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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°24, 21 juin 2010  >  «L’éducation, le meilleur rempart contre la pauvreté, ici et ailleurs» [Imprimer]

«L’éducation, le meilleur rempart contre la pauvreté, ici et ailleurs»

Allocution du conseiller fédéral Didier Burkhalter à l’occasion de la remise du «Prix Caritas 2010 pour l’humanité» à Lucerne, 11 juin 2010

Monsieur le Conseiller fédéral Didier Burkhalter a remis le «Prix Caritas 2010 pour l’humanité» à Sœur Vincenzina et Père Gérard qui sont récompensés pour leur engagement en faveur de l’éducation et la formation des enfants de milieux défavorisés en Haïti. Le chef du Département fédéral de l’Intérieur a rappelé que par son action ciblée sur le long terme l’éducation est le meilleur rempart contre la pauvreté, contre la maladie, contre les drames sociaux.
Cet automne, la Confédération organisera avec les cantons une conférence nationale sur la pauvreté. Ce sera une occasion d’aborder les priorités dans ce domaine avec tous les acteurs concernés: Confédération, cantons, communes et associations.

 

Monsieur le président, Monsieur le maire, Sœur Vincenzina, Père Gérard, Mesdames, Messieurs,

«Si tes projets portent à un an, sème du riz. S’ils portent à dix ans, plante des arbres. S’ils portent à une vie, éduque les hommes.» Ce proverbe est attribué au philosophe et poète chinois Kuan Tzu qui l’aurait formulé il y a 2300 ans.
Bien qu’il vienne d’un passé fort lointain, ce proverbe énonce déjà un principe repris dans le discours social et politique des années 1990. C’est le fameux principe de la durabilité.
Un homme qui cherche un effet durable ne sacrifie pas à des intérêts immédiats. Trop souvent, nous faisons l’expérience du principe inverse, le triomphe de la vision à court terme, la pensée de trimestre en trimestre, dans le domaine de l’économie, mais aussi en politique.
Cela ne veut pas dire que l’action axée sur le long terme néglige le court et le moyen terme! Le proverbe de Kuan Tzu reconnaît la nécessité d’actions différentes en fonction de l’objectif. Pensons à l’action politique: nous devons faire preuve de responsabilité dans notre action aujourd’hui pour offrir plus de liberté aux générations futures. Et celles-ci devront à leur tour suivre le même principe. Cette notion de pérennité s’applique également à l’éducation des hommes.

Chers lauréats,

Je m’adresse à vous un instant en français – c’est ma langue maternelle, c’est aussi une de vos langues de travail en Haïti. Vous me pardonnerez certainement de ne pas utiliser le créole… que je maîtrise moins bien!
Visiblement, Sœur Vincenzina et Père Gérard, vous qui recevez aujourd’hui le Prix Caritas 2010, vous avez suivi les paroles de Kuan Tzu et avez choisi de vous investir sur la durée de vies entières.
Vous vous êtes engagés de longue date dans l’éducation et la formation des enfants de milieux défavorisés. Actuellement, 1300 garçons et filles fréquentent le collège que vous dirigez, «La Sainte Famille», située dans le quartier pauvre de «Trou Sable» à Gonaïves. Les enfants ont droit à la formation et à l’éducation, quel que soit leur milieu social. Cet objectif – créer une école pour les plus défavorisés – répond à votre conviction profonde.
En Haïti, poursuivre cet objectif est un défi de taille quand on sait que seul un enfant sur cinq termine normalement la sixième classe. Et seul un maître d’école sur dix dispose d’une formation suffisante. De plus, l’état de santé des enfants est tel qu’il ne favorise pas la fréquentation régulière de l’école. Les élèves manquent souvent les classes en raison de diarrhées, de malnutrition chronique ou de parasites intestinaux. La faute à l’eau sale, vu qu’en Haïti seul un habitant sur deux a accès à de l’eau potable. En outre, en raison du fléau du sida, plus de 400 000 enfants ont perdu leur père ou leur mère. Ces orphelins n’ont guère de chance de pouvoir aller à l’école.
Pour garantir aux enfants d’Haïti le droit à l’éducation dans ces conditions, il faut une foi à déplacer les montagnes. Et vous avez bel et bien cette foi-là! Votre esprit de pionniers et votre persévérance ont permis de faire augmenter drastiquement le nombre d’enfants qui fréquentent l’école. Votre engagement a aussi permis d’élargir le programme de votre collège qui va désormais du jardin d’enfants à l’enseignement secondaire.
De plus, les élèves reçoivent chaque jour un repas chaud et de l’eau potable. Ils ont aussi des cours d’éducation à l’hygiène et à la santé. Ces mesures les aident à suivre les classes de façon régulière et à terminer leur scolarité de six ans avec succès.
Pour réussir, il est essentiel que les parents soient impliqués systématiquement comme aides bénévoles dans ce processus d’éducation et de développement. Les habitants de «Trou Sable» ont baptisé votre école «la perle du quartier». Ils veulent souligner par là qu’au milieu de la pauvreté et de la misère, il existe un lieu qui se porte garant de l’éducation des enfants, qui brandit le flambeau de l’espoir, qui éclaire l’avenir, et qui ainsi devient la sentinelle de l’humanité!

Mesdames, Messieurs,

Le travail des lauréats en faveur de l’éducation en Haïti est un de ces engagements concrets pour plus de justice. Cet engagement est aussi un miroir des déficits et des défis de notre société.
A travers la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, les Nations ont souligné l’importance d’une vision globale des notions de Paix et de Justice: la Déclaration universelle garantit notamment le droit à l’éducation.
La Convention sur les Droits de l’enfant, désormais ratifiée par presque tous les Etats, a réaffirmé ce droit de chaque enfant à accéder l’éducation et à la formation.
Mais les mots ne suffisent pas: ils doivent être accompagnés d’actes. Car malgré cette Convention, 100 millions d’enfants de par le monde n’ont toujours pas accès à l’école. Faire de ce droit universel à l’éducation et à la formation une réalité concrète reste donc l’un des problèmes les plus urgents et les plus importants au monde.
C’est pourquoi les Nations Unies ont stipulé dans les objectifs du Millénaire pour le développement que le droit à l’éducation et à une formation primaire devait devenir enfin réalité avant fin 2015 pour tous les garçons et les filles, partout dans le monde.
Transcrire dans la réalité le droit à l’éducation et à la formation est à l’évidence une question d’éthique et de justice. C’est aussi une question de survie pour des millions d’enfants. Lorsque les enfants peuvent aller à l’école, la mortalité infantile chute car les élèves acquièrent des connaissances de base dans les domaines de la santé et de l’hygiène. En outre, une personne avec une éducation scolaire aura beaucoup plus de chance de pouvoir s’intégrer dans le système économique, elle sera donc plus indépendante socialement et pourra mieux apporter nourriture et protection à sa famille. L’éducation est donc le meilleur rempart contre la pauvreté, contre la maladie, contre les drames sociaux, ici en Suisse comme ailleurs de par le Monde.
En Suisse, le Conseil fédéral a une nouvelle fois souligné l’importance de l’éducation dans la stratégie de lutte contre la pauvreté qu’il a adoptée en mars dernier. Cette stratégie explore les pistes à suivre pour s’attaquer à la pauvreté. La Suisse est certes un pays riche qui dispose d’un filet social développé, mais il y reste des niches de pauvreté qu’il nous faut combattre avec énergie. Cette stratégie a été élaborée avec les principaux acteurs de ce domaine, car une action concertée est ici indispensable. Elle a été présentée au début de cette année 2010 proclamée «année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale». Mais aux yeux du Conseil fédéral cette stratégie devra représenter un effort soutenu sur la durée. A la fin de l’année 2010 nous ne devrons donc pas tourner notre regard vers d’autres problèmes: 2010 doit plutôt marquer le début d’une décennie de lutte contre la pauvreté.  
Aujourd’hui déjà la Confédération s’engage dans différents domaines. Nous entendons intensifier ce travail notamment en renforçant la coordination dans le domaine de l’intégration professionnelle. Nous voulons particulièrement cibler nos efforts aux jeunes qui vivent dans des familles modestes. Il est essentiel de les accompagner dès la petite enfance afin de leur donner toutes leurs chances lors du passage vers la formation professionnelle et lorsqu’ils entrent dans la vie active. Car oui, l’éducation est le meilleur rempart contre la pauvreté, ici comme ailleurs.
Et puis, une solide éducation donnée à la jeunesse c’est aussi le meilleur garant de la prospérité de l’ensemble de la société. En intégrant par la formation et par le travail, nous veillons à empêcher la pauvreté de passer de génération en génération. Cet automne, le Département fédéral de l’intérieur organisera avec les cantons une Conférence nationale sur la pauvreté. Ce sera une importante occasion pour aborder en détail les priorités dans ce domaine et prendre quelques bonnes résolutions avec tous les acteurs concernés: Confédération, cantons, communes et associations.

Mesdames, Messieurs, Chers lauréats,

Permettez-moi pour conclure de féliciter Caritas Suisse de son engagement dans notre pays et à l’étranger. Votre organisation se mobilise remarquablement contre la faim et la pauvreté, ainsi que pour soutenir les enfants et les jeunes. Caritas pointe du doigt certains problèmes de société mais – et c’est essentiel – votre association ouvre toujours des perspectives d’espoir.
Le témoignage par l’action que nous transmettent Soeur Vincenzina et Père Gérard en est une preuve étincelante. Il nous rappelle que dans le monde le droit des enfants à l’éducation n’est toujours pas réalité. Leur ­exemple nous montre aussi, surtout, tout ce qui devient possible quand l’accès à l’éducation est ga­ranti. Cet engagement inestimable, relayé par des milliers d’autres Soeur Vincenzina et Père Gérard de par le monde, élargit l’horizon de nombreux enfants et leur donne de meilleures chances pour entrer dans la vie. Vous ne leur offrez pas beaucoup, vous leur offrez plus. Sœur Vincenzina et Père Gérard, avec votre action soutenue par Caritas Suisse, le symbole du drapeau qui vous rattache à notre pays devient double: la croix confédérale – avec ses valeurs d’humanité et de charité – devient aussi dans le regard des enfants d’Haïti le symbole mathématique «plus». Car vous leur offrez plus: plus d’avenir, plus de plénitude, plus d’humanité, plus de santé, plus d’espoir. Pour ce témoignage vivant que vous offrez au Monde, vous méritez notre respect, notre gratitude et surtout nos encouragements.
En Haïti – qu’on appelle «la perle des Antilles» – vous dirigez une école qu’on surnomme «la Perle». C’est donc une «perle des perles» que vous enfilez cette année sur le collier du Prix Caritas, qui grandit chaque année, et qui représente un trésor pour l’humanité.
Je vous remercie et je vous félicite pour votre engagement!    •

Source: www.edi.admin.ch