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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°22, 6 juin 2011  >  L’Europe va-t-elle être constituée de territoires transfrontaliers? [Imprimer]

L’Europe va-t-elle être constituée de territoires transfrontaliers?

Une question brûlante: la collaboration transfrontalière (séance du Conseil national du 9 juin)

par Marianne Wüthrich, docteur en droit, Zurich

Le 9 juin prochain, le Conseil national va mettre fin ou non au démembrement des Etats nations européens au profit de struc­tures transnationales.

Dans sa session de printemps, le Conseil des Etats a, à l’insu de la population, adopté à l’unanimité un protocole additionnel à un accord des Etats membres du Conseil de l’Europe (Protocole n° 3 à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales relatif aux Groupements eurorégionaux de coopération [GEC] du 16 novembre 2009, cf. www.admin.ch/ch/f/ff/2010/7511.pdf). Ce qui à première vue paraît anodin se révèle inquiétant quand on y regarde de plus près. Le Conseil national a maintenant la possibilité de corriger cette décision.
La coopération transfrontalière est depuis toujours une évidence. Il est dans la nature humaine de ne pas se laisser enfermer à l’intérieur des limites des communes ou de l’Etat afin de coopérer avec ses voisins et chercher ensemble des solutions aux problèmes communs. Aucun citoyen doué de raison ne peut y trouver à redire.
Or le Protocole no 3 va bien au-delà d’une coopération banale entre voisins: il prépare le terrain à des Groupements eurorégionaux de coopération (GEC) dotés de la personnalité juridique (art. 1 et 2), c’est-à-dire possédant «la capacité juridique la plus large reconnue aux personnes morales par la législation nationale de l’Etat dans lequel il est établi» (art. 2-2). Conformément à l’art. 3, «le GEC se compose de collectivités ou autorités territoriales des Parties. Il peut aussi com­prendre les Etats membres du Conseil de l’Europe dont relèvent les collectivités ou autorités territoriales concernées».
Ce Protocole no 3 prépare le terrain à la dissolution progressive des Etats nations que recherche l’UE. Horizons et débats a parlé, dans son numéro 2 du 17/1/11, des Groupements européens de coopération territoriale (GECT) qui, comme les GEC du Conseil de l’Europe, visent à créer un niveau politique nouveau qui transcende les frontières natio­nales, ce qui prive de leur pouvoir les autorités élues. Selon le Message du Conseil fédéral, le Protocole no 3 – comment pourrait-il en être autrement? – «a été élaboré en tenant compte de la règlementation de l’UE».
En clair, il s’agit de nouvelles structures juridiques dont les membres peuvent être, par exemple, des communes et des cantons suisses, des communes et des Länder allemands, des communes et des départements français, voire des pays comme la Suisse, l’Allemagne et la France. Il ne s’agit donc probablement pas d’«associations d’éleveurs de lapins» mais de groupements plus importants. Au lieu des communes et des cantons, leurs autorités exécutives seules peuvent également être membres, comme on a pu malheureusement le constater plusieurs fois déjà. Elles pourraient se regrouper en grandes régions par-delà les frontières, sans être handicapés par leurs citoyens.

Des communes et des cantons privés de leurs pouvoirs

Ce qui est nouveau dans le Protocole no 3 – du moins pour les Etats qui ne font pas partie de l’UE – c’est qu’au lieu de simples accords entre Etats souverains ou communes autonomes, on crée tout à coup des collectivités territoriales transfrontalières habilitées à «conclure des contrats, recruter du personnel, acquérir des biens mobiliers et immobiliers, et ester en justice.» (art. 2-5). Ces grandes régions supranationales pourraient donc fonctionner comme des sociétés anonymes ou des sociétés à responsabilité limitée: conclure des accords, vendre des terrains, d’ester en justice, sans consulter la population. L’article 2-4 donne particulièrement à réfléchir: «Le GEC a le droit d’avoir son propre budget et le pouvoir de l’administrer.» En d’autres termes, un de ces groupements de communes ou d’Etats pourrait dépenser de l’argent et faire des dettes. Ses membres, par exemple les communes, devraient mettre à sa disposition l’argent des contribuables mais n’auraient rien à dire sur son utilisation puisque le «droit d’avoir son propre budget» est accordé au GEC. Et les communes devraient alors se porter garantes des dettes du GEC. «Le GEC – ou, lorsque ses avoirs sont insuffisants, ses membres pris conjointement – est responsable de ses actes vis-à-vis des tiers, y compris de ses dettes, de quelque nature ­qu’elles soient, même si ces actes ne relèvent pas de ses missions.» (art. 9-1)

Abolition de la démocratie directe

Quelle que soit la manière dont les autres membres du Conseil de l’Europe ou de l’UE règleront cela, en Suisse, ce sont les citoyens qui, dans les cantons et les communes, dé­cident des droits des associations de droit public qu’elles créent pour résoudre ensemble des missions communes. Dans les communes, l’utilisation de l’argent des contribuables avant tout est décidée par l’assemblée communale car les citoyens veulent avoir leur mot à dire sur les dépenses et la politique des dettes, et cela parce que la commune doit tout naturellement en assumer la responsabilité.
Il est inadmissible qu’une commune ou qu’un canton suisse adhère à une structure juridique supranationale dans laquelle les décisions sont prises par les membres de l’exécutif. Ce que nous exigeons pour les régions métropolitaines inspirées par l’UE est encore plus valable pour ces personnes juridiques auxquelles participent également des unités juridiques étrangères. Aucune décision ne doit se prendre sans consulter le peuple.
D’ailleurs, le Protocole no 3 ne précise absolument pas la manière dont une commune suisse pourrait être membre d’un GEC: «Le GEC est institué par un accord écrit entre ses membres fondateurs» (art. 4-1). Dans les communes et les cantons suisses comme au niveau de la Confédération, une votation devrait poser les fondements d’un tel accord. Or notre expérience de la création des conférences métropolitaines nous apprend que, selon la recette bruxelloise, ce genre d’opérations s’effectuent de manière arbitraire, au mépris du peuple.

Bertelsmann & Cie va-t-il adhérer à des GEC?

A propos, non seulement les collectivités territoriales mais aussi «tout établissement doté de la personnalité morale créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial» peuvent être membres d’un GEC. Ceci pourrait par exemple être le cas de la Fondation Bertelsmann dont on sait que, malgré ses milliards de chiffre d’affaires, elle se fait passer pour une fondation d’utilité publique.

Conclusion: N’adhérons pas à des GEC!

Les Suisses ne veulent pas sacrifier leur souveraineté et leurs droits démocratiques. Nous ne pouvons que recommander à nos parlementaires de ne pas imposer au peuple le Protocole No 3 sur les Groupements eurorégionaux de coopération (GEC). S’ils ne s’y opposent pas, il faudra recourir au référendum. La décision du Parlement est soumise au référendum facultatif en matière de traités puisque le Protocole no 3, selon le Message du Conseil fédéral, contient «d’importantes dispositions fixant des règles de droit» et n’est donc pas aussi anodin qu’on pourrait le croire après le peu de temps que le Conseil des Etats y a consacré:

«Plusieurs dispositions du Protocole, en particulier celles concernant l’établissement d’un groupement, les membres, le contenu des statuts ou la responsabilité, fixent des règles de droit et doivent être considérées comme importantes. L’arrêté fédéral d’approbation du Protocole no 3 est ainsi sujet au référendum facultatif prévu par l’art. 141, al. 1, let. d, ch. 3, Cst.» (Message du Conseil fédéral)    •