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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°36, 12 septembre 2011  >  Comment poser les bases de la pensée mathématique? [Imprimer]

Comment poser les bases de la pensée mathématique?

Encourager le plaisir des mathématiques avec des manuels scolaires bien structurés

Groupe de travail sur les manuels de mathématiques: Roland Güttinger, Peter Müntener entre autres

Le motif de l’étude MINT d’août 2010 était apparu depuis longtemps en Suisse: une pénurie évidente de spécialistes qualifiés dans le domaine des mathématiques, de l’informatique et des sciences naturelles et techniques, dont notre économie nationale a besoin d’urgence. Les places de formation dans nos écoles supérieures, écoles supérieures spécialisées et les écoles professionnelles seraient disponibles. Pourquoi ces matières ne sont-elles pas choisies plus souvent? Tout simplement parce que les jeunes gens ne remplissent pas les conditions nécessaires pour cela, bien qu’ils aient passé des années à l’école. Les professeurs de mathématiques et de sciences naturelles du gymnase constatent que les élèves qui viennent d’entrer manquent de bases pour travailler avec les manuels destinés au gymnase, bien que ces manuels sont bons au niveau du contenu et de la didactique. Les enseignants de l’école secondaire se plaignent aussi de la baisse de niveau en mathématiques. Quand on y regarde de plus près, on voit que de nombreux élèves ont des lacunes dans les bases. En calcul ils ont de la peine à dépasser les dizaines et ne connaissent plus leur table de multiplications. Les calculs les plus simples sont tapés sur la calculatrice et souvent, on ne s’aperçoit pas des résultats erronés. Une capacité de représentation insuffisante dans la notion des nombres induit souvent des fautes d’ordres de grandeur. Une des sources pour ces problèmes sont les manuels scolaires de nos écoles primaires. Au cours de plusieurs décennies, on a fait des expériences onéreuses et investi de l’argent dans des manuels chers et soutenus par les médias – et le niveau a baissé. C’est pourquoi, nous devons refaire l’inventaire, c’est-à-dire réviser les livres de mathématiques.

Les mathématiques sont une base importante de notre formation scolaire. Elles sont la condition sine qua non pour l’ensemble des domaines des sciences naturelles et techniques.

Où est le problème?

On va traiter ci-dessous la question de savoir s’il existe un rapport entre la baisse du niveau et l’enseignement des mathématiques et les manuels utilisés. Une rupture claire, qu’on a pu constater chez les étudiants à partir de 1990, remonte directement au manuel «Neue Mathematik» [Nouvelles mathématiques] conçu par le professeur A. Kriszten, qui devait révolutionner l’enseignement des mathématiques à partir des années 70 dans le canton de Zurich. (cf. encadré)
L’importante nouveauté a été la théorie des ensembles. Aujourd’hui, on s’en est détourné à l’école primaire, car des parents s’y sont opposés et beaucoup trop de temps, dont on ne disposait plus pour l’apprentissage et l’exercice continu, était utilisé pour des jeux de réflexions. Heureusement, grâce au professeur de mathématiques Walter Hohl, directeur de la formation des maîtres secondaires à l’université de Zurich, on est revenu dans les années 80 sur les erreurs de la «Neue Mathematik». Sous sa direction, un manuel solide a été conçu qui a de nouveau permis à partir de 1995 à beaucoup d’enseignants, et pas seulement dans le canton de Zurich, d’enseigner les mathématiques avec succès.
Où en sommes-nous aujourd’hui? On a formé de nombreux élèves de l’enseignement supérieur suisse actuel, déjà à partir de la première classe, avec le «Zahlenbuch». La première génération a maintenant quitté les bancs de l’école et commencé un apprentissage ou continué au gymnase. En Suisse orientale, de nombreux élèves qui sont actuellement dans le secondaire, ont déjà reçu un enseignement basé sur le manuel «mathe-logisch».
Une des origines de la baisse de niveau pourrait être due au fait qu’on a sacrifié dans ces nouveaux manuels de mathématiques la structure systématique, au profit d’idées théoriques erronées. En arrière-plan, il y a une conception de l’homme qui présuppose que les enfants n’aiment pas effectuer les exercices et les répétitions et qu’au lieu de cela, ils doivent tout développer d’eux-mêmes. Il y a aussi l’idée d’hétérogénéité, c’est-à-dire que les enfants sont au fond tellement différents les uns des autres que tous ne peuvent pas apprendre la matière fixée par le programme scolaire. Ainsi, les manuels visent des niveaux et des fascinations différents et leur approche est par conséquent tout à fait déroutante.
Au lieu de construire un sujet en partant du simple pour aller au plus difficile, on le divise en plusieurs parties et on transmet un peu de tout mais rien de manière fondée. Au premier cycle de l’école primaire, on présente le sujet dans son ensemble, ensuite on le «flaire» de tous les côtés et finalement, uniquement les calculs les plus simples – ce qu’on appelle les calculs clés – sont résolus par tous les élèves. En ce qui concerne par exemple la table de multiplication, on n’exerce plus tous les calculs d’une série mais on fait une sorte de coupe transversale, en n’utilisant que les chiffres 2, 5 et 10. Tous les autres exercices de la table de multiplication dérivent de ces calculs clés. Comme les tables de multiplication sont un élément important de la pensée mathématique, cet apprentissage fragmentaire a des effets dévastateurs dans l’acquisition d’autres contenus mathématiques. Celui qui n’a pas appris vraiment les multiplications, trébuche déjà dans les divisions. Plus tard, au degré secondaire, il lui manque les bases pour la détermination du plus petit commun multiple (ppcm) et du plus grand commun diviseur (pgcd). Pour pouvoir résoudre, au degré moyen, les exercices de divisions écrites, les élèves doivent avoir appris dans les petites classes primaires à dépasser les dizaines, aussi bien en faisant des additions que des soustractions, couramment et sans fautes. Une aptitude qui suppose qu’en première année, le découpage des chiffres jusqu’à dix a été intériorisé. Malheureusement, les nouveaux manuels offrent justement peu d’attention à l’approfondissement de la dextérité de base. L’exercice journalier n’est plus intégré au cours. Au lieu d’une structure systématique, les élèves rencontrent continuellement des questions mathématiques variables. Les enfants doivent toujours, déjà dans les premières années d’école, effectuer des rapports transversaux entre différents sujets et faire dériver les exercices inconnus d’exercices connus. Cependant, une telle pensée imbriquée suppose une notion approfondie des nombres et une capacité de représentation des nombres dans un petit espace et autrefois, on pratiquait cela seulement à un niveau supérieur. Si on anticipe déjà ici, le temps manquera pour exercer et de nombreux enfants vivent souvent des échecs qui les découragent dans leur apprentissage.

En quoi consiste un bon manuel?

Un bon manuel de mathématiques à l’école primaire doit avant tout être conçu de manière logique et être structuré de manière sensée. Il doit permettre aux enfants de développer pas à pas la pensée logique, de s’exercer suffisamment et systématiquement et ainsi de poser les bases importantes pour la compréhension des rapports dans les domaines des sciences naturelles et techniques (physique, biologie, chimie etc.).
Dans les classes inférieures de l’école primaire, les enfants doivent savoir former une notion sûre des nombres jusqu’à 1000. Pour cela, on a besoin d’une subdivision structurée des étapes d’apprentissage. C’est uniquement quand un domaine est intérieurement compris par l’enfant et approfondi par de multiples exercices, que l’étape à un degré de difficulté plus élevé peut s’ensuivre. Ici, la relation avec le vivant, le classement et le décomptage et la saisie mentale des structures mathématiques sont nécessaires. Il se cache derrière les nombres et les signes abstraits toujours des situations concrètes. Des manuels solides qui ont fait leurs preuves sont conçus de manière à ce que la notion des nombres (dans le sens de la compréhension, de la représentation), les opérations (plus, moins, multiplié et divisé) et les équations soient transmises aux enfants. Sur la base d’une notion comprise, des exercices dans un domaine connu sont pratiqués jusqu’à ce que les élèves se sentent sûrs de pouvoir résoudre les exercices, couramment et sans fautes. Après chaque élargissement du contenu de la matière, celui-ci est en même temps lié à ce qui a été appris auparavant et exercé sous cette forme,  si bien qu’on répète constamment ce qui a été appris antérieurement et que cela ne tombe pas dans l’oubli. Ce procédé, dans lequel le contenu est élargi en cercles concentriques, a fait ses preuves pendant des décennies et a aidé les générations de personnes âgées et d’adultes d’âge moyen d’aujourd’hui à recevoir une très bonne instruction scolaire.

Professeur Walter Hohl: la pensée structurée conduit au succès

En 1994, un manuel scolaire est apparu dans le canton de Zurich dans les classes de l’école élémentaire, qui a été développé sous la direction du professeur Walter Hohl. Ce manuel contient une conception méthodique-didactique sensée, et aussi bien structurée, et il a été employé dans différents cantons jusque récemment. Malheureusement, il a été remplacé cette année scolaire par un manuel de la nouvelle génération, qui s’engage sur la voie des réformes déjà engagées dans d’autres cantons, visant la dissolution des objectifs d’apprentissage et de l’enseignement en classe. Comme actuellement on peut tout de suite revenir en arrière sans grand effort, il se justifie de recommander le manuel du professeur Hohl: «Mathematik», de la première à la sixième classe.
En première classe, on accorde beaucoup de temps à la formation de la notion des nombres et des opérations jusqu’à 10. C’est seulement au deuxième semestre que l’on étend l’espace des nombres à 20. Cet extrait du commentaire pour enseignants montre quelle importance les auteurs accordent à cette étape: «Avec l’introduction des nombres de 10 à 20, les enfants font la connaissance d’une des inventions les plus parfaites de l’esprit humain, c’est-à-dire de notre  système de numération décimal.»  
En deuxième classe, on étend systématiquement ce qui a été appris jusqu’à maintenant à 100, et ici on intègre à la structure le travail sur les mesures, le mètre et le centimètre ainsi que sur le franc et le centime. Le passage à la dizaine déjà étudié méthodiquement et de manière clairement structurée en première classe, est approfondi en détail encore une fois, dans un contexte élargi. Les tables de multiplication sont aussi apprises systématiquement. Celui qui intègre de manière ciblée et régulière le matériel d’exercices donné en annexe, pose les bases pour la matière de la troisième classe. Là, les capacités acquises sont étendues en étapes structurées jusqu’à 1000. Le travail sur les mesures, mètres/centimètres et kilomètres/mètres, divisibles par mille est un bon moyen. Les poids sont traités avant tout de manière pratique selon le niveau.
Un principe, sur lequel se fonde ce manuel de mathématiques, est la liberté de la méthode, qui est ancrée dans les programmes scolaires des cantons. Par exemple, il est écrit dans le programme du canton de Zurich de 1993 (p. 19 ss.): «Lors de l’élaboration de manuels, on considèrera que les enseignants, dans le cadre des exigences du programme scolaire, sont libres dans le choix de leurs méthodes […]. Ils choisissent parmi la multitude des méthodes celle qui dans certaines situations d’enseignement correspond le mieux aux objectifs particuliers, aux contenus, aux sujets tout comme aux élèves et à eux-mêmes.»  
Malheureusement, de nombreux enseignants font l’expérience que les manuels d’aujourd’hui, qu’ils sont contraints d’utiliser dans leurs cours, leur imposent justement la méthode. Ces méthodes se nomment aujourd’hui l’apprentissage par soi-même, formes d’apprentissage individualisées, apprentissage par interaction, arrangements de situations d’apprentissage et apprentissage selon le principe de la spirale.
Comme dans le canton de Zurich, dans d’autres cantons aussi, les manuels ayant solidement fait leurs preuves, ont été remplacés ces dernières années par des nouveaux manuels avec les concepts modernes mentionnés plus haut.  

Le manuel «Zahlenbuch» – Principe d’enseignement en spirale vers le bas

Depuis le milieu des années 90 dans beaucoup de cantons alémaniques, on emploie le manuel «Zahlenbuch» [Livre de chiffres] (Editions Klett depuis 1995), qui a été repris légèrement modifié d’Allemagne (la base en est le projet «mathe 2002» des didacticiens des mathématiques Wittmann et Muller de Dortmund.) La conception de ce manuel scolaire est axée sur l’apprentissage actif. Il est basé sur le «principe d’enseignement en spirale». Selon le commentaire pour l’enseignant, cela veut dire que les «idées de base» du «Zahlenbuch» sont reprises et constamment développées dès la première classe. Ainsi, le système décimal est seulement traité comme une «idée», représentée par le bloc de vingt en première année de l’école primaire. Par conséquent, l’introduction de l’espace des chiffres jusqu’à vingt se fait vite. Le commentaire prévoit un délai de 7 à 8 semaines. Comme «équivalent» d’un enseignement de base solide, les thèmes sont traités dans «plusieurs passages». Avec des termes comme «enseignement holistique» et «principe en spirale», l’attention des parents et des enseignants est détournée de sorte qu’ils ne remarquent pas que la plupart des enfants ne peuvent ni saisir ni pénétrer le thème dans un premier passage. Ainsi les élèves avancent dans la matière, tout en espérant qu’ils comprendront peut-être ce qui suit.
A cela s’ajoute que le «Zahlenbuch» confronte les élèves en permanence avec des problèmes à résoudre qui changent constamment et demandent différentes stratégies de résolution. Avec cette méthode on gaspille beaucoup de temps, car les élèves sont obligés de trouver les résultats par leurs propres moyens, pourtant souvent faux.
La transition à la dizaine n’est pas enseignée avec ce manuel scolaire, les élèves la découvrent ou ne la découvrent pas. La table de multiplication n’est pas non plus enseignée systématiquement, mais réduite en morceaux et reprise de temps en temps. Au lieu d’avoir une base solide à la fin de la troisième classe, les élèves ont «appris» qu’il y a toujours différentes voies pour arriver à une solution.
Les «exercices flash de maths», conseillés comme accompagnement du cours, sont un aspect positif du  «Zahlenbuch». Dans le commentaire pour enseignants, on rend particulièrement attentif au fait que pendant la phase d’acquisition d’automatismes, une atmosphère de travail calme soit indispensable. La question se pose de savoir pourquoi cela ne vaut pas pour toutes les parties de l’enseignement des maths. L’importance de l’exercice que les auteurs préconisent n’a sa place que si l’enseignant s’abstient de longues discussions sur les voies individuelles d’apprentissage et s’il intègre de manière réfléchie les exercices dans l’enseignement.

«mathe-logisch» – Le but, c’est suivre la voie, ou: les détours mènent dans le maquis

Depuis quelques années, dans plusieurs cantons alémaniques, le nouveau manuel scolaire de Saint-Gall «logisch», volumes 1 à 6, est utilisé. Ce manuel s’inspire du document «Espaces de liberté – lignes directrices – points de convergence: l’enseignement des mathématiques durant la scolarité obligatoire» publié par la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP, 1998). «Comme message clé on peut en déduire qu’apprendre les maths veut dire faire des maths.» La devise des réformateurs scolaires des années huitante y refait surface: «le but, c’est suivre la voie!» Le commentaire du manuel scolaire «logisch» est entièrement rédigé dans le vocabulaire des experts en pédagogie de la fondation Bertelsmann. Sept soi-disant espaces de liberté sont décrits dans la préface. On y dit entre autres: «L’apprentissage des mathématiques privilégie les confrontations d’opinions, les débats sur le vrai et le faux, l’élaboration d’une pensée logique de référence pour un groupe social donné.» Ce soi-disant apprentissage dialogué forme également la base du nouveau manuel scolaire du canton de Zurich introduit cette année et remplaçant l’ancien manuel de Walter Hohl qui a fait ses preuves.
Tout comme le «Zahlenbuch», le manuel «logisch» suit également la devise «le but, c’est suivre la voie!», et envoie ainsi enseignants et élèves dans le maquis mathématique: «Grâce à  différents problèmes à résoudre, les enseignants tout comme les apprenants sont dirigés à travers ces processus.» Le manuel scolaire «logisch» offre des soi-disant «dispositifs visant l’apprentissage autonome […]. » Les enseignants sont sans cesse tenus de laisser les élèves tout découvrir eux-mêmes, de s’abstenir si possible de toutes explications, mais «de suivre les réflexions des enfants et de les accompagner sur leur chemin […].» Ce qui peut être passionnant dans les cours particuliers, est tout simplement impossible dans le cadre d’une classe. Les enfants sont effectivement abandonnés à leur sort, ils restent là désemparés, s’ennuient ou bien inventent des bêtises pour attirer l’attention de l’enseignant et des autres enfants.
Dans sa structure, le manuel montre des défauts dans la formation de la conception du chiffre. Beaucoup d’exercices doivent être traités avec des palettes de carton. Comme il faut beaucoup d’habileté, les enfants font toujours des fautes où ils perdent le fil de leur réflexion en plaçant les palettes. Les présentations changeant sans cesse empêchent l’élève de gagner une certaine sûreté dans les opérations. Le jeu est primordial, tandis que le développement systématique d’un problème est relégué au second plan. La table de multiplication est surtout déduite grâce à des calculs clé et des rapports traversants. Les séries ne sont plus comprises selon leur rapport intérieur. En revanche, on fait de la gymnastique entre les séries et l’on passe beaucoup de temps avec des jeux de réflexion fascinants. Le manuel veut offrir beaucoup de distraction et différents accès: Il y a pour tout le monde quelque chose et de tout un brin, mais rien n’est développé pas à pas afin qu’on puisse construire quelque chose là-dessus.
Il faut pourtant mentionner un aspect positif du manuel «logisch»: c’est le principe  de «la responsabilité individuelle pour ses propres études» que les auteurs soulignent. En effet, c’est dans ce domaine-là qu’on pourrait de nos jours faire plus confiance aux enfants et aux jeunes et exiger davantage d’eux. Pour cela on peut judicieusement employer les cartes d’exercices fournies par le manuel «logisch». Somme toute, le matériel d’accompagnement de «logisch» serait absolument utile, si le manuel avait une structure systématique que les enfants peuvent comprendre. Le CD-ROM fourni avec le manuel pourrait également être utile à l’entraînement autonome et les contrôles de connaissances pourraient être employés de façon qu’ils fassent progresser les élèves.

Des enseignants responsables à la recherche d’autres moyens

Qu’on n’apprenne pas vraiment les mathématiques avec les méthodes promulguées dans les manuels récents, se manifeste également dans le fait que beaucoup de professeurs sont occupés pendant des heures à créer quelque chose d’utilisable. Cela veut dire qu’ils laissent tomber des parties tout en recourant à l’ancien matériel qui a fait ses preuves. C’est pourquoi ils donnent plus de temps aux élèves pour exercer les additions et les soustractions jusqu’à vingt et ils laissent tomber les discussions des différentes stratégies pour résoudre un problème que le manuel propose. Tout ceci pour ne pas inutilement déconcerter les enfants.
Malgré les manuels mal structurés, les enseignants engagés essayent d’introduire une systématique dans leurs cours. Ils intègrent de nouvelles idées et méthodes et s’usent souvent pour répondre aux revendications venant de tous les côtés. Des manuels bien structurés leur permettraient de se vouer de nouveau à leur tâche pédagogique avec les élèves  et de mener tous les élèves de l’école primaire aux buts d’enseignement déterminés par le plan d’études.

A propos de la formation des professeurs

L’aggravation de l’évolution déclenchée par les «nouveaux mathématiques» revêt encore d’autres aspects. La formation des professeurs a changé parallèlement aux manuels. L’ancienne école normale orientée vers la pratique a été transformée en Haute école pédagogique – Bologne vous donne le bonjour … Ainsi on a supprimé l’instituteur comme généraliste qui enseignait toutes les matières. Il devait juste encore se concentrer sur quelques matières particulières. C’était rendre un mauvais service aux pédagogues. Désormais, le maître principal n’était plus le seul responsable d’une classe. Différents enseignants qualifiés enseignaient dans plusieurs classes; ceci ne morcelait pas seulement l’enseignement, mais procurait aussi des nuits blanches aux coordinateurs des emplois du temps. Ce faisant on a affaibli de manière sensible l’élément le plus fort de l’école, c’est-à-dire la bonne relation entre l’élève et l’enseignant. Par conséquent, la confiance comme base de la condition la plus importante du processus d’apprentissage s’est rétrécie. Le manque de responsabilité de la part des instituteurs, qui comme enseignants qualifiés ne se sentent responsables ni d’un enfant en particulier ni du progrès en général de toute la classe, est une autre raison importante de la baisse des résultats des élèves.

Nouvelles méthodes d’enseignement

En même temps, les nouvelles méthodes d’enseignement et d’apprentissage se sont imposées: on a massivement décrié l’enseignement en classe – dans ce type d’enseignement l’instituteur accompagne chaque élève de manière différenciée et il les encourage tout en leur demandant beaucoup – comme «enseignement frontal» comme si l’enseignant était l’adversaire des élèves. Travailler en groupe ou avec un partenaire était «à la mode» et on était tout à fait dans la ligne si l’on travaillait avec un plan de travail hebdomadaire, en atelier, en favorisant l’individualisation totale et l’apprentissage par problème; peu importent les noms de toutes ces nouvelles méthodes. Mais on n’a pas laissé au hasard si un enseignant les appliquait ou non. On a «travaillé» les instituteurs dans des modules de formation continue, et par le biais des évaluations du personnel on les a obligés à utiliser ces nouvelles méthodes. On a également recommandé la démission aux bons instituteurs qui, pour des raisons pédagogiques et bien réfléchies, ne voulaient pas surfer sur la vague des réformes. La sélection s’achève déjà lors de l’engagement d’un instituteur: selon les exigences actuelles, un nouvel instituteur doit convenir au «climat de l’école». Mais beaucoup de bons instituteurs engagés en avaient «ras le bol», et ont quitté leur profession bien aimée, ou bien ont pris et prennent une retraite anticipée. Ce n’est vraiment pas par hasard que la direction de l’éducation du Canton de Zurich envoie la lettre suivante aux enseignants qui se retirent: «Enquête sur la démission – on vous demande votre opinion honnête».

Bilan et perspectives

Les manuels de Kriszten furent mis en œuvre à partir de 1978. C’est donc à partir de 1990 que les premiers élèves, formés d’après ces méthodes, devaient faire le choix de leurs études – c’est durant les mêmes années que les options pour les filières de mathématiques et de sciences commencèrent à diminuer. Les manuels de Hohl pouvaient corriger quelques erreurs, depuis 1995 – mais pas toutes. Il faut ajouter qu’avec les nouvelles méthodes d’enseignement, l’engagement au travail des élèves diminuait. Vu que l’option pour une matière MINT ne demande pas seulement de l’intérêt pour la matière, mais aussi un engagement accru, il faut se poser la question si dans les années à venir,  quand ces élèves vont devoir faire leur choix, il y aura un changement de tendance. Avec le nouveau matériel pédagogique, récemment mis en œuvre, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée se renforcera massivement, à moins qu’on ne revienne aux aptitudes fondamentales qu’il faut apprendre aux élèves et à la façon dont il faut les apprendre aux enfants, afin que ceux-ci puissent éprouver de l’intérêt et de la joie pour ces matières.
Des évolutions négatives peuvent être analysées consciencieusement et on peut en déduire les conséquences pour la théorie et la pratique futures. C’est aussi valable dans notre système scolaire et là spécialement dans cette matière fondamentale que sont les mathématiques. Il y a des expériences mondialement connues décrivant ce qui mène à la réflexion logique, au plaisir et à l’intérêt pour les matières mathématiques, scientifiques et techniques. Nos facultés pédagogiques doivent enfin reconnaître ces acquis et en tirer les conséquences. Ni nos jeunes enseignants, ni nos enfants et adolescents ne doivent être utilisés pour des expériences dont les conséquences catastrophiques sont connues depuis des années en Angleterre ou même saisissables en Allemagne.    •
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Horizons et débats va poursuivre cette série d’articles où nous allons analyser les possibilités d’un enseignement bien structuré.

Du manuel de mathématiques sérieux …

rg. Jusqu’à la fin des années 1970, les enseignants du canton de Zurich ont travaillé avec les manuels de mathématiques d’Ernst Bleuler (1re – 3e années) et de Robert Honegger (4e – 6e années). Honegger avait placé en exergue de ses manuels la citation suivante de Pesta­lozzi: «Savoir compter et calculer est le fondement de tout ordre intellectuel.» Compter et calculer pour acquérir la pensée logique, tel était le but de ces manuels structurés de manière rigoureuse selon le principe didactique des cercles concentriques. Ces manuels suscitaient la joie et l’intérêt des élèves pour les disciplines scientifiques et techniques.

… à la grande confusion

Mais ils ont fait également l’objet de critiques relatives à la pauvreté du graphisme et à l’absence d’illustrations en couleurs: «Ils ne stimulent pas la réflexion des élèves, sont ennuyeux, sans originalité.»
A la fin des années 70, il y a eu un grand tournant dans le canton de Zurich. La couverture du nouveau manuel de mathématiques de A. Kriszten frappait comme un coup de tonnerre. Un clown de couleur (2e année) et un magicien (3e année), en équilibre sur un signe plus ou un signe moins branlants, jonglent avec des chiffres de couleur désordonnés. Dans les cours d’initiation à ce matériel pédagogique, on le vantait en disant qu’il s’agissait de mathématiques modernes qui empruntaient des voies révolutionnaires. En plus de la théorie des ensembles on introduisait, dès la première année, le travail dans différentes bases numériques. Les exercices systématiques étaient limités à un minimum et peu de temps après l’introduction, de nombreux petits problèmes, présentés sans ordre systématique, apparaissaient qui déboussolaient souvent les élèves avant même qu’ils aient pu prendre pied dans la nouvelle matière. Le résultat à calculer se trouvait une fois en tête, une fois à la fin ou même au milieu de l’équation. Cela pouvait ressembler à ceci:
? = 3 + 6 ou 3 + 6 = ? ou 3 + ? = 9. Ainsi différents niveaux de difficultés étaient abordés d’emblée et seuls les très bons élèves pouvaient les résoudre.
Pour les autres enfants, c’était confus. Ils ne comprenaient pas tout de suite qu’il s’agissait du même problème présenté simplement dans un ordre différent. Il aurait fallu avancer étape par étape. Normalement, l’élève a besoin d’une phase de consolidation avant de pouvoir aborder joyeusement l’étape suivante. Si cette étape vient trop tôt ou que les différentes étapes se présentent pêle-mêle, cela trouble et décourage l’élève. Ce principe doit être respecté avec amour et prévoyance lorsqu’on élabore un matériel pédagogique, surtout si l’on part de l’idée que tous les élèves devraient atteindre l’objectif fixé pour leur classe.
Mais on a aussi changé considérablement la structure de l’ensemble. Ainsi, on a introduit en 2e année les nombres faits d’une dizaine et d’une unité (43, 27, etc.) même avant le calcul des dizaines (20, 30, 40 … 30 + 50). Les conséquences ont été que les élèves qui seraient devenus des bons calculateurs à l’aide des manuels classiques ont été déboussolés et se sont peu à peu découragés, ont perdu tout intérêt pour les mathématiques ou même présenté des problèmes de comportement.

Conséquences tardives des «mathématiques modernes»

 rg. L’ère des «mathématiques modernes» a duré 17 ans et elle a eu des conséquences. Premièrement, les nouveaux manuels de mathématiques ont été repris par d’autres cantons ou on y a adopté des méthodes analogues. Ainsi, le canton de Berne a introduit des moyens d’enseignement de mathématiques semblables en 1980. Et finalement, le canton de Saint-Gall a remplacé le manuel, bon dans l’ensemble, intitulé «Za-Ma-Ra» par la version suisse alémanique du «Zahlenbuch» et depuis quelques années par son propre matériel pédagogique intitulé «mathe-logisch».
Deuxièmement, et c’est sans doute beaucoup plus important, une génération entière d’élèves qui avaient travaillé avec cette introduction aux mathématiques est entrée dans le secondaire II. Nous ne parlerons pas ici de la manière dont ces expériences décourageantes ont marqué les élèves dans le secondaire et des répercussions qu’elles ont eues sur leurs aspirations professionnelles. Le fait que les jalons soient posés à la fin de la scolarité obligatoire pour le choix d’une profession reste essentiel. Citons à ce propos l’étude MINT:
«Le fait que les intérêts et, en rapport avec eux, l’orientation professionnelle des jeunes soient fixés dans une large mesure dès la fin de la scolarité obligatoire est essentiel. Dans ce contexte, un rôle clé revient aux mathématiques, à la physique et à l’intérêt pour les techniques en général. Les jeunes de quinze ans qui s’intéressent aux disciplines MINT, y obtiennent de bonnes notes et estiment que leurs compétences sont bonnes ont une probabilité accrue d’entreprendre plus tard des études MINT.» (p.3)

Etude longitudinale

Dans une perspective longitudinale, les premiers élèves à avoir travaillé en 1re année avec les manuels de mathématiques de Kriszten en 1978 ont commencé leurs études universitaires en 1990 environ. Les derniers élèves de 1re qui ont appris à compter avec ces manuels ont commencé leurs études en 2006. Entre 1987 et 2003, les élèves qui ont travaillé avec ces manuels sont entrés dans des écoles professionnelles. Tous les élèves «victimes des mathématiques modernes» ont commencé leur apprentissage entre 1987 et 2003 ou ont entamé des études universitaires entre 1990 et 2006. Libre à chacun de décider quand et où les doléances des maîtres d’apprentissage ou des professeurs d’université se sont fait entendre. En tout cas, en ce qui nous concerne, nous voyons ici une nette corrélation, même si ce n’est pas la seule variable en jeu.

«Za-Ma-Ra» ou le développement de la pensée mathématique par cercles concentriques

er. Dans le canton de Saint-Gall, la plupart des enseignants ont utilisé jusqu’il y a quelques années le manuel scolaire «Zahl-Mass-Raum» («nombre-mesure-espace») (testé pour la première fois en 1978/79, et pour la dernière fois, lors de sa 3e édition, en 1995). A l’aide de ce manuel éprouvé, ils pouvaient transmettre aux élèves des fondements solides et le plaisir d’apprendre les mathématiques. Ce manuel accordait une grande importance à la formation des concepts. Selon les enseignants, l’addition banale 5 + 4 = 9, par exemple, présuppose non seulement l’idée de nombre, mais aussi les notions d’opération et d’équation. On consacrait suffisamment de temps à chaque étape avant d’aborder l’étape suivante. En 2e année, la représentation des nombres jusqu’à 100 se faisait à l’aide d’un matériel structuré, des bâtons de dizaines et des cubes d’unités, tout en introduisant la suite des dizaines: Le nombre 84 se compose de «8 fois 10 plus 4», c’est-à-dire de 8 bâtons de dizaines et de 4 unités. En même temps que la table de multiplication par 2, on répétait l’ensemble des nombres jusqu’à 20. Ensuite, l’ensemble des nombres s’enrichissait au fur et à mesure de l’apprentissage d’autres tables. Et en même temps, dans chaque ensemble de nombres, on pratiquait des additions et des soustractions selon des degrés de difficulté croissants. Le manuel «Za-Ma-Ra» de 3e année était également structuré de manière logique: après la révision de la table de multiplication par 2, on introduisait celle par 20 et l’on faisait des additions et des soustractions impliquant l’ensemble des nombres jusqu’à 200. L’étape suivante consistait à répéter la table de multiplication par 3, à introduire celle par 30 et à effectuer des opérations sur les nombres jusqu’à 300. Cette structure systématique et logique permettait aux élèves de développer leur pensée mathématique, du simple au complexe, par cercles concentriques.
Ce manuel avait une structure excellente qui permettait un apprentissage systématique exemplaire. Il aurait pu être remanié à l’aide de quelques ajustements et d’illustrations modernes et une nouvelle édition aurait assuré la continuité d’un cours de mathématiques très efficace.

 La science des mathématiques est une professeur merveilleuse à enseigner l’art de structurer les pensées, à supprimer la bêtise et à éclaircir les choses.

Jean-Henri Fabre (1823–1915)

Je répute presque pour faux tout ce qui n’est que vraisemblable.

René Descartes (1596–1656)

Les mathématiques telles qu’on les pratique aujourd’hui dans la recherche et dans ses applications représentent une des réalisations culturelles les plus magnifiques de l’humanité.

un professeur de mathématiques engagé