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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  Nº33, 20 août 2012  >  L’école et l’éducation dans l’étau de la politique d’hégémonie [Imprimer]

L’école et l’éducation dans l’étau de la politique d’hégémonie

ab.ef.ev. Dans ce domaine, l’OCDE et l’UE ont de bonnes raisons de «s’aimer» –selon les prémisses américaines.
Plus on commence à étudier les débats actuels sur l’école et l’éducation, plus il apparaît que les réflexions limitées sont déplacées. On découvre une littérature anglophone, qui ne commence pour l’essentiel qu’après la guerre du Kosovo et qui se développe de plus en plus après l’effondrement de Lehman Brothers en 2008/9. Le plus souvent, il ne s’agit pas d’une littérature de recherches, mais elle donne plutôt l’impression d’une littérature descriptive accompagnant un vaste processus d’implémentation dans tous les pays européens, y compris la Suisse. Une des caractéristiques les plus frappantes est une rupture: une ignorance totale de toutes les connaissances en éducation et des améliorations de l’école, orientées selon la conception personnelle de l’homme, qui ont été développées jusqu’à présent dans les pays européens eux-mêmes et leur diverses régions linguistiques. Certains de ces jeunes auteurs refusent même de permettre la traduction en allemand de leurs textes anglais!
La rupture dans le domaine de la théorie et de la culture ressemble dans sa radicalité à celle de la théologie de la libération et du groupe autour de Levinas après la Seconde Guerre mondiale. Mais ce groupe de jeunes philosophes avait l’honnêteté d’expliquer et justifier ouvertement la rupture avec toute la tradition de la pensée européenne. La jeune génération actuelle ne le fait pas dans son service d’accompagnement pédagogique. Tonia Bieber, par exemple, se réjouit, dans son texte qui traite de l’implémentation des mesures prévues par l’OCDE/UE en Suisse, avant tout du fait que pas même les acteurs de veto les plus importants, c’est-à-dire les cantons, ont montré la résistance attendue, et que ces mesures-là ont pu être implémentées plus rapidement qu’attendu et qu’elles ont été absorbées comme du beurre liquide.1
Dans tout cela, il est bon de trouver un auteur qui élargit l’horizon et qui semble reconnaître que ce processus top-down, initié par les Etats-Unis, nuit à l’essence démocratique des pays européens. Roman Langer, éditeur de l’ouvrage intitulé «Pisa – warum tun die das» [«Pisa – pourquoi font-ils cela?»], ne débute pas ses recherches lors du changement du millénaire, mais il analyse la mission américaine de dominer l’éducation des pays européens à la suite de la crise du Spoutnik. Vous vous souvenez: lorsqu’en 1957 les Russes ont été les premiers à lancer une sonde en orbite terrestre, cela fut une offense narcissique presque insupportable pour l’amour-propre de l’Occident. Mais les Américains qui eux ne durent pas reconstruire des villes en ruines après la Seconde Guerre mondiale et qui ne durent pas venir à bout d’une population grièvement affaiblie et décimée, au lieu de remettre soigneusement leurs écoles et établissements d’enseignement en bon état, ils prirent le chemin inverse. En allant raisonnablement de l’avant, ils auraient pu rattraper les Russes et améliorer le monde dans une course de recherche pacifique. Mais pour cela, il aurait fallu un débat sur le développement de l’enfant et sur le renforcement du développement de sa personnalité, auquel aussi d’autres pays et cultures, et en particulier l’Unesco, auraient eu beaucoup à contribuer.
Au lieu de cela, ils ont misé sur la carte de leur développement hégémonique et conclurent, en 1958, un programme d’urgence national, le «National Defense Education Act» (NDEA), qui soumit l’école et l’éducation à la conception utilitariste, et ainsi aux intérêts d’un pouvoir impérialiste. Lorsqu’en 1961, l’OCDE fut fondée, cette mission fut transmise à cette instance d’influence et elle visa en premier lieu les pays du bloc occidental.
Malgré toutes ces mesures, il semble que ni l’école et l’éducation, ni les avantages économiques se soient améliorés, de sorte qu’une nouvelle crise débuta au milieu des années soixante-dix. Tout Européen, qui alla vivre outre-Atlantique et qui avait des enfants en âge scolaire, dut bien réfléchir s’il voulait les emmener ou les laisser ici chez des parents.
On entendit souvent qu’il y avait là-bas des écoles d’élites extrêmement chères ou des écoles étatiques dans un état piteux. Sinon, il restait la possibilité que la mère enseigne elle-même les enfants à la maison («home-schooling»), comme l’on a pu le voir chez des collègues américains du domaine universitaire, vivant dans des conditions de logement des plus modestes.
Et de nouveau on fit un pas dans la mauvaise direction: En 1984, les Etats-Unis sortirent de l’Unesco et s’en désolidarisèrent ainsi encore plus. Parallèlement, ils augmentèrent la pression sur l’OCDE, pour en faire un instrument de leur politique hégémonique particulière.
Dans son analyse, Langer précise qu’au milieu des années quatre-vingt-dix, l’OCDE avait complètement repris la barre des mains de l’Unesco. C’est à ce moment-là, que la mission américaine de la transformation de l’école et de l’éducation arriva également en Suisse; on souhaita la bienvenue au cheval de Troie. Ernst Buschor ne fut probablement qu’un acteur placé au premier plan. Comment l’ensemble des Etats germanophones a-t-il réagi à cet ordre venant du ciel économique? «La littérature répond: par une reprise irréfléchie et rapide de modèles pour des solutions toutes faites, sans débats scientifiques et publics suffisants. […] En Suisse et en Allemagne, ‹il y eut de la part de la politique de l’enseignement, sans aucune remise en question critique, une approbation rapide aux résultats communiqués et un actionnisme véhément›.»2
Et pourquoi tout cela? C’est la question qui se pose face à une concurrence se développant en une crise économique mondiale. Nos enfants, la jeunesse de nos pays sont-ils les cobayes de la haute finance internationale? Et cela doit créer des bases «durables» et solides pour l’avenir?
Depuis que les Verts-oranges sont au pouvoir au Bade-Wurtemberg, une nouvelle poussée d’agitation et d’absurdités scolaires a commencé. Un Suisse dénommé Fratton y serait déjà «dans les affaires» depuis 18 ans. Actuellement, ce commerçant de marché voyage à travers la Suisse orientale pour tenter de convaincre une commune scolaire après l’autre des produits tirés de sa pochette-surprise. En tant que citoyens d’une commune scolaire, cela vous fâche? Espérons-le! Et rappelez-vous: l’argent n’est pas un problème. La signature de votre commune scolaire suffit (mais il vaut mieux ne pas demander d’où il vient …). Dans le livre de John Perkins, intitulé «Les confessions d’un assassin financier», vous pouvez lire comment celui-ci a poussé, avec de telles méthodes, des pays entiers dans le piège du surendettement.    •

1    Cf. Bieber, Tonia. «Soft Governance in Education. The PISA Study and the Bologna Process in Switzerland». TranState Working Paper No. 117. Bremen, 2010. Un argumentaire à ce sujet est disponible en allemand sur www.zeit-fragen.ch à la rubrique «Dokumentation: Schule und Bildung Schweiz: ‹Die Vermittlung von Bildung als Bürgerrecht und die Heranbildung verantwortungsbewusster Staatsbürger›». (Une traduction est en préparation.)
2    Langer, Roman. Warum haben die PISA gemacht? Ein Bericht über einen emergenten Effekt internationaler politischer Auseinandersetzungen. S. 61. In: Langer, Roman (Hrsg.). «Warum tun die das?» Governanceanalysen zum Steuerungshandeln in der Schulentwicklung. Educational Governance Band 6. Verlag für Sozialwissenschaften, Wiesbaden 2008. S. 49–72. Darin zitiert: Becker, Rolf. Lassen sich aus den Ergebnissen von PISA Reformperspektiven für die Bildungssysteme ableiten? In: Schweizerische Zeitschrift für Bildungswissenschaften, Jg. 29, H. 1, S. 13–31. Zit. nach Langer, S. 61.