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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°52, 17 décembre 2012  >  La neutralité et l’armée de milice vont de pair [Imprimer]

La neutralité et l’armée de milice vont de pair

«Etablir des relations amicales au-delà des frontières cantonales et linguistiques par le service commun»

Interview du conseiller national Jakob Büchler (PDC)

thk. Lundi et mardi passés, le Conseil national a débattu de l’attitude à adopter concernant l’initiative demandant l’abolition de l’armée de milice. Cette initiative lancée par le GSsA, prévoit, selon le modèle de la plupart des armées de l’OTAN, de supprimer l’obligation générale de servir et de transformer l’armée en une milice de volontaires. Le but à longue échéance est une armée de métier. Les députés ont rejeté le texte par 121 voix contre 56 et six abstentions au terme d’un long débat. Le projet sera maintenant soumis au Deuxième Conseil (Conseil des Etats) et finalement à un vote populaire.
Jakob Büchler, ancien président de la commission de sécurité du Conseil national, explique dans cette interview ce que la suppression de l’obligation de servir et la transformation de l’armée en une milice de volontaires signifierait, et quels effets cette mesure aurait non seulement sur la sécurité, mais aussi sur la cohésion de la nation issue d’une volonté politique.

Horizons et débats: Quelles conséquences aurait la fin de l’armée de milice pour nos militaires?

Jakob Büchler: Si nous n’avions plus d’armée de milice, une quantité de savoir que nos membres de l’Armée fournissent grâce à leur profession et de leur vie privée, se perdrait. Chaque soldat de milice qui entre en service possède une formation dans son «sac à dos». Il s’agit d’hommes exerçant un métier tel que maçon, boucher, menuisier, conducteur d’excavatrice, constructeur de routes, mais aussi d’architectes, médecins, professeurs ou autres universitaires ou d’une profession quelconque, qui font profiter l’Armée de tout leur savoir et de toute leur expérience de la vie civile. C’est une valeur inestimable provenant de sa vie professionnelle et privée que le citoyen soldat apporte à notre Armée. Cela a une importance énorme qui se perdrait complètement.  

A la place de l’armée de milice, les auteurs de l’initiative demandent une armée de 30 000 volontaires. Qu’est-ce que ça signifie pour la sécurité du pays?

Avec 30 000 hommes, on ne peut plus garantir la sécurité. Une telle armée tiendrait dans un stade de football. C’est inimaginable. Ce serait une catastrophe pour la sécurité de notre pays. Quand il y a une catastrophe naturelle dans notre pays, les cantons demandent que nous soyons en mesure de mobiliser à court terme 35 000 hommes. En cas d’inondations, quand il y a des crues et des glissements de terrain etc., nous devons pouvoir mobiliser rapidement énormément de soldats. Une armée de 30 000 hommes n’est pas opérationnelle. Une partie des membres de l’armée ne seraient pas du tout opérationnels parce qu’ils se trouveraient à l’étranger, étant en vacances ou ayant d’autres empêchements. Plus l’armée est petite, plus son noyau opérationnel immédiatement disponible est restreint. Il en résulte un énorme vide de sécurité. Nous n’avons pas le droit de permettre cela.

Dans le cas d’une menace terroriste, peut-on par exemple, avec 30 000 hommes, protéger des points stratégiques comme des ponts et d’autres objets du même genre?

Non, en aucune façon. Il n’est pas possible de maintenir la sécurité avec un si petit nombre de soldats. On devrait pouvoir protéger vingt-quatre heures sur vingt-quatre des endroits tels que les gares, ponts, tunnels, aéroports, centrales nucléaires, barrages hydrauliques, installations de fourniture d’eau, etc. selon la situation de la menace. Ça signifie que les militaires devraient travailler par roulement (trois équipes de huit heures). Un tiers est engagé, un tiers est de piquet et un tiers est au repos. Avec un si petit nombre de soldats, ce n’est simplement pas possible. Nous n’aurions plus de sécurité…

… la sécurité qu’il faudrait selon la Constitution garantir au pays et aux citoyens.

Oui, absolument. Notre Constitution prescrit que l’Armée doit assurer la défense du pays et de sa population. Avec un effectif de 30 000 hommes ce n’est plus possible. Si nous avions 30 000 hommes, chacun devrait être indemnisé de 100 000 francs par an, c’est notre système social qui l’exige. Cela reviendrait à 3 milliards de francs de frais de gestion du personnel sans armement ni infrastructure etc., c’est intolérable.
S’y ajoute que les cantons font facilement appel à l’Armée car leurs limites, par rapport aux forces policières garantissant la sécurité, sont vite dépassées.

L’armée de milice est également de la plus haute importance pour notre entité politique, n’est-ce pas?

Oui, bien sûr. Si la votation réussissait, cela signifierait la fin de l’armée de milice. Une milice de volontaires, c’est une illusion, cela ne va pas. Notre Etat qui repose sur le principe de milice perdrait beaucoup. En outre, cela coûterait beaucoup plus cher, c’est ce qu’on voit dans les pays voisins. Là, ou l’obligation générale de servir est supprimée, les soldats manquent. Ceux qui posent leur candidature sont pour la plupart inaptes. Du point de vue politique une telle évolution est très inquiétante et représenterait une régression claire et nette. Il faudrait enrôler les gens pour qu’ils entrent dans l’Armée, ce qui provoquerait d’autres coûts sans garantie de succès. Qui se portera volontaire à long terme? Il y en aurait pour un ou deux engagements, mais peu d’entre eux s’engageraient pour des années; sauf peut-être des chômeurs et des personnes en marge de la société qui ne savent pas de quoi vivre. Ces gens-là ne sont pas utiles pour l’Armée. Cela reviendrait à une nette perte de qualité et à un immense affront.
La cohésion de notre pays serait grandement mise en danger. Il s’agirait d’un système à part qui ne recruterait plus de citoyens venant de toutes les parties du pays, sachant ce qu’ils ont à défendre et se liant d’amitié au-delà des frontières cantonales et linguistiques.

Quelle est l’importance de l’Armée de milice pour la cohésion nationale?

La milice de volontaires aboutira tôt ou tard à une armée de métier. Les 30 000 hommes seraient toujours en «opération». Ils seraient stationnés dans les casernes. Que faire avec eux? Que feront-ils quand s’il n’y a pas d’opération? Aujourd’hui, environ 5000 à 8000 hommes sont annuellement en opération. Ils sont à l’école de recrues ou effectuent des cours de répétition, et tous les autres sont chez eux, exerçant leur métier. En cas d’armée de métier, les soldats sont toujours en «opération» et il faut savoir les occuper. C’est une situation impossible.

Le principe de milice, ne fait-il pas non plus partie intégrante de notre communauté?

S’il n’y a plus d’obligation générale de servir, il n’y a pas non plus de service du feu obligatoire. Il en va de même du service civil. Si l’obligation générale de servir est abrogée, je n’ai plus aucune obligation de m’engager dans l’Armée ou le Service civil. A présent, je peux m’engager chez les sapeurs-pompiers ou payer une taxe. Si tout est sur une base volontaire, personne ne payera plus de taxes. Naturellement, ces questions se posent tout de suite. Une grande injustice et la perte du système de milice, accomplissant tant de tâches au sein de l’Etat, en résulteraient.

Vous avez mentionné les difficultés du recrutement.

A l’étranger, on constate qu’il y a moins de gens qui s’intéressent à l’armée de métier qu’on ne l’avait espéré. On a compté 9000 volontaires par an. En réalité, ce sont 5000 dont un grand nombre d’inaptes. Ceux par exemple qui n’ont pas trouvé d’emploi et sombrent partiellement ou entièrement dans la criminalité. En partie, il s’agit de cas sociaux qui espèrent recevoir dans l’armée une rémunération régulière. Ce sera la catastrophe pour une milice de volontaires, ce serait une perte totale pour l’Armée …

… et avec ça une perte de sécurité.

Oui, chez nous l’obligation générale de servir est inscrite dans la Constitution et réglementée par la loi. Cette initiative pour l’abrogation de l’armée de milice demande la suppression des passages respectifs de la Constitution et de la loi. Dans d’autres pays on n’a que suspendu le service militaire obligatoire, cela veut dire qu’il peut être réintroduit au niveau du parlement ou du gouvernement. Si, chez nous, le service militaire obligatoire est abrogé par référendum et supprimé dans la Constitution, une réintroduction sera plus difficile.
Qui, d’une milice de volontaires, s’enrôlera en cas d’urgence? S’il s’agit d’une confrontation politique et militaire, qui se portera volontaire pour se lancer dans la bataille? Entre nous soit dit, personne, pas un seul. Nous ne pouvons nous permettre une armée engloutissant 3 milliards de coûts salariaux sans garantir la sécurité du pays et de la population, c’est pourquoi il faut absolument rejeter l’initiative.

Ne court-on pas aussi le risque que la milice de volontaires soit occupée par des engagements à l’étranger? Une partie de la gauche s’active sur ce point-là.

C’est un aspect important. Si l’on ne sait pas que faire des soldats, on pourrait leur donner une telle occupation. Alors surgissent les idées les plus impossibles telles que davantage d’engagements à l’étranger. Cela provoquerait des débats sans fin au sein du parlement. Nous disposons déjà de nos engagements à l’étranger, cela suffit. Nous ne pouvons envoyer des soldats à l’étranger seulement parce que nous les avons dans l’armée sans savoir comment les occuper. La pression de la part de l’OTAN et de l’UE, pour mettre à disposition davantage de soldats pour des engagements à l’étranger, augmenterait.
Cela va à l’encontre de notre neutralité, et de notre conviction fondamentale qu’une armée doit servir à la défense du pays et non pas à mener des guerres n’importe où dans le monde au service d’intérêts étrangers.

Monsieur le Conseiller national, merci beaucoup de cet entretien.    •