Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°36, 21 septembre 2009  >  Le «problème» de l’ours est créé par des humains [Imprimer]

Le «problème» de l’ours est créé par des humains

Les expériences avec les ours de zoo dans le Trentin (Tyrol du Sud) auraient dû nous avertir

par Heini Hofmann*

Après la disparition mystérieuse de Lumpaz, disparu des Grisons, le tir de Bruno dans la région frontalière austro-bavaroise (2006) et le coup de fusil final pour JJ3 dans les Grisons (2008), on s’est encore pris à leur sœur. C’est l’occasion de se poser des questions sur la vraie cause du problème.
A propos du dernier cas, qui a eu lieu au Tyrol du Sud: cette ourse brune de deux ans, qui était connue pour être peu farouche envers les hommes, a cherché dans les containers d’un hôtel des restes de nourriture. Pour la capturer, un garde-chasse a tiré une cartouche anesthésique. Dans sa fuite en direction du Malfeinsee, elle est tombée dans l’eau sous l’effet du narcotique et s’est noyée. Après tous ces événements, on se pose de plus en plus de questions sur le Plan Ours suisse, ébranlé par tant d’échecs.
Il est compréhensible que l’ours grisonnais JJ3, qui avait trop peu peur des hommes et était devenu de ce fait un danger potentiel, ait dû être abattu. En effet, un accident aurait enlevé la dernière chance au Plan Ours. Mais qu’une fin tragique se soit produite plusieurs fois a une autre raison, qu’on tient volontiers sous couvert, car il s’agit là d’un coup d’apprenti sorcier.

Le spécialiste suisse des ours avait raison

Des phrases telles que «Sa mère ne l’a pas bien éduqué» ou «L’ours n’a fait aucun effort pour changer de comportement» témoignent d’une méconnaissance de la question de fond. Le problème est causé par une erreur de la gestion de la faune, commise il y a des années. Ce n’est pas l’ours qui a passé d’un «problème» à un «risque», mais – et de cela on n’aime pas parler – c’est la mentalité des biologistes de faune, responsables à l’époque au Trentin, qui a viré de «réfléchie» à «irréfléchie».
Si l’on avait écouté Hans U. Roth de Saint-Gall, l’expérimenté spécialiste des ours, nous aurions été épargnés par la problématique actuelle. Pendant plus de vingt ans, Roth avait fait des recherches sur les derniers ours alpins dans le Trentin, en Italie du Nord, des ours qui se distinguent zoologiquement d’autres populations d’ours en Europe. Il avait fait preuve d’un gand engagement et d’une profonde sensibilité. Après son travail sérieux de consolidation, Hans U. Roth a été affecté aux ours des Abruzzes et une équipe allemande a pris sa place. Il a été remplacé par un successeur qui s’est mis à l’œuvre avec une rigueur germanique, mais malheureusement trop dynamique. Aujourd’hui, ce sont les Italiens eux-mêmes qui s’en occupent.
La population restante des ours alpins du Trentin, d’où proviennent les ours apparus en Bavière et en Suisse, reste une préoccupation des biologistes de la faune. Ils ont déclaré le parc naturel d’Adamello-Brenta station de soins intensifs pour les derniers ours alpins.

Tactique du lâcher manquée

Lorsqu’il y a plus de trente ans, le lâcher de trois ours de zoo pour sauvegarder la population souffreteuse du Trentin (parmi eux, en 1969, deux bêtes du zoo de Zurich) a démontré l’inaptitude de cette entreprise (les ours craignaient trop peu les hommes, ce qui les rendait dangereux), le connaisseur des ours, Roth, avait conseillé une «rénovation douce» de ce joyaux de la faune, avec des réintroductions échelonnés dans le temps de bêtes soigneusement sélectionnées pour leur crainte des hommes. Mais ses successeurs ont fait le contraire: entre 1999 et 2002, avec un grand tapage médiatique, 10 bêtes à la fois ont été lâchées, c’est-à-dire le double de la population sauvage encore existante. Ainsi la nature a été déséquilibrée.
Les ours réintroduits alors, des bêtes de Slovénie, génétiquement proches, n’étaient pas assez farouches, parce que dans leur région d’origine on pratiquait le fourrage dans des places prévues pour la chasse, encore légale dans ce pays. Cette pratique a induit un comportement qui s’est transmis et renforcé chez les jeunes animaux, phénomène connu et que ces immigrés n’ont pas tardé à démontrer. Un lâcher trop rapide d’animaux étrangers en grand nombre sème en plus le trouble dans la population. Le résultat dans le Trentin: le comportement souhaité ne s’est pas produit, il y a eu des dommages et la peur, inexistante auparavant, a augmenté, ce qui a nui à l’acceptation des ours.
Ces ours pionniers auraient eu besoin, avant tout, de calme pour la reconnaissance de leur nouvel espace vital. Mais cela n’a pas pu se faire en raison des actions d’intimidation répétées, devenues nécessaires, un cercle vicieux dont il n’y a pas d’issue. Conclusion: on n’aurait jamais dû mettre en liberté des ours déjà dépravés comme Jurka, la mère de JJ3. Et lorsqu’on a commencé à réaliser la faute, on a attendu trop longtemps pour les capturer. Ils ont ainsi eu le temps de mettre au monde des petits déjà technophiles, avec la triste fin que l’on sait. Un autre animal «problématique» attend déjà devant la porte: le frère de JJ3, JJ5, rode à seulement 20 kilomètres de la frontière suisse (Poschiavo) … Et pourtant, on peut constater au Parc National Suisse, en Engadine, avec le deuxième ours suisse, MJ4, qui avait une autre mère technophobe et qui est resté discret déjà depuis deux ans, que cela peut fonctionner.

Ce qu’il faut respecter dorénavant

Il ne reste donc pas d’autre solution que de capturer tous les descendants des ours «inadaptés» lâchés inconsidérément ou de les tuer, pour que le Plan Ours, c’est-à-dire le retour du prédateur fier dans son pays d’origine, ne soit pas entièrement voué à l’échec. Dommage, cet épisode peu réjouissant aurait pu être évité si on avait agi avec sagesse, de façon moins spectaculaire.
En ce qui concerne les informations, on a pu constater une fois de plus à quel point il est important que tous ceux qui ont à faire avec les animaux, de près ou de loin et dans différents domaines, ne se neutralisent pas mutuellement. Sinon les médias se précipitent et les protecteurs d’animaux extrémistes en profitent. Un exemple: certains spécialistes affirment que la captivité dans un enclos serait la «peine extrême pour JJ3», ce qui met en question le captivité dans un zoo, alors que des zoos offrent au même moment des places «d’asile», ce qui fausse l’action des responsables de tous les côtés.
A l’avenir il sera important, dans le cas où des ours pionniers devraient être réintroduits (en espérant que ce seront uniquement des bêtes farouches) de ne pas les déranger continuellement lorsqu’ils exploreront leur nouvel espace vital; car c’est exactement ce qui les rend imprévisibles et ils approcheront de la nourriture conditionnée par les hommes. En plus il faudra réaliser activement la protection des troupeaux, la sécurisation des ruches d’abeilles et rendre inaccessibles les déchets organiques de la civilisation; on connaît ces problèmes depuis longtemps, depuis bien avant que les ours soient revenus. Pour autant qu’on puisse en juger, il devrait être possible pour les hommes et les ours de vivre côte à côte, car l’ours, lui, s’adapte très bien.     •
(Traduction Horizons et débats)

*L’auteur, ancien vétérinaire du Zoo de Bâle et du Cirque Knie a fondé en 1990, ensemble avec le zoologue Hans U. Roth et Peter Lüps, le Groupe suisse de travail pour l’ours brun, dont le but – le sauvetage des derniers ours alpins – a été repris plus tard par des organisations de la protection de la nature.

 

Une petite généalogie des ours
hh. Pour ne pas rendre l’affaire encore plus émotionnelle qu’elle est déjà, on ne donne plus de noms humains aux ours pionniers mais on les désigne par les initiales de leurs parents. Ainsi JJ3, qui a reçu dans les Grisons le dernier coup de fusil, a été le fils de sa mère Jurka et son père Joze. Il avait deux frères: JJ1 dit Bruno et JJ2 dit Lumpaz. Bruno a été achevé en 2006 dans la région frontalière austro-bavaroise. Lumpaz est porté disparu depuis son départ de Suisse; on craint qu’il ait été victime d’un braconnier.
À part les autres jeunes ours, un troisième frère se trouve devant la porte frontalière verte de la Suisse; c’est JJ5 également fils de Jurka – aussi un ours problématique. D’autres titres à la une des journaux sont donc programmés. Par contre le demi-frère MJ4, qui séjourne depuis un certain temps dans la région de l’Engadine/Val Mustair, reste, lui, discret; il a bien aussi été engendré par le père Jozef, mais avec l’ourse Maja.