Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°43, 9 novembre 2009  >  L’UE ne convient pas à la Suisse [Imprimer]

L’UE ne convient pas à la Suisse

par Marianne Wüthrich, docteur en droit, Zurich

La Suissesse démocrate que je suis trouve curieuse la façon dont les commissaires européens obtiennent leur poste. La presse quotidienne nous apprend qu’aussi bien en Allemagne qu’en Autriche, on envoie à Bruxelles les politiques gênants, et non pas pour des postes subalternes où ils ne peuvent pas faire beaucoup d’erreurs mais à la Commission européenne. Ce qui choque particulièrement, c’est que les commissaires, malgré le pouvoir qu’ils détiennent, ne soient pas élus par les parlements nationaux mais à la suite d’une procédure qui manque de transparence. Selon la Neue Zürcher Zeitung du 26 octobre, Mme Merkel considère que la nomination du commissaire européen est l’affaire du chef de gouvernement, c’est-à-dire qu’elle s’en attribue la compétence. En ­Autriche, les partis de la coalition se disputent et finissent par effectuer un marchandage: Vous désignez le commissaire européen et nous le directeur de la radio-télévision autrichienne (ORF).
Voulez-vous, Monsieur le conseiller fédéral Leuenberger, entrer dans ce club antidémocratique? Voulez-vous faire croire au peuple que la Suisse pourrait, en tant que membre de l’UE, «participer à la construction de l’Europe»? Voudriez-vous être un de ces commissaires? Quand on sait comment, à l’étranger, les politiciens parviennent à ces fonctions, cette hypothèse est tout à fait plausible.

Il existe une quasi infinité de raisons pour lesquelles l’UE ne convient pas à la Suisse et la Suisse à l’UE. A vrai dire, aucun Etat ne convient à ce colosse antidémocratique éloigné des citoyens, bureaucratique et corrompu, et surtout pas la Suisse, petit pays aux structures très différenciées et proches des citoyens. On n’entre pas dans une entreprise pourrie.
Nous allons évoquer quelques aspects qui expliquent pourquoi une nette majorité du peuple suisse ne souhaite pas l’adhésion. Nous nous limiterons aux deux piliers que sont la neutralité et la démocratie directe. D’autres caractéristiques de notre Etat sont le fédéralisme et l’autonomie des communes, liés au principe de subsidiarité, ainsi que le système de milice dans l’armée, les com­munes et les parlements (cantons et Confédération). Tous ces atouts du système politique suisse sont incompatibles avec une affiliation à l’UE: Cette dernière a besoin, dit-on, d’unités administratives centralisées et professionnelles et non pas de petites collectivités autonomes où s’investissent de nombreux citoyens à titre bénévole.

La neutralité armée perpétuelle

Depuis 200 ans, la Suisse se tient avec succès à l’écart des guerres et des alliances militaires et offre aux peuples victimes des guerres et des crises une aide non militaire tels que les bons offices, la Croix-Rouge internationale et toutes sortes d’engagements humanitaires. Il est évident que le principe de neutralité armée perpétuelle est totalement étranger à l’esprit de la puissance militaire qu’est l’UE. Le Conseil national (Chambre basse du Parlement) a le grand mérite de s’être opposé récemment à la participation de la Suisse à la mission de lutte contre le piratage Atalanta. Comme on l’a appris récemment par la presse, la frégate allemande Karlsruhe a arrêté, au large de la Somalie, sept pirates qui venaient d’attaquer un chalut. Il y aurait eu sûrement des soldats suisses sur ce navire de guerre allemand si le Parlement ne s’était pas opposé à la participation de notre pays à la politique de guerre de l’UE. Rappelons qu’il y a un mois, les partisans d’une participation ont essayé de faire croire aux parlementaires qu’il était «extrêmement peu probable» que les soldats ­suisses soient impliqués dans une opération militaire au large de la Somalie. Or ce n’était pas si improbable.
Si la Suisse était membre de l’UE, ses parlementaires ne pourraient plus prendre de décisions autonomes sur des opérations militaires comme celle d’Atalanta; ils de­vraient se plier aux ordres de Bruxelles. Et le peuple ne pourrait bien entendu pas faire savoir qu’il ne veut plus de tels engagements à l’étranger. Actuellement, le peuple peut en tout temps déposer une initiative populaire signée par 100 000 citoyens pour demander que l’armée suisse se limite à la défense du pays et aux interventions en cas de catastrophe. Lors de la votation, la majorité du peuple et des cantons emporterait la décision. Il est évident que cela serait inimaginable en cas d’adhésion. L’UE ne connaît pas le droit d’initiative.

En démocratie directe, c’est le peuple qui décide et non l’exécutif

Aux trois niveaux politiques (Confédération/cantons/communes), l’exécutif a relativement peu de pouvoir. Aussi la base assume-t-elle la responsabilité des décisions et en supporte les conséquences. En Suisse, il n’y a pas, comme en France ou en Allemagne, un chef de l’Etat qui peut prendre des décisions. Les sept conseillers fédéraux constituent un gouvernement collégial, ils sont sur le même plan et doivent trouver ensemble des solutions et des compromis. Aucun n’a davantage de pouvoir que les autres. Le Président de la Confédération est le primus inter pares et ses missions supplémentaires sont uniquement d’ordre organisationnel et représentatif. Son mandat n’est que d’une année, cela afin qu’il ne puisse pas asseoir son pouvoir. C’est pourquoi même les Suisses qui s’intéressent à la politique connaissent certainement le nom du président des Etats-Unis ou de la Chancelière allemande mais pas forcément celui du Président de la Confédération. Quand le Président Merz signe un accord fiscal avec un autre Etat, rien n’est encore acquis: le Conseil national et le Conseil des Etats peuvent encore s’y opposer et s’ils l’acceptent, 50 000 citoyens ont le droit de recourir au référendum facultatif, c’est-à-dire d’exiger une consultation populaire à ce sujet.
Les mêmes règles sont valables pour les gouvernements cantonaux et communaux: ce sont toujours des gouvernements collégiaux sans chef possédant des compétences supplémentaires. Le peuple est souverain aux trois niveaux (Confédération, cantons et com­munes) et a toujours le dernier mot. C’est pourquoi les tentatives des autorités fédérales de renforcer le pouvoir central rencontrent des obstacles: Chaque transfert de compétence des cantons à la Confédération doit être approuvé par une consultation populaire: la base doit vouloir le changement.
Cette limitation du pouvoir des exécutifs ne doit pas être interprétée comme une «faiblesse». Des affirmations comme «Nous avons besoin d’un gouvernement fort» sont contraires aux principes de la démocratie directe. Le Conseil fédéral sera d’autant plus fort que la population s’y sentira liée et qu’il sera conscient que c’est le peuple qui décide en dernière analyse. Il ne fera plus de promesses qu’il ne peut pas tenir à des gouvernements étrangers mais conclura une alliance avec les citoyens selon la devise «Tous ensemble, nous réussirons.»
Cette limitation des pouvoirs du Conseil fédéral gêne énormément Bruxelles. Elle souhaite un exécutif puissant avec un chef d’Etat, un interlocuteur unique qui prend les décisions importantes et non pas un collège de 7 conseillers qui doivent se mettre d’accord et dont les décisions doivent être approuvées par le Parlement et le peuple. Mais c’est ça, la démocratie.
Pour se rapprocher des vues de l’UE, le Conseil fédéral s’efforce, depuis des années, d’imposer une réforme de la tête de l’Etat: un gouvernement avec un Président de la ­Confédération dont le mandat serait de quatre ans et qui aurait plus de compétences en matière décisionnelle. Jusqu’ici, les Chambres s’y sont opposées, et cela à juste titre. Evidemment, toute modification de la structure politique est soumise au référendum obligatoire. Plus le temps passe, moins le peuple et les cantons seront disposés à approuver une telle réforme.

La participation aux affaires de la collectivité correspond à la nature de l’homme

Nous autres citoyens politiquement actifs savons ce que signifie la démocratie directe. Ceux qui participent aux affaires communales, cantonales ou fédérales sont plus heureux, se sentent plus responsables devant la collectivité et ont moins un sentiment d’impuissance face aux grands problèmes du monde. Nous, le peuple, sommes souverains; nous avons le droit et le devoir de gérer notre pays et le monde et de veiller à ce que la vie des générations futures vaille encore la peine d’être vécue. A ce sujet, il vaut la peine de relire l’étude de l’Université de Saint-Gall publiée par Gebhard Kirchgässner sous le titre «Die direkte Demokratie: modern, erfolgreich, entwicklungs- und exportfähig» (ISBN 978-3-8006-2517-8). Pour donner une idée de l’extraordinaire vitalité de la démocratie suisse, nous mentionnerons ici quelques exemples.
Depuis la fondation de l’Etat fédéral en 1848, le peuple a pu se prononcer sur 559 projets fédéraux dont la moitié environ ont été acceptés et les autres refusés.
8 amendements de la Constitution ont échoué à cause du principe de la majorité des cantons, c’est-à-dire qu’une majorité de petits cantons l’ont emporté sur les cantons très peuplés comme ceux de Zurich, Berne et Vaud.
Actuellement, on récolte des signatures pour 7 initiatives populaires fédérales, par exemple «Oui à la médecine de famille» et «Défendons la Suisse, inscrivons le secret bancaire dans la Constitution fédérale». 9 initiatives ayant abouti sont pendantes auprès du Conseil fédéral, par exemple «Accords internationaux: la parole au peuple!» et l’«Initiative pour le paysage». 9 sont aux mains du Parlement, notamment «Eaux vivantes (initiative pour la renaturation)» et «Accéder à la propriété grâce à l’épargne logement». 4, finalement, sont prêtes à être votées et sur 2 d’entre elles, le peuple et les cantons se prononceront le 29 novembre: «Contre la construction de minarets» et «Pour l’interdiction d’exporter du matériel de guerre».
En ce qui concerne 7 lois fédérales adoptées par le Parlement, le délai référendaire court encore, ce qui signifie que 50 000 signataires peuvent demander une consultation populaire.
2 référendums facultatifs sont prêts à être soumis au peuple, notamment un arrêté fédéral sur la reprise automatique du droit européen en matière d’adoption des passeports biométriques.
Bien que la collecte de 50 000 ou de 100 000 ne soit pas une partie de plaisir, des milliers de personnes appartenant à des groupes de citoyens, à des partis politiques ou à des associations ne reculent devant aucun effort et bravent le froid pour informer et motiver la population, cela à titre bénévole et pendant leurs loisirs. Pourquoi? Une ou deux heures passées à récolter des signatures donnent lieu à de nombreuses discussions très animées avec nos concitoyens. Certaines personnes qui commençaient par déclarer qu’«à Berne, ils font de toute façon ce qu’ils veulent», reprennent courage et constatent qu’ensemble, nous pouvons faire quelque chose. Et, quelques listes de signatures remplies en poche, on rentre chez soi avec le sentiment d’avoir accompli son devoir et le cœur plus léger.
Une adhésion à l’UE aurait pour conséquence de nous empêcher de lancer la plupart des initiatives populaires parce qu’elles seraient contraires à l’un ou l’autre des ­textes de Bruxelles. Comme les parlements nationaux des pays membres de l’UE se voient imposer environ 70 à 80% des lois par Bruxelles, nous ne pourrions plus recourir au référendum pour nous y opposer. Le démantèlement prévisible des droits politiques du peuple suisse est une des raisons principales pour lesquelles la plupart des Suisses tiennent absolument à ce que leur pays reste un Etat indépendant.

La démocratie référendaire est lente et économe

En Suisse, le travail législatif ne s’effectue pas à la va-vite. Il faut du temps pour qu’un projet de loi ou un traité international entre en vigueur. C’est un effet de la démocratie directe. Le système législatif suisse, très souple, ne pourrait pas subsister au sein de l’UE, qui impose rapidement ses nouveaux projets.
Dans tous les manuels d’éducation civique suisses, on apprend comment on crée une loi. Tout d’abord, des spécialistes préparent un projet, puis on procède à une consultation: le Conseil fédéral envoie le projet aux cantons, aux partis politiques et aux associations afin qu’ils se prononcent. Même les simples citoyens peuvent donner leur avis. Cette procédure est un résultat de la démocratie directe. S’il apparaît dès cette phase qu’une loi ou un traité international est refusé par une majorité, il est absurde que les autorités cherchent à imposer leur projet en l’état. En effet, le Conseil fédéral et l’Assemblée fédérale ont conscience qu’il pourrait faire l’objet d’un référendum. Actuellement, une douzaine de procédures de consultation sont en cours dont la dernière en date – qui doit durer quatre mois – concerne une loi sur l’aide au suicide. Toutes les personnes et organisations concernées pourront s’exprimer.
Après avoir tenu compte des résultats de la consultation, le Conseil fédéral élabore un projet définitif et rédige un message destiné au Parlement. Ensuite le projet est débattu séparément au Conseil national et au Conseil des Etats qui y apportent tous les amendements souhaités par leurs membres. Si après trois discussions, des divergences subsistent entre les Chambres, une commission de conciliation est créée dans laquelle les deux Chambres envoient des représentants. Ces derniers cherchent un compromis sur lequel les Chambres devront voter séparément. Si le projet est approuvé par les deux Conseils, il est considéré comme adopté par le Parlement. Dans le cas contraire, il est refusé. Une fois le projet adopté, commence le délai référendaire de 100 jours, ce qui signifie que les citoyens suisses peuvent recueillir 50 000 signatures pour demander un référendum.
L’ensemble de cette procédure peut durer deux à trois ans, ce que certains politiques considèrent comme un trop long délai. Mais il faut tenir compte du fait que le droit des citoyens de recourir au référendum contre une loi ou un traité international représente une procédure législative prudente et économe qui est impensable dans une démocratie représentative et à plus forte raison dans ce colosse qu’est l’UE.
Le fait qu’en ces temps de crise financière et économique la Suisse se porte (économiquement) beaucoup mieux que les autres pays et que les Suisses aient un meilleur moral ne s’explique pas uniquement par des raisons économiques. N’importe quel pays ou commune au monde se porterait mieux si sa population pouvait contrôler la politique et notamment la politique financière, avec autant de soin que les Suisses aux niveaux fédéral, cantonal et communal. Plutôt que de chercher à absorber le dernier bastion d’Europe, les politiciens de Bruxelles pourraient, particulièrement dans ce domaine, s’inspirer du modèle helvétique et laisser les Suisses vivre leur démocratie authentique comme ils l’entendent.     •

Le piège européen

km. Hans-Peter Martin, juriste lettré et décoré à plusieurs reprises, a été rédacteur du Spiegel pendant presque 15 ans. Il est l’auteur des best-sellers comme «Die Globalisierungsfalle. Der Angriff auf Demokratie und Wohlstand» (en coopération avec Harald Schumann), ou «Bittere Pillen. Nutzen und Risiken von Arzneimitteln» (en coopération avec Hans Weiss, Kurt Langbein et Roland Werner).
En 1999, le parti socialiste de l’Autriche (SPÖ) l’a nominé comme candidat de tête pour les élections européennes bien qu’il soit sans parti. Mais Hans-Peter Martin ne s’est pas adapté aux «coutumes» du Parlement européen de Strasbourg. Par contre, en 2004, il a dévoilé de nombreux scandales au Parlement européen de Strasbourg, entre autres le fait que beaucoup de députés défalquent les frais pour des jours congés bien qu’ils aient pris congé pour le week-end.
En conséquence, on a massivement attaqué Hans-Peter Martin. Après être exclu de la fraction des sociaux-démocrates, il a réussi dans la même année à rentrer au Parlement européen de Strasbourg avec sa propre liste des citoyens et avec 14% des voix. En 2009 pendant les dernières élections, la liste de Hans-Peter Martin atteint même 17,9% des voix autrichiennes et à présent trois sur dix-huit députés autrichiens au Parlement européen proviennent de sa liste.
Son livre le plus récent traite du fait que les politiciens de l’UE et les lob­byistes détruisent la démocratie et que ceux-ci n’arrivent pas à trouver une réponse conforme à la crise mondiale des finances et de l’économie – après avoir jeté de l’huile sur le feu des spéculations financières. Dans le résumé figurant sur le texte du rabat il est écrit: «Le Parlement européen reste impliqué dans des scandales, le tribunal européen continue à attirer des compétences et mine les droits sociaux. L’élargissement à l’Est précipité devient un boomerang, nous payons tous pour le gaspillage des milliards.»

On trouve plus d’informations sur Hans-Peter Martin sur son site: www.hpmartin.net.