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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°38, 5 octobre 2009  >  Israël, puissance protectrice du monde sunnite? [Imprimer]

Israël, puissance protectrice du monde sunnite?

Après la Grande-Bretagne et les USA, Israël va-t-il être le «gendarme» du Proche-Orient? Réédition du «Devil’s Game» selon Robert Dreyfuss?

ts. La rhétorique concernant une éventuelle guerre d’agression israélienne contre l’Iran devient de plus en plus perçante – de hauts fonctionnaires israéliens en parlent tout ouvertement pendant que les médias israéliens se posent des questions à propos de la déclaration de Zbigniew Brzezinski, à savoir que l’armée des USA ne tolérerait pas le survol de bombardiers israéliens sur l’Irak, avec toutes les conséquences qui pourraient en découler1 – donc pendant que les tambours de la guerre se font de plus en plus forts, des politiciens et des agents des services secrets israéliens et américains, et des membres de «think tanks», font entrer une nouvelle constellation d’idées dans le jeu en vue de la solution des problèmes au Moyen-Orient:
Ainsi, John Chipman, directeur général de l’International Institute for Strategic Studies (IISS) a formulé les propos suivants lors d’un congrès à Genève2: La grande majorité des Etats arabes partageaient avec Israël l’estimation que le gouvernement iranien agissait souvent comme une force potentiellement déstabilisante. Mais cette congruence d’intérêts stratégiques ne peut pas facilement trouver une expression publique, car le conflit non résolu entre la Palestine et Israël rendait impossible que les Etats arabes se lient avec Israël.

La solution des deux Etats ­uniquement un prétexte?

Par contre, en ce qui concerne la solution des deux Etats, palestinien israélien, beaucoup d’Israéliens pensent, selon Chipman, que l’objectif principal en est surtout de légitimer Israël aux yeux de l’opinion publique des Etats arabes modérés. Ainsi, une collaboration et des relations diplomatiques normales deviendraient possibles entre les Etats arabes et Israël, avant tout contre des groupes soutenus par l’Iran, mais aussi contre l’Iran lui-même.
Chipman a aussi clarifié que la solution des deux Etats n’apporterait pas tout de suite la paix entre la Palestine et Israël, mais elle créerait la légitimité politique pour Israël qui permettrait aux Etats arabes de soutenir Israël contre des groupes radicaux qui menaceraient aussi ces mêmes Etats arabes.
Voilà les déclarations de Chipman. Donc créer un Etat palestinien avant tout et uniquement pour que l’Iran se voie confronté à un front uni d’Etats arabes en alliance avec la puissance nucléaire d’Israël? Les Etats du Golfe, jusqu’à présent dépendants du pouvoir militaire des USA, intimidés par l’ancien ennemi commun Saddam Hussein – rappelons le Koweït 1990/1991 et ses paiements de taxes racketteurs aux USA dans les années 1990 − ces Etats du Golfe, donc, seraient menacés maintenant par l’Iran et ainsi de nouveau intimidés, dépendants d’Israël? S’agit-il d’une nouvelle édition de la stratégie de guerre néoconservatrice du soi-disant «combat des cultures», cette fois cependant à l’intérieur de l’Islam, entre les Perses chiites et les Arabes qui sont pour la plus grande partie sunnites? Avec Israël comme troisième larron et pour faire pencher la balance?

Arabes et Israéliens contre les Persans?

Lors du congrès cité plus haut, Dan Meridor, Premier ministre suppléant et ministre des services secrets d’Israël a abondé dans le même sens lorsqu’il a souligné que c’était l’Iran qui dirigeait l’Islam révolutionnaire et pour cette raison un Iran en possession d’armes nucléaires ne menaçait pas seulement Israël, mais aussi les Etats du Golfe. Ce haut dirigeant des services secrets israéliens a encore souligné le fait que si la formation de deux Etats était imminente, la domination des USA y était très importante. Mais en même temps les USA devaient résoudre d’urgence le problème de l’armement nucléaire de l’Iran.3  
Il y a aussi Mordechai Kedar, professeur israélien d’études arabes et, selon la radio suisse DRS pendant des années membre des services secrets israéliens, actuellement en route à travers l’Europe pour, d’après ses propres paroles, sensibiliser les Européens au danger des roquettes iraniennes qui pourraient aussi atteindre l’Europe, le dit Mordechai Kedar s’est exprimé lors d’une interview à la radio citée plus haut affichant une ressemblance frappante avec les propos de Dan Meridor et John Chipman: Les Saoudiens, lors de la guerre contre le Hezbollah chiite au Sud du Liban en 2006, n’avaient pas soutenu le peuple frère arabe mais les Israéliens. De même, lors de l’attaque d’Israël contre la bande de Gaza début 2009, les Saoudiens n’avaient pas soutenu le Hamas sunnite à cause de leur soutien par l’Iran, mais Israël. Pourquoi? L’ancien membre des services secrets a répondu de la manière suivante: L’Arabie saoudite est un ennemi des Chiites, elle a aussi des problèmes avec les Chiites dans son propre pays. Les Saoudiens craignent que les Chiites dans leur pays et en Iran puissent occuper les régions chiites à l’est de l’Arabie saoudite, ce qui serait particulièrement explosif car c’est là que se trouvent les grands champs pétrolifères.

Le vieux jeu du «Divide et impera»?

A la remarque de la journaliste de la radio suisse DRS, qu’Israël semblait être le trou d’aiguille et cela dans un conflit qui dépasse l’unique Proche-Orient, Kedar, bien instruit par les services secrets, a décrit le cours des fronts de la façon suivante: Par exemple l’Emir de Qatar est aujourd’hui en coalition avec l’Iran, le Hezbollah et le Hamas. Et d’autres Etats aussi se rangeront du côté de l’Iran si le monde n’entreprend rien ­contre l’Iran. L’Egypte et la Jordanie sont en soucis, mais c’est l’Arabie saoudite qui a la plus grande peur de l’Iran. Les Saoudiens savent qu’ils vont être le prochain objectif de l’Iran, après l’Irak, a rapporté Kedar. Tous ont peur de l’Iran au Proche-Orient. Oui, le danger pour les voisins immédiats de l’Iran sont même plus grand que le danger pour Israël. Tous ces Etats arabes se trouvent plus près de l’Iran et sont moins capables de se dé­fendre. Israël se trouve dans une position bien meilleure. Le Koweït et Bahreïn n’ont aucune possibilité de se défendre contre une agression iranienne. Les Ayatollahs iraniens de leur côté haïssent les Arabes sunnites, et cela leur serait bien égal si dans une attaque contre Israël des Sunnites arabes trouvaient la mort.4
Trois prises de position qui montrent à l’évidence que derrière les coulisses ce n’est pas seulement la planification, mais déjà la modification du Moyen-Orient qui est en train de se réaliser. L’avenir nous dira si avec cela le rôle du gendarme dans le Golfe persique, qui n’agit pas de façon entièrement dés­intéressée, est transféré des USA vers Israël. Si l’on en croit le récit de Robert Dreyfuss dans son ouvrage «Devil’s Game» – d’après lequel les Britanniques ont créé les Frères musulmans pour s’en servir comme instrument contre le nationalisme arabe, et qu’Israël a à l’origine soutenu le Hamas pour affaiblir le Fatah – le transfert des devoirs des USA vers Israël serait dans une ligne de traditions dans laquelle le «Devil’s Game» le principe diabolique du «Divide et impera» se poursuit depuis des décennies.5

«Blood Borders» près d’être réalisés?

En tout cas, il faut avoir à l’œil la météo géopolitique et relire l’article de Ralph Peters dans le Armed Forces Journal avec l’horrible titre «Blood borders». Peters décrit le Proche-Orient avant et après la transformation d’après les «frontières du sang», où l’on doit faire surtout attention au partage en Etats sunnites et chiites, une partition de l’Irak en trois, une amputation de l’Arabie saoudite justement de ses régions pétrolifères à l’est, tout comme de l’Iran, le rapetissement du Pakistan avec le nouvel Etat du Béloutchistan et le Kurdistan libre etc.6
Et si les différences entre l’Amérique de Brzezinski-Obama et l’Israël de Netanyahu se révèlent authentiques ou qu’elles sont seulement mises en avant, on le verra. D’après l’idée de Brzezinski dans son ouvrage «The Grand Chessboard»7 d’après lequel il faut dominer l’Eurasie pour pouvoir dominer le monde, où les Etats sont des figurines sur l’échiquier  et seulement des moyens pour atteindre un objectif, une masse à manipuler qui se joue d’après les besoins. D’après son nouvel essai dans Foreigns Affairs8 on a en ce moment besoin d’urgence de la figurine Iran, et en pleine possession de ses forces. Pourquoi? Comme ennemi «naturel» des Taliban sunnites/wahhabites, l’Iran chiite doit aider l’OTAN dans son désastre afghan et sauver ainsi l’alliance militaire occidentale de la désintégration. D’après le principe: L’ennemi de mon ennemi est mon ami.
L’avenir nous dira si selon la pensée machiavélique de Brzezinski on va dresser l’Iran contre Israël et Israël contre l’Iran, les Sun­nites contre les Chiites et vice-versa, ou si l’on va utiliser Israël en tant que puissance régionale pour tenir en respect les Arabes et les Persans.

«War is obsolete!»

Finalement l’espoir ne doit pas être abandonné que dans l’ère nucléaire les conflits se règlent pacifiquement sur la base du droit international, car avant tout il faut retenir une chose: Le plus grand crime est le crime de la guerre d’agression, ainsi fixé dans les principes de Nuremberg après la Seconde Guerre mondiale. Ou bien pour le dire avec les paroles de l’officier américain Doug Rokke qui a obtenu du Pentagone la tâche d’éliminer les conséquences des armes à l’uranium utilisées lors de la première Guerre du Golfe: A une époque où de telles armes sont utilisées, dont les conséquences néfastes ne pourront jamais être éliminées car leur demi-vie est de 4,5 milliards d’années, il faut dire «War is ob­solete» [La guerre est caduque]. Même et avant tout une guerre d’agression nucléaire contre un pays, l’Iran, qui jamais au cours de son histoire n’a agressé un autre pays!    •

1    cf. Haaretz.com, 21/09/09; www.haaretz.com
2    The 7th IISS Global Strategic «Review The New Geopolitics»: www.iiss.org/conferences/global-strategic-review/global-strategic-reveiw-2009/plenary-sessions-and-speeches-2009/sixth-plenary-sessio-dr-john-chipman/
3    www.strategische-studien.com
4    Kontext du 17/9/09, 9h06 sur Radio suisse DRS.
www.drs.ch/www/de/drs/sendungen/top/kontext/5005.sh10097933.html
5    Robert Dreyfuss. Devil’s Game. How the United States helped unleash fundamentalist Islam. New York 2005. ISBN 0-8050-8137-2.
www.Robert-Dreyfuss.com
6    Oberstleutnant (retired) Ralph Peters. Blood borders: How a better Middle East would look. In:Armed Forces Journal (AFJ), June 2006.
www.armedforcesjournal.com/2006/06/1833899
7    Zbigniew Brzezinski; The Grand Chessboard: American Primacy and Its Geo-Strategic Imperatives. Basic Books, New York. 1998. En français: Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde. Hachette littératures, 2000.
8    www.foreignaffairs.com/articles/65251/zbigniew-brzezinski/an-agenda-for-nato