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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°49/50, 29 décembre 2010  >  La Garde suisse pontificale – un reflet de la position suisse [Imprimer]

La Garde suisse pontificale – un reflet de la position suisse

Interview du conseiller national Pius Segmüller, ancien commandant de la Garde suisse

Horizons et débats: Quelles sont les missions que remplit la Garde suisse à Rome?

Pius Segmüller: La mission générale est en première ligne la protection du Pape. Cette mission se compose de quatre missions par­tielles: premièrement le contrôle des entrées dans l’Etat du Vatican, deuxièmement le service d’ordre pacifique durant les au­diences et les messes, troisièmement la protection propre des objets, la protection du bâtiment habité par le Pape et quatrièmement la protection des personnes. On ne remarque généralement pas les hommes qui accomplissent cette dernière mission, parce qu’ils sont en civil. Ces personnes se tiennent directement auprès du Pape, par exemple lors d’audiences, de messes, de dîners officiels ou lorsqu’il doit se rendre d’un endroit à l’autre. Ces hommes reçoivent d’ailleurs, au sein du détachement de sécurité du Conseil fédéral, une formation spéciale de garde du corps. Puis il y a encore une cinquième mission, qui n’est en fait pas une tâche de sécurité, mais une mission de représentation, la garde d’honneur. Ce sont les personnes qui lors des audiences, se tiennent au garde à vous, la hallebarde en main, le soi-disant service d’honneur.

Quelles sont les conditions pour avoir le droit d’y servir?

Par principe, on peut dire cela sur la base du système de recrutement, un candidat doit être un chrétien convaincu, un catholique convaincu. Dans ce sens, il ne saurait avoir un problème avec la foi. Croire signifie évidemment aussi hésiter ou ne pas savoir, cela en fait sûrement partie, mais il doit pouvoir en répondre. Cela doit être sa position intérieure et il doit également jurer lors de l’assermentation qu’il engage sa vie s’il arrive quelque chose au Pape. Je suis persuadé que 99,9% le feront. Quand on voit et connaît les gens qui accomplissement ce service volontaire, il est clair qu’ils le feront. S’y ajoute qu’ils sont en permanence dans l’engagement réel, à la différence de l’armée suisse actuelle. Autrefois les confédérés étaient engagés de façon permanente et ils ont par conséquent développé une position excellente face au pays. Cela se retrouve moins chez les militaires suisses actuels. Comme chacun doit y aller ou devrait y aller, le choix est différent. Nous pouvons naturellement prendre les meilleurs des meilleurs pour la Garde suisse, ceux qui sont intimement persuadés et qui veulent faire cela. Ils ont tous déjà fait leur service militaire, ils doivent avoir accompli une formation professionnelle complète ou disposer d’un certificat de maturité. Ils doivent présenter un certificat de bonne vie et mœurs et, comme je l’ai dit, avoir une attitude positive envers notre foi, envers l’église et évidemment aussi envers la Suisse, ce qui est bien entendu le cas. Je n’en connais aucun à Rome qui aurait un problème avec notre forme d’Etat, avec notre Suisse.

Quelle formation pour la vie reçoit-on quand on accomplit son service là-bas?

On apprend à servir. Le mot «servir» ou «service» n’est pas très en vogue aujourd’hui. Mais le service est quelque chose qui caractérise ces gardes. Chacun de ceux qui reviennent arbore sa vie entière cette distinction positive de «garde suisse». Cela signifie une position idéaliste envers l’Etat, envers l’église, envers ses semblables etc. Ils se sont engagés pour une bonne cause.

Vous avez mentionné la «position idéaliste». Celle-ci n’a-t-elle pas, au-delà du service au sein de la Garde suisse, une signification importante pour la vie communautaire dans notre Etat?

Oui, une grande signification. Ce sont des hommes qui ensuite savent s’engager au sein de la communauté. Dans bien des cas, ils se mettent à disposition pour des tâches honorifiques, ça se voit chez ces hommes. C’est une raison importante pour laquelle plus tard on aime bien offrir certains emplois à des gardes. Par exemple ici au Palais fédéral la plupart des huissiers sont d’anciens gardes suisses. Si l’on compare cela avec d’autres genres de métiers, on peut dire que les gardes sont prédestinés à ces tâches. Presque tous les gardes sont actifs soit dans des paroisses, dans la politique ou ailleurs dans le domaine social.

Le service au sein de la Garde suisse est donc une formation pour le service à la communauté?

Oui, c’est une formation en vue de faire quelque chose pour la communauté. Bien des gardes s’engagent ensuite pour notre communauté. Dans ce sens c’est une bonne condition préalable pour s’engager pour notre société.
Chacun entre individuellement en service. Il n’y a pas de rassemblement commun comme à l’armée. On attend du garde qu’il remplisse consciencieusement son poste. Bien entendu, les officiers le contrôlent, mais on attend de lui qu’il fasse son devoir. On attend de lui de la propreté, une apparence soignée, un salut correct. Cela nécessite évidemment toutes sortes de vertus telles que la conscience des responsabilités, le sens de la communauté, l’altruisme. Et ça développe de son côté ces vertus qui sont profitables au sens de la communauté dont notre démocratie directe a besoin.

La garde suisse ne renforce-t-elle pas aussi la cohésion dans notre pays?

Sans doute, en pourcentage c’est toujours une moyenne à travers la Suisse. Nous avons environ six Tessinois, 20-30 Romands, et un ou deux Romanches qui savent évidemment aussi l’allemand. Les autres sont la plupart du temps des Alémaniques. C’est une petite Suisse dans cette communauté. Chacun parle sa langue, et l’autre essaie de le comprendre. Si ça ne va pas, on se comprend en italien, ce qui est finalement aussi une langue nationale. C’est vraiment une petite Suisse. S’y ajoute qu’on célèbre le 1er août de façon très solennelle, ensemble avec des Suisses qui habitent à proximité. On y invite en général un orateur de Suisse. C’est une journée très importante.

Peut-on alors dire que grâce aux rapports entre régions linguistiques et cantons le modèle du fédéralisme se trouve renforcé?

Très juste, avant tout les gardes apprennent une deuxième langue étrangère qui est également une langue nationale. Vu par un Suisse allemand, c’est la deuxième langue étrangère après le français et ça renforce très certainement la cohésion. Il ne faut pas oublier une chose à ce sujet. On est à Rome. On est confronté à une autre culture, à la culture italienne et à toute l’histoire qui est présente, que ce soit au Vatican ou à Rome même. Replié sur ce qu’on a chez soi, on a ça en petit là-bas au Vatican, à la caserne où les gardes sont chez eux.

La position des gardes suisses, telle que vous venez de la décrire, son attitude intérieure serait également importante pour l’armée suisse. Comment voyez-vous cela: Est-ce que nos citoyens suisses qui accomplissent leur service dans notre armée de milice ne devraient pas aussi mieux développer une pareille attitude?

Pour renforcer de pareilles vertus, la vie communautaire est très importante. Dans ce sens, l’école de recrues, l’école d’officiers, le «paiement de galons» y contribuent énormément. Un CR (cours de répétition militaire) ne suffit cependant pas, c’est trop court, il faut un temps plus long durant lequel on est ensemble. C’est encore valable aujourd’hui. Mon fils a fait son école de recrues cette année et j’ai constaté qu’il est revenu différent. Il a acquis une autre attitude envers la communauté que celle qu’il avait auparavant. Mais qu’on demande moins cela aujourd’hui a plusieurs raisons. Nous subissons moins de pressions, nous sommes devenus une société plus individualiste. On ne peut pas en faire le reproche à l’armée, mais à notre société. Notre système de valeurs s’est modifié, chacun se préoccupe d’abord de lui-même et après seulement de la société. Il faut en somme autre chose pour accomplir un service de garde suisse ou militaire. Mais j’ai aussi constaté en dirigeant des engagements de l’armée que ces vertus n’ont pas simplement disparu. Je n’aimerais pas dénier à nos soldats qu’ils accomplissent leur devoir quand il le faut. Mais il faut des formations, peut-être plus longues que ce n’était le cas autrefois.

Peut-on alors dire que ce qui a été négligé par l’éducation et l’école doit être rattrapé par la suite?

Oui, certainement. On dit bien souvent aujourd’hui que l’éducation est faite par l’école parce qu’à la maison on ne reçoit plus ce qui autrefois allait encore de soi.
A ce sujet, j’aimerais encore dire que nos valeurs telles que l’honnêteté, la franchise et la charité déploient leurs effets avant tout lorsqu’on a un rapport à Dieu, car à mon avis la foi est la condition préalable pour cela. Et j’y vois aussi la différence entre une armée et la Garde suisse. Au sein de celle-ci, on attend cela, c’est une condition préalable. Et plus un homme est pieux, plus il peut vivre ces vertus et ces valeurs et ainsi servir de modèle pour d’autres.

L’armée de milice est bien la grande plus-value dans notre pays parce que chacun fait ça de façon consciencieuse et s’engage pour son pays. Il faut par conséquent les mêmes conditions préalables de base pour une armée nationale.

Oui, c’est certainement vrai, mais vous ne pouvez pas attendre la même chose de l’armée de milice, parce que là il y a d’autres critères de choix. Dans l’armée suisse, 60% accomplissent ce service ou doivent l’accomplir. Il y a donc sûrement un grand nombre qui font preuve de ces qualités dès le début, et d’autres les développent avec le temps. C’est pour cela qu’il est bon que des soldats plus âgés soient ensemble avec des plus jeunes. Mais il y en a aussi qui font du service militaire et qui ne satisferont jamais à ces critères. Cela a toujours existé. Mais il y a de plus en plus d’hommes qui ont des problèmes avec la vie communautaire et avec le système de valeurs de l’armée, et très simplement parce que notre société a changé. Ce qu’on peut et doit faire, c’est de créer des expériences vécues dans l’armée qui exigent du communautarisme, mais également de la dureté. On a à mon avis trop insisté sur la technique et la didactique et on a oublié que l’expérience vécue en commun, parfois également la souffrance en commun est quelque chose de fondamental pour devenir un bon soldat. Bien entendu ce serait bien si le soldat de milice avait la même attitude intérieure que le garde suisse, ça devrait rester notre idéal.
Lors de visites à la troupe qui se dé­roulent parfois sans préavis, je suis chaque fois très surpris en bien. Ils font très bien leur travail là-bas. Quand je me remémore mes CR et mon école de recrues, on n’a parfois pas pris très au sérieux les attitudes des gens, l’organisation. Aujourd’hui la formation est très concentrée, on veut transmettre en peu de temps beaucoup de choses différentes, et la méthode utilisée actuellement est certainement meilleure. Mais malgré cela quelque chose d’important s’est perdu, c’est-à-dire qu’on se sent encore soldat lorsqu’on est un citoyen de ce pays. On fait aujourd’hui son temps quand on est au service, et puis c’est terminé. Autrefois, c’était différent.

Le garde suisse est convaincu de son devoir, qu’en est-il de la volonté de servir dans l’armée suisse?

Je peux avoir la volonté de servir et tout faire négligemment, prendre les choses à la légère. Ou on peut s’engager à 100%. Ce sont des tendances différentes.
Je crois que de nos jours, nous sommes beaucoup plus distraits. Nous avons tellement de possibilités de loisirs et autrefois c’était évidemment tout différent. Les gens allaient volontiers au CR pour revoir leurs camarades. Aujourd’hui ce n’est plus tout à fait la même chose, mais je n’aimerais pas dire que les gens n’ont pas une attitude positive envers le pays. On ne le montre plus autant. S’engager pour son pays n’est plus si «sexy». On ne dit pas à son collègue: «Moi, je vais volontiers au service militaire». C’était peut-être le cas il y a 20 à 30 ans. Dans l’économie privée, on n’est plus autant promu quand on est officier dans l’armée suisse. Ce sont évidemment des circonstances qui rendent tout cela plus difficile. Quand on fait ces multiples enquêtes sur l’armée, on constate néanmoins que la volonté de servir est aujourd’hui supérieure à ce qu’elle était encore il y a vingt ans. La volonté de défense revêt actuellement une autre dimension, elle n’apparaît plus aussi explicitement, mais elle est encore présente dans les esprits ou les arrière-pensées.

Quand on doit défendre quelque chose, on doit évidemment savoir ce qu’on a à défendre.

Autrefois c’était plus facile à dire, je défends le pays quand la menace est devant la porte. Aujourd’hui nous sommes tout autant menacés, mais tout est plus diffus, on ne peut pas saisir la menace comme on pouvait le faire alors. C’est également une raison pour laquelle la volonté de défendre le pays est devenue un peu plus difficile, et par conséquent il est moins facile de motiver les gens.

En considération de tout ce dont nous avons parlé, le principe de milice est quelque chose d’extrêmement important pour notre pays. Est-ce que ça vaut aussi pour notre armée?

Pour la Suisse il n’y a que l’armée de milice. Autrefois on disait toujours, nous n’avons pas d’armée, nous sommes une armée. Je crois que ça en fait partie, ce dont nous avons parlé, les valeurs. Je crois que si nous avions une armée qui n’était plus une armée de milice, si nous avions donc une armée de professionnels, la volonté de défense s’émousserait complètement et la volonté de servir d’autant plus. C’est la raison pour laquelle nous devons maintenir notre armée de milice. C’est pour cela que je suis un adversaire résolu de l’initiative pour une armée de métier. C’est la fin de la Suisse. Dans l’armée aussi certaines valeurs sont enseignées, comme par exemple l’altruisme, par lequel on s’engage de nouveau pour d’autres obligations communautaires ou d’autres tâches etc. Et c’est ce qui fait vivre notre communauté. Et à l’avenir nous serons confrontés à d’autres défis, comme par exemple dans le domaine de la santé ou dans le domaine social, que nous ne pourrons maîtriser que grâce à ce volontariat. On devrait recommencer à mieux promouvoir cela.

Ne faudrait-il dans ce contexte pas plus d’enseignement civique?

Oui, sans doute. Mais je ne peux aimer quelque chose que quand je sais ce qu’est notre Etat. Il faut connaître son histoire. Pas de glorification de notre histoire, elle n’était pas toujours seulement magnifique et simple, mais souvent aussi très douloureuse. Mais quand on sait ce que le pays a vécu de positif et de négatif, on commence à l’aimer. C’est pour ça que l’instruction civique commence avec la connaissance de l’histoire, mais également avec la connaissance de comment fonctionne notre Etat et de tout ce que notre démocratie parvient à accomplir.

Monsieur Segmüller, je vous remercie chaleureusement de cet entretien intéressant.    •