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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°43, 8 novembre 2010  >  Le retour des succédanés de café [Imprimer]

Le retour des succédanés de café

«Muckefuck, Plämpel et Hutzelwasser»

par Heini Hofmann

Dans le domaine du café, on ne parle de son ersatz que sur un ton irrévérencieux et il est considéré comme marginal, mais c’est contraire à son importance historique. Car pendant environ 300 ans on buvait bien plus d’«ersatz de café» que de «vrai café en grains» dans les régions de langue allemande de l’Europe. Actuellement les succédanés de café reviennent.

Ce qui est aujourd’hui tout naturel, était autrefois un pur luxe: la consommation de café pur grains. D’autant plus que dans les pays européens sans colonies le vrai café était hors de prix pour de larges couches de la population. De ce fait, depuis qu’on consomme du café en Europe, on s’est débrouillé avec des mati­ères de remplacement. Ces succédanés sont devenus – à partir d’une nécessité écono­mique et de craintes pour la santé – une partie intégrante de notre culture de boisson européenne. Elles ont frayé le chemin au café en grains depuis le produit de luxe exotique jusqu’à la boisson incontournable de notre quotidien.

Le café des petites gens

Les origines du café en grains se trouvent en Ethiopie. Au début du XVIIe siècle, la culture et la consommation ont été limitées en général aux régions arabes. Ensuite, ce produit exotique est arrivé en Europe au milieu du XVIIe siècle en passant par les colonies cultivant du café (surtout hollandaises et françaises), alors que la plante, ne résistant pas au gel, n’a pas pu quitter les pays chauds. Le vrai café cependant est resté un privilège coûteux.
C’est la raison pour laquelle les publicités pour les succédanés du café, cultivées en Europe à partir de plantes indigènes, le café des pauvres gens, ont misé sur une symbolique nationale, identificatoire comme par exemple une usine de chicorée à Renens avec le héros national Guillaume Tell, «Hilber’s Feigenkaffee» (café de figues) en Au­triche avec des edelweiss et des rhododendrons ou bien des femmes en costumes nationaux, symboles de produits indigènes, sains, proches du peuple.

Une gamme énorme

Des substances de base pour les produits d’ersatz pour le café étaient des racines et des céréales, des fruits secs et des noix, ainsi que des graines, des noyaux et des légumineuses. Donc à peu près tout ce qui se trouve dans la nature a servi à faire du succédané de café. Beaucoup de ces substances n’ont pas duré et ont disparu, comme le souchet comestible, par exemple; bien utilisées jadis, leur goût n’a pas convaincu.
La transformation des produits de succédanés pour l’emploi privé comprend les étapes suivantes: Trier et laver des parties de plantes, couper en morceaux égaux, sécher, torréfier et moudre. Pour le café de malt, de glands de chêne et de châtaignes, il fallait les tremper auparavant. Et dans les noyaux de fruits c’était uniquement la partie tendre, intérieure qui pouvait être utilisée.
Le café de chicorée (café bleu) et d’autres produits indigènes se trouvaient sur la table des paysans et des ouvriers comme les pommes de terre et le pain. A travers les générations, ces ersatz de café ont été dûment ancrés dans le langage quotidien, avec des noms parfois narquois ou pudiques comme «Blümchenkaffee» (café de fleurs), «Hutzel­wasser» (hutzel= ratatiné, ridé), «Muckefuck», «Gesundheitskaffee» (café pour la santé), «Lätsch», «Plämpel», «Schweizerkaffee» (café suisse), «Wegluegere Kafi» et bien d’autres.

Procédure de torréfaction important

Bien que les produits de succédanés ou les mélanges de produits aient pu avoir un goût équilibré, même bon, ils n’ont jamais pu atteindre le bouquet complet de l’arôme du café en grains avec ses presque mille composants de goût. Et avant tout, à tous ces produits remplaçants manquait la substance psychoactive, la caféine. La ressemblance avec le café – en ce qui concerne le goût et la couleur – a été atteinte par la procédure de torréfaction, car sans être torréfié l’ersatz ne serait pas buvable. Pour la torréfaction maison on utilisait des pinces à rôtir, des casseroles et des tambours à torréfier mais aussi de simples bouts de tôle. A chaleur assez élevée, les produits d’ersatz étaient torréfiés en les remuant ou tournant constamment directement sur le feu. L’art était de reconnaître à la coloration du produit à torréfier (le brun typique du café) la fin de la procédure et de l’empêcher de brûler.

Les «nez à café»

A la fin du XVIIIe siècle, les autorités ont essayé désespérément d’interdire la consommation du vrai café, apparemment déjà assez répandue dans les couches pauvres de la population. On voulait éviter que le simple peuple s’appauvrisse tout à fait avec ce breuvage exotique. Ainsi, l’archevêque de Co­logne a annoncé en 1766 que «l’expérience avait montré qu’avec l’utilisation de plus en plus répandue du thé et du café, beaucoup de gens passaient du temps à ne rien faire, et que les valets et les bonnes et les journaliers étaient tentés de dépenser leurs deniers de façon nuisible».
Ni la vente, ni la consommation, ni la conservation n’étaient permises, même la possession de vaisselle à café restait interdite. Pour le contrôle, on engageait des gens qui devaient humer l’odeur du café. En Suisse on pouvait entendre également «Kafi Thee und Leckerli bringed de Bur ums Äckerli» (Le café, le thé et les friandises font perdre les champs au paysan). Pendant que la noblesse et les bourgeois riches utilisaient pour le vrai café de la vaisselle en porcelaine dorée, le prolétariat de succédané utilisait de simples tasses en grès.

L’industrie de la chicorée

De telles interdictions du café ont renforcé la production des succédanés; une vraie industrie d’ersatz a été créée. Mais les produits succédanés et le café en grain ne se sont pas vraiment concurrencés: La consommation de café en grain et celle des succédanés a augmenté parallèlement. En 1900 on a produit mondialement 494 000 tonnes de café torréfié, en comparaison en Europe ont été produit 273 000 tonnes de poudre de chicorée. Le pionnier de la chicorée était le major Christian von Heine à Brunswick. En 1769, on lui a attribué le monopole de l’Etat avec un sigle de protection. Ça c’est passé ainsi: Pendant la guerre de sept ans, sa femme, une comtesse du Reich qui avait dû s’enfuir, a été attaquée dans sa calèche par des soldats maraudeurs et elle avait subi un choc nerveux. Son médecin personnel lui a prescrit le jus amer de la racine de chicorée. Comme ce breuvage ne lui convenait pas du tout, elle a eu l’idée de sécher la racine, de la torréfier et d’en faire une décoction. Ainsi elle a donné à son mari l’idée pour un ersatz de café …
Lorsque au XIXe siècle des usines de succédané ont poussé comme des champignons, ce sigle a été remplacé par la marque déposée. L’exemple le plus connu est la société Heinrich Franck Söhne, fondé en 1828 à Vaihingen dans le Wurtemberg. Leur enseigne de marque pour la poudre de chicorée et pour le Franck Aroma, produit plus tard à Bâle, est un moulin à café stylisé devenu légendaire. En 1885 existaient en Suisse déjà 29 usines pour le succédané de café.

Café, succédané, plagiat

Comme pour tous les aliments et tous les stimulants, il y a aussi eu des faux en matière de succédanés du café, des profiteurs sans scrupules ont rallongé les succédanés avec des substances bon marché ayant des couleurs et des consistances semblables. On y mélangeait alors de la farine, des biscottes ou du marc de café, mais aussi des racines et de l’écorce moulus, même de la terre, de la tourbe ou de la poudre de tuiles – ce qui a certainement aidé pour que les succédanés aient la réputation d’avoir parfois une mauvaise odeur…
Les producteurs sérieux se sont protégés au moyen des marques de produits déposées, de certificats d’authenticité et des recommandations de spécialistes. A partir du XIXe siècle, les inspecteurs de l’alimentation ont démasqué les escrocs. Comme le café en grain coûtait plusieurs fois le prix du succédané, on l’a aussi faussé avec des succédanés bon marché.

L’aspect de la santé

La réforme alimentaire au XIXe siècle n’était pas seulement contre le café en grains, contenant de la caféine, mais elle a aussi taxé le café de chicorée comme une «eau sucrée de couleur brune au goût amer». Elle plaidait pour une valeur nutritive plus élevée de cette boisson des masses et elle a propagé le café de santé fait de céréales, de malt, de figues, de glands de chêne et de fruits. Les groupes visés étaient, à part les aînés et les malades, aussi des enfants et des adolescents. Ce n’est pas par hasard qu’on a utilisé ceux-ci pour faire de la publicité.
Le pasteur Sebastian Kneipp (1821–1897) à Wörishofen en Bavière a recommandé les cafés de santé de céréales, de malt et de glands de chêne et a fait personnellement de la publicité pour le Kathreiner Malzkaffee (plus tard fabriqué à Soleure). Le curé-herboriste suisse Johannes Künzle s’est également opposé avec véhémence au café en grains et il a fait de la publicité pour le succédané de café d’Olten Virgo, fait de céréales et de fruits. Le nom de Virgo (latin: vierge) devait assurer, joint aux montagnes figurant sur le paquet, la pureté du produit.

Aujourd’hui, c’est un produit de niche

Des temps de crise causent toujours une augmentation de la consommation de produits succédanés, par exemple le Blocus continental de 1806 à 1813. Pendant les deux guerres mondiales, le café en grains, aussi bien que les produits succédanés, étaient des marchandises rationnées. C’était la cause d’expérimentations toujours plus osées avec des produits d’ersatz (par exemple des bulbes de dahlias). La Suisse a couvert son besoin en café jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale d’environ 50% par des succédanés qui sont restés en mémoire dans les années d’après-guerre comme souvenir négatif de la disette.
C’est seulement depuis le «Wirtschaftswunder» des années 1950 que toutes les couches de la population peuvent se payer le café en grains pur et ainsi les ersatz ont disparu, mais jamais tout à fait. Aujourd’hui, l’ersatz de café et surtout vendu comme café soluble ou moulu pour les machines à filtre. Il y a même des essais de reprise, ainsi le Altreier Alpenkaffee (à la frontière Tyrol du sud/Trentino) qui est fait de lupins qui, dans le cadre d’un projet de l’UE, sont de nouveau cultivés. Des prétendus morts reviennent parfois – et qui sait, peut-être des succédanés de café pourront redevenir une option en Suisse!
Depuis, le succédané de café s’est libéré de l’image du produit des gens pauvres. Ce sont surtout des mélanges de céréales, malt, figues, glands de chênes, chicorée et fruits qui sont aujourd’hui un produit de niche bien établi pour des gens qui ne supportent pas la caféine ou bien pour des mamans qui allaitent, ou simplement par nostalgie.    •
(Traduction Horizons et débats)

Un choix de produits de succédanés

Plantes à racine

Racines de chicorée, betteraves,
carottes, pommes de terre, céleri,
salsifis, racines d’herbe, panais,
cacahuètes, souchet comestible

Céréales

Orge, seigle, blé, épeautre, avoine, millet, sagou, sarrasin

Graines, noyaux, légumineuses

Glands de chêne, lupins, châtaignes, pois chiches, haricots, graines de tournesols, noyaux de cerises, noyaux d’abricots, noyaux de pêches, noyaux de pruneaux, noyaux de dattes,
graines de lin, graines de courges, graines de concombres, graines de groseilles, de mûres, caroube,
bardane, graines de chanvre,
grains de gaillet

Fruits secs, noix

Figues, pommes, poires, pruneaux, abricots, marrons, châtaignes,
noisettes, noix, amandes, faînes, cynorhodon, baies de genièvre,
cerises sauvages

Autres substances

Croûte de pain, malt, marc de raisin, caramel