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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°48, 1 décembre 2008  >  «Préparer la voie à une paix durable» [Imprimer]

«Préparer la voie à une paix durable»

Rolf Verleger et la Déclaration de Berlin, «Shalom 5767»

par Miriam Weissbrod et Daniel ben Elias

A sa manière très personnelle d’aborder les questions du judaïsm e et d’Israël, Rolf Verleger, un Juif allemand né après la guerre cherche comment sortir de la situation apparemment sans issue où se trouve la Palestine. Ce qui l’a conduit à publier à l’automne 2006 la Déclaration de Berlin, «Shalom 5767»1, dont les 71 premiers signataires, juifs, avaient été suivis, en novembre 2007 par 14 000 autres personnes en Allemagne. La déclaration de Berlin est un appel lancé au gouvernement allemand, lui demandant de sortir de son silence sur l’occupation israélienne et de promouvoir enfin sérieusement l’établissement d’un Etat palestinien viable. Le but des auteurs est de «préparer la voie à une paix durable, permettant au peuple palestinien de vivre dans la dignité selon ses propres choix, d’assurer aux deux nations leur existence dans des frontières reconnues au niveau international, de pacifier l’ensemble de la région et ainsi d’accroître la paix et la sécurité dans le monde entier.»2

Son livre le plus récent intitulé «Israels Irr­weg. Eine jüdische Sicht» se compose de trois parties, dont l’essentiel est résumé ci-dessous. L’auteur a un don remarquable pour capter l’attention du lecteur et lui faire partager sa propre pensée.

Sache d’où tu viens… (1ère partie)

Dans la première partie, l’auteur commence par situer sa propre histoire (enfance et famille). Dans une langue accessible à tous (y compris ceux qui ignorent tout du judaïsme), Rolf Verleger raconte son enfance et son éducation juive dans l’Allemagne de l’après-guerre. Son père y était rentré en 1945; il revenait d’Auschwitz, où avaient été assassinés sa femme et ses trois enfants. Sa mère avait survécu à la déportation en Estonie; toute sa famille avait été tuée par les nazis. Ils se marièrent en 1948 à Berlin puis s’installèrent à Ravensburg, où Rolf et son frère aîné passèrent leur enfance. En dépit des épreuves inimaginables qu’ils avaient traversées, leurs parents réussirent à leur donner une éducation juive tout en leur permettant de se sentir chez eux à Ravensburg au milieu des enfants de leur âge.

La loi juive ordonne d’aimer son prochain

Suit un survol de l’histoire juive racontée dans l’Ancien Testament et de ses racines en Judée. Après leur dispersion dans un grand nombre de pays, les Juifs ne conservèrent d’autre lien que leur foi dans un salut qu’ils obtiendraient en gardant les commandements de Dieu. Dieu leur enverrait le Messie et leur permettrait de reconstruire le Temple de Jérusalem, où tous les Juifs, à nouveau réunis dans la joie, pourraient offrir à Dieu leurs sacrifices. D’après Rolf Verleger, le fondement de la religion juive est l’amour du prochain que Dieu attend de nous. Le commandement «Aime ton prochain comme toi-même» figure dans le 3e livre de la Tora et, selon l’interprétation de sages maîtres juifs ne s’entend pas seulement de vos propres coreligionnaires, mais de tous les êtres humains.

Le mouvement sioniste et le conflit ultérieur en Palestine

Le mouvement sioniste, thème que l’auteur aborde ensuite, est apparu à la fin du XIXe siècle – début du XXe, alors que se formaient en Europe un grand nombre d’Etats-nations et que les Juifs en avaient assez d’être discriminés, en particulier dans la Russie tsariste. Selon Verleger, le sionisme n’impliquait pas de déroger au commandement de l’amour du prochain. Theodor Herzl par exemple, le fondateur du sionisme, donc de l’idée du retour des Juifs en «Terre promise» n’était pas partisan d’une déportation des Arabes de Palestine. Bien au contraire il exigeait une égalité de droits: «Il n’y a qu’une seule voie: un maximum de tolérance. C’est pourquoi nous devons avoir pour devise, maintenant et toujours: Homme, tu es mon frère.»
Malheureusement l’histoire vit triompher ceux que l’auteur nomme «sionistes révisionnistes», qui voulaient un Etat juif, où les Arabes qui y vivaient depuis des siècles n’avaient plus leur place. Rolf Verleger montre que la fondation de l’Etat d’Israël en 1948 a gravé dans le marbre l’iniquité infligée aux Palestiniens, puisque des centaines de milliers d’entre eux furent chassés de leur terre. Mais il fait aussi remarquer que le conflit était en germe bien avant 1933, en raison de la situation intolérable des Juifs dans la Russie tsariste. Il impute également une importante responsabilité dans cette funeste évolution aux deux grandes puissances d’alors, la France et la Grande-Bretagne, qui avaient intérêt à morceler le monde arabe pour accéder plus facilement aux ressources pétrolières.

… et sache où tu vas … (2e partie)

Sous le titre: «Qu’est-ce qu’être juif aujourd’hui?» l’auteur présente des voies diverses. Selon la tradition, est juif celui qui respecte les 613 commandements de Dieu. Mais le principal, aux yeux de l’auteur, est l’amour du prochain. C’est cet amour – et cela montre à quelle hauteur éthique se situe Verleger – qui doit être l’aune de tout jugement, y compris sur le conflit israélo-palestinien. «Un Juif fidèle à sa tradition religieuse n’a donc d’autre choix que de rejeter le traitement infligé aux Palestiniens par les colons juifs et le gouvernement israélien.»3
Mais un sioniste définit sa judéité principalement comme appartenance à l’Etat israélien, quel que soit le comportement de cet Etat envers les Palestiniens. Un choix qui répugne à l’auteur.
Une autre possibilité de se définir aujourd’hui comme Juif est de se donner comme «anti-antisémite.» «Plus jamais Auschwitz!» peut signifier: «Plus jamais personne ne doit vivre ça» – ou, moins sympathique: «Plus jamais aucun Juif ne doit vivre ça.»
Dans cette deuxième partie, l’auteur constate la crise d’identité que connaissent aussi bien les Juifs que les Allemands, les premiers, parce qu’au cours des 60 dernières années la religion a perdu son rôle, les seconds, «parce que trop d’Allemands ont contribué à plonger l’Europe dans la guerre et à exterminer la population juive européenne».4 La crise d’identité allemande les a empêchés de se positionner vis-à-vis d’Israël. Il en donne pour exemple les réponses bien différentes qu’ont données, le 9 septembre 2006 le Premier ministre espagnol Zapatero et la chancelière allemande Merkel à la question de l’hebdomadaire Die Zeit: A l’avenir, comment combattre le terrorisme? Zapatero répondit que toute avancée face à ce problème passait par la résolution du conflit israélo-palestinien. Madame Merkel, elle, parla des efforts que faisait le gouvernement fédéral pour mieux former la police afghane.
Les critiques que Verleger a adressées par lettre à la présidence du Conseil central des Juifs d’Allemagne, qui avait pris parti pour la politique de guerre d’Israël dans le conflit israélo-libanais de 2006 a reçu de multiples échos, souvent positifs. Cela lui donna l’idée de lancer un défi à ces multiples voix allemandes qui, par peur de la «massue de l’antisémitisme», n’osent pas dire tout haut qu’elle sont favorables à un règlement du conflit au Moyen-Orient et de les pousser à s’exprimer par le biais d’une action plus large – la «Déclaration de Berlin».
Verleger pensait que la population allemande était plus favorable que son gouvernement au règlement du conflit au Moyen-Orient. La «Déclaration de Berlin» devait témoigner du fossé entre les deux. Il tablait sur un million de signatures. Malheureusement, en un an, il n’en récolta que 15 000 à peine. Cependant il ne se découragea pas et continue à espérer que beaucoup de ses compatriotes allemands oseront franchir le pas et signer la Déclaration.

… et devant qui tu devras un jour rendre compte (3e partie)

La «Déclaration de Berlin» a reçu de nombreux échos positifs. Mais elle s’est aussi attirée beaucoup de critiques. C’est à elles que Verleger tente de répondre dans la 3e partie.
Il veut rendre compte devant Dieu et les hommes de sa conception du judaïsme fondé sur la justice et l’amour du prochain. Et il doit donc s’affronter à ceux qui brandissent la «massue de l’antisémitisme». Verleger essaie, non sans peine, de prendre ce reproche au sérieux et, dans plusieurs cas, de le réfuter.
En même temps que la «Déclaration de Berlin», le mensuel Jüdische Zeitung a publié un texte du doyen des premiers signataires. Les réactions ne se sont pas fait attendre. Le Conseil de surveillance de la revue a adressé de vifs reproches à la rédaction. A la suite de quoi on a publié trois textes d’opposants à la «Déclaration», sans donner de droit de réponse. Verleger, désabusé, constata: «La judéité, ma patrie, est tombée aux mains de gens dont les valeurs suprêmes sont le peuple et la nation et non plus la justice et l’amour du prochain».5
Le livre, qui donne un aperçu de la vie d’un Juif convaincu, est passionnant et d’une écriture élégante. On ne saurait trop en recommander la lecture. Nous souhaitons que «Shalom 5767», une initiative à imiter, trouve à l’avenir, en Allemagne, tout l’écho qu’elle mérite.    •

Rolf Verleger, Israels Irrweg. Eine jüdische Sicht [Israël est sur la mauvaise voie. Un point de vue juif], Köln 2008, 163 Seiten, ISBN 978-3-89438-294-7)

Le professeur Rolf Verleger, né en 1951, est directeur de la section de recherche en neurophysiologie à la clinique universitaire de Lübeck et membre du Directoire du Conseil central des Juifs d’Allemagne.
(Traduit par Michèle Mialane et révisé par Fausto Giudice, http://www.tlaxcala.es)

1 L’action a été lancée en septembre 2006, le jour de la Rosch Haschana (Nouvel An juif) 5767.
2 p. 98 sq.
3 p. 79
4 p. 94
5 p. 156