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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°38|39, 17 septembre 2012  >  «Une paix durable est possible dans le cadre d’une nation stable» [Imprimer]

«Une paix durable est possible dans le cadre d’une nation stable»

«Américains, Allemands et Français nous traitent avec une mauvaise foi triomphante»

par Olivier Delacrétaz, Lausanne

Américains, Allemands et Français nous traitent avec une mauvaise foi triomphante. A peine conclus, nos accords bancaires et fiscaux, difficilement obtenus et généralement à notre détriment, sont remis en question avec une agressive désinvolture. On nous en demande toujours plus en nous offrant comme seule contre-partie de ne pas nous demander davantage. Et à chaque fois, nous cédons, trop contents à droite, trop honteux à gauche, d’avoir osé traîner les pattes pendant quelques mois.
Nous avons si bien pris le pli qu’il nous arrive de céder préventivement, sans qu’on ne nous ait rien demandé, comme lors de la création d’une absurde fondation humanitaire avec l’or de la Banque nationale en 1997 ou de l’adoption unilatérale du Cassis-de-Dijon en 2010. Cette dernière décision, dispensant les importateurs de respecter les exigences qui s’appliquent à nos producteurs, annonçait la suite.
La mécanique qui a conduit où nous en sommes est simple. Dans notre monde manichéen, l’essentiel est de faire partie du camp des bons. C’est le seul critère: les gentils indignés contre le méchant Ben Ali, les gentils Kosovars contre les méchants Serbes, les gentils Palestiniens contre les méchants sionistes, les gentils francophones contre les méchants Zurichois.
Si vous vous préparez à mal agir, veillez donc à sembler bon. Et veillez plus encore à noircir la réputation de votre victime, l’idéal étant qu’elle soit elle-même convaincue de sa propre abjection. C’est ce qui arrive à la Suisse. Nous avons intégré l’idée que nous sommes du côté des méchants, embusqués de la seconde guerre mondiale, profiteurs dépourvus de toute solidarité européenne et mondiale, banquiers fraudeurs et marchands d’armes sans aveu.
Est-ce l’effet d’une communication particulièrement efficace? La prospérité nous a-t-elle abrutis? Compensons-nous, par un retour de balancier psychologique, la certitude qui fut longtemps la nôtre d’être les favorisés de la Providence? Ce qui est sûr, c’est que notre comportement de chien couchant dispense nos ennemis de tout remords: comment vouloir du bien à un peuple qui pense du mal de lui-même?
Dans l’ordre international ainsi moralisé, tout est bon contre le mauvais. A l’égard de la Suisse, le respect du droit et des engagements signés, la bonne foi, le sens des proportions n’ont aucune raison d’être. La fin morale légitime les moyens amoraux.
De fait, il n’y a pas de vilenie à laquelle nos ennemis ne recourent en toute bonne conscience: le soupçon généralisé, la délation et l’incitation à la délation, le vol et l’incitation au vol organisée au plus haut niveau politique et reconnue publiquement, le chantage caractérisé, les abus de droit, les insultes, les menaces physiques sur les familles.
Dans l’ensemble, nos autorités ne sont pas à la hauteur. Elles contraignent la Suisse à la pénitence politique. Alors qu’il leur appartient de faire respecter la Confédération et son indépendance, elles la bradent de toutes les manières. La Convention avec la France sur les successions n’est que le dernier d’une suite d’abandons. Au lieu de défendre le droit suisse et les droits des citoyens suisses, le Conseil fédéral autorise des banquiers à rompre leurs engagements de discrétion envers leurs clients et à trahir leurs propres employés auprès de l’administration américaine.
Son excuse est que la ruine de ces trop grands établissements ferait trop de dégâts: les banques sont too big to fail. En français, une entreprise too big to fail n’est rien d’autre qu’un Etat dans l’Etat. Nos autorités acceptent l’existence de l’Etat bancaire dans l’Etat fédéral. Elles contribuent à faire primer ses intérêts sur le bien commun.
Céder pour faire une fin? Il n’y aura pas de fin, pas même une pause. La volaille est grasse et consentante, découpons- la! Oui, découpons le chapon capon! Après la chute du mur qui nous libérait de l’«équilibre de la terreur», et dans la perspective progressiste consubstantielle à la démocratie moderne, la classe politique s’est persuadée que la paix et l’unité mondiales étaient à portée de main. L’ordre international se ferait naturellement, comme le prolongement de l’ordre interne des nations.
C’était négliger les différences fondamentales qui séparent le national et l’international.
Une paix durable est possible dans le cadre d’une nation stable, dont les parties sont liées par une histoire commune et soumises à une autorité reconnue, garante de l’intégrité territoriale, de l’autonomie du droit et de la protection des personnes et des biens. C’est aussi le cas, non sans un certain nombre de complications qui nous contraignent à la neutralité, de notre Confédération d’Etats cantonaux.
En revanche, dépourvu d’unité religieuse, linguistique, morale et juridique, privé d’une autorité supérieure qui ait les moyens de le concevoir mais aussi de le garantir, ce qu’on appelle aujourd’hui l’ordre international n’est que l’équilibre provisoire et territorialement circonscrit des forces politiques en présence. Cet ordre fragile et constamment menacé, miné et cerné par cent conflits de tout genre, est une accalmie miraculeuse au milieu des tempêtes qui sont le lot ordinaire de l’humanité. En ce qui nous concerne, l’accalmie fut longue. Elle est terminée.    •

Source: 
La Nation n° 1948 du 24/8/12