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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°8, 25 février 2013  >  S’accorder mutuellement un crédit de confiance et de partenariat [Imprimer]

S’accorder mutuellement un crédit de confiance et de partenariat

Discours de Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères russe, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité 2013

Monsieur
le Président,
Mesdames et
Messieurs,
Je suis ravi d’être de retour à Munich pour participer à cette conférence qui est devenue le forum le plus respecté pour les discussions conceptuelles franches sur les questions de la politique européenne et internationale.
Il est difficile de ne pas reconnaître la valeur symbolique de la date de la réunion d’aujourd’hui. Il y a 70 ans, prit fin une des batailles les plus cruelles, meurtrières et lourdes de conséquences de la Seconde Guerre mondiale, la bataille de Stalingrad. Pour cette victoire, des centaines de milliers de mes compatriotes ont perdu leur vie au bord de la Volga. Ils n’ont pas seulement défendu leur patrie, mais ils se sont également battus pour la réalisation d’une paix universelle, de même que tous nos alliés.
L’objectif de ne plus permettre une répétition de la tragédie d’une guerre mondiale a été placé au centre des efforts diplomatiques qui ont conduit à la création de l’Organisation des Nations Unies. Mais peu de temps plus tard, la «guerre froide» a créé une ligne de démarcation à travers l’Europe empêchant ainsi pour de longues années la possibilité d’établir un système de sécurité collective, tel qu’il est inscrit dans la Charte des Nations Unies.

La Russie est orientée vers l’avenir

Je n’en parle pas pour lancer une nouvelle recherche de coupables. Faire appel au passé n’a aucun intérêt pour les hommes politiques sérieux. Comme le président de la Russie, Vladimir Poutine, l’a souligné dans son message à l’Assemblée fédérale en décembre, la Russie ne s’oriente que vers l’avenir. Pour cette raison, nous voyons le but de notre participation à la Conférence de Munich surtout dans le fait d’explorer des approches communes pour la mise en place d’une communauté de sécurité sur la base d’un partenariat véritablement stratégique. C’est justement cet objectif que les dirigeants des pays euro-atlantiques s’étaient fixé en 2010 lors du Sommet de l’OSCE d’Astana et de la réunion du Conseil Russie-OTAN de Lisbonne.
Il serait évidemment faux de dire que rien n’a été fait pour atteindre ce but précieux. La Russie et les Etats-Unis ont signé le Traité START, la coopération multilatérale dans la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue, la piraterie et les menaces émanant de l’Afghanistan est en train d’être élargie. L’abandon de la psychologie de la guerre froide a été officiellement annoncé. La ­Russie et les membres de l’OTAN ont déclaré ne plus se considérer comme adversaires.
Cependant, nous ne nous sommes pas­­­ réunis ici pour nous faire mutuellement des compliments et des éloges, mais pour trouver des voies afin de résoudre les problèmes qui sont toujours en suspens.

Le droit international en tant que fondement – cesser la politique des blocs

Si nous partons de cette position, il faut admettre qu’en réalité, non pas dans les paroles, nous sommes bien éloignés d’une architecture euro-atlantique se basant sur un fondement solide de droit international. Il faut aussi mentionner des tendances à ne pas aligner les relations concernant les questions militaro-politiques en Europe sur les principes proclamés au sein de l’OSCE et du Conseil OTAN-Russie, mais de travailler en faveur de la mise sur pied de structures sécuritaires centrées sur l’OTAN et n’offrant plus aucune alternative.
Nous sommes d’avis qu’une telle approche fondée sur les blocs n’est guère utile, et elle est difficilement compréhensible lorsqu’on part de réflexions objectives et rationnelles. Elle n’est guère utile pour la construction de la politique au sein de notre monde globalisé actuel, où les menaces nous concernent tous. Il est temps de considérer la totalité des relations euro-atlantiques de manière globale et sous tous ses angles, et d’essayer d’identifier quelles sont les démarches correspondantes et quelles sont les différences persistantes entre nous, y compris les conflits dans d’autres régions du monde qui affectent la sécurité de nous tous.

Des questions qui exigent des réponses honnêtes

Lorsque nous observons les principales régions en crise actuelles – le Proche-Orient, l’Afrique du Nord, le Sahel, il est difficile de se défaire de l’impression qu’il s’agit d’un espace courbe. En ce qui concerne les approches de certains de nos partenaires, concernant le printemps arabe, il y a bien des questions ouvertes. Peut-on justifier et soutenir des méthodes terroristes pour effectuer un changement de régime? Peut-on combattre quelqu’un dans un conflit et le soutenir dans un autre? Comment peut-on empêcher que des armes, qu’on a soi-même livrées illégalement dans une zone de conflit, soient utilisées contre nous-mêmes à la prochaine occasion? Lesquels des dirigeants respectifs sont légitimes et lesquels ne le sont pas? Quand peut-on coopérer avec des régimes autoritaires (laïques et très peu laïques), et quand a-t-on le droit de participer à leur renversement par la violence? Quels sont les cas où il faut respecter les forces au pouvoir élues démocratiquement et dans quels cas faut-il refuser d’entrer en contact avec elles? Quels sont les critères et les normes qui définissent tout cela?
Il est important de trouver des réponses communes et honnêtes à ces questions, d’autant plus que les pays euro-atlantiques, en ce qui concerne les objectifs ultimes des efforts pour régler les crises, montrent beaucoup plus d’aspects communs que de différences. Car en réalité, nous voulons tous que la stabilité se rétablisse au Proche- et Moyen-Orient, en Afrique du Nord et sur le continent africain tout comme dans d’autres régions, et que les conditions pour un développement durable soient créées afin que les peuples de ces Etats puissent progresser sur la voie de la démocratie et de la prospérité, de sorte que les droits de l’homme soient garantis, mais aussi l’approvisionnement sans trouble en hydrocarbures et en autres ressources vitales.

Laisser aux peuples le choix de leur propre chemin

Si cela sont nos buts communs, nous pourrons certainement nous mettre d’accord sur des «règles» transparentes et claires dont tous les partenaires externes devraient se laisser guider dans leurs démarches et actions. Alors nous pourrons nous mettre d’accord que nous soutiendrons ensemble les réformes démocratiques initiées dans les Etats qui ont accédé à des changements, sans vouloir leur im­poser une échelle de valeurs quelconque, et en acceptant qu’il y a un grand nombre de modèles de développemement divers.
Nous nous mettrons aussi d’accord, de soutenir le règlement pacifique des conflits internes par les Etats concernés et l’abandon de la violence, tout en créant les conditions pour un dialogue participatif de tous les groupes politiques nationaux. Nous nous mettrons également d’accord que – sans mandat explicite du Conseil de sécurite de l’ONU – nous nous abstiendrons de toute ingérence de l’extérieur, surtout à main armée, et que nous nous abstiendrons de l’imposition arbitraire de sanctions unilatérales. En outre, nous combattrons avec détermination l’extrémisme et le terrorisme dans toutes leurs formes et nous exigerons le respect des droits des minorités éthniques et confessionnelles. Je suis convaincu que si le 30 juin 2012 à Genève, tous les membres du «Groupe d’action» s’étaient employés de bonne foi à mettre en œuvre les approches élaborées en commun, nous n’aurions pas connu la situation tragique et horrible que vit actuellement la Syrie. Or, pour régler la question syrienne, il faut tout simplement respecter les engagements contractés sans rien exclure ni rien ajouter. C’est pour cette raison que nous proposons depuis longtemps d’organiser une nouvelle rencontre du «Groupe d’action» et j’espère que L. Brahimi, qui assiste à notre conférence, en prendra l’initiative.
Concernant l’évolution du «printemps arabe», il est grand temps d’abandonner les modèles et les mots d’ordre simplistes et de juger à leur juste valeur la situation et les divers scénarios possibles. Ce point de vue s’impose de plus en plus. Dans ce contexte, j’aimerais mentionner en particulier l’article de W. Ischinger, paru récemment dans la «Frankfurter Allgemeine Zeitung», où l’auteur présente des réflexions extrêmement intéressantes qui correspondent tout à fait à notre analyse de de la situation.

Les actions violentes augmentent le chaos – il nous faut des projets unificateurs

Si nous sommes intéressés à des activités communes au service du bien commun, nous devons regarder le monde tel qu’il est. Il faut reconnaître que toutes actions violentes (il ne faut pas chercher longtemps pour trouver des exemples) peuvent renforcer le chaos dans les relations internationales et provoquer des vagues d’instabilité devant lesquelles on ne peut pas se retirer sur une «îlot de stabilité». Le cours de l’histoire va en accélérant et en amont, il y a encore beaucoup de bifurcations où il va chaque fois falloir choisir entre des objectifs géopolitiques unilatéraux et le partenariat, entre des jeux à somme zéro et des efforts communs à la recherche de réponses aux défis du présent.
Beaucoup de ces bifurcations sont déjà visibles aujourd’hui. Il s’agit par exemple de l’avenir de l’organisation paneuropéenne OSCE. Actuellement les différends à l’intérieur de l’organisation vont en augmentant, parce qu’on essaie d’imposer aux autres ses propres normes pour les transformer en un instrument confrontatif et offensif, ce qui aggrave encore la crise systémique au sein de cette organisation. Ce qui est actuellement urgent, ce sont des projets unificateurs qui aident à homogénéiser l’espace européen et à trouver un consensus dans les questions sécuritaires fondamentales. Il y a encore une «fenêtre de lancement ouverte»: en décembre de l’année passée, on a décidé à la réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’OSCE de lancer le processus «Helsinki+40». Il faut espérer qu’on réussira, lors du jubilé de 2015, à définir un ordre du jour qui ne sera pas un échange d’accusations, mais qui reflètera la détermination de nous tous de nous concentrer sur la solution des devoirs stratégiques communs, partant de la mise en œuvre pratique du principe de la sécurité indivisible.

La fixation sur des peurs tenaces et persistantes empêche un réel partenariat

La question de la défense anti-missiles est devenue un test important pour voir à quel point les démarches pratiques correspondent aux déclarations solennelles concernant la reconnaissance de ce principe décisif. Nous risquons tous de perdre encore une fois une chance réelle de bâtir un espace euro-atlantique unique. La Russie propose une solution simple et constructive à savoir de s’accorder des garanties strictes que le bouclier anti-missiles américain global ne vise aucun pays de l’OSCE, et élaborer les critères militaires et techniques précis permettant d’évaluer la conformité des systèmes de défense anti-missiles aux objectifs déclarés que sont la neutralisation des menaces des missiles venant de l’extérieur de l’espace euro-atlantique.
Il est aussi important de clarifier la mission de l’OTAN sous les nouvelles conditions, non pas pour s’ingérer dans ce processus, mais pour qu’il devienne compréhensible pour nous. La progression vers un vrai partenariat entre la Russie et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord est encore empêchée par des tentatives d’avancer la thèse de la menace soviétique, transformée maintenant en la «menace russe». Les peurs phobiques sont souvent persistantes et nous observons que la planification militaire se modèle sur ces phobies. Malgré la pénurie financière, on observe une augmentation des activités militaires au Nord et au centre de l’Europe, comme si les menaces pour la sécurité augmentaient dans ces régions. Les projets pour la prochaine extension de l’OTAN et le renforcement de l’infrastructure militaire en direction de l’Est continuent comme si l’on n’avait pas déclaré au plus haut niveau que le maintien de lignes de démarcation sur le continent était de mauvais augure. Lors d’entretiens à ce sujet, certains de nos partenaires européens inventent de nouvelles lignes de démarcation et tentent de diviser artificiellement les projets d’intégration en «bons» ou «mauvais» projets et en «propres» projets ou en projets «étrangers».
Les exigences actuelles demandent des systèmes ouverts de sécurité égale pour tous
Actuellement on discute au sein de l’OTAN le modèle de «défense intelligente». Laissons pour le moment la question ouverte de savoir contre qui il faut se défendre. Il est bien plus important de réfléchir sur la nécessité objective d’une nouvelle politique étrangère moderne et «intelligente» qui vise à exploiter, aussi efficacement que possible, les possibilités d’action collective, au lieu de gaspiller des énergies de façon inadmissible. Si les principales économies du monde ont réussi dans le cadre du G20, avec un effort commun, à surmonter la crise financière et économique mondiale, alors pourquoi une telle démarche ne serait-elle pas possible en politique? ­L’année dernière, la Russie est devenue membre à part entière de l’OMC qui avait été créé principalement pour lutter contre le protectionnisme dans les relations commerciales et économiques. Nous sommes reconnaissants aux Etats-Unis, à l’UE et à tous ceux qui ont soutenu ce processus. Mais si nous faisons l’effort d’analyser la situation en ce qui concerne la pensée en termes de blocs qui existe toujours, cela ne revient-il pas à un protectionnisme dans le domaine de la politique militaire?
Et si c’est le cas, c’est évidemment en contradiction directe avec les exigences actuelles qui demandent des systèmes ouverts de sécurité égale pour tous.
Nos propositions, notamment celle qui demande l’application de jure et de facto du principe de la sécurité indivisible proclamé à plusieurs reprises par l’OSCE et le Conseil OTAN-Russie, restent sur la table des négociations. La codification des engagements pris au plus haut niveau de ne pas renforcer sa propre sécurité au détriment de la sécurité d’autrui, pourrait bien contribuer à un climat politico-militaire plus sain dans la région euro-atlantique et à un rapprochement entre tous les Etats, ainsi qu’à la mise en œuvre de l’objectif stratégique de créer un espace économique et humanitaire unique de l’Atlantique au Pacifique.

La coopération est un moyen fiable contre les suspicions et la peur

Le désir de développer une approche collective pour garantir une architecture euro-atlantique basée sur une véritable égalité se renforce de plus en plus non seulement chez les hommes politiques guidés par le bon sens mais aussi dans la société civile. Nous saluons le fait que l’OSCE soutienne et collabore avec des centres de sciences politiques en Allemagne, en Pologne, en Russie et en France pour élaborer des recommandations pour résoudre les problèmes de la sécurité européenne. Nous soutenons en tout point ces contacts et ces processus et saluons ces démarches.
Nous sommes certainement à un tournant historique. Par conséquent, il est urgent de développer des initiatives décisives et de grande envergure. Il est temps d’effacer la dette historique réciproque et de s’accorder un crédit anti-crise, un crédit de confiance et de partenariat.
A la veille de mon discours, on m’a demandé de faire un commentaire au sujet des relations entre la Russie et les Etats-Unis. D’une manière globale, je suis d’accord avec ce que mon bon ami et collègue J. Biden a dit aujourd’hui. Nous avons réellement un ordre du jour très complet et positif, mais dans les relations entre de telles grandes puissances, les contradictions et les différends, parfois importants, sont inévitables. Il n’y a pas d’inconnues dans ce domaine. Dans les relations russo-américaines, nous partons par principe de l’idée que toute question peut être réglée, si l’on suit les principes de respect mutuel, de l’égalité et de la prise en considération des intérêts mutuels.
Mais dans toutes les questions où nous avons la possibilité de collaborer au profit de nos deux pays et de la sécurité internationale, il va de soi que nous le faisons déjà et que nous continuerons de le faire.
Je termine en me référant au président B. Obama, qui a souligné dans son discours d’investiture que les Etats-Unis désirent résoudre leurs différends avec d’autres Etats par des moyens pacifiques, non pas par naïveté, mais parce que le travail en commun est le moyen le plus fiable contre les suspicions et la peur. C’est exactement selon une telle approche responsable, qui se base sur le respect strict des principes et des normes du droit international, que la Russie définit et continuera à définir sa politique étrangère. Nous comptons fermement sur la réciprocité.
Je vous remercie de votre attention.     •

Source: www.russische-botschaft.de

(Traduction Horizons et débats)