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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°18, 11 mai 2009  >  Les paysages en terrasses du Piémont et de Suisse [Imprimer]

Les paysages en terrasses du Piémont et de Suisse

par Raimund Rodewald, Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage, Berne

Le sol est notre fondement vital commun. Le sol est aussi la nourriture de notre âme. Sa destruction signifie la raréfaction d’une importante ressource vitale et est une atteinte à notre bien-être psychique et mental. Par contre, un joli paysage charmant marque notre existence plus fortement que ne le font certaines choses matérielles du quotidien dites indispensables.
L’exposition «Les paysages en terrasses du Piémont et de Suisse» met au centre la richesse de l’expérience sensuelle du paysage culturel vraisemblablement le plus impressionnant qui ait été modelé par l’homme: le paysage en terrasses. On peut le comparer – sans exagérer – aux œuvres d’art de Vincent van Gogh.
Nous connaissons ces terrasses sous la forme de terrasses agricoles sur les versants des Andes, de terrasses où on cultive le sorgho dans le Nord du Yémen, mais surtout des vertes rizières en terrasses des Philip­pines, de Chine, de Bali ou du Cachemire. Les versants en terrasses des montagnes suisses et du Piémont pétillent d’un parfum d’exotisme venant de pays étrangers et de cultures ances­trales.
Laissez-vous enchanter par les beautés des paysages en terrasses en Suisse et au Piémont! Aidez à ce qu’aujourd’hui des témoignages très menacés appartenant à l’histoire du paysage européen soient préservés!

La beauté d’une technique culturelle parfaite

Celui qui se promène dans les prairies en terrasses de la basse Engadine ou dans les terrasses viticoles étagées du Lavaux, du Valais et de l’Alta Langa éprouve une exaltation des sens à travers ces paysages. On perçoit l’effet d’un labyrinthe étiré vers le haut et le jeu riche en contrastes d’ombre et de lumière particulièrement marqué lorsque le soleil est bas ou le sol recouvert de neige.
Pas un mur ne ressemble à l’autre, tantôt haut de plusieurs mètres, tantôt petit et en lutte permanente contre la pression de la pente ou des racines envahissantes. Le terrassement répond à chaque petit méandre topographique, à chaque modification de la pente naturelle: si la pente est plus raide, les murs sont automatiquement plus hauts, si elle s’aplatit, la terrasse s’élargit et les murs sont plus bas. Chaque morceau de terrain en terrasses a un accès soit par une rampe soit par un petit escalier en pierres. Les conduites d’eau ou­vertes, toutes sortes de constructions et de petits refuges témoignent de la conception réfléchie de l’exploitation de terrain en pente.
La technique du terrassement peut être désignée comme solution parfaite dans le sens de sa durabilité. Elle unit les besoins économiques (les pentes sont rendues cultivables) aux besoins écologiques (les marches servant de bordure et les murs en pierres sèches présentent des espaces vitaux précieux) et aux exigences sociales (amélioration des conditions de travail des paysans).

Le pain, les jeux et les paysages

Le nombre des individus travaillant dans l’agriculture diminue de plus en plus. En Suisse, à peine 4% de la population sont actifs dans ce secteur, en Italie, le taux s’élève encore à 7%. Cela signifie que notre vie se caractérise de plus en plus par une société de «hors-sol», qui se détache du sol en tant que fondement vital.
Le terrain cultivable perd à l’époque des marchés globaux, de la haute mobilité, de l’urbanisation et de l’indépendance croissante d’un espace concret (également grâce au téléphone portable et à l’Internet) sa signification d’origine en tant que ressource vitale.
Les conséquences: Les paysages cultivés et entretenus pendant des siècles par les hommes tombent dans l’oubli et disparaissent sous le béton et l’asphalte ou cèdent la place à la monotonie de paysages agricoles indus­triels dégarnis ou à des terrains de golf.
D’un autre côté, l’aspiration croissante à une identité et une identification, à une sortie de l’anonymat des agglomérations, une nature intacte et des paysages de repos grandit dans la population.
C’est ici que reposent les grandes chances d’avenir des paysages en terrasses.
Outre le pain et le jeu, l’être humain a besoin aussi de paysages dignes d’éloge et authentiques dans lesquels il peut se sentir bien comme dans sa propre peau. Des pay­sages culturels intacts comme ceux en terrasses, constituent une source importante pour la qualité de notre vie. C’est pourquoi, nous profitons tous de la préservation de cette œuvre immense de nos ancêtres.

Vignes, champs, prairies et châtaignes

Le travail corporel du terrassement était très astreignant. Même avec les moyens actuels, il nous semble presque impossible d’aménager en terrasses une pente buissonnée, impéné­trable et menacée par l’érosion!
Dans les territoires secs des Alpes intérieures, les corridors superposés successivement sont en partie d’origine préhistoriques (1500 av. J.-C.) ce dont témoignent les terrasses agricoles datant de l’âge du Bronze de Ramosch en basse Engadine. Le terrassement a souvent résulté dans la région des Alpes du fait que la terre se déplaça vers le bas par l’exploitation permanente, ce qui a conduit à des entailles dans le terrain et des lisières en gradins.
Pour éviter que la terre continue de glisser mais aussi pour faciliter l’irrigation et le drainage, les gradins du terrains ont été stabilisés par des murs et des plantations de buissons. La terre manquante a été transportée avec des mulets ou à dos d’homme.
L’ancienne technique de rajeunissement de la vigne qui conduisait à des fossés ondulés, bordés de talus élevés qui devaient être renouvelés tous les quatre ou cinq ans, est impressionnante. On voit aujourd’hui encore des témoignages de cette ancienne modulation de terrasses dans le vignoble le plus élevé d’Europe, à Visperterminen dans le Valais.

La beauté d’une technique culturelle parfaite

La structure en terrasses peut aussi être attribuée aux différentes manières de travailler le sol. En Haut-Valais, où l’on a longtemps utilisé la houe, les terrasses sont moins distinctes les unes des autres que dans les Grisons, où l’usage de la charrue a laissé des terrasses plus marquées et parallèles à la ligne de pente.
Dans les Alpes, les terrasses commencent juste au-dessus du niveau de la plaine avec des cultures des climats secs et chauds (par exemple pour la viticulture) et s’élèvent jusqu’à 1700 mètres d’altitude (pour les terrasses agricoles). A l’origine, on a cultivé sur les terrasses presque exclusivement des céréales (avant tout le seigle et l’orge) plus tard en rotation des cultures, des pommes de terre: «C’était dur de moissonner. Il fallait toujours travailler courbé avec la faucille. On faisait cela souvent le matin, car l’après-midi le soleil nous aurait rôtis». (Viktoria Lehner-Rieder, une paysanne âgée de la vallée du Lötschental, Valais).
Au Sud des Alpes, la culture du chanvre et du lin ainsi que les châtaigneraies étaient répandues sur les terrasses.
Sur la Riviera Ligure, les terrasses, larges de seulement 3 à 5 mètres, servaient au Moyen-âge principalement à la viticulture, à la culture de figuiers, de légumes et d’agrumes; les arbres fruitiers ont souvent été combinés avec des cultures annuelles («terra aggregata»).
A moyenne altitude jusqu’à environ 700 mètres se répandaient les oliveraies, qui se sont imposée avant tout à partir du XVIe siècle et qui souvent avoisinaient les châtaigneraies. Le terrain en gradins s’étirait encore jusqu’à plus de 1000 m de hauteur où l’on cultivait autrefois le seigle et récoltait le foin.
Au plus tard, depuis le XVIe siècle, la Côte d’Azur (Grasse) était connue comme le centre important de la production de plantes aromatiques (lavande) qui étaient aussi plantées sur des terrasses.

La destruction du paysage

Le rayonnement d’un tableau, d’une sculpture ou d’un morceau de musique ne peut pas «s’expliquer» par les divers coups de pinceaux, par les divers modelages ou les diverses notes. Dans la valeur esthétique, l’ensemble est beaucoup plus que la somme des divers éléments. D’un autre côté, déjà une petite défaillance peut troubler tout l’ensemble. Il en va de même de la valeur d’un paysage. Une nouvelle route, un poteau électrique ou un mur bétonné peuvent troubler l’impression générale d’une image paysagére intacte de façon souvent décisive.

Destruction par intensification ou par abandon de l’exploitation

Les paysages historiques en terrasses comptent aujourd’hui parmi les formes de paysages les plus menacés d’Europe. Leur déclin est dû à deux évolutions contradictoires: l’intensification et l’abandon de l’exploitation.
Dans le cadre d’améliorations foncières, les parcelles ont été agrandies et les pentes uniformisées. Des haies, des blocs erratiques, des proéminences et des fossés naturels ont souvent été sacrifiés au schématisme du géomètre. Des murs ont été bétonnés et des ruisseaux mis sous canalisation pour cons­truire des routes en faveur de l’exploitation mécanisée.
L’autre voie du destin conduit au déclin: On cesse d’abord les cultures et l’on exploite les terrasses en les pâturant ou en les irriguant et fauchant - et puis - comme dans de nombreuses régions du Tessin, du Valais ou du Nord de l’Italie – dans les champs terrassés jadis arrachés à la nature avec beaucoup de peine, la forêt reprend ses droits. Les murs en pierres naturelles s’effondrent lentement. Là où l’on a reconnu le rôle des murs pour retenir l’érosion et la chute de pierres, ils sont remplacés par des murs en éléments de béton sans valeur esthétique. Finalement, le savoir-faire des maçons pour reconstruire les murs en pierres sèches fait défaut.

Destruction par de nouvelles constructions

La dispersion énorme de l’habitat de loisir dans les vallées alpines proches des côtes ainsi que la construction effrénée de serres a isolé et détruit de nombreux paysages en terrasses. La construction de nouvelles routes dans des secteurs aux pentes raides dévore des terrasses et exige d’imposants murs de soutènement, souvent construit comme murs cyclopéens détruisant ainsi l’image d’ensemble.
Inaperçue de la plupart de la population, l’œuvre de destruction se poursuit insidieusement et irréversiblement, une œuvre d’art unique et un bien culturel du paysage disparaissent.

Le paysage revalorisé

La valeur de paysages traditionnels proches de la nature a été reconnue ces dernières années. Dans toute l’Europe de plus en plus de projets visent à conserver les paysages traditionnels encore intacts et à revitaliser ceux qui ont été dégradés. Il faut citer la nouvelle Convention européenne du Paysage du Conseil de l’Europe, les réserves de biosphère, et la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO ainsi que de nombreux projets à l’échelle nationale, régionale et locale.
En Suisse la Confédération a créé en 1991 la Fondation suisse pour la Protection et l’aménagement du paysage (FP) qui soutient financièrement des projets en faveur de la sauvegarde et la revalorisation du paysage. Le sponsoring écologique par l’économie privée a aussi augmenté.

L’entretien du paysage est «à la mode»

Bon nombre de ces projets concernent les paysages en terrasses. Ainsi ont été crées à Tschlin, Ftan et Ramosch dans la basse Engadine des initiatives de partenariat avec les communes, les paysans et d’autres personnes intéressées.
D’autres projets sont en cours dans les vignobles traditionnels du Schenkenbergtal (AG), en Valais et dans le Vallemaggia (TI). La fondation Valle Bavona (TI) a entrepris avec les habitants de la vallée le débroussaillement et l’entretien des anciennes parcelles terrassées tout autour des hameaux pour la culture de céréales et la viticulture.
De nouvelles formes de l’obligation à l’entretien du paysage, des prés communautaires et du bénévolat sont discutées actuellement à beaucoup d’endroits, ainsi par exemple dans les Cinque Terre. Il n’est pas rare que des jeunes, des chômeurs des groupes de service civil ou des gens intéressés prennent part à des engagements d’entretien, en collaboration avec les propriétaires et les paysans sur place.
Le paysage devient ainsi pour eux un lieu d’identification.
Dans le travail concret se trouve donc aussi une réponse à notre recherche d’un travail sensé.

De nouvelles formes d’exploitation d’intérêt écologique sont nécessaires

Pour le maintien de ces paysages difficiles à exploiter, il est nécessaire de trouver de nouvelles formes d’exploitation avec la possibilité de commercialisation. Une mécanisation douce doit être développée. Pour les travaux extensifs d’entretien des murs, d’escaliers et de mise en exploitation viable, des solutions financières doivent être trouvées. Des projets concrets d’entretien de paysages permettent la production de produits écologiques comme des plantes médicinales, d’anciennes sortes de céréales, des pommes de terre, du vin et des châtaignes.
Par leur travail, les cultivateurs et les groupes d’entretien produisent un paysage culturel proche de la nature, plus intéressant du point de vue économique sous le signe du tourisme doux lié à la nature et à la culture actuellement en plein essor.

Aidez-nous à sauvegarder les paysages en terrasses!

Les paysages en terrasses, gravement menacés de nos jours, appartiennent aux grands chef-d’œuvres culturels des hommes, comparables aux œuvres d’art dans d’autres domaines comme par exemple Verdi, Cézanne, Rodin ou Dante.
Il s’agit d’un héritage collectif dont nous profitons tous, dont nous sommes aussi tous responsables.
Cependant, les connaissances par rapport à ces paysages sont encore restreintes. En outre il manque une vue d’ensemble détaillée des précieux paysages en terrasses encore intacts en Suisse et en Italie. Il est grand temps de réunir nos forces pour sauvegarder ce trésor resté inaperçu jusqu’à présent.
C’est pourquoi nous profitons de l’occasion de cette exposition pour lancer un appel à soutenir notre engagement pour la sauvegarde des paysages en terrasses. Faites-nous savoir, si vous êtes intéressés par un projet d’entretien.     •
(Traduction Horizons et débats)

Pour de plus amples informations concernant les lieux des expositions futures, vous pouvez vous adresser à:
Raimund Rodewald – directeur de la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage Regions: tel. +41 31 312 20 01, fax +41 31 312 57 81,
e-mail: info@sl-fp.ch/www.al-fp.ch
Ecomuseo die Terazzamenti e della Vite, Comune di Cortemilia, Corso L. Einaudi 1, I-12074 Cortemilia-CN Tel. +39017381027, Fax +39017381154,
E-Mail: ecomuseo@comunecortemilia.it
Conception de l’exposition: Fondation suisse pour
la protection et l’aménagement du paysage (FP) – Fondazione svizzera per la tutela del Paesaggio (FP), Ecomuseo dei Terrazzamenti e della Vite di Cortemilia, en coopération avec le Gruppo Foti­grafico Albese
Patronage: Commune de Cortemilia, ETM pro Loco Cortemilia, ECOVAST European Councii for the Village ans Small Town, GALAlta langa – Progetto di Cooperazione transnazionale sui paesaggi terrazzati.