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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°14/15, 10 avril 2012  >  L’AELE respecte la souveraineté des Etats [Imprimer]

L’AELE respecte la souveraineté des Etats

Interview de Martin Zbinden, chef du secteur Accords de libre-échange/AELE au Secrétariat d’Etat à l’économie SECO

Horizons et débats: Plus les difficultés s’accroissent dans l’espace euro de l’UE, plus on se met à réfléchir dans toute l’Europe à des alternatives possibles. La «Coalition civile» d’Allemagne se prononce avec conviction en faveur de l’«Europe des patries». Ainsi, les pays souverains pourraient et devraient de nouveau assumer leurs responsabilités et régler leurs affaires en toute liberté. L’AELE offrirait un cadre parfait à cela, et c’est bien dans ce sens qu’on avait envisagé la collaboration en Europe après la Seconde Guerre mondiale.

Monsieur Zbinden, ne faudrait-il pas parler davantage de l’AELE et informer sur sa façon de travailler?

Martin Zbinden: L’AELE répartit ses acti­vités dans trois domaines principaux. En font partie d’une part la Convention de l’AELE qui s’occupe des relations de libre-échange entre les pays membres. D’autre part, il s’agit du statut d’observateur au sein de l’Espace économique européen (EEE) que nous avons en tant que membre de l’AELE. Cela est utile du fait que nous obtenons ainsi toujours des informations de première main, notamment en ce qui concerne le développement du droit de l’UE et de l’EEE. Pour la Suisse, l’AELE est particulièrement importante en tant que plate-forme permettant des négociations communes concernant des accords de libre-échange, domaine dans lequel elle est très performante.
En règle générale, la coopération entre les Etats de l’AELE fonctionne fort bien. Il y a, bien sûr, des différences. On comprend que la Norvège et la Suisse n’ont pas les mêmes structures économiques, entre autre du fait des immenses réserves en pétrole et en gaz de la Norvège. Nous n’avons rien de comparable. L’exportation de poissons est égale­ment très importante pour la Norvège et pour l’Islande, domaines peu importants pour la Suisse. Nos forces sont dans d’autres domaines tels que l’industrie chimique et pharmaceutique, la construction mécanique, les services, y compris les services financiers. Il y a donc de grandes différences entre les Etats de l’AELE, mais, comme il s’agit de politique commerciale, nous sommes tous orientés vers un libre-échange similaire, ce qui fait que la coopération fonctionne somme toute fort bien.
La politique agricole présente un autre point commun. Les quatre Etats membres de l’AELE sont importateurs nets en produits agricoles; ce nonobstant, la protection aux frontières dans le domaine de l’agriculture a une grande importance pour tous les quatre Etats. C’est pourquoi nous participons – au sein de l’OMC et dans le domaine de la politique agricole – aux travaux des pays du G10.

Donc en commun avec les autres membres de l’AELE?

C’est exact. Le groupe des Etats du G10 comprend neuf membres, dont les quatre Etats de l’AELE.

Si mes souvenirs sont bons, la politique agricole était une des raisons pour lesquelles le conseiller fédéral Wahlen avait fortement soutenu la création de l’AELE afin de rester indépendant dans ce domaine. Il est évident que l’AELE offre à des pays ayant des intérêts divergents la possibilité de travailler ensemble dans les domaines souhaités, au lieu de vouloir tout organiser de façon uniforme.

C’est bien ainsi que cela se présente. Lorsqu’on fonda l’AELE, ce fut en opposition à la Communauté économique européenne. Ce n’était pas une union douanière et, dans ce sens, on a maintenu la souve­raineté en politique du commerce, alors que dans l’EEE l’union douanière a un caractère communautaire. La Suisse avait considéré cela, alors, comme incompatible avec sa neutralité. Nous parlons de la fin des années 50, début 60. Alors l’AELE était effectivement un projet opposé à la Communauté économique européenne, prônant l’idée de tra­vailler ensemble dans certains domaines et de ne pas mettre en place d’institutions supranationales. Il suffit de choisir, au sein d’une zone de libre-échange, les domaines dans lesquels on désire coopérer, tout en conservant dans toutes les parties importantes de l’économie, mais aussi dans d’autres domaines politiques, la souveraineté – c’est ainsi.

Lorsqu’on analyse le développement de l’AELE, on constate que c’est un beau succès à maints égards. Etes-vous aussi de cet avis?

Il faut différencier. En ce qui concerne le nombre de membres, elle a beaucoup perdu. La Finlande a quitté l’AELE pour adhérer à l’UE, la Suède et l’Autriche également. De ce fait l’AELE est devenue une bien petite organisation. Ses succès, elle les obtint dans les relations de libre-échange. Elle a pu mettre en place, dès le début des années 90, un relativement grand réseau d’accords de libre-échange, et ce fut un réel succès. Au début, cela se passait généralement avec le regard rivé sur l’UE, c’est-à-dire dans son sillon, avec des pays ayant déjà conclu des accords avec l’UE. La première fois que l’AELE n’a pas eu son regard rivé sur l’UE dans de telles négociations, ce fut avec le Canada en 1999. Depuis, elle a massivement renforcé cette politique.

En fait, l’AELE est une organisation qui mène de façon indépendante des négociations et les conclut là où ses membres ont un intérêt, en tant que pays souverains, et estiment que c’est nécessaire.

C’est bien ça. Dans le déroulement des affaires, l’AELE s’est trouvée parfois en retrait de l’UE, mais en ce qui concerne la Corée, elle a pris nettement de l’avance. L’UE vient juste de conclure un accord qui est en vigueur depuis le 1er juillet, alors que l’AELE en avait conclu un, il y a déjà cinq ans. Nous l’avions d’ailleurs conclu alors que l’UE n’y pensait pas encore. Il y a donc les deux aspects. En ce qui concerne le Mexique et le Chili nous marchions derrière l’UE, mais concernant la Corée et Singapour nous la précédions. Nous venons de passer un accord avec l’Ukraine – alors que l’UE en est encore au stade des négociations. Avec le Conseil de coopération du Golfe, l’UE nous avait de­vancés dans les négociations, mais nous les avons terminées beaucoup plus vite. Il y a des différences, selon le partenaire.

Quelle est la différence dans les positions de négociation?

Dans la plupart des cas, l’UE ne se contente pas de négocier des accords de libre-échange, mais des accords d’association qui couvrent de plus larges domaines politiques et qui comprennent un dialogue politique visant une harmonisation de certains domaines de droit. L’AELE ne procède pas de cette façon. Nous nous contentons d’accords de libre-échange classiques, c’est-à-dire la libéralisation du transport des marchandises, du commerce des services accompagnés de sécurités juridiques, partiellement des investissements, de la propriété intellectuelle, des marchés publics et de certaines dispositions concernant la concurrence. Dans les récents accords, il s’agit aussi de réglementations du commerce et du développement durable. En revanche, l’AELE ne cherche pas à inclure le dialogue politique ou de vastes coopérations, par exemple dans les domaines de l’énergie ou des transports, comme le fait souvent l’UE.

Il s’avère que beaucoup de pays ressentent le besoin d’une coopération économique indépendante qui respecte leur souveraineté.

Comme je l’ai évoqué, l’AELE est une très petite organisation. Mais les accords de libre-échange que nous concluons sont très attrayants pour beaucoup de pays. Il ne s’agit pas là uniquement de la façon dont l’AELE conclut ses accords. A mon avis, les accords de libre-échange en soi ont actuellement un grand succès. Cela est, bien sûr, en relation avec les difficultés rencontrées actuellement au sein de l’OMC.

Malgré votre insistance à rappeler la petite taille de l’AELE, il semble bien qu’il n’est pas du tout nécessaire – pour une coopération économique indépendante au niveau mondial – de mettre en place une structure centraliste de grande puissance qui étouffe la liberté et la prise de responsabilités individuelle des pays participants.

Oui, à mon avis, l’instrument des accords de libre-échange est très attrayant du point de vue économique et commercial. Il ne faut toutefois pas le mettre en opposition à l’OMC. Cette dernière offre pour ainsi dire les dispositions fondamentales qui régissent l’ordre mondial du commerce international; les accords de libre-échange s’appuient là-dessus.

Mentionnons encore un autre aspect: il est impressionnant de constater que l’AELE a peu de bureaucratie – seulement 90 fonctionnaires, c’est une vraie performance au jour d’aujourd’hui.

Certes, c’est un avantage de l’AELE. Bien sûr, nous ne comptons que peu de pays membres, seulement quatre, nous n’utilisons qu’une langue de travail qui est l’anglais. On ne peut naturellement pas comparer le secrétariat de l’AELE à la Commission européenne qui a beaucoup plus de tâches à assumer et doit communiquer avec 27 pays dans un grand nombre de langues, ayant en plus en partie des tâches administratives à résoudre. L’AELE a un véritable secrétariat, c’est-à-dire que les pays membres assurent l’essentiel du travail …

… dans le cadre de leur politique des affaires extérieures …

Oui, les accords de libre-échange font partie de la politique commerciale. Les négociations pour de tels accords sont toujours menées par les pays membres. Le secrétariat de l’AELE y participe et apporte son soutien aux pays membres en préparant les textes, en procédant à des échanges de textes avec les partenaires des accords – c’est une des tâches du secrétariat. Toutefois les textes et leurs formulations sont du ressort des Etats membres. C’est bien la raison pour laquelle le secrétariat de l’AELE est un véritable secrétariat, qui dirige et soutient le processus, mais ce dernier reste en main des Etats membres.

Nous vous remercions pour cet entretien.    •

«A mon avis, l’AELE est une alternative intéressante à l’UE»

Extraits d’une interview de Rolf Weder, professeur à l’Université de Bâle

Lorsqu’un pays n’est pas membre de l’UE, il peut adhérer en toute indépendance à d’autres organisations, telles l’OMC ou l’AELE et y apporter ses contributions. C’est une opportunité que la Suisse devrait, à mon avis, utiliser plus souvent à l’avenir. […]
Mais l’EEE présente des aspects qui mènent à une intégration politique partielle. Il s’agit d’une entité qui reprend en fin de compte le droit européen et même le droit européen futur. A mon avis, c’est ce qui détermine à juste titre la retenue de la Suisse. L’AELE est une forme alternative à l’intégration, elle est plutôt orientée vers la coopération entre les pays européens. Ainsi, cette organisation propose une forme d’intégration qui reste modérée. […]
A mon avis, l’AELE est une alternative intéressante à l’UE. Car à l’intérieur de l’AELE, il s’agit de conserver, voire d’approfondir encore l’intégration économique. Actuellement, concrètement, le commerce des marchandises est libre entre les membres de l’AELE. La Suisse pourrait faire revivre cette organisation. Je puis m’imaginer qu’on pourrait y inviter de nouveaux membres européens. Environ la moitié des pays européens ne sont pas membres de l’UE, comme par exemple la Russie et la Turquie. Pourquoi ne pas tenter de faire adhérer ces pays? Ce serait un exemple. On pourrait aussi élargir l’AELE en intégrant le commerce des services. Nous avons là une organisation qui pourrait tout à fait être élargie au niveau de l’intégration économique.

Source: Radio DRS 4 du 20/3/12
(Traduction Horizons et débats)