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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°1/2, 14 janvier 2008  >  Pas d’enseignement au service du profit et de la guerre! [Imprimer]

Pas d’enseignement au service du profit et de la guerre!

Analyse de livre

Un plaidoyer contre une école et une université sous le diktat de l’économie

par Anne Schumacher

Selon un lecteur s’exprimant sur amazon.de, le livre de Jochen Krautz est «une bombe dans la discussion sur l’école». Il a raison: là, on comprend soudainement pourquoi à l’école, les enseignants se stressent jusqu’à s’essouffler et pourquoi dès la troisième classe de l’école primaire, les parents irrités réfléchissent sur ce que deviendront leurs enfants. On comprend pourquoi les cycles universitaires transmettent plus qu’un savoir réduit aux étudiants et pourquoi ceux-ci n’apprennent plus à penser. De même, les raisons et la manière dont on utilise l’hystérie concernant le programme PISA pour transformer le système éducatif selon des critères d’efficience économiques sont mises en évidence.

Jochen Krautz propose un ouvrage extrêmement important, rafraîchissant et amusant à lire et qui réussit à présenter des bases pédagogiques et des analyses politiques pro­fondes de manière compréhensible à tous. C’est un livre très intéressant à lire malgré ou peut-être grâce à la densité des informations et à la très bonne recherche des raisons de l’évolution dans le système éducatif. C’est aussi un livre qui propose des solutions en recentrant de nouveau l’être humain dans un monde orienté de plus en plus vers la mondialisation et dont le credo est le profit maximum. Un livre obligatoire pour les parents, les éducateurs, les enseignants et tous les citoyens qui s’opposent à ce que le système éducatif soit ôté de nos mains et qui ne sont pas d’accord que leurs enfants et adolescents soient formés pour servir les intérêts du profit et du commerce de la guerre.

A quelle fin voulons-nous éduquer nos enfants?

Jochen Krautz soulève la question fondamentale qui préoccupe chaque éducateur, chaque enseignant et tous les parents: à quelle fin voulons-nous éduquer nos enfants?
Le livre «Ware Bildung» (L’enseignement considéré comme une marchandise) qu’on attendait depuis longtemps, paraît à une époque où le programme PISA – réalisée par l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique) – est dans toutes les bouches, où la politique et l’économie exigent plus de performance, de discipline et d’efficience de même qu’un soutien renforcé de l’élite, à une époque où les écoles et les facultés sont recouvertes par une vague de réformes.
En quoi consiste vraiment l’éducation? Que se passe-t-il actuellement en Alle­magne dans le système éducatif? Ce qui se déroule aujourd’hui à l’école et à l’université a-t-il vraiment encore à voir avec l’éducation dans le sens d’une «éducation de l’homme» comme elle est exprimée dans l’ancien modèle d’éducation de la culture humaniste occidentale?
Jochen Krautz présente de manière détaillée et pas à pas une image très distincte du paysage scolaire et universitaire d’aujourd’hui et montre grâce à une analyse précise des développements dans ce domaine que dans l’en­seigne­ment actuel notre jeunesse est subor­donnée à des intérêts économiques prioritaires. Il démontre de manière compétente et distincte les changements qui ont conduit dans le contexte de la mondialisation à une récupération de notre système éducatif au profit d’intérêts idéologiques et économiques. Le programme PISA, la restructuration du sytème scolaire et universitaire en une entreprise du secteur privé, dans lequel l’élève est le «client» et l’enseignant le «prestataire de services», de même que les privatisations ambitionnées dans le domaine scolaire et universitaire prouvent que l’éducation est de plus en plus soumise à des exigences d’efficience économiques. Des standards de performance, des évaluations et des classements comparés au niveau international sont placés au premier plan, et non plus l’éducation et la formation grâce auxquelles ­peuvent se développer des citoyens émancipés.
L’auteur, qui était lui-même enseignant et travaille à présent dans une université pour la formation des professeurs d’art plastique, prend le temps d’expliquer dans le 1er chapitre de son livre ce qu’est en fait l’éducation, chose bienfaisante dans le débat actuel sur les standards de performance, les classements comparés et les évaluations.

Priorité à la formation de l’individu

Il place ici au centre la formation de l’individu. Il décrit l’éducation en tant que processus intérieur qui a seulement lieu lorsque le jeune être humain – selon la nature humaine – en relation avec autrui, approfondit une matière, s’approprie un savoir et développe une position propre. Selon Krautz, les contenus des diverses matières éducatives sont des éléments formateurs de la personnalité.
Il rappelle que l’école a une mission pédagogique qui est ancrée dans la Constitution. Ainsi, il est écrit à l’article 7 de la Consti­tution de la Rhénanie du Nord:

«(1) Le but de l’éducation est avant tout la vénération de Dieu, le respect de la dignité de l’homme et la volonté d’éveiller l’activité sociale.
 (2) La jeunesse doit être éduquée dans un esprit humain, démocratique et libre. Elle doit apprendre à accepter et respecter la conviction d’autrui, à se sentir responsable de la préservation des ressources naturelles, par amour pour le peuple et la patrie, pour la communauté des peuples et l’esprit pacifique.»

Cet article est placé en tête des directives de toutes les formes d’enseignement.

Une éducation au profit de la liberté, de l’humanisme, de la responsabilité envers soi-même et le bien commun

Le but et la mission pédagogique de l’enseignement scolaire est donc d’éduquer l’individu à la liberté, à l’humanisme, à la responsabilité envers lui-même et le bien commun, c’est-à-dire à le rendre capable d’analyser le monde intérieurement.
D’après Krautz, l’être humain ne doit en aucun cas être soumis à des fins politiques, religieuses ou économiques. Même si le jeune homme ou la jeune fille doit s’engager dans un contrat de travail à la fin de sa scolarité, les besoins de l’économie ne doivent pas prévaloir sur l’éducation. Le but devrait avant tout être une éducation approfondie de la personne humaine pour tous.
Même l’université «doit rendre l’être apte à l’indépendance, à la liberté et à la responsabilité afin qu’il puisse en tant que citoyen servir la chose publique que cela soit dans l’économie, la vie publique, la politique, la culture ou ailleurs.» (p. 33)
Cependant, selon Krautz, la recherche et l’enseignement ne peuvent être seulement et vraiment indépendants des intérêts politiques et économiques que si l’Etat, l’économie et l’Eglise «se tiennent à l’écart des affaires universitaires». L’impartialité de l’université (et ainsi l’indépendance de la science et de l’enseignement) est garantit seulement si l’Etat et non des entreprises privées ou orientées vers le bénéfice financent les universités.
C’est uniquement de cette manière que des individus indépendants et critiques dans la réflexion pourront être formés et qu’ils pourront – indépendamment d’influences politiques ou économiques – apporter une contribution au niveau professionnel à la société. Des êtres qui s’occupent de manière compétente et critique des questions relatives au bien public et qui peuvent ainsi assumer leur responsabilité envers le bien commun au sein d’une société démocratique.
Jochen Krautz écrit que «l’université n’est pas un fournisseur des multinationales de l’automobile ou de l’informatique et elle n’est pas non plus une machine à former des spécialistes à gros salaire. C’est une perversion de son idée.» (p. 33)
Ces affirmations fondamentales et pré­cieuses sur l’enseignement scolaire et universitaire offrent en outre au lecteur une base lui permettant de juger ce qui a lieu actuellement dans le système éducatif allemand et européen en général.

Les réformes permanentes de l’enseignement ont conduit à une crise de l’enseignement

Dans le 2e chapitre de son livre, Jochen Krautz analyse la situation réelle du système pédagogique en Alle­magne. Il montre de manière fondée et compétente le développement des dernières décennies dans lesquelles les réformes permanentes de l’enseignement ont eu lieu. Plusieurs facteurs et évolutions ont réellement conduit dans le pays à «une crise de l’enseignement».
A juste titre, Krautz avertit que la mission pédagogique et éducative de l’école et de l’université est sortie de plus en plus du champ visuel pédagogique. Ainsi, il rappelle l’influence de différentes théories pédagogiques qui s’exprime aussi bien dans les différentes formes d’enseignement que dans le style éducatif des parents. Krautz parle de «l’esprit du temps pédagogique», qui propose des solutions qui ne le sont pas. De manière pertinente, il cite le spécialiste en matière de pédagogie Bernd Ahrbeck qui parle de «l’oubli général d’éduquer», c’est-à-dire la négligence et la gâterie de même que l’influence des médias qui ­offrent à nos enfants et adolescents des mondes virtuels déshumanisés et pervers empêchant ainsi nos jeunes à se développer de manière à pouvoir apporter leur contribution positive et humaine à notre société.
Krautz cite des études importantes re­latives aux effets de la violence médiatique sur les résultats scolaires et le développement de la personnalité et conclut que des théories erronées, des réformes inutiles et un esprit du temps hostile à l’instruction et par ailleurs une influence médiatique énorme rendent nos adolescents susceptibles à la «mentalité de fauve» qui est de plus en plus exigée par le système de la mondialisation.

«Le test PISA vise l’homo oeconomicus»

La misère du système éducatif réellement constatée en Allemagne est soi-disant mesurable par le programme PISA. Jochen Krautz analyse minutieusement le contenu réel du programme PISA. Au moyen de recherches précises et fondées, l’auteur fait une analyse critique de cette étude. Il montre clairement à l’aide de références que le programme PISA donne une propre définition du terme d’éducation qui fait effet de norme et qui remplace le terme ancré dans la Constitution par un succédané bon marché. Krautz cite le spécialiste de l’histoire de l’antiquité, Manfred Fuhr­mann, qui après avoir analysé au niveau du contenu l’étude PISA conclut:
«Le test PISA vise l’homo oeconomicus. Il s’agit ici des conditions de vie matérielles, de l’utilité et du profit. […] Le test renonce rigoureusement à tous les autres domaines de la culture.»
L’étude PISA ne mesure donc pas la formation humaine mais vise une réflexion orientée vers des fins pratiques et vers l’utilité économique d’un savoir fonctionnel. En conséquence, PISA teste uniquement ces prétendues «compétences», c’est-à-dire en formulant plus étroitement, des aptitudes axées sur la pratique. Ci-dessous, on expliquera encore plus exactement la manière dont ce «terme de compétence» a été instauré intentionnellement par l’OCDE.
Outre cette analyse du contenu, Krautz montre très précisément les déformations, les fautes dans les mesures et les interprétations erronées de PISA. Il montre qu’on peut lire entre les lignes de l’étude PISA tout ce qui est actuellement politiquement correct. Ainsi, les revendications pour une scolarisation prématurée, pour un accès flexible entre les cycles, pour une école avec des journées complètes et des examens centraux sont toujours justifiés par les prétendus résultats de l’étude PISA. Cependant, les résultats effectifs de l’étude, tel qu’un horaire moins chargé pour l’enseignant ou qu’un apprentissage dans des ­classes plus petites qui seraient importants pour obtenir un bon diplôme de fin de scolarité ne sont pas discutés car ils ne sont pas désirés au niveau politique. Selon Krautz, même le psychologue scolaire ­Dollase explique qu’on ne peut déduire des résultats de l’étude PISA aucune conclusion sur des méthodes d’enseignement particulièrement efficaces. Quand bien même, ce serait «l’enseignement frontal» tant attaqué qui ferait augmenter les performances scolaires. Il conclut que les unités d’enseignement ouvert n’ont guère d’influence sur une bonne instruction.
Krautz constate que «l’OCDE a l’audace, à l’aide de son programme PISA, de définir le terme d’éducation à sa propre manière, de l’imposer comme norme au niveau international au système éducatif et de le rendre obligatoire au moyen de la pression des résultats des tests. Elle empiète ainsi de façon non déclarée sur des missions suprêmes et sur l’autodétermination des citoyens.» (p. 92)
Il explique que ce sont des entreprises privées – qui se font passer pour des instituts de recherche – qui profitent directement du flux international de tests d’évaluation.
Ces «Global Players» dans le secteur de la prestation de services en matière d’instruction se désignent en partie eux-mêmes comme «corporations multimillionnaires». PISA a développé une de ces entreprises et a vendu jusqu’à présent le test à 58 Etats. «Dès le début, on a habilement conçu PISA comme étude en plusieurs parties […]. Du fait qu’avec la réalisation de ces tests, on pousse en même temps une instruction axée sur le contenu de ceux-ci, on se crée alors un gigantesque marché croissant.» Au sens étroit, le succès économique du programme PISA consiste donc «à créer et à accéder à des commandes de tests de performances scolaires faites par l’Etat. En fait, il s’agit ici d’un marché global en essor avec en perspective des taux de croissance impressionnants.» (p. 92)
Krautz soulève à ce point de son analyse la question de savoir ce que «l’écono­misation de l’éducation» signifie réellement et comment l’OCDE et les autres organisations économiques en viennent à prendre de l’influence dans ce secteur.
Krautz distingue trois aspects écono­miques apparaissant dans le domaine de l’éducation:
1.    L’économisation du contenu des matières instructives: Cela signifie qu’on axe le contenu des matières pédagogiques et éducatives sur un savoir économique nécessaire, sur des connaissances et des compétences dont on a besoin dans la vie économique actuelle.
2.    L’économisation des prestations de ser­vices dans le domaine de l’enseignement: Cela signifie que l’enseignement même devient une marchandise négociable. D’une part, on se réfère ici à la privatisation des écoles et des universités. D’autre part, il s’agit également de la commercialisation déjà décrite plus haut de programmes pédagogiques comme produits, en fait de la commercialisation d’un savoir standardisé et orienté vers la pratique (par exemple le «e-larning»).
3.    L’économisation des institutions éducatives et des relations pédagogiques: Cela concerne aussi bien la restructuration relative à la direction interne des institutions éducatives et de leur administration, dont la gestion est orientée vers un modèle d’économie d’entreprises, que l’instauration d’une compétition entre les écoles et entre les universités.

La commercialisation de l’éducation compromet les relations humaines et la transmission des traditions culturelles

Au regard de la situation décrite à propos du système éducatif en Allemagne, l’idée selon laquelle les écoles et les universités sont à gérer en vue d’une efficience économique, apparaît a priori compréhensible. L’hypothèse de départ est qu’avec le principe de la compétition, on peut améliorer les performances. Mais, peut-on améliorer l’éducation au moyen de la compétition? Cette hypothèse invéri­fiable conduit à un réaménagement radical du système scolaire et universitaire en organisations dirigées selon des critères d’efficience. Cependant, on n’en reste pas à une réorganisation extérieure, mais selon l’auteur «l’économisation de l’éducation empiète directement sur la substance même du travail relatif à l’éducation et à la formation. Elle compromet les relations humaines et la transmission des traditions culturelles.» (p. 99)
Dans le 3e chapitre de son livre, Krautz dévoile les slogans actuels utilisés dans l’économisation de l’instruction et les désignent comme chimères de gestionnaires.

Il s’agit de rendre l’homme disponible pour les besoins de l’économie

Les slogans tels que le capital humain, l’orientation vers la rentabilité, la compétence, l’apprentissage durable, le développement de la qualité et l’efficience visent tous à rendre le savoir utilisable pour l’économie. L’éducation dans son sens fondamental n’est plus demandée. Au contraire: l’instruction est réduite à un savoir et une compétence nécessaire pour pratiquer une profession. A ce sujet, un des défenseurs de la théorie du capital humain écrit: «Il n’est pas indécent mais plutôt simplement nécessaire de considérer ‹le capital humain› comme facteur de production dans lequel plus on investit, plus les taux de rendement attendus seront élevés.» (p. 116) L’OCDE, déjà mentionnée ci-dessus, a publié en 2007 un livre intitulé «Le capital humain»! Le terme de compétence déjà mentionné en rapport avec l’étude PISA fait allusion à la capacité de savoir s’adapter aux besoins de l’économie. La notion de compétence prônée par l’OCDE vise «à une adaptation intérieure de la personnalité à des fins économiques». Aujourd’hui on nomme cela «Corporate Identity», c’est-à-dire que l’employé s’identifie entièrement aux buts et valeurs fixés par son entreprise. Il s’agit donc de rendre l’homme disponible pour les besoins de l’économie: des entraînements pour l’amélioration de compétences et l’établissement de profils de compétence à l’aide de tests de performances comparés doivent permettre de dresser des profils de personnalité qui devront être évalués durablement. Krautz écrit: «Ici aussi pour parler clairement: on ambitionne des profils de personnalité avec des manières de voir, des valeurs et des attitudes identiques chez chaque élève et chaque futur employé.» (p. 133) C’est dans ce contexte que l’on doit également voir la documentation relative à l’instruction des enfants des écoles maternelles dans le Land de la Rhénanie du Nord.
Enfin, il faut encore ajouter quelque chose concernant l’expression «orientation vers la rentabilité» forgée par la Banque mondiale: Krautz, lui-même actif dans le service universitaire, décrit les conséquences de cette expression dans ce domaine de la manière suivante:
«En Rhénanie du Nord, les universités sont financées uniquement d’après le nombre de leurs candidats aux examens, d’après le ­nombre de leurs candidats au doctorat et d’après le montant de l’argent qu’elles reçoivent de l’extérieur, c’est-à-dire de parties tierces, par exemple d’entreprises privées et de fondations. En même temps, les subventions étatiques sont réduites. Comme le quota des candidats aux examens doit augmenter en même temps que les moyens financiers diminuent, il va de soi que la qualité baisse.» (p. 122)

D’énormes subventions pour quelques universités d’élite

Dans ce contexte, l’auteur rappelle le développement de beaucoup d’universités en universités de masse qui, suite au manque de ressources financières, de place et de personnel, ne sont simplement plus capables de maintenir un certain niveau d’instruction. Aussi, au lieu de permettre une instruction étendue pour tous, des moyens énormes sont libérés pour quelques universités d’élite. Effectivement, des chefs d’entreprises de haut rang siègent par exemple au Conseil d’administration de l’Université de Munich et contrôlent le recteur et le président. Une telle influence n’a plus rien à voir avec une université autonome autogérée par les membres de l’Université eux-mêmes selon le principe de collégialité. En Rhénanie du Nord par exemple, des établissements d’enseignement supérieur de­viennent suite à la «loi relative à la liberté des universités» des «corporations de droit public». Ainsi, elles se gèrent elles-mêmes selon des critères issus de l’économie privée et peuvent de ce fait devenir insolvables. Un autre détail – en relation avec le fait formulé au 1er chapitre que les buts éducatifs et pédagogiques sont liés à la Constitution – est que justement cet engagement envers la loi fondamentale disparaît. Le but d’une éducation pour la démocratie et l’humanisme, ancré dans la Constitution, est-il également supprimé au cours de l’économisation?

Une forme de préparation intellectuelle et morale à une économie globale liée étroitement à la guerre et à l’exploitation

A cet endroit, Jochen Krautz pose à juste titre la question suivante: «La commercialisation de l’instruction, qui ne forme plus de façon adéquate la réflexion, l’empathie et la responsabilité, ne serait-elle pas une sorte de préparation intellectuelle et morale à une économie globale liée étroitement à la guerre et à l’exploitation?».
Simultanément avec l’introduction des cycles de Master et de Bachelor en Allemagne – qu’on justifie par la soi-disant possibilité de comparaison au niveau européen – on atteint un nivellement du niveau d’instruction et une réorganisation des contenus axée sur la rentabilité.
Des agences privées ont obtenu le droit de décider de l’admission des candidats aux divers cycles d’études supérieures dans différentes universités, et les ministères de l’Education se retirent de cette tâche relevant normalement de la souverainité de l’Etat. Des entreprises privées prennent intentionnellement de l’influence sur le contenu des matières pédagogiques, l’indépendance du système éducatif n’est plus garantit. Ainsi, l’individu devient disponible et maniable pour les besoins économiques.

La commercialisation de l’enseignement en tant que marchandise

Dans le 4e chapitre de son livre, l’auteur discute un autre aspect de l’économisation de l’éducation: la commercialisation de l’éducation en tant que marchandise avec pour but d’obtenir un profit maximum.
A ce sujet, l’apprentissage sur ordinateur et l’Internet offrent des perspectives de profit toutes particulières. Selon des estimations, le volume financier du marché global de la formation s’élève à environ 2200 milliards de dollars par an. Comme le marché européen est bientôt saturé, a déjà eu lieu en 2007 la deuxième conférence internationale «eLearning Africa», sponsorisée par des multinationales géantes comme Microsoft, Hewlett Packard et d’autres. On ouvre ici un autre grand marché pour encaisser un bénéfice maximum. On peut se poser la question si l’Afrique a vraiment besoin de cette forme de soutien occidental. En outre, selon le modèle du «Partenariat Public-Privé» (PPP), des écoles publiques sont construites et gérées par des entreprises privées, l’Etat loue ensuite cette école souvent pour une durée de 25 ans. On prétend qu’à une époque où les caisses publiques sont vides, celà est meilleur marché. En fait, le contribuable paie pendant des années des millions à des entreprises privées et n’a au terme de la location aucun établissement scolaire.
Une autre aggravation de cette tendence est l’entretien et la gestion d’établissements scolaires par des entreprises privées prestataires de services. L’auteur nomme ici l’entreprise Serco qui gère déjà une prison en Hessen, une partie d’un centre d’entraînement au combat de la Bundeswehr en Saxe-Anhalt et participe en Angleterre à la production et à l’entretien de bombes atomiques britanniques. Krautz nomme une autre entreprise qui dans ce domaine empiète non seulement sur l’administration extérieure d’institutions publiques, mais prend aussi intentionnellement de l’influence au niveau du contenu: Avarto, une filiale entièrement aux mains du groupe Bertelsmann, assume déjà la gestion de toute une commune dans la région de East Riding en Angleterre. L’auteur signale qu’«ici aussi, une multinationale générant un bénéfice annuel de 367 millions de dollars se trouve prêt au départ.» (p. 164)

Un marché gigantesque pour encaisser des profits

A l’aide d’autres exemples de PPP dans le domaine universitaire (UT de Berlin, UT de Munich), Krautz dévoile en quoi consiste la prise d’influence de l’économie et des «Global Players»: un marché gigantesque pour encaisser des profits au détriment d’une éducation pour tous orientée vers le bien commun. L’auteur montre qu’ici aussi, on enterre la revendication de Humboldt sur l’indépendance de la recherche et de l’enseignement: «Ce qui n’est pas négociable, ne fait pas l’objet de recherche: la manipulation génétique est hautement lucrative. […] La demande concernant la recherche fondamentale dans le secteur de l’armement est forte. […] Une science politique qui pratique la recherche dans le domaine de la paix, meurt petit à petit.» (p. 170)
Dans ce contexte, Krautz rappelle qu’avec un enseignement public devenant toujours plus mauvais, le marché pour les investisseurs privés devient toujours plus grand et plus lucratif. «Car c’est seulement lorsque l’instruction en tant que bien public devient rare qu’il en résulte une demande privée. […] Chacun doit payer lui-même ce que l’Etat ne met plus à disposition.» (p. 160)
Ainsi, il est intéressant de lire la liste détaillée de telles entreprises: des écoles privées financées par des entreprises du secteur privé (comme l’école Phorms à Cologne), de nombreux instituts offrant des cours de soutien (par exemple le «Studienkreis», une entreprise détenue par le groupe d’édition Cornelsen, ou bien la «Schülerhilfe», une filiale du plus grand fournisseur privé de cours de soutien aux USA, Sylvan Learning Center).
Selon Krautz, on peut ainsi «reconnaître de quelle manière on peut gagner de l’argent sur le marché international de l’instruction, de quelle manière les multinationales dans le domaine de l’éducation créent leurs filiales dans le monde entier et profitent du mauvais état des écoles publiques». (p. 178)
Dans le 5e chapitre, Krautz pose la question, pourquoi cette économisation de l’éducation a lieu dans toute l’Europe, voire dans le monde entier en même temps.
L’auteur nomme au niveau mondial le Fond monétaire international (FMI) et la Banque mondiale dont il décrit la prise d’influence sur la privatisation et l’économisation à l’aide de différents exemples venant d’Argentine et du Sénegal. Ce qui est la plupart du temps passé sous silence, selon l’auteur, c’est que «ce sont le FMI et la Banque mondiale qui forcent les Etats à baisser leurs dépenses et que ce sont justement les pauvres qui peuvent le moins se payer le libre choix de l’école. La Banque mondiale planifie et force l’économisation de l’éducation à tous égards. Les concepts relatifs aux réformes coïncident exactement avec ceux en cours en Allemagne par exemple.» (p. 202)
L’Organisation mondiale du commerce (OMC) joue un rôle de précurseur dans la libéralisation du commerce mondial: Depuis 1995, des négociations sur le commerce dans le secteur des prestations de services sont conduites suite à l’Accord général sur le commerce des  services (AGCS).
«L’AGCS veut […] libéraliser et privatiser le plus grand nombre possible de prestations de service et les rendre accessibles aux investisseurs privés. Outre l’école, cela concerne également l’approvisionnement en eau, les moyens de transport, le système de santé.» (p. 203)

Sans légitimité démocratique, l’école est livrée au libre marché

Ici aussi, pour séparer un système éducatif en «prestations de services», le «produit» école doit être divisé en différentes parties qui sont alors offertes en tant que prestation de services au libre marché. Ainsi, sans participation des citoyens et sans légitimité démocratique, l’école est livrée au libre marché. Cependant, selon Krautz, ce que presque personne ne sait, c’est qu’on peut sortir de l’AGCS!
Le rôle que joue l’OCDE au niveau européen était déjà distinct lors de la discussion sur l’étude PISA. Ici aussi, il s’avère que «l’enseignement et l’école sont soumis sans limites aux libre marché. Et que cela est mis en pratique sans être contesté par la politique, accompagné de manière bienveillante par une partie des scientifiques et soutenu par de nombreux médias.» (p. 207)
Comme l’économisation de l’enseignement ne peut pas être considérée sans prendre en compte le rôle des médias, Krautz consacre dans la dernière partie de son livre un chapitre entier à la fondation Bertelsmann.
Depuis des années, ce regroupement d’entreprises est décrit comme «ministère secret de l’Education» en Rhénanie du Nord. Bertelsmann est la plus grande entreprise médiatique en Europe et prend la cinquième place au niveau mondial. Avec un chiffre d’affaires de 19 milliardes d’euros par an et un bénéfice annuel de plus d’un milliard d’euros, «la Bertelsmann SA […] est une multinationale avec un énorme pouvoir, précisément dans le domaine médiatique qui forge la conscience publique». (p. 213) L’auteur montre une fois de plus à l’aide de cet exposé concernant ce colosse médiatique, comment la prise d’influence d’un «Global Player» dans le domaine de l’éducation se fait.
Que faire?
Dans son dernier chapitre, Krautz rappelle que les développements décrit dans le domaine de l’enseignement ne sont pas forcés – malgré toutes les affirmations de l’économie et de la politique.
«On n’est pas contraint de jouer le jeu. On n’est pas obligé de renoncer à sa liberté. On peut quotidiennement s’engager pour une éducation et un enseignement humains.» (p. 223)

Résistance contre la commercialisation de l’enseignement et de la culture

L’auteur explique, qu’il existe en ce moment au niveau politique une résistance contre la commercialisation de l’enseignement et de la culture.
En 2005, l’Unesco par exemple, la sous-organisation des Nations Unies responsable de la culture et de l’éducation, a pris très clairement position contre une définition raccourcie et erronnée des termes culture et enseignement dictés par des intérêts économiques globaux.
Cette convention a été également ratifiée par la République fédérale d’Allemagne en mars 2007 et elle conteste explicitement la définition restreinte du terme culture fixée dans le traité de l’AGCS.
De la même façon, l’Assemblée des Régions d’Europe (ARE), c’est-à-dire la réunion des ministres des Régions d’Europe, responsables en matière d’éducation et de culture, exigent «que les domaines de l’enseignement, de la culture et des médias soient tirées des futures négociations de l’AGCS». (p. 225)
Entre temps, il existe beaucoup de prises de position et de «déclarations» venant de citoyens, de parents, d’enseignants de tous niveaux scolaires et universitaires qui critiquent la politique de l’enseignement axée purement sur l’économie: Par exemple, en octobre 2005, à la suite d’un congrès à Francfort, une platte-forme Internet a été créée, qui rassemble depuis de nombreuses prises de position critiques (www.forum-kritische-paedagogik.de).
La «déclaration de Beilstein» de 2006 doit être également mentionnée, dans laquelle avant tout des professeurs des universités techniques élévent leur voix et lancent l’avertissement suivant: «Nous nous opposons au fait que les jeunes gens soient considérés uniquement comme des ressources humaines, qui doivent se vendre sur le marché. C’est contraire à la dignité humaine. Les êtres humains ont un interêt vital pour l’instruction scientifique et une société démocratique a besoin d’individus formés scientifiquement afin qu’ils contribuent grâce à leurs connaissances scientifiques et à leur réflexion critique à la formation de l’opinion publique.» (p. 227)

La politique de l’enseignement est l’affaire fondamentale du citoyen

Mais avant tout, Krautz souligne l’importance de chaque citoyen. Il écrit: «Ne soyons pas dupes. La tâche, qui devient clairement visible avec le système éducatif, […] est plus grande: on doit établir une véritable démocratie. Et cela est le devoir de chaque citoyen.» (p. 233) Et il ajoute qu’«on peut voir au moyen du système éducatif, dans quelle mesure la réduction de l’autodétermination des citoyens est déjà avancée. […] Une culture démocratique est nécessaire. Et elle ne naît pas seulement par de nouvelles formes de votes, mais elle doit être vécue par tous les citoyens.» (p. 233)
L’auteur prend clairement position lorsqu’il écrit que «la politique de l’enseignement est l’affaire fondamentale des citoyens et qu’il s’agit finalement de renforcer cette conscience.» Il expose ses réflexions fondamentales sur la démocratie de la manière suivante: «La démocratie n’est pas un procédé, mais une forme humaine de vie, une attitude intérieure. Parce qu’une telle démocratie dépend de l’objectivité, de la raison et de la responsabilité une éducation libre est indispensable, le but central d’une belle éducation […] est la capacité de coopérer avec les autres, de chercher des solutions, d’avoir de l’empathie, de participer à la réflexion et d’agir de manière responsable. Une telle éducation serait la réponse adequate à la mondialisation, l’injustice et la guerre.» (p. 234)
Tant que scientifique, enseignant d’université et être humain, Jochen Krautz conclut son livre ainsi: la commercialisation de l’enseignement met en danger l’être humain dans son noyau intérieur et il s’agit ici de préserver la dignité et le respect personnel et de le renforcer.»
La perspective qu’il donne est – malgré tout – encourageante: «Il est possible ici, maintenant et à chaque instant, de contribuer à une solution et à chacun de la vivre. La solution est: humanité!» (p. 235)    •
(Traduction Horizons et débats)