision de la loi sur les armes (2007). La question se pose, si d’autres lois doivent être adoptées ou si la diminution des suicides va persister aussi sans révision constitutionnelle. Les instruments prévus par l’initiative sont-ils vraiment capables de réduire davantage les suicides et la violence armée? Apparemment cette question ne peut pas être élucidée actuellement, mais seulement dans 10 ans, après une éventuelle acceptation de l’initiative. Même le Conseil fédéral écrit dans son message (09.098, page 155): «On peut douter que le texte de l’initiative puisse contribuer à atteindre le but désiré.» S’agit-il alors d’un pari?
Le but est certainement noble, mais le résultat est néanmoins incertain. Et quel en est le prix? Le résultat est incertain, mais en revanche, ce qui est certain, c’est l’accroissement de la bureaucratie avec les coûts et la restriction des libertés individuelles qui s’en suivent. Uniquement pour la Confédération il faut s’attendre à des coûts initiaux de 6,5 millions francs (1,5 million pour l’établissement du registre national et de 4,9 millions pour la récolte des armes d’ordonnances), suivi de dépenses répétitives de 3 millions (2,8 pour la remise des armes dans les arsenaux et 220 000 francs pour l’entretien du registre). Cela sans calculer les frais supplémentaires occasionnés par les fonctionnaires s’occupant de ces nouvelles tâches. La plus grande incertitude en ce qui concerne les coûts se trouve au niveau du canton. Comment allons-nous maîtriser des milliers de demandes pour l’autorisation d’acheter une arme? Si celles-ci doivent être traitées soigneusement, le nombre de fonctionnaires devra forcément augmenter. Cette augmentation de bureaucratie et de coûts est certaine. Il en découle une augmentation des impôts pour les citoyens. Nous allons payer plus, sans avoir la certitude que cela servira à quelque chose.
En outre, il y a un aspect de société important. L’initiative part du principe que le citoyen est dangereux et qu’il n’est pas apte à prendre ses responsabilités, c’est pourquoi l’Etat doit limiter sa liberté. Comment cette attitude peut-elle correspondre avec le principe typiquement suisse du citoyen-soldat? Ou, plus simplement, une telle condition est-elle compatible avec l’existence d’une armée de milice? A l’évidence non, ce n’est pas un hasard que derrière l’initiative se trouvent en premier ligne ceux qui veulent abolir l’Armée: la gauche politique et le Groupe pour une Suisse sans armée!
Avec l’acceptation de ce texte constitutionnel le peuple suisse accepterait un véritable changement de paradigme, motivé par le désir de sauver des vies (si nous croyons à l’honnêteté des initiateurs). Mais il n’y a justement aucune garantie que ce but serait atteint!
Même si l’on arrivait à réduire le taux de suicides grâce à l’initiative, c’est-à-dire si elle était effective, quelle idéologie encouragerait-elle? Celle qui met la santé et la vie au-dessus de la liberté, une liberté qu’on peut donc limiter. Pour les promoteurs de l’initiative, l’individu doit être protégé de la violence par la communauté, une violence qu’il pourrait exercer contre lui-même. Voulez-vous donc un Etat qui nous tient sous tutelle?
J’estime la valeur de la santé et de la vie très haut, mais pas comme valeur absolue. La liberté individuelle – et la responsabilité, qui forcément l’accompagne – sont à mon avis une prémisse indispensable pour une société libre et mûre, dans laquelle la santé et la vie sont importantes. Mais cela est une conséquence et non une condition préalable. A quoi bon être sain et vivant, quand on est esclave? Pour moi l’individu est, jusqu’à la preuve du contraire, mûr et responsable, et je m’oppose à toute tentative insidieuse de tutelle étatique.
Je ne vais pas développer ici le sujet du fédéralisme qui en théorie m’importe beaucoup, mais qui est trop souvent oublié en pratique. Car nous ne laissons passer aucune occasion de centraliser le pouvoir à Berne et de dégrader les cantons à l’état de simples organismes exécutifs du gouvernement fédéral. Pourquoi faut-il un registre fédéral, si les cantons sont disposés à harmoniser les registres cantonaux? N’est-ce pas en réalité une intervention inutile?
En conséquence, je voterai Non à cette initiative, bien que je reconnaisse que le but de sauver des vies est noble. Malheureusement son succès est totalement incertain, face à la certitude de coûts plus élevés, ainsi que d’une bureaucratie et d’un paternalisme étatique accru. Le monde dans lequel je rêve pouvoir vivre et pour lequel je lutte, est un monde d’hommes et de femmes libres, mûrs et responsables.    •
(Traduction Horizons et débats)