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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°27, 9 septembre 2013  >  Le principe de l’armée de milice est un pilier central de la Confédération suisse [Imprimer]

ASMZ:

«Une armée de 100 000 hommes est incapable de remplir le mandat constitutionnel selon l’article 58,al 2: ‹elle assure la défense du pays et de sa population›. Elle n’est donc plus conforme à la Constitution.»
Ueli Maurer: «Cette déclaration est fondamentalement correcte.»

Source: Allgemeine Schweizerische Militärzeitschrift ASMZ, no 7, juillet 2013

Le principe de l’armée de milice est un pilier central de la Confédération suisse

Interview de Hermann Suter, président du Groupe Giardino

thk. Selon le Conseil fédéral Ueli Maurer (cf. encadré) l’armée suisse ne peut plus remplir le mandat constitutionnel, à savoir assurer la défense nationale. Depuis quelques années le Groupe Giardino, un regroupement d’anciens officiers de milice, d’officiers toujours actifs et de partisans d’une armée de milice moderne, attire l’attention sur cette misère. Le Groupe Giardino a dénoncé dans plusieurs publications l’état lamentable de l’armée tout en invitant à faire demi-tour. Sa publication la plus récente «Mut zum Kurs­wechsel» montre sans équivoque l’état de l’armée et propose des solutions recherchant comment on pourrait réformer l’armée de manière sensée, afin qu’elle puisse à nouveau remplir son mandat. Dans l’interview ci-après Hermann Suter, président du Groupe Giardino présente la situation en détail.

Horizons et débats: Le Groupe Giardino se bat pour une armée moderne, bien équipée et d’une forte puissance de feu. Qu’en est-il de notre armée?

Hermann Suter: Il est vrai que l’armée suisse se trouve dans une situation critique et menaçante. Cela ne concerne pas seulement les effectifs et l’équipement, mais aussi ces vingt dernières années, les coupes financières qui l’ont successivement menée au désastre. Pratiquement toutes les réserves ont été supprimées, du matériel se montant à des milliards, a été détruit, d’ailleurs sans légitimation. La formation a subi de grands dommages, dus à des conceptions absolument insuffisantes. Il n’existe plus de «faculté de mobilisation», la logistique toute entière est ruinée, même si l’on commence lentement à y remédier. D’après notre jugement, comme nous l’exposons dans le livre «Mut zur Kursänderung» et dans les deux publications précédentes «Schwarzbuch I et II», l’armée se trouve à la croisée des chemins en ce qui concerne les effectifs, le matériel et les finances. Elle a perdu sa sécurité de planification pour les 10 à 20 ans à venir, suite à la politique désastreuse du Conseil fédéral, d’une partie du Parlement et de quelques organisations de milice qui n’ont pas su s’imposer.

Quelle est la raison, pour laquelle l’armée en est arrivée là, et dans quel domaine cela se montre-t-il?

En remontant presque 100 ans dans l’histoire vers la fin de la première Guerre mondiale, on constate que l’histoire se répète dans un certain sens. Après cet évènement tragique, lors duquel des millions d’êtres humains ont été tués, blessés, mutilés et traumatisés, l’on a crié mondialement: «Plus jamais la guerre!» On a fondé la Société des Nations et entamé des négociations de paix. La Société des Nations s’est établie en Suisse neutre, à Genève, lieu de naissance de la Croix-Rouge. Là-derrière se dissimulaient des idées idéalistes et humanitaires bien intentionnées.
On a abusé du «plus jamais de guerre!» sur le plan politique, en prétendant que s’il n’y avait plus jamais de guerre, si l’on ne tirait plus, alors une armée ne serait plus nécessaire. Par la suite, dans le cadre de la OT 24 (organisation des troupes de 1924) la Suisse n’a plus du tout entretenu l’Armée. On était loin de se douter du fait que seulement quelques années plus tard, le national-socialisme, les fascistes se réarmaient à tel point qu’ils allaient pouvoir déclencher la Seconde Guerre mondiale. L’Armée n’y était pas préparée. Des situations analogues représentent la chute du Mur de Berlin et la fin de la confrontation Est-Ouest, la fin du Pacte de Varsovie et la chute du rideau de fer. A l’époque, les Occidentaux étaient unanimes que «maintenant il n’y aurait plus jamais de guerre». Désormais, l’Armée suisse, qui était bien disposée jusqu’au début des années 90, a commencé à mettre en marche le carrousel de réformes étourdissantes. Cela relève de la seule responsabilité de la haute politique, le Conseil fédéral et le gros de l’Assemblée fédérale. Ils se sont fait avoir par la même illusion naïve que leurs prédécesseurs il y a 80 ans. Cela se répète de manière presqu’identique. C’est absolument irresponsable et le Groupe Giardino a été fondé notamment pour cette raison, afin d’arrêter les politiciennes et politiciens à Berne et de mettre un terme à la destruction de l’Armée. Voilà notre but.

Qu’est-ce qu’on a supprimé, dont nous aurions urgemment besoin pour une bonne armée?

Commençons par les effectifs de l’armée. L’Armée 61 avait encore plus de 700 000 hommes. Elle avait un degré de mobilisation impressionnant. Dans un délai de 48 heures, trois quarts des effectifs étaient disponibles. L’Armée présentait, en ce qui concerne l’équipement, une grande redondance dont ne disposait aucune autre armée dans le monde. Le général Clark, jadis le plus haut commandant de l’OTAN, a répondu à la question de savoir comment il jugeait la force de défense de la Suisse, qu’elle était en mesure de se défendre elle-même. C’était une fois. Aujourd’hui l’OTAN nous considère comme une armée de réserve de la réserve. Aujourd’hui nous parlons d’un effectif de 100 000 hommes dont à peu près un cinquième des soi-disant troupes de combat, qui ne sont même pas complètement équipées. L’effectif de 40 000 hommes initialement prévus pour des engagements soi-disant subsidiaires tel que l’assistance aux cantons en cas de catastrophes, va être réduit à 20 000. L’Armée tout entière a été manœuvrée dans une direction, où même le chef du DDPS, Ueli Maurer, a dû avouer il y a quatre semaines lors d’une interview du magazine Allgemeine Schweizerische Militärzeitschrift (ASMZ no 7 du juillet 2013) que l’Armée ne serait plus en mesure de défendre notre pays. Selon Giardino, c’est à l’encontre de l’article 58 de la Constitution fédérale. De même le processus actuel de Développement de l’armée (DEVA), que nous rejetons radicalement comme anticonstitutionnel, soutient la thèse, que l’Armée n’est plus apte à se défendre, et encore moins à défendre notre pays, ni vers l’extérieur ni vers l’intérieur.

Même Ueli Maurer a déclaré lors de l’interview mentionnée ci-dessus, que l’état actuel de l’Armée était anticonstitutionnel.

C’est absolument correct. Il faut toutefois savoir que le chef du DDPS n’a aucune chance de faire passer ses projets au sein du Conseil fédéral, comme on sait de cercles bien informés, ils sont toujours rejetés à six voix contre une. Le gouvernement national de notre pays est en premier lieu responsable de ce désastre. Et puis les Chambres fédérales, qui ne l’ont pas remarqué ou ne voulait pas s’en rendre compte. Je parle là seulement des grands partis du centre tels le PDC, PRD, Parti Vert’libéraux etc. – la gauche est de toute façon pour la suppression de l’Armée – L’UDC était toujours favorable à l’Armée, il faut en tenir compte. Cependant, lentement mais sûrement, les autres partis commencent à se rendre compte du désastre qu’ils ont causé. Cela aura-t-il des répercussions politiques et aboutira-t-il à une mise en place d’une armée opérationnelle, cela reste à voir.

Parlons encore de la votation du 22 septembre. Que signifie l’armée de milice pour la Suisse?

Tout se fonde sur l’idée de base de la démocratie directe que le citoyen est en même temps soldat et le soldat en même temps citoyen. Cela est la maxime de base. Seul un Etat démocratique peut se permettre, doit se permettre et doit vouloir se permettre de maintenir le lien entre le citoyen-soldat et le soldat-citoyen en accordant sa confiance au citoyen. Ainsi en dernière conséquence, c’est un principe de confiance politique, un principe de la conception de l’Etat, et l’Armée de milice par là même un pilier central de la Confédération suisse. Seule une armée de milice où le soldat effectue son service militaire en s’acquittant de l’obligation générale de servir au nom de la communauté dans laquelle il retournera pour reprendre sa vie civile en tant que citoyen, seule une telle armée de milice peut être couronnée de succès. Celui qui veut abolir tout cela, nuit ou mine non seulement l’armée, mais porte atteinte à la culture politique tout entière en matière de politique de parti, d’éducation et de santé – en fait tous les domaines politiques en sont endommagés. C’est pourquoi nous devons maintenir l’obligation de servir telle que nous l’avons définie et qui a fait ses preuves.

L’argument selon lequel une armée professionnelle, ou même une milice de volontaires coûterait moins cher est assez répandu.

Un petit Etat comme la Suisse ne peut se permettre une autre armée qu’une armée de milice. Pour 30 000 hommes, il nous faudrait réunir 3 milliards de francs rien que pour couvrir les coûts salariaux. Avec cela, aucun fusil, ni uniforme, ni matériel militaire – n’est payé. Une illusion complète. Du point de vue politique une armée de milice est impérative et obligatoire, notamment quand il s’agit de la tâche du soldat-citoyen qui sacrifiera sa vie, si le diable le veut, pour moi, il n’y a pas d’alternative. Nous devons rejeter de toutes nos forces les théories néo-marxistes du GSsA qui rêve d’une société ou même d’un monde sans violence, et j’espère que le peuple s’en rendra compte également.

Qu’est-ce que cela signifie pour notre Etat lorsque nous parlons de la dimension politique de notre armée?

Etant donné le multilinguisme suisse, l’ancienne armée a fortement contribué à la cohésion nationale. La Suisse, une nation portée par une volonté politique commune avec ses différentes régions linguistiques, doit être recréée quasiment chaque jour. Ce n’est pas évident. Le fait que toutes les classes sociales étaient réunies au sein de l’Armée, que ceux qui se trouvaient dans la même caserne faisaient tous le même parcours de combattant, le directeur de la banque de même que l’apprenti boucher, les romanchophones, les francophones et les Suisses alémaniques, tous devaient faire les mêmes exercices, et cela a été crucial pour la cohésion de notre pays. Maintenant, nous avons – en toute connaissance de cause – réduit les effectifs de façon dramatique, nous avons considérablement baissé l’âge limite de l’obligation de servir et supprimé les classes d’âges de l’armée, nous ne disposons d’aucune réserve. Aujourd’hui, le soldat quitte son service obligatoire à l’âge de 30 ans, environ la moitié est recrutée. Par conséquent, on a commencé à discuter l’égalité face aux obligations militaires. Nous avons réduit l’armée à tel point que la fonction intégrative n’est plus efficace comme elle pourrait l’être en réalité. Vu la répartition de l’Armée en brigades et la suppression des troupes traditionnelles dans les différents cantons, telles que je les ai connues encore dans mon enfance, tout n’est plus que de nostalgie. Ainsi, de façon malveillante, on a porté atteinte à son attachement au peuple. C’est pourquoi Giardino considère qu’il faut renforcer les effectifs non seulement pour des raisons purement militaires, mais ce qui est très urgent, c’est de créer des réserves. Le rapport DEVA prétend qu’il n’ait plus besoin de réserves, ce qui est la plus grande catastrophe. Une armée sans réserve ne peut accomplir sa mission. Il faut augmenter les effectifs à nouveau dans l’intérêt militaire, mais aussi politique et social, et pour la fonction intégrative que représente cette armée de milice.

La «montée en puissance» a été la réponse pendant des années à la réduction drastique des effectifs. Quel est votre point de vue?

Cette idée est absurde. Une armée a besoin d’une base minimale et solide. La base n’est utile que si elle peut être mise sur pied dans un délai raisonnable. En même temps, il faut la capacité en matière de mobilisation. A l’ère du conseiller fédéral Ogi et sous le mandat du ministre de la défense américain Rumsfeld, des officiers supérieurs suisses ont été envoyés aux Etats-Unis. Ceux-ci sont rentrés avec l’idée d’une armée modulaire et d’agression et ont commencé à fantasmer. La Suisse n’a jamais voulu attaquer un pays. Nous avons une armée purement défensive. Notre philosophie est la dissuasion. Mais la dissuasion et la neutralité armée ne sont crédibles que si l’armée est apte à déployer, dans un délai raisonnable, une certaine force au front et à agir vers l’extérieur. Tout ce bazar de la montée en puissance est totalement absurde et n’est que de la poudre aux yeux des gens. Aujourd’hui il est question d’anticipation. A l’époque, je voulais savoir du conseiller fédéral Ogi en personne s’il pouvait me dire comment l’Europe se présenterait dans cinq ans, et quand il prendrait le téléphone «rouge» pour renforcer l’armée. La réponse ne fut qu’un profond silence. C’est inutile. Evidemment, lorsque la situation évolue de plus en plus vers une guerre, il faut adapter le degré de disponibilité. Ensuite, il faut se demander où il y a encore des ressources qu’on pourrait mettre en fonction. Mais le fondement de base doit être tel qu’il dissuade les ennemis potentiels et que le pays soit armé contre les menaces les plus dangereuses.

Quel sera selon vous l’avenir de notre Armée?

Nous allons balayer l’initiative, je pars de ce principe. Puis, le prochain front s’ouvrira immédiatement, à savoir le Développement de l’armée (DEVA). Je pense, qu’elle repose sur une situation de départ complètement erronée. Il est fort probable qu’il faut combattre ce projet. Franchement, je doute que nous puissions nous imposer sur le plan politique, car il faut un changement de mentalité radicale. Il n’est pas acceptable que l’armée et la politique de sécurité soient reléguées au 17e rang sur 20. Probablement que la situation générale et spécifique est encore trop peu dramatique pour que la population se rende compte de ce qui se joue. Et j’espère que nous ne serons pas encore une fois trop tard, et que cette malheureuse constante dans l’histoire suisse ne se poursuivra pas. Nous allons lutter là contre. Nous ne pouvons pas viser les étoiles. Ce sera un travail important à faire pour qu’il y ait une prise de conscience. J’ai un optimisme mitigé, cela pourrait réussir, mais cela prendrait au bas mot bien 10 à 15 ans.

Monsieur Suter, nous vous remercions de cet entretien.     •