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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°20, 25 mai 2009  >  La crise financière n’entraîne pas de changement de cap en Russie [Imprimer]

La crise financière n’entraîne pas de changement de cap en Russie

La volonté de rénovation du tandem Medvedev–Poutine demeure inébranlable

par Hans-Georg Rudloff*

hd. Contrairement à l’avalanche d’articles diffamatoires sur la Russie déversée par les médias allemands durant ces dernières années, le texte suivant, dont l’auteur est un excellent connaisseur de la Russie, offre une autre vision: la Russie fait beaucoup mieux face aux difficultés du monde actuel que l’Allemagne de Merkel. Peut-être pourrions-nous nous en inspirer.

La crise financière nous contraint à revoir les principes politiques qui ont déterminé l’agir économique de ces dernières années. La question se pose aussi dans les marchés des pays émergents. Ceux-ci ont profité de la mondialisation pendant vingt ans. Maintenant ils en sont les victimes. De nombreux pays de l’ancien bloc de l’Est subissent de graves contrecoups, sans posséder d’institutions permettant d’adoucir les conséquences sociales. Le contrecoup se traduit par une augmentation de la pauvreté. Les pays qui s’appauvrissent offrent aux populistes des plateformes idéales, nous ne le savons que trop par notre propre histoire. Il n’est donc pas sûr du tout que le système économique mondial reste intact. Les efforts pour maintenir la libre circulation des capitaux se heurteront à des résistances.

Ne pas toucher au credo libéral

L’Ukraine, par exemple, n’a pas réussi, durant les années de la transition [au capitalisme, ndt.], à devenir une nation fonctionnant réellement ou à s’imposer comme pont entre l’Europe et l’Asie. A l’heure actuelle c’est une formation politiquement instable et sans unité intérieure. La Russie en revanche semble très solide et beaucoup mieux armée pour répondre aux défis de la crise économique et financière. En dépit de fuites importantes de capitaux, le pays n’a pas eu recours au contrôle des changes, et a établi peu de barrières à l’importation dans le but de protéger sa propre production. Bien que la Russie soit à même, grâce à ses gigantesques réserves de devises, de se replier sur elle-même et de traverser les temps difficiles en devenant un peu plus protectionniste, elle n’a pas mis en question le principe de l’économie de marché. En dépit des lourds fardeaux que lui a imposés la crise financière, la Russie est restée complètement intégrée à l’économie mondiale.
L’économie de marché est un des principes de base de l’orientation économique de l’ex-président, Vladimir Poutine. On n’y touchera pas. Cette constance a des raisons historiques. Si les élites russes s’en tiennent avec autant de fermeté aux règles du marché, c’est aussi parce que l’URSS a implosé il y a 20 ans sous le poids d’une économie étatisée. Et parce que les Russes sont trop fiers pour devoir en passer une seconde fois par les exigences du Fonds monétaire international (FMI) comme il y a onze ans, lors de la crise économique. Tout cela, et à Moscou cela fait consensus, ne doit plus jamais se reproduire. De fait la Russie, à la différence de l’Ukraine et quelques autres pays en transition n’est plus demanderesse auprès du FMI, mais au contraire en position de participer à des programmes d’aides pour d’autres pays. Ce consensus a permis à la Russie de s’imposer sous Poutine le budget le plus conservateur qui se puisse imaginer. Une réforme fiscale radicale ainsi que l’instauration d’un impôt à taux unique de 13% seulement ont permis d’accroître en un éclair la discipline fiscale et de dégager d’énormes excédents budgétaires. Les exportations énergétiques ont permis la constitution de grosses réserves de devises, maintenues à l’abri des convoitises de toutes les parties de ce pays gigantesque. De nombreux indices suggèrent que cette politique financière orthodoxe risque d’être quelque peu assouplie à l’avenir afin de surmonter la crise. La Russie, qui souhaite elle aussi contrer la crise économique par des projets d’infrastructures supplémentaires, peut puiser dans ses réserves et aura peut-être bientôt recours – pour la première fois depuis 2001 – à des capitaux étrangers.

Une continuité au sommet

Poutine était arrivé à la tête du pays dans une période chaotique et désespérée. La Russie doit à sa perspicacité, à la discipline qu’il a imposée et à son habileté à venir à bout des rivalités d’avoir retrouvé une grande stabilité politique interne, des moyens de combattre les crises et une stature internationale respectée. La rapide résolution du conflit géorgien l’été dernier, la mise au placard effective des projets d’élargissement de l’OTAN ainsi que la renonciation du Président Obama au stationnement de nouvelles fusées antimissiles en Europe de l’Est l’indiquent clairement: les desiderata russes sont à nouveau pris au sérieux par les pays étrangers.
Dimitri Medvedev continue exactement dans la même voie. La thèse selon laquelle il chercherait à se constituer une base politique opposée à celle du Premier ministre et à devenir ainsi son rival s’avérera dénuée de fondement. La succession au Kremlin a été réglée avec le plus grand soin et mûrement réfléchie. Son déroulement rappelle fortement les processus en vigueur dans les grandes multinationales lorsqu’elles préparent un changement de direction: de jeunes cadres prometteurs gravissent les échelons sous l’œil critique des vieux chefs. Medvedev a accompli victorieusement ce parcours sélectif en commun avec nombre d’autres candidats ayant une expérience de gouvernement – tous de jeunes talents, efficients et le plus souvent formés dans les universités occidentales.
A l’extérieur Medvedev doit maintenant acquérir une stature politique personnelle. Mais dans les faits il constitue avec Poutine un tandem qui se répartit clairement les responsabilités. Medvedev est chargé de poursuivre les réformes; une tâche qu’il remplit parfaitement jusqu’ici. Sans que les médias occidentaux s’en avisent, la Russie a engagé un nouveau train de réformes. Des mesures modestes mais importantes améliorent l’efficience économique. Par exemple on a, voici quelques mois, interdit à la police de mettre fin à de petites activités entrepreneuriales en invoquant des infractions à la loi ou aux règles. Maintenant des procédures juridiques permettent aux personnes lésées de se défendre. Afin de limiter l’arbitraire des fonctionnaires, des contrôles supplémentaires sont désormais effectués par des membres du parti au pouvoir, une sorte de contrôle par des tiers. De telles mesures réduisent l’impact d’une bureaucratie nuisible pour l’économie et restreignent la corruption si répandue dans le quotidien. Et les oligarques qui, durant la brève et chaotique phase de privatisation consécutive à l’effondrement du communisme, avaient bien su faire passer sous leur contrôle des pans de la richesse publique sentent désormais passer le vent du boulet.

Des oligarques pris au piège de l’endettement

Il s’agit rarement d’entrepreneurs rassis, soucieux de l’intérêt à long terme de leur entreprise, mais plutôt – comme dans nos sociétés de «private equity» – de propriétaires dont le but était de retirer un maximum d’argent, d’empocher des dividendes, de financer les investissements nécessaires avec des capitaux extérieurs, grevant ainsi leurs entreprises de lourdes dettes. La crise financière a sifflé une brutale fin de partie. La plupart des oligarques russes, pris au piège de l’endet­tement, sont à la merci de sauveteurs, Etat ou financeurs.
Des pourparlers sur les transferts de dettes ont été engagés, il y a un mois. Les cartes sont maintenant sur la table, mais les pro­blèmes ne sont pas résolus. En raison des pertes prévisibles d’emplois, l’Etat – comme en Europe de l’Ouest ou aux USA – sera obligé de s’engager. Mais beaucoup d’indices suggèrent que le gouvernement Poutine n’est pas disposé à socialiser les pertes et à laisser les propriétaires actuels encaisser la totalité des bénéfices à venir. Si les oligarques ne se montraient pas disposés à réinjecter dans les entreprises une part des dividendes qu’ils ont empochés, on pourrait voir dans plusieurs cas mettre en cause le droit de propriété. A mon avis il ne faut pas s’attendre à de véritables renationalisations, sauf dans le cas d’entreprises stratégiques. Mais le gouvernement veillera à ce que les droits de propriété ne fassent pas obstacle au développement à long terme des entreprises. Et cela ne portera pas atteinte aux principes de l’économie de marché, Poutine en est garant. Dans nombre de marchés émergents, la crise pourrait donner naissance à une résistance à la mondialisation. Le tandem Medvedev–Poutine, en revanche, ne torpillera sûrement pas les positions politiques éprouvées. La Russie est désormais plus fiable, plus prévisible.     •

Source: Neue Zürcher Zeitung du 4/5/09.
(Traduit par Fausto Giudice, www.tlaxcala.es)

* L’auteur est président du Conseil d’administration de Barclays Capital et fait partie, entre autres, du Conseil d’administration de l’entreprise pétrolière russe Rosneft depuis 2006. Il est membre du CA de Sandoz depuis 1994 et de celui de Novartis depuis 1996.