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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°31, 4 août 2008  >  Et paix sur terre! [Imprimer]

Et paix sur terre!

La contribution de Karl May à la conciliation des peuples

par Gernot Waage, Franken

En 2004 a été ouvert à Washington un musée sur l’histoire et la vie des Indiens. Des critiques se plaignent que le meurtre et l’élimination des tribus indiennes et de leurs cultures par les colons blancs et par l’armée US-américaine au 18e et au 19e siècle n’y ont pas trouvé assez de place. Même si W. Richard West, le directeur du nouveau musée, compte les Indiens Cheyenne parmi ces ancêtres, on reproche aux responsables du musée de cacher le génocide dans leur propre pays, pendant que quelques maisons plus loin le Holocaust en Europe est évoqué en souvenir.1 Toutefois, avec l’aménagement du musée, parmi la population indienne est né «l’espoir que parmi la population américaine la reconnaissance se fait jour que ce n’étaient pas les Pères pèlerins du Mayflower, émigrés depuis l’Angleterre, qui étaient les premiers Américains».
Nous ne pouvons pas aborder l’ampleur totale du crime du vol des terres et du génocide par millions contre la population autochtone, «célébré» dans d’innombrables films du «Western» falsifiant l’histoire. Ce génocide montre les mêmes déroulements et justifications contraires au droit international comme de nos jours les guerres autour des matières premières et les routes commerciales. Lisons à titre d’exemple la prise de position de la Northwest Ordinance, édictée par le Congrès des Etats-Unis en 1787, et remplacez, également dans d’autres citations gouvernementales, simplement Indiens par Irakiens ou Afghans:
«Envers les Indiens il faut toujours faire preuve de la plus grande honnêteté; leur pays et leur propriété ne doit jamais être pris sans leur accord; et ils ne doivent jamais subir de pertes de leur propriété, de leurs droits et de leur liberté, à moins que cela soit par une guerre juste et légale, autorisée par le Congrès; […].»2
En 1887, le Congrès a voté l’Allotment Act pour détruire la structure des tribus et des chefs. Avec cette perte de la souveraineté tribale, la culture des Indiens devait en même temps être anéantie. L’internement forcé des enfants dans des internats pour Indiens servait à un but arrogant: «Tue l’Indien en lui et sauve l’être humain.» Dans les internats, les habits des enfants étaient remplacés par des uniformes et des habits victoriens et leurs cheveux longs ont été coupés; en même temps on leur ordonnait de ne plus parler leur langue tribale. On coupait les rations et les provisions de vivres aux parents qui n’obéissaient pas aux ordres des fonctionnaires gouvernementaux et ne voulaient pas donner leurs enfants. Le fonctionnaire d’Etat Thomas Jefferson Morgan, le mandataire pour les affaires Indiennes du gouvernement du président Benjamin Harrison, l’a exprimé en 1889 sans détour: «Les Indiens doivent s’adapter à la ‹manière de vivre des blancs›, paisiblement s’ils le veulent, par force s’il le faut. Ils doivent […] adapter leur manière de vivre à notre civilisation. […] Ils ne peuvent pas y échapper et ils doivent soit l’adapter ou bien être détruits par elle. […] Les relations tribales doivent être dissoutes, le socialisme détruit et remplacé par la famille et l’autonomie de l’individu.»3 Le reste de l’histoire est connu. D’innombrables massacres, commis par des soldats américains contre les Indiens sans défense ou contre les tribus qui s’opposaient désespérément contre les déportations dans les réserves, ont décimé la population indienne et ont semé la haine et le désespoir.
En Allemagne, le romancier Karl May s’est opposé à l’arrogance de race, l’envie immodérée du profit et la destruction des bases de vie de peuples entiers. Ses idées contre la guerre et le racisme sont toujours d’actualité. Dans la jeunesse de beaucoup de contemporains, Karl May a été un écrivain beaucoup lu, ses œuvres ont été traduites dans plus de 40 langues et les Festivals Karl May attirent toujours un public nombreux. Ce qui est moins connu, c’est que May s’est engagé dans tous ses écrits pour la paix des peuples, il faudrait rappeler d’avantage les écrits de Karl May, pacifiste et chrétien avoué:4
«Qu’on n’appelle pas l’Indien un sauvage. Il est créé à l’image de Dieu comme le blanc qui se croit infiniment plus haut.» (Wald­röschen, Dresde 1882-1884, p. 1105)
«Le chrétien, le vrai chrétien doit absolument condamner la politique qui cherche à vouer toute une nation à la disparition en dressant les tribus les uns contre les autres et en leur donnant des armes.» (ibid., p. 1570)
«Tous les hommes, les blancs et les noirs, sont les enfants de Dieu.» (Die Sklaven­karawane, d’après l’édition Stuttgart 1893, p. 206)
«Notre religion nous impose de nous aimer au lieu de nous haïr, et de faire du bien même à nos ennemis.» (ibid., p. 340)
Toutefois, à l’époque wilhelmienne du Reich allemand, il n’était pas sans danger de s’opposer à la guerre. Karl May en avait le courage et il s’est opposé ouvertement au militarisme. En public, par contre, la bravoure était exalté comme vertu majeure: «La mort la plus belle est la mort comme soldat!», c’était l’opinion la plus répandue et l’engagement sans condition pour la patrie était un devoir. Celui qui subit la mort cruelle sur le champ de bataille était un héros, le refus était lâche et de la trahison. Considérant que jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale la France et l’Allemagne se voyaient comme les ennemis jurés, surmonter les prescriptions pour le mariage, au moins dans le roman, était révolutionnaire: Un Allemand se marie avec une Française, un Français se marie avec une Allemande! La position de base de May était: «Le droit international n’est pas fait pour donner la permission aux gens de commettre des actes dans tout autre pays qui seraient punis dans leur patrie.» (Deutsche Herzen, deut­sche Helden, Dresde 1885-1888, p. 1913)
Karl May était un compagnon de route de Bertha von Suttner5 (1843–1914), fondatrice de la recherche sur la paix et du mouvement de la paix. Ils avaient un échange d’idées par correspondance très intense. Les publications de Suttner ont contribué à amener à la première Conférence de paix de la Haye et à la première tentative sérieuse de régler les conflits mondiaux à une échelle supranationale. Dans son oraison funèbre lors du décès de Karl May en 1912, Bertha von Suttner a souligné que May appartenait aux pionniers du mouvement de la paix mondiale. Lui-même a toujours fustigé l’exaltation de la mort ­héroïque et de la soi-disant guerre juste:
«Malheur et mille fois malheur au peuple qui verse le sang et détruit la vie de centaines de milliers d’hommes pour pouvoir décorer quelques chevaliers de la croix de fer! Nous avons besoin d’hommes d’esprit, d’hommes du savoir et de l’art. Ils ne poussent cependant pas à Wagram ou à Waterloo6!» (Karl May dans une lettre au peintre et ami Sascha Schneider, 1906).7
La prise des terres et le génocide par millions de la population indienne aux USA étaient pour Karl May plus qu’horribles, bien que tout cela soit tabouisé dans le «mythe de fondation» des Etats-Unis. Karl May y voyait un mal fondamental:
«Taisez-vous d’une civilisation qui se nourrit que du vol de terres et qui patauge dans le sang! Nous ne voulons pas parler que de la race rouge, oh non! Regardez sur tous les continents de n’importe quel nom! Est-ce que ce n’est pas partout et par tous les endroits que ce sont justement les plus civilisés des civilisés qui commettent un pillage continu par lequel des nations sont détruites et des millions et des millions d’êtres humains sont dépourvus de leurs droits hérités?» (Old Surehand III, Fribourg 1896, p. 127)
D’avoir élevé la voix contre la guerre, l’expulsion, la prise des terres comme «normalité», c’est ce qui fait de Karl May jusqu’à nos jours un exemple courageux.
«Comment on fait la guerre, tout le monde le sait, comment on fait la paix, personne ne le sait. Vous avez des armées permanentes pour la guerre qui coûtent des milliards chaque année. Où est-ce que vous avez les armées permanentes pour la paix qui ne coûteront pas un Para, mais qui rapporteraient des millions?» (Ardistan und Dschinnistan I, Fribourg 1909, p. 17)
Les éditions Karl May à Bamberg offrent du matériel de documentation et d’exposition volumineux, il faut surtout mentionner l’encyclopédie illustrée de Lothar et Bernhard Schmid «Karl May und seine Zeit». De tous les films qui ont été faits, il faut surtout nommer «Der Schatz im Silbersee» [Le Trésor du lac d’argent] et «Die Sklavenkarawane» [La caravane de la mort] qui se sont tenus fidèlement au roman d’après la maison d’édition. Les romans «Dans le pays du Madhi» et «La caravane de la mort» ont encore de nos jours une grande signification en vue du problème des soldats enfants.    •
(Traduction Horizons et débats)

1    Das Kriegsbeil begraben, 30/9/04, Kulturzeit, 3sat
2    Alvin M. Josephy, 500 Nations, Munich 1996, p. 274
3    ibid., p. 431
4    Les citations proviennent du site: www.karl-may-stiftung.de/may.html
5    cf. son livre «Die Waffen nieder!» [Bas les armes!]
6    Dans la bataille de Wagram les 5 et 6 juillet 1809, les troupes françaises de Napoléon ont vaincu les troupes du Erzherzog Karl von Österreich et son armée autrichienne près de Vienne. La bataille de Waterloo du 18 juin 1815 était la dernière bataille de Napoléon Bonaparte. Elle a eu lieu environ à 15 km au sud de la capitale belge Bruxelles près de la ville de Waterloo. L’utilisation de la notion de Waterloo est aujourd’hui synonyme d’une défaite totale.
7    cf. l’œuvre le plus important de Karl May: Und Friede auf Erden! [Et paix sur terre].