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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°30, 14 octobre 2013  >  Scénario de guerre 2013 [Imprimer]

Scénario de guerre 2013*

par Franz Betschon, ancien colonel de l’Etat-major

A une époque où la Suisse possède une armée au niveau le plus faible depuis le début de la Seconde Guerre mondiale, les signes annonçant une grande guerre se multiplient dans le monde entier. Le livre intitulé «Mut zur Kursänderung – Schweizerische Sicherheitspolitik am Wendepunkt» (ISBN 978-3-033-03917-9) et publié par le groupe Giardino présente ces faits. Mais celui qui pensait pouvoir éveiller les consciences s’est trompé. Bien qu’on ait loué ce livre, on l’a en même temps qualifié d’«exercice de style» intéressant des auteurs. Cette formulation correspond tout à fait à l’entreprise DEVA (Développement de l’armée) qui au temps du plus grand danger – et de sérieuses discussions sur la nécessité de l’obligation générale de servir – veut entreprendre une procédure de révision de l’armée en vue de la transformer et de la réduire de façon considérable.

 La réalité géopolitique et la planification suisse

Cela pourrait avoir un lien avec le fait que les planificateurs de l’armée suisse pensent toujours encore dans des catégories dont l’idée-clé est que tout ennemi émanerait de notre voisinage européen. Etant donné que nous sommes actuellement «encerclés par des amis», les réflexions géopolitiques se limitent au point où elles ne s’opposent pas aux désirs propres. C’est pourquoi nous voulons encore une fois lister tous les événements récents et tenter d’illustrer les liens transversaux afin que le public voie enfin s’allumer les lampes-témoins rouges. Ce ne sont plus des spéculations, ce sont des événements que le citoyen peut constater par lui-même. Nous rendrons aussi attentif aux planifications concrètes de certains gros acteurs militaires.
Pour le moment, on ne réalise pas encore que dans le Pacifique occidental, là où les intérêts maritimes de la Chine et des Etats-Unis se recoupent, il y a un tournant stratégique dans le domaine des armes qui apparaît, un développement qui pourrait mener à la fin de l’époque des gros porte-avions d’autrefois où les gros cuirassés avaient été remplacés par les porte-avions (cf. ASMZ 10/2013).
Les Etats-Unis pourraient se voir obligés de créer des faits accomplis et d’entreprendre ainsi une sorte de fuite en avant. Pendant ce temps les évènements se bousculent au Proche- et Moyen-Orient. Certains acteurs veulent absolument mettre le feu également à cette poudrière pour provoquer le choc. Le fait que l’on utilise une fois de plus des affirmations douteuses et incomplètes provenant des services secrets est,
une fois de plus, un élément de l’argumentation.

Les plus dangereuses attaques ennemies pour la Suisse

Cette analyse nous amène, traduite dans le langage des planificateurs militaires, vers les «plus dangereuses attaques ennemies» que nous allons énumérer ci-dessous. C’est le métier de ces planificateurs de planifier l’armée selon de tels critères et de ne pas prendre en compte les probabilités. Celles-ci ne servent que lorsqu’elles forment la base pour les décisions tactiques ou opératives en mission. Leur utilisation lors de la phase de planification est la voie la plus confortable, car là on peut tout affirmer sans avoir besoin de le prouver par les faits.
Il est évident que l’énumération ci-dessous est dans un premier temps irréellement effrayante. Ces derniers temps, les événements au niveau géopolitique se sont accéléré de telle manière que l’on peut bientôt parler de cas d’intervention. Les cas des plus dangereuses attaques ennemies qui vont être présentées ci-dessous pourraient ainsi rapidement devenir les plus probables. Dans le langage militaire, on formulerait cela de la façon suivante:

L’«ennemi» peut …

A    détruire et menacer les bases vitales, si la Suisse ne se soumet pas aux décisions externes. La guerre cybernétique (Cyber­war) peut détruire des infrastructures ou les mettre hors service. Cette menace peut provenir de partout, mais plutôt pas des pays occidentaux.
B    extorquer des ressources stratégiques (argent, or, matières premières, troupes, patentes etc.). La baisse inexplicable du prix de l’or (voire manipulé) au moment de la rédaction de ce texte a aujourd’hui déjà créé des dommages à hauteur de dizaines de milliards de francs pour la Banque nationale.
C    occuper des espaces stratégiques (infrastructures énergétiques, aéroports, centrales de commandes des chemins de fer etc.) et/ou des axes stratégiques (NLFA, autoroutes etc.) pour des raisons qui ne sont pas dans les intérêts suisses. Pour cela, il n’est pas nécessaire d’entreprendre une opération terrestre.
D    effectuer des encerclements verticaux à l’aide de missiles de croisière, d’armes à longues portées, de bombardiers stratégiques ou de drones.
E    mettre à exécution des opérations terrestres sur de longues distances. Sans capacités de réaction de l’armée suisse, on peut s’imaginer des situations lors desquelles des armées étrangères se combattent en Suisse pour obtenir nos ressources (pensons à 1798).
F    mener une guerre nucléaire, biologique ou chimique, comme cela a toujours été prévu.

Une telle guerre sera une guerre asymétrique

Asymétrie dans ce contexte veut dire: l’engagement de technologies ou de procédés qui empêchent l’ennemi d’utiliser avec ­succès ses propres technologies ou procédés. Un ennemi de la Suisse peut lui causer de cette manière d’énormes dommages matériels avec des moyens restreints.

Une telle guerre pourrait également être une guerre hybride

Hybride dans le sens qu’on pourrait mener diverses formes de guerre de manière décalée ou parallèle. L’agresseur peut préparer son attaque sur mesure en utilisant un «menu complet» de diverses techniques. Ce ne sera pas toujours clair s’il s’agit déjà d’un litige robuste qui exige l’engagement de l’armée ou si l’on peut se contenter d’autres moyens.

«Joint vision 2010» et le projet de «Full-Spectrum dominance»

Ni la crise de l’endettement des Etats-Unis, ni la crise économique mondiale, ni les nombreuses défaites qu’ont subies les forces armées américaines n’ont amené les Etats-Unis à réexaminer leurs buts stratégiques qui se résument par la volonté d’être l’unique puissance mondiale, placée «at the head of the table» (à la tête de la table des négociations) et dictant les règles du jeu. Pour les Etats-Unis, l’endettement a d’ailleurs une tout autre signification que pour le reste du monde. Etant toujours, actuellement, les détenteurs de la monnaie de réserve mondiale, le dollar américain, ils disposent d’instruments politiques susceptibles à faire payer leurs dettes par ce reste du monde mentionné ci-dessus, et pour longtemps encore. La partie majeure des réserves en dollars ne se trouvant pas au sein de l’économie américaine, une dévalorisation frappera à chaque fois principalement ce reste du monde. Un ancien chef de la Banque centrale des Etats-Unis a déclaré un jour: «Le dollar, c’est bien notre monnaie, mais c’est votre problème!»
Il est vrai que les Etats-Unis reconnaissent que d’autres puissances (notamment la Chine) prospèrent, que leurs propres ressources sont limitées et que les pays du tiers-monde ne sont pas des magasins à libre-service. Ils reconnaissent même que les conditions militaires ont changé et qu’il faut par conséquent adapter les plans stratégiques.
Mais l’objectif de la «Full-spectrum dominance», c’est-à-dire d’avoir partout et toujours le dernier mot, reste inchangé. Les écrits se prononcent là-dessus dans les termes suivants: «Joint Vision 2020» (terme anglais qui équivaut à peu près à: perspectives pour les opérations interarmées jusqu’en 2020) est un plan stratégique que le département de la Défense des Etats-Unis a publié le 30 juin 2000, contenant les réflexions en vue d’une ‹suprématie totale› («Full-spectrum dominance») des forces armées américaines pour leur permettre, également en l’an 2020, de faire face à des menaces auxquelles elles pourraient être confrontées dans le monde entier. Dans cette planification, la capacité d’une frappe à dimension globale («Global strike») joue un rôle central.»
Sans en parler ouvertement, on a certes abandonné l’objectif initial qui prévoyait de pouvoir mener parallèlement deux guerres d’envergure distinctes. Cela signifie également que la charge principale de mener, dans une position dominante une guerre mondiale, ne revient plus à eux seuls. Il en va de même avec certains grands projets d’armement euphoriques, enterrés eux aussi. Pour compenser tout cela, on réfléchit comment discipliner des ennemis qui remettent en question la dominance mondiale des Etats-Unis, à l’aide des anciennes règles du droit du plus fort.

Le tocsin sonne depuis un certain temps déjà!

Sous le titre «Jeux de guerre russes» la «Neue Zürcher Zeitung» du 16/7/13, décrit les plus grands manœuvres militaires russes depuis 1991. Le Kremlin a organisé un exercice militaire d’envergure en Russie orientale. Il s’agissait de mettre à l’épreuve la capacité d’intervention des forces armées ainsi que de donner un avertissement politique. A partir de leurs positions de stationnement normales, on engagea environ 160 000 membres des forces armées, un millier de chars d’assaut, 130 avions, hélicoptères et bombardiers ainsi que d’autres véhicules blindés. Parallèlement, dans la mer d’Okhotsk, des manœuvres eurent lieu avec une totalité de 70 bâtiments.
On testa entre autre la capacité de pouvoir transporter rapidement du personnel, des armes et des équipements militaires sur de grandes distances. On a mentionné notamment des transports par voie ferrée sur des distances de 800 à 1000 kilomètres par jour. 16 trains avec un total de 562 wagons et des installations spéciales pour le chargement et le déchargement étaient en action.
Au cours du mois de février 2013, a eu lieu un autre exercice d’alerte, de dimension réduite, qui a dévoilé de considérables défauts dans le matériel militaire. L’exercice récent, qui a duré jusqu’au 20 juillet 2013, en était le résultat et devait montrer si les conclusions nécessaires avaient été prises. Ces exercices ont été déclenchés à l’improviste par le président Poutine lui-même, tout comme autrefois le Conseil fédéral suisse in corpore ordonnait la mise en pratique d’exercices de défense nationale.
Sur le terrain militaire de Tchebarkoul, dans la région de Tcheliabinsk, a eu lieu du 26 juillet au 15 août 2013 une manœuvre russo-chinoise intitulée «Mission de paix 2013» et consacrée à la lutte anti-terroriste. Dans la région de Hokkaido, les Etats-Unis et le Japon avaient organisé presque simultanément des exercices militaires conjoints.
Suite à cette étape brûlante d’exercices militaires, la Russie a démontré sa capacité retrouvée de déclencher des opérations militaires à grandes distances sans préparation (temps d’avertissement nul!). Le tocsin sonne donc déjà depuis un certain temps, sans que la Suisse le prenne au sérieux. Et dire que les plus dangereuses attaques ennemies «C» et «E» sont déjà en phase d’entraînement!

Les Etats-Unis ravivent leur politique de première frappe nucléaire

«Des commentateurs reconnus avertissent que le gouvernement américain prépare une première frappe nucléaire contre la Russie et la Chine.» Cette information nous parvient de l’hebdomadaire «Neue Solidarität» (www.solidaritaet.com, 7/8/13). C’est Paul Craig Roberts, chroniqueur connu et ancien fonctionnaire responsable au département du Commerce sous le président Reagan, qui fait ce reproche en précisant que les Etats-Unis avaient déjà poursuivi cette politique sous l’administration Bush/Cheney.
Sur le plan militaire, cela fait sens. Il s’agirait de la fuite en avant telle qu’elle a été esquissée au premier chapitre. Une première frappe nucléaire se ferait avant tout contre des pays qu’on ne peut pas vaincre par des opérations militaires terrestres. Là au moins, les Etats-Unis semblent avoir appris les leçons de leurs guerres perdues depuis la guerre de la Corée. Une fois de plus, on pense à des frappes à précision chirurgicale, privant ainsi l’adversaire de la possibilité de ri­poster par des moyens thermonucléaires afin que l’agresseur puisse lui-même survivre.
Les plans du président Obama se basent également sur l’idée d’une telle première frappe. On les a pourtant déjà développées plus tôt, pour la première fois en 2002, dans le cadre d’un document du Département de la Défense, intitulé «Nuclear Posture Review (NPR)». Dans ce document ne figurent pas uniquement la Russie et le groupe de pays qu’on dénommait à l’époque «l’Axe du Mal» (Iran, Irak, Corée du Nord) mais aussi la Chine, la Libye et la Syrie, donc pas seulement les pays disposant d’armes nucléaires. Voilà!
Cette situation est d’autant plus remarquable qu’Obama a tenu en 2009 un discours à Prague, au cours duquel il a donné une représentation d’un monde sans armes nucléaires. A l’époque, on croyait que la stratégie américaine se détournerait enfin de ses jeux musclés d’antan, c’est au moins ce qu’on faisait croire au public américain. Il faut constater qu’il n’y a toujours pas de traités en vue qui envisageraient la fin de l’armement nucléaire, de qui que ce soit, ou même le renoncement général à l’éventualité de l’utilisation d’armes à destruction massive ou notamment d’armes nucléaires.
Il faut donc conclure que la le cas «F» des plus dangereuses attaques ennemies fait de nouveau partie des planifications militaires des puissances concernées ce qui veut dire qu’elle doit être considérée également par la Suisse. Lyndon LaRouche, analyste politique américain, pense qu’«une telle épreuve de force pourrait survenir à un moment donné entre le mois de septembre et Noël de l’année en cours (2013) puisque dans ces délais on s’attend à l’effondrement du système financier transatlantique.»
La manœuvre militaire en Extrême-Orient mentionnée ci-dessus a suivi de près la manœuvre maritime dans la partie Nord de la mer Japonaise, appelée «Golfe de Pierre le Grand». Normalement, de telles activités ne signalent pas le renforcement massif d’exercices militaires, car ils se trouvent au niveau normal de forces armées prêtes à l’engagement. Mais entre-temps, de nouvelles données ont été rendues publiques. Il semble que la nouvelle stratégie d’Obama centrée sur l’Asie et la politique du gouvernement japonais, de plus en plus militante, ont accentué la conscience de Moscou et de Pékin et par conséquent dans un proche avenir, cette région pourrait être le théâtre d’une confrontation militaire.

Et Gibraltar? Et la Syrie?

Les lecteurs des quotidiens se souviendront des photos publiées fin août 2013, montrant des vaisseaux de la marine britannique au large de Gibraltar. L’argent pour financer le carburant de cette opération avait dû être trouvé péniblement dans les fonds de tiroirs. Là aussi, quelqu’un s’est décidé a faire jouer ses muscles. Que diable veut-on atteindre avec de telles actions? Si l’on cherche Gibraltar dans l’atlas, on retrouve ce rocher bien loin de la Grande-Bretagne, c’est-à-dire devant la porte de l’Espagne (c’est un cas similaire avec les Iles Malouines). Mentalement, la Grande-Bretagne se voit toujours comme puissance coloniale, considérant la Syrie, l’Afghanistan etc. «en principe» comme son terrain de jeu puisqu’il s’agit d’anciennes colonies. Selon cette vue désuète opposée à la realpolitik, Gibraltar bloque toujours et encore l’accès à la Méditerranée.
Actuellement, des frappes conventionnelles à précision chirurgicale contre la Syrie sont également en discussion, même si, au moment de la rédaction de ce texte, personne ne sait quels en seraient les buts précis, à quoi cela aboutirait et comment terminer une telle agression. Une lueur d’espoir se présente tout de même en la personne de Martin Dempsey, chef de l’Etat-major américain, qui tend, semble-t-il, vers la pensée autonome. Il avait développé, à l’adresse de son patron Chuck Hagel, ministre de la Défense, les options militaires tout en prononçant ses préoccupations et insistant sur son avis qu’on ne pourrait guère, par une opération de quelques jours, tirer un coup de semonce en direction du président syrien. Dans ses déclarations précédentes, Dempsey avait également insisté sur le fait que l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne, préconisée par de nombreux politiciens, constituait une action de guerre et qu’«avant de déclencher une guerre, il aimerait bien comprendre le plan comment créer la paix». Dempsey réfute donc le cliché répandu selon lequel il ne faut jamais permettre aux généraux de faire la guerre, mais pas plus aux politiciens.
Entre-temps (début septembre 2013), le Premier Ministre Cameron a été bridé par sa Chambre des Communes et le président Obama semble également vouloir faire marche arrière.

La Suisse et l’Europe entre le marteau et l’enclume – première phase: la guerre économique

En matière de la politique de sécurité, une guerre économique constitue un cas limite pour l’intervention d’une armée. Tandis que l’agresseur peut lancer son attaque sans armée, le défenseur n’est plus libre de choisir les moyens à utiliser.
L’hebdomadaire suisse «Weltwoche» no 42/2011, p. 60 sq. a publié une interview avec J.-P. Roth, l’ancien président da la Banque nationale suisse (BNS). Précisément à ce moment-là, on a péniblement mis fin à un sommet de l’UE à Bruxelles, qui a été fêté comme «succès». La chancelière allemande a certainement raison de dire que l’échec de l’union monétaire est synonyme de l’échec de l’Europe, ce qui serait à son avis un immense danger pour la paix. Plusieurs mois après cette interview de M. Roth, la situation a évolué à grands pas. Parmi les responsables de l’UE, le désarroi règne et il est très probable que tous sont en train de conjecturer l’impensable en se demandant comment faire pour se procurer «à tout prix» des fonds ou des ressources de tout genre.
En 2011 (!), J-P. Roth a déclaré entre autre:
–    «Les politiciens ne veulent pas entendre la vérité.» (Cela semble également valable pour la politique de sécurité suisse!)
–    «Les années à venir, nous serons très fortement exposés aux menaces provenant de l’UE. L’UE se compose de 350 millions de citoyens, nous n’en avons que 7 millions, et par dessus le marché, nous nous trouvons au centre de cette structure européenne. Etant donné que nous sommes relativement forts, il va de soi que les autres tenteront de se procurer au moins une partie de nos richesses. On ne nous aime pas, c’est la réalité.»
–    C’est ce que Konrad Hummler avait aussi décrit en ce temps-là de manière similaire (cf. «Mut zur Kursänderung», p. 55).
–    «La réalité, c’est que le protectionnisme augmente et en même temps la discrimination de la Suisse.» (On pourrait appeler cela «le droit du plus fort».)
–    «Nous sommes petits. Les menaces et les pressions vont augmenter, il faudra faire avec, aussi à l’avenir. Plus les problèmes financiers de nos voisins seront grands, plus la pression augmentera.» (Ces problèmes mèneront à l’auto-strangulation, s’il ne se produit pas de miracle).
–    «Que la Grande-Bretagne ait conclu avec la Suisse un accord sur l’imposition à la source avec effet libératoire, donc un accord bilatéral, «est pour moi le signe qu’elle veut à tout prix obtenir de l’argent. […] Les Américains veulent également obtenir de l’argent.»
L’Allemagne veut obtenir encore davantage d’argent, mais elle dispose de plus de temps – c’est pourquoi elle n’a pas consenti à l’impôt libératoire.
Ce ne sont pas de sombres prophéties, mais des faits avérés. A la différence de cela, les réflexions présentées ci-dessous sont, au moins pour le moment, de pures spéculations. Nous ne savons pas encore ce qui a été décidé au Sommet de Bruxelles, le 26 octobre 2011. Mais il n’est pas impensable qu’on y ait préparé une lettre adressée à la Suisse disant à peu près ce que suit (cas «B» des plus dangereuses attaques ennemies):
«L’Union européenne reconnaît pleinement la souveraineté suisse, tant que de son point de vue rien ne s’y oppose. Néanmoins, elle part de l’idée que la Suisse doit contribuer de son propre gré au sauvetage de l’Europe par un montant de 100 milliards d’euros. Le gouvernement suisse est libre de décider s’il préfère verser cette somme directement à la Banque centrale européenne (BCE) ou s’il préfère la mettre à disposition de la BCE à l’aide de cautionnements bancaires. L’Union européenne a connaissance du fait qu’une telle décision est de la compétence du gouvernement suisse et qu’il peut la prendre très rapidement, comme il l’a déjà fait le 15 octobre 2009 dans le cas UBS.»
Analyse de la situation: notre gouvernement s’abstiendra d’informer le public du fait que cette lettre est accompagnée de menaces massives en cas d’enfreinte. Il présentera ce processus comme normal dans les relations interétatiques et optera pour s’y soumettre, étant donné que toute défense, notamment à l’aide de l’armée, lui fait défaut. Il présentera ses actes comme étant ceux d’un Etat souverain et comme le résultat de son art de gouverner stratégiquement. Il le fera tout en sachant que pas un centime de ces 100 milliards d’euros ne reviendra en Suisse, et en attendant la prochaine convoitise. Actuellement, la Suisse dispose (?) de la septième plus grande réserve mondiale d’or (environ 1000 tonnes), tandis que les soi-disant provisions de guerre ont toutes été liquidées.
La République fédérale d’Allemagne a déjà fait d’autres expériences intéressantes. Il semble qu’elle ne puisse déjà plus disposer de son or stocké aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Une source d’actualités politiques («Kopp Exklusiv»,www.kopp-exklusiv.de) nous informe dans le n° 30/13: «L’or des Allemands (du Fort Knox) semble avoir disparu. Un spécialiste de la situation aurait dit: Il est naïf de croire que la République fédérale pourra récupérer ses réserves d’or stockées aux Etats-Unis. Au cours des derniers mois, plusieurs banques américaines les auraient obtenues de la Réserve fédérale afin de faire baisser le prix de l’or, les réserves d’or allemandes ont donc atterri sur les marchés.»
Dans ce contexte, on se souvient qu’il y a un certain temps, on a interdit à la Banque fédérale allemande de faire un inventaire de ses réserves d’or aux Etats-Unis et que leur restitution aurait été ajournée jusqu’en 2018. La Grande-Bretagne veut également garder l’or de la Banque fédérale allemande. Selon «Kopp» 32/13, la justification pour cela est encore plus rocambolesque: cet or serait selon toute vraisemblance l’or que la Reichsbank allemande aurait volé à la Tchécoslovaquie à l’époque. La Banque fédérale allemande serait le successeur de la Reichsbank, une justification qui semble extravagante!
Le fait que le gouvernement Merkel doit savoir cela, mais que ses Alliés occidentaux forcent l’Allemagne à se comporter docilement est un aspect de l’affaire, mais qu’elle est forcée, dans le propre intérêt, à se comporter calmement avant les élections allemandes d’automne 2013, si elle ne veut pas rater la réélection suite à un scandale, en est un autre. Après que l’Allemagne ait été déjà si mal récompensée pour sa solidarité avec l’Occident, la Suisse ne peut pas s’attendre à un autre traitement. Pourquoi l’Allemagne ne devrait-elle pas se «mettre d’accord» avec la Suisse de partager les stocks d’or suisses? Ce serait donc la guerre de l’or et le cas «B» des plus dangereuses attaques ennemies mentionnées ci-dessus.

L’Europe entre le marteau et l’enclume – deuxième phase: guerre ouverte

A la fin d’une guerre économique qui se termine sans vainqueur, il y a toujours une guerre ouverte. Les plus dangereuses attaques ennemies «C», «D» et «E» deviennent réalité. La Russie et la Chine, donc l’Asie orientale d’un côté, les Etats-Unis de l’autre côté, emprunteront cette voie s’il s’agit, dans la lutte pour les ressources européennes et pour la dominance militaire mondiale, d’une situation d’existence ou de non-existence. Celui qui se sert le premier en Europe a une plus grande chance de remporter la victoire finale. En Europe, toutes les ressources que l’on peut s’imaginer sont disponibles et sans protection.
Au cours de son histoire, la Russie a toujours été attaquée par l’Occident. Pourquoi la Russie devrait-elle s’imposer une réserve particulière dans cette direction, s’il s’agit d’existence ou de non-existence? Au cours des deux derniers siècles, la Chine a reçu des leçons particulièrement douloureuses principalement par l’Occident. Pourquoi devrait-elle donc se retenir face à l’Occident? Depuis leur création en 1783, les Etats-Unis ont mené des guerres presque sans interruption. La plupart d’entre elles sur des territoires étrangers. Ils ne se sont jamais imposés de réserves particulières, et il leur manque la sensibilité pour les souffrances cruelles des populations civiles qu’ils n’ont guère vécues dans leur pays. Donc les alliés européens de l’OTAN n’ont pas de raisons de se sentir trop en sécurité concernant leur bien-être.
Les petits Etats européens ne devraient pas non plus se sentir en sécurité. Karl Schmid, ancien recteur de l’Ecole polytechnique de Zurich et ancien colonel de l’Etat-major général et penseur stratégique, déclara lors d’une conférence devant l’assemblée des délégués de la Nouvelle Société Helvétique le 16 avril 1944 à Berne: «La décennie écoulée ne fut pas clémente avec les petits Etats. La brutalité avec laquelle les petits Etats furent attaqués et annexés souleva la question de la raison d’être de la Suisse. Ce sujet était le fondement intellectuel des efforts de défense militaires.»
Schmid a aussi développé ces réflexions dans son célèbre livre «Unbehagen im Kleinstaat» (L’embarras dans le petit Etat). Pourquoi les agresseurs qui se font la guerre sur le territoire de l’Europe devraient-ils soudainement respecter un petit Etat neutre? Ils le feront d’autant moins que l’Europe et en particulier la Suisse désarmée sont pour eux des proies faciles qui leur permettront de survivre aux graves secousses politiques et économiques.

Des opérations belliqueuses sur le territoire suisse

D’avoir une telle idée, c’est une chose, de savoir comment elle pourrait être réalisée pratiquement, c’en est une autre. Au milieu du cœur de l’Europe, les aéroports doubles de Kloten/Dübendorf et/ou Buochs/Alpnach s’offrent au plus rapide. On y trouve de bonnes infrastructures pour des bases aériennes, notamment des possibilités de stocker du kérosène et des bâtiments de protection.
Au cours de la première guerre froide, la Russie avait déjà veillé à répartir ses forces aériennes sur le plus grand nombre de bases possible. Pour le moment, les Etats-Unis ne doivent pas considérer cette option car dans le cadre de l’OTAN, ils disposent déjà de suffisamment de bases aériennes équipées en Europe occidentale. Dans un premier temps, tout agresseur mènerait un tel coup en tant qu’opérations limitées à certains secteurs. La grande partie du territoire suisse ne serait pas touchée pour le moment. Il serait avantageux que les gouvernements cantonaux concernés réfléchissent maintenant déjà aux possibilités de nourrir et soigner médicalement 15 à 20 000 membres d’un pouvoir étranger.
Toutes les indications géographiques et matérielles sont accessibles publiquement pour les doubles aéroports militaires de Kloten/Dübendorf et Buochs/Alpnach. Les données utiles se trouvent toutes sur Google-Maps. L’adversaire placerait en un premier temps une protection aérienne rapprochée efficace sur ces secteurs du territoire et pourrait ensuite abuser de ces bases aériennes pour pratiquement tous les scénarios possibles.
Dès que la Russie tente de réaliser cette option, les Etats-Unis doivent réagir, et les plus dangereuses attaques ennemies «D» et «E» deviennent réalité. Comme expliqué dans le livre «Mut zur Kursänderung» (p. 81/82), ce ne seront pas des vagues de blindés et des nuées de chasseurs-bombardiers qui marqueront la situation, mais des «frappes de précision chirurgicales». Il va de soi que le terme «précision» ne peut pas être pris à sa valeur nominale, car il est connu que les dommages collatéraux et les dommages économiques à long terme seront inévitables pour le pays.
Cinq attaques aériennes relativement faciles suffisent pour paralyser auparavant tous les centres logistiques de la Suisse, pour détruire le gros du matériel militaire et des installations d’entretien et de rendre ainsi impossible de mobiliser l’armée suisse. Pour cela, il n’est même pas nécessaire de faire de la reconnaissance aérienne, car toutes les données-clés des cibles, y compris les photos aériennes, sont disponibles sur Internet. Cela est vrai aussi pour les réserves de munitions qui étaient autrefois stockées dans plus de mille dépôts décentralisés.
Qui veut dominer l’Europe, doit contrôler les centrales énergétiques et les axes de transports principaux. Son adversaire tentera donc de les utiliser lui-même ou de les rendre inutilisables (cas «C» des plus dangereuses attaques ennemies). Etranglée de telle sorte par les deux parties au conflit, l’Europe, et plus encore la Suisse, donneront ce qu’on exigera d’eux et il ne leur restera qu’à espérer de pouvoir continuer à fonctionner en tant que communauté jusqu’à la fin des affrontements. Un éventuel agresseur paiera un plus petit prix d’entrée que la Suisse devra débourser pour sa défense. Ici aussi, il y a des asymétries, mais à la charge de notre pays qui n’a pas pu ou pas voulu fermer les verrous de la porte d’entrée à temps. Ce n’est pas une idée ringarde de rendre attentif au fait que nous avons actuellement un grand manque de moyens de défense aérienne, avant tout sol – air, qui étaient encore disponibles au temps de l’Armée 61, indépendamment du fait de savoir si ces moyens étaient «obsolètes» ou non.
Le lourd fardeau du souvenir d’avoir reconnu les dangers mais de n’avoir, au moment décisif, rien entrepris là-contre pèsera encore pendant des générations entières sur les âmes des Suisses. Nos descendants seront-ils encore aussi sûrs d’eux que nous le sommes actuellement au sein de la communauté des peuples? La Suisse était autrefois un pays pauvre, elle s’est enrichie suite à une politique intelligente et un travail acharné et maintenant elle risque de terminer à nouveau dans la pauvreté.    •
(Traduction Horizons et débats)

«Cercueils volants»

Au milieu des années trente, l’armée de l’air suisse n’avait à disposition que des avions obsolètes et le chef du Service technique militaire de l’époque s’est exprimé face au conseiller fédéral Minger en novembre 1937 comme suit: «La revendication du colonel divisionnaire Bandi de se réarmer rapidement dans le domaine des avions de guerre et des canons DCA est totalement inutile, car nous sommes absolument convaincus d’être actuellement plus éloignés d’une guerre européenne qu’il y a encore quelques années. (Ernst Wyler, Chronik der Schweizer Militäraviatik, 1990, p. 86/87) Minger ne s’est pas laissé impressionner et quand il s’est offert – en rapport avec le meeting aérien international de Dübendorf en 1937 – la possibilité d’acheter à l’Allemagne un certain nombre d’avions de chasse du type Messerschmitt ultramodernes à l’époque, il a soutenu en 1938, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la motion d’en acquérir 90. Les opposants à cette acquisition d’avions absolument nécessaire se sont moqués des Messerschmitts en les appelant «cercueils volants». Lorsque, en 1940, l’armée de l’air allemande a à plusieurs reprises gravement violé l’espace aérien suisse lors de vols vers le Sud de la France, nos pilotes ont abattu avec exactement ces Messer­schmitts – et au grand dam d’Hitler, de Göring et consorts – au moins onze bombardiers allemands lors de combats aériens dangereux ou ils les ont forcés à atterrir. (Ernst Wetter, Duell der Flieger und Diplomaten, 1987; Karl Riss, Deutsche Luftwaffe über der Schweiz 1939–1945, 1978). Le fait de vouloir em­pêcher l’acquisition des avions de chasse Gripen à l’aide de sondages populistes rappelle la diffamation des Messerschmitts comme «cercueils volants» – des avions de chasse qui ont par la suite prouvé clairement à l’Allemagne nazie que nous étions prêts à nous défendre jusqu’au bout.

Hans-Georg Bandi, témoin de l’époque, Berne