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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°25, 12 août 2013  >  La faim n’est pas une loi naturelle, mais politiquement voulue [Imprimer]

La faim n’est pas une loi naturelle, mais politiquement voulue

Jean Ziegler: la faim comme arme, les denrées alimentaires comme objets de spéculations et comment y remédier

par Thomas Kaiser

L’indice boursier américain et la bourse allemande ont atteint il y a peu un nouveau record, compensant ainsi les pertes induites par la crise financière et économique qui avait commencé en 2008. Une fois de plus, l’ambiance y est au casino, les conséquences de spéculations déchaînées à la bourse semblent être éclipsées. Ceux restés à l’écart sont facilement pris du sentiment d’avoir raté l’occasion de faire de l’argent facile. Tout ce qui a dominé l’actualité encore il y a quelques mois, semble être oublié: le fait que nos Etats sont fortement surendettés, que les gouvernements occidentaux ont investi des billions dans le marché pour que les affaires boursières indicibles continuent, que l’on exproprie les propriétaires privés pour régler les dettes à échéance de l’Etat, et d’autres manœuvres nées du génie des gouvernements empressés de faire continuer le «grand casino».
Pourtant, tandis que les gains effectués à la bourse atteignent des chiffres immesurables le taux de chômage atteint, lui aussi, des sommets vertigineux: en France, en Italie, au Portugal, en Espagne – cette dernière présente un taux de chômage des jeunes qui dépasse les 50%.
Considérant ce genre d’évolution, nous devons nous rendre compte qu’en vérité, ce n’est qu’une petite minorité de l’humanité qui en profite. La plus grande partie se trouve du côté des perdants portant les charges de cette répartition injuste. Ceux qui en souffrent le plus sont les ressortissants des pays en voie de développement, n’ayant rien ou presque rien à manger tandis que les denrées alimentaires sont négociées sur le marché boursier aux prix maxima. Or, cela dépend des évolutions générales et résulte de cette ambiance de casino. Ainsi, en 2011, le prix du blé doubla au marché. A cela s’ajoute l’ensemble des spéculations, depuis les «sources» jusqu’aux ventes. Avant qu’une charge de cette denrée existentielle atteigne sa destination, elle change plusieurs fois de propriétaire et se vend, finalement, à un prix beaucoup plus élevé qu’au départ. Les pays qui ont urgemment besoin de ce blé ne peuvent guère se permettre d’en acheter puisque les populations ne sont pas en mesure de payer le prix respectif. Est-ce là notre système social que l’humanité – capable de remplir les plus hautes exigences sur le plan technologique – a développé à l’époque de l’homo sapiens sapiens?

1,2 milliards de personnes vivent en «extrême pauvreté»

Jean Ziegler, professeur de sociologie combatif, ne s’est jamais lassé de mettre le doigt sur cette flagrante injustice. En sa qualité d’ancien Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève et d’actuel vice-président du «comité consultatif» du Conseil des droits de l’homme, il n’a omis aucune occasion de rendre attentif à cette flagrante injustice qu’est la malnutrition des millions de gens. Motivé par une profonde révolte intérieure, il a tendu un miroir aux pays industrialisés mais aussi aux nouveaux pays industrialisés et à ceux en voie de développement en fustigeant le comportement inhumain envers les plus pauvres parmi les pauvres. Alors que les «food-stocks» (les actions des entreprises alimentaires) dépassaient souvent, en peu de temps, les 100%, le nombre des personnes mal nourries et menacées par la faim s’accroissait constamment, ayant atteint actuellement à peu près d’un milliard.

Le manque de vitamines et de substances minérales conduit à de graves problèmes sanitaires

Le livre de Jean Ziegler, intitulé «Destruction massive – Géopolitique de la faim», paru en automne 2011, montre la réalité sans ambages. Ziegler n’y va pas par quatre chemins. Il accuse l’avidité des commerçants boursiers ainsi que les gouvernements des pays en voie de développement accessibles aux corruptions occidentales. Selon les estimations de la Banque mondiale, 1,2 millions d’hommes vivent en «extrême pauvreté» ce qui veut dire qu’ils disposent de moins de 1,25 dollar par jour. En 2010, 98 à 99% des sous-alimentés vivaient dans les pays en voie de développement. Qui s’en étonne? Mais cela ne doit pas masquer que les habitants des pays industrialisés ne sont pas non plus épargnés par la faim. En Espagne, suite à la politique d’austérité imposée par la chancelière Merkel, le gouvernement a été contraint de réduire les allocations sociales ce qui a eu comme effet que «2,2 millions d’enfants espagnols en dessous de 10 ans sont gravement et en permanence sous-alimentés» (p. 50).
Dans le chapitre «La faim invisible», Jean Ziegler démontre les séquelles de la malnutrition permanente pour les jeunes. Il ne s’agit là pas seulement du manque de calories, facilement perceptible par l’observateur, mais également de celui en vitamines et minéraux:
«Les déficiences en vitamines et en minéraux peuvent en effet entraîner de graves problèmes de santé: une très grande vulnérabilité aux maladies infectieuses, la cécité, l’anémie, la léthargie, la diminution des capacités d’apprentissage, le retard mental, les déformations congénitales, la mort. […] Les Nations Unies emploient volontiers l’expression ‹silent hunger›.» (p. 56) Ziegler, parle de façon plus pertinente de «la faim invisible» puisque la sous-alimentation atteint l’organisme de façon que les hommes crient souvent de douleurs. La misère qui en résulte est démesurée, à peine supportable. Une des maladies les plus graves induites par les déficiences alimentaires subies dès le premier âge est le Noma dont le terme scientifique est Cancerum oris. Ce sont surtout les enfants qui, suite à leur malnutrition, deviennent victimes de cette maladie qui littéralement ronge le visage des souffrants. 80% des enfants atteints meurent sous d’atroces douleurs. En Afrique, chaque année, 120 000 personnes succombent misérablement à cette maladie, uniquement par le fait qu’ils n’ont pas accès à une alimentation équilibrée.
A part les dommages physiques Ziegler met l’accent sur le fait que les déficiences alimentaires peuvent induire «des dégâts les plus graves sur le plan mental et psychique». Pour nous, les rassasiés, il est difficile à s’imaginer les souffrances qu’endurent les hommes qui ne savent pas quand et combien ils auront à manger le lendemain.
«Comment une mère dont les enfants pleurent de faim le soir, et qui réussit miraculeusement à emprunter un peu de lait à une voisine, va-t-elle les nourrir le lendemain? Comment ne pas devenir folle? Quel père incapable de nourrir les siens peut-il ne pas perdre, à ses propres yeux, toute dignité?
Une famille exclue de l’accès régulier à une nourriture suffisante et adéquate est une famille détruite. Les dizaines de milliers de paysans suicidés de l’Inde ces dernières années incarnent tragiquement cette réalité.» (p. 60)
Nous habitons tous la même planète, nous sommes tous des êtres humains à part entière – voilà pourquoi nous ne devons pas fermer les yeux face à cette situation. On ne peut accepter que de telles choses soient fatidiques et immuables, ce que certains veulent nous faire croire.

«Venir à bout de la faim – voilà notre responsabilité en tant qu’êtres humains»

Dans le chapitre intitulé «La faim comme fatalité – Malthus et la sélection naturelle», l’auteur analyse, dans une approche critique, les résultats de la pensée malthusienne qui trouve ses adeptes aujourd’hui encore. Thomas Malthus, théologien anglais, naquit en 1766. Touché par le prolétariat du début du XIXe siècle sombrant dans la misère, le théologien s’occupa de la question alimentaire. Il conclut qu’on ne réussirait pas à mettre à disposition de la population en croissance les denrées alimentaires nécessaires. Selon lui, l’humanité se multiplierait de manière explosive tandis que les territoires adaptés à la production de denrées alimentaires se trouvaient en nombre limité. Pour Malthus, comme Ziegler le résume, «la réduction de la population par la faim était la seule issue possible pour éviter la catastrophe économique finale. La faim relevait donc de la Loi de la nécessité.» (p. 117). Voilà donc un concept désastreux qui est défendu, dans certains cercles, jusqu’à nos jours et libère ceux qui croient à l’inéluctabilité de cette loi de leur mauvaise conscience. Par cette loi, on peut justifier n’importe quoi, dans le pire des cas même la guerre contribuant, grâce à la perte de vies humaines, à une «sélection naturelle».
Heureusement, l’humanité a engendré aussi d’autres penseurs qui sont parvenus, à travers le Droit naturel, ancré dans la tradition de la culture chrétienne et occidentale et du siècle des Lumières, à des connaissances importantes. Ils sont arrivés à la conclusion que la vie humaine est unique et mérite d’être protégée par tous les moyens, ce qui se concrétisa finalement dans la Charte de l’ONU et son concept de l’intangibilité de la dignité humaine. Après les terreurs de la Seconde guerre mondiale, l’idée s’imposa finalement que «l’éradication de la faim réside entièrement dans la responsabilité de l’homme, il n’existe aucune fatalité en cette matière.» (p. 123)
Notre Terre-mère offre suffisamment de surfaces arables pour que l’humanité croissante soit pourvue en aliments. Selon une enquête, le Congo à lui seul dispose de tant de terres fertiles que l’Afrique entière pourrait s’en ravitailler.

La géopolitique de la faim

Selon Jean Ziegler, Josué de Castro, médecin brésilien, a contribué beaucoup à l’analyse de la question de la faim et à ce que notre attitude la concernant ait changé: «Un homme a contribué plus qu’aucun autre à ce réveil de la conscience des peuples occidentaux vis-à-vis de la faim: le médecin brésilien Josué Apolônio de Castro.» (p. 125s.) Touché par la misère des hommes exténués et décharnés, il se mit à analyser les causes de la faim. Dans son œuvre principale, «Geografia da fome», il fut amené à la conclusion «que la faim, si elle doit être référée et imputée pour une part aux conditions géographiques, est en fait avant tout affaire de politique. Elle doit la persistance de son existence non pas à la morphologie des sols, mais tout à la pratique des hommes.» (p. 129).
Alors que Malthus naturalisa les ravages de la faim, en invoquant, «pour justifier les hécatombes, la ‹Loi de la nécessité›», Castro fit prendre conscience au contraire que «la sous-alimentation et la malnutrition persistantes perturbaient profondément les sociétés dans leur ensemble, les affamés comme les rassasiés.» (p. 130)
«La moitié des Brésiliens ne dorment pas parce qu’ils ont faim. L’autre moitié ne dort pas non plus, car elle a peur de ceux qui ont faim.» (p. 130)
Si un seul habitant de notre Terre souffre de faim, l’humanité toute entière en est concernée.

Sous le couvert des droits de l’homme des innocents sont anéantis

Que la faim puisse aussi être utilisée de façon ciblée comme arme, Adolf Hitler n’a pas été le premier à le réaliser en laissant mourir de faim des douzaines de peuples étrangers dans le cadre de sa stratégie de la «terre brûlée», lors des campagnes allemandes. Déjà pendant la Révolution russe et la collectivisation forcée, il y a eu des millions de victimes de famine, ne voulant pas se soumettre à la dictature communiste ou n’étant pas d’accord avec les directives du comité central de Moscou. Sans parler des conquêtes européennes à l’époque coloniale et impériale. Aujourd’hui encore, on a recours à l’arme de la faim, moins visiblement que sous Hitler et le plus souvent sous le prétexte de défendre les droits de l’homme.
Les sanctions onusiennes contre l’Iraq, introduites sous la pression de l’Occident, ont provoqué la mort certaine de presque 1 million d’êtres humains; ceci parce que les livraisons de médicaments étaient bloquées et les denrées alimentaires manquaient. Les sanctions imposées depuis des années à l’Iran, ont lourdement affecté l’approvisionnement du pays qui a majoritairement vécu des exportations de pétrole tout en négligeant son agriculture. Dans une postface intitulée «Le ghetto de Gaza», Ziegler mentionne la situation dans la bande de Gaza. Selon les Conventions de Genève, la puissance occupante Israël serait responsable de l’approvisionnement des gens qui y vivent. Pourtant il est avéré qu’en 2010 en raison de la politique du blocus, «pour survivre, 80% des habitants dépendaient de l’aide alimentaire internationale.» (p. 74)
C’est complètement absurde que la défense des Droits de l’homme mène à l’extermination d’innocents. Dans ce contexte, il apparaît clairement qu’il s’agit d’intérêts de pouvoir des grandes puissances en particulier. Le droit d’exploiter les ressources d’un autre Etat ou d’octroyer n’importe quelles réformes à un pays, si nécessaire par la force des armes, est certes un élément de la nouvelle doctrine de l’OTAN, mais cela n’a rien à voir avec les Droits de l’homme, c’est en contradiction totale avec ces derniers.
La faim comme arme est désastreuse et elle est aujourd’hui aussi mortelle et dévastatrice que lors de la Seconde Guerre mondiale.

Des biocarburants pour les rassasiés à la place d’aliments pour les affamés

Suite à des accords de libre-échange, beaucoup de pays ont prêté trop peu d’attention à leur agriculture. Ils sont par conséquent dépendants de l’importation de biens étrangers. Cela concerne aussi notre pays qui est obligé d’importer presque 45% des denrées alimentaires. Tant que les Etats sont solidaires entre eux, aucun danger n’en résulte, mais jusqu’à présent nous n’avons pas encore atteint «la paix éternelle» et l’arrogance des grandes nations, quand il s’agit de leur avantage, peut être observée quotidiennement. Les principes clé d’un Etat incluent la volonté de préserver un degré maximum de souveraineté et d’indépendance; par conséquent il faut assurer un approvisionnement en denrées alimentaires suffisant pour la population et pouvoir se défendre avec une armée performante en cas d’urgence contre des attaques venues de l’extérieur.
Il ne s’agirait pas de Jean Ziegler s’il ne désignait pas concrètement les acteurs et les victimes dans son livre. Il juge avec sévérité le cas de l’ONU qui a, selon Ziegler, lourdement échoué sur le plan de la question de la faim parce qu’elle est dominée par les nations industrialisées, de même il juge d’autres organisations internationales telles que l’OMC, la Banque mondiale et le FMI. Mais ce n’est pas seulement l’Occident qui exploite d’autres pays et leurs peuples et les pousse à la ruine en poursuivant une politique d’intérêt sans égards, mais aussi les gouvernements qui sont souvent dépendants de l’Occident et des entreprises économiques dans les pays en voie de développement et en voie d’émergence contribuent à perpétuer la problématique de la faim en menant une politique souvent égoïste et orientée vers le maintien du pouvoir.
Différents pays en Afrique ont vendu les terrains les plus fertiles sur lesquels on cultive maintenant du maïs ou du soja pour des biocarburants tandis que leur propre population reste dans la dépendance de livraisons alimentaires par l’ONU. Les divergences sont particulièrement flagrantes dans des pays comme le Brésil et l’Inde. Les deux pays ont des marchés en plein essor qui ont une grande capacité et en même temps des centaines de milliers vivent au-dessous du seuil de pauvreté, ne sachant pas comment survivre le lendemain. Beaucoup de pays en voie de développement ont vendu de vastes terres à des groupes privés qui n’utilisent les sols fertiles pas pour cultiver des denrées alimentaires mais pour produire des biocarburants prétendument moins polluants. Pour la fabrication de 50 litres de bioéthanol il faut 7 quintaux de maïs … La proportion numérique est éclatante.

Des marchés alimentaires sont victimes des prédateurs boursiers

Le livre de Jean Ziegler montre en toute clarté vers quelle catastrophe de famine l’humanité se dirige si l’on ne change pas subitement de cap. Ce qui a mené à la catastrophe sur les marchés financiers, à savoir la théorie du marché qui réglerait tout et la mondialisation dont tout le monde profiterait, les plus pauvres en particulier, s’est avérée être complètement erronée. Ceux qui en profitent, c’est la haute finance et certaines branches d’industrie ainsi que ceux qui espèrent pouvoir supprimer l’Etat-nation en promouvant la mondialisation et veulent établir des règles globales pour tous sans légitimation démocratique. Si l’on considère cependant les pays membres de l’UE, la pauvreté a majoritairement augmenté tandis que les cours de Bourse atteignent des taux record. La souveraineté des Etats-nations est de plus en plus réduite, particulièrement dans l’Union européenne. Des pays, tels que la Grèce, auxquels on fait parvenir de généreuses «aides» financières, doivent accepter que des commissaires financiers étrangers contrôlent leur budget.
Lorsque la Bourse a chaviré en 2008, beaucoup d’investisseurs ont vendu leurs titres et disposaient par conséquent d’énormes sommes d’argent. Ils ont donc cherché de nouvelles possibilités d’investissement ou de spéculation pour le capital devenu libre. Les marchés alimentaires étaient victimes de cette politique dévastatrice. Certes, il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau, mais on n’a jamais assisté à un tel agissement non réglementé des «prédateurs boursiers». Ziegler écrit dans ce contexte: «Pour les spéculateurs, les produits agricoles sont des produits de marché comme tous les autres. Ils ne se soucient pas du tout des conséquences de la hausse des prix que des millions de gens subiront.» Contrairement au marchand, le spéculateur ne veut finalement pas acheter les marchandises, mais spéculer sur les prix et miser sur une hausse ou une baisse. Une bulle gigantesque dans le domaine de la Bourse alimentaire en est la conséquence, qui, si elle éclate, détruira des biens énormes et entraînera l’effondrement économique. Les conséquences en seront davantage de pauvreté et de faim. Pour mettre un frein à de telles manigances, la Jeunesse socialiste de Suisse a lancé une initiative posant des limites à la spéculation avec les biens alimentaires. (cf. encadré: L’initiative «Stop à la spéculation») Les bourses des matières premières en tant que telles ne sont pas un problème, mais elle «servaient autrefois à l’assurance des prix pour les producteurs et les transformateurs des matières premières agricoles […] La spéculation excessive, qui prédomine aujourd’hui dans les bourses en matières premières, n’a pourtant plus aucune fonction de régulation. Au contraire, les prix sont toujours entraînés vers le haut de façon massive et oscillent extrêmement, tandis que le marché est inondé par une grande quantité de capital.» (cf. argumentaire de l’initiative Stop à la spéculation)
Ma génération se souviendra du film sur grand écran «Septemberweizen», diffusé à la fin de 1979, qui a déjà attiré l’attention sur cette problématique de spéculation en toute clarté et ceci déjà avant le «génie génétique» et la «mondialisation». (cf. encadré)

Agriculture à petite échelle organisée en exploitations familiales ou en coopératives – une solution pour la problématique de la faim

Jean Ziegler encourage, avec son livre, une réflexion accrue sur ce qui détermine le cours du monde. Son livre est un plaidoyer clair et net contre la mondialisation et l’exploitation continue d’économies nationales en partie très fragiles. C’est cependant aussi un plaidoyer pour la démocratie, lorsqu’il propose par exemple pour l’Allemagne: «Nombreuses sont les formes d’engagement politique dont le peuple pourrait se servir pour influencer le parlement afin que la loi sur la bourse soit modifiée et la spéculation sur les denrées alimentaires de base, le dumping alimentaire de l’UE et l’importation de biocarburants soient interdits.» (p. 305 de l’édition allemande). C’est cependant aussi une confirmation du Rapport sur l’agriculture mondiale qui exige la souveraineté alimentaire, cela veut dire une politique agricole déterminée par les citoyennes et citoyens, et qui recommande comme solution de la question de la faim une agriculture à petite échelle, organisée en exploitations familiales ou en coopératives. Ziegler cite le préambule de la déclaration présentée par Via Campesina devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, lors de sa XVIe session, en mars 2011:
«Les paysans et les paysannes représentent près de la moitié de la population mondiale. Même dans le monde de la technologie de pointe, les gens mangent des aliments produits par des paysans et des paysannes. L’agriculture n’est pas simplement une activité économique, mais elle est intimement liée à la vie et à la survie sur terre. La sécurité de la population dépend du bien-être des paysans et des paysannes et de l’agriculture durable. Afin de protéger la vie humaine, il est important de respecter et de mettre en exécution les droits des paysans. En réalité, la violation continue des droits des paysans menace la vie humaine et la planète.» (p. 371)
Malgré tous les processus sombres par rapport à la production et la distribution des denrées alimentaires, Jean Ziegler réussit à ne pas laisser le lecteur s’enfoncer dans une dépression. Contaminé par le feu sacré de son engagement honnête pour les affamés de cette terre et son indignation humaine à propos des misères que les hommes ont créées et qu’ils peuvent par conséquent changer s’ils ont la volonté politique, on se rend compte qu’il ne faut pas seulement se lamenter sur ce qui ne va pas, mais s’activer. Et il faut surtout agir dans les pays industrialisés démocratiques. La possibilité y est donnée de participer au discours politique, d’entrer en conversation avec les voisins et les amis pour créer et renforcer une prise de conscience qui contribue à l’amélioration de la situation. Pour Jean Ziegler, une chose est claire, et son livre en est la preuve, la faim n’est pas une fatalité, elle est créé par les hommes. La terre pourrait facilement nourrir encore quelques milliards de gens de plus. Un poème de Mercedes Sosa qui clôt le livre exprime ce que Jean Ziegler voudrait atteindre en fin de compte avec son grand engagement:

«La seule chose que je demande à Dieu
C’est que la douleur ne me laisse pas indifférente
Et que la mort blême ne me trouve pas
Seule et vide, sans avoir fait
Ce qui est nécessaire sur cette Terre.»    •

thk. Le volume des affaires qui ont été réalisées avec les matières premières à Genève, dont beaucoup de matières premières de l’agro-alimentation, s’élevait en l’an 2000 à 1,5 milliards de dollars, en 2009 à 12 milliards et en 2010 à 17 milliards de dollars.1
En 2010, la Banque Nationale estime que les investissements en fonds d’investissement qui ont été réalisés en Suisse, s’élèvent à 4,5 billions de francs suisses … Mais seulement un tiers
de cette somme astronomique sommeille dans les fonds d’investissement suisses. Autrement dit: Il s’agit des fonds dont la gestion est soumise au droit suisse.2
La plupart des fonds spéculatifs vendus en Suisse ont leur siège aux Bahamas, aux Iles caïmans, à Curaçao, Jersey, Aruba, la Barbade etc. et ainsi, ils échappent à tout contrôle en Suisse.
1  Matthew Allen, «Genève, paradis du négoce», Le Courrier, Genève, 28/3/11
2  cf. l’étude d’Elisabeth Eckert, «1500 milliards de francs suisses au moins échappent à tout contrôle en Suisse»,
Le Matin Dimanche, 3/4/11

 

L’initiative stop à la spéculation

Texte de l’initiative:

Nous récoltons 100 000 signatures pour l’initiative fédérale «Pas de spéculation sur les biens alimentaires». Ainsi, nous voulons compléter la Constitution fédérale avec le texte suivant:

I. La Constitution fédérale est modifiée comme suit:

Art. 98a (nouveau) Lutte contre la spéculation sur les matières premières agricoles et les denrées alimentaires
1 La Confédération légifère sur la lutte contre la spéculation sur les matières premières agricoles et les denrées alimentaires. Ce faisant, elle respecte les principes suivants:
a. les banques, les négociants en valeurs mobilières, les assurances privées, les fonds de placements collectifs de capitaux et les personnes en leur sein chargées de la direction des affaires et de la gestion de fortune, les institutions d’assurances sociales, les autres investisseurs institutionnels et les gestionnaires de fortune indépendants ayant leur siège ou une succursale en Suisse ne peuvent investir ni pour eux-mêmes ni pour leur clientèle et ni directement ou indirectement dans des instruments financiers se rapportant à des matières premières agricoles et à des denrées alimentaires. Il en va de même pour la vente de produits structurés correspondants.
b. Les contrats conclus avec des producteurs et des commerçants de matières premières agricoles et de denrées alimentaires qui portent sur la garantie des délais ou des prix fixés pour livrer des quantités déterminées sont autorisés.
2 La Confédération veille à une exécution efficace des prescriptions visées à l’al. 1. Ce faisant, elle respecte les principes suivants:
a. la surveillance, la poursuite pénale et le jugement relèvent de la compétence de la Confédération;
b. les entreprises fautives peuvent, indépendamment d’un éventuel manque d’organisation, être sanctionnées directement.
3 La Confédération s’engage au niveau international en faveur d’une lutte efficace à l’échelle mondiale contre la spéculation sur les matières premières agricoles et les denrées alimentaires.

II. Les dispositions transitoires de la Constitution fédérale sont modifiées comme suit:

Art. 197, ch. 9 (nouveau)
9. Disposition transitoire ad art. 98a (Lutte contre la spéculation sur les matières premières agricoles et les denrées alimentaires)
Si les dispositions légales correspondantes n’entrent pas en vigueur dans les trois ans suivant l’acceptation de l’art. 98a par le peuple et les cantons, le Conseil fédéral édicte, en attendant leur entrée en vigueur, les dispositions d’exécution nécessaires par voie d’ordonnance.

L’initiative veut …

… Stopper les spéculateurs …
L’initiative stop à la spéculation met le verrou à l’enrichissement des spéculateurs. Comme les sauterelles, les marchés financiers sont à la constante recherche de nouveaux champs à exploiter. Il est pour cela urgent de mettre un frein à cette pratique. La spéculation est superflue dans tous les domaines et ne sert qu’à l’enrichissement des super-riches et des entreprises aux dépens des plus pauvres. Inversons cette tendance et, pour commencer, mettons une fin à la forme la plus répugnante de cette usine à profits.
… Combattre la faim …
Avec l’initiative stop à la spéculation nous contribuons à la lutte contre la faim dans le monde. Les matières premières agricoles tombent de plus en plus sous le joug des marchés financiers. Seulement une petite portion du commerce de biens alimentaires se réalise dans l’échange de matières réelles, tandis que pour la plupart il s’agit de paris en bourse
et entre des instituts financiers. Ce casino dans les bourses conduit à des fluctuations incroyables et à des hausses des prix qui ont déjà entrainé des millions d’êtres humains dans la faim. Nous voulons ramener le commerce des biens alimentaires dans la réalité du terrain, pour qu’il ait à nouveau le but de nourrir les êtres humains.
Moins il y a de spéculation, plus stables et bas sont les prix.
… penser globalement, agir localement
Avec cette initiative nous combattons la spéculation sur les produits alimentaires au bon endroit. Une très grande partie de la spéculation sur les biens alimentaires a lieu en Suisse et les plus grandes entreprises du commerce des matières premières du monde ont leur siège principal dans notre pays. La lutte contre le commerce de la faim doit pour cela commencer ici. Jusqu’à présent, seuls quelques Pays ont pris des contre-mesures. Il est temps que la Suisse donne le bon exemple et qu’elle s’engage également pour une interdiction au niveau international.

Source: www.juso.ch/fr/stop-speculation/arguments   

Entre 2003 et 2008, les spéculations sur des matières premières au moyen de fonds d’index ont augmenté d’environ 23%. Selon la FAO (rapport de 2011), ce sont seulement 2% des contrats de matière première à terme qui mènent vraiment à la livraison d’une marchandise. Les 98% restants sont encore revendus avant la date d’échéance. Frederick Kaufmann résume la situation comme suit: «Plus les prix de la matière première pour des aliments montent, d’autant plus l’argent afflue sur ce marché, et d’autant plus augmentent les prix déjà élevés.»1

1    Frederick Kaufmann, cité in: Horand Knaup, Michael Schiessl et Anne Seith, «Die Ware Hunger», Der Spiegel, Hambourg, 29/8/11

Le film «Septemberweizen»

Le terme «blé de septembre» désigne un contrat de blé exigible en septembre aux USA. Le film montre dans sept chapitres le chemin du blé, de sa culture en Amérique jusqu’au consommateur. Il examine comment les agriculteurs, les scientifiques, les marchands, les revendeurs et les fabricants et les hommes politiques américains le traitent. Des éleveurs de semences jettent des hybrides toujours plus productifs sur le marché et ils en rendent l’agriculteur dépendant. Pour en déduire l’excédent, les USA ont fait démarrer le programme de dumping «nourriture pour la paix» et fait écouler le blé dans le tiers-monde. Des exemples d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie montrent comment ils l’utilisent comme arme politique au travers de l’attribution ou de la privation. La Bourse du blé à Chicago est le centre du commerce mondial du blé. On y spécule, les prix sont faits ici. «Continental Bakeries» produit vingt-quatre heures sur vingt-quatre un «pain-miracle» avec des substances aromatiques et des substances chimiques, qui n’a que peu de valeur nutritive et qui contribue à ce que l’alimentation devienne de plus en plus néfaste pour la santé.

Source: www.film.at/septemberweizen_1/detail.html?cc_detailpage=full 

Etude sur les pertes en fruits et légumes lors de la production

thk. Au pays des possibilités illimitées, le traitement négligent de la nourriture semble être également illimité. Le Natural Resources Defense Council (NRDC) qui a son siège aux USA, a démontré dans une étude détaillée que plus de 40% de la nourriture produite ne finit pas chez le consommateur, c’est-à-dire sur la table les citoyennes et citoyens, mais aux déchets, ou qu’elle est détruite lors de la production et de la distribution. Ainsi, «on rate l’occasion», comme ils l’écrivent eux-mêmes, que le grand nombre des gens dans le besoin du monde entier profite de cette nourriture. La FAO estime que 20% des fruits et des légumes sont détruits lors de la production.